mardi 10 janvier 2017

DSK – Nous n’avons décidément rien appris, par Marie Allibert (Femmes Solidaires)



Hier, en prime time sur le service public, a été diffusé un documentaire sur Dominique Strauss-Kahn, son parcours et sa chute. Un documentaire, ou plutôt un panégyrique faisant de cet agresseur sexuel en série un personnage mythique au destin brisé. Dès le début, le ton est donné : les femmes sont à la fois présentées comme celles qui lui ont permis de réussir et celles qui ont causé sa chute. Oui, je dis bien “causé”, comme si elles étaient responsables des crimes dont cet homme a été accusé à plusieurs reprises.

 
Sarah Briand et Jean-Baptiste Arnaud ont commis un film qui présente ad nauseam Strauss-Kahn comme un immense talent politique gâché par quelques “affaires embarrassantes”. Un propos allègrement étayé de témoignages tous plus complaisants les uns que les autres de la part de journalistes, d’hommes et femmes politiques et d’ami-e-s, qui évoquent sans sourciller les fameux “comportements lourdingues”, la “drague insistante” ou encore les “écarts” de cet homme.

N’a-t-on vraiment rien appris depuis 2011 ? Les médias, les hommes politiques, les commentateurs de tout bord n’ont-ils rien écouté et rien retenu des récentes “affaires” de harcèlement et d’agressions sexuelles commises par des hommes puissants ?

Depuis 2011, plusieurs événements ont mis en lumière des cas de harceleurs et agresseurs jouissant de la plus totale impunité. Des femmes ont dénoncé ce qu’elles subissent au quotidien : les agissements de Denis Baupin, le harcèlement répété dans tous les milieux, qu’elles soient collaboratrices parlementaires (Chair Collaboratrice), avocates (Paye ta robe) ou journalistes (Paye ton journal). On ne pourra pas dire que tout est encore de la faute des femmes qui n’ont pas osé parler !

Et pourtant, dans ce documentaire diffusé début 2017, on retrouve tous les arguments de défense les plus abjects des agresseurs. Aucune empathie pour les victimes. Pas un mot, rien.

Cela commence par l’ami qui présente Strauss-Kahn comme un homme qui était tellement sérieux à l’adolescence qu’il n’a pas pu en profiter. Et donc, nous explique cet ami, “il se rattrape lorsqu’il s’aperçoit qu’il plaît aux femmes et qu’il peut en abuser”. En abuser, le premier euphémisme est lâché. Ce festival de vocabulaire déculpabilisant, euphémisant, indulgent à l’extrême se poursuit durant tout le reportage : des “affaires”, un “écart”, un “dragueur”, etc.

Des mots bienveillants utilisés par les ami-e-s de Strauss-Kahn pour attester de son irréprochabilité. Une ex-maîtresse, parfait alibi pour créer de la confusion dans l’esprit du téléspectateur/trice, vole ainsi au secours du pauvre homme à l’appétit sexuel débordant et annonce de but en blanc “je n’ai pas connu un Dominique violeur”. Mais on ne pense jamais connaître un violeur, jusqu’à ce qu’il nous viole ! Personne ne pense que son frère, son ami, son père est un violeur. Et pourtant, avec 84 000 femmes majeures victimes de viols ou tentatives de viols par an, il faut bien qu’il y en ait, des violeurs !

Le poids des mots est énorme dans un documentaire comme celui-ci, car les mots qualifient des actes et justifient des décisions de justice. Ainsi, est évoqué le “harcèlement” dont Tristane Banon aurait été victime de la part de Strauss-Kahn. Ce n’est pourtant pas pour harcèlement qu’elle a porté plainte, mais pour viol. Un crime, donc. De même, la voix off explique qu’il a été accusé par une collaboratrice au FMI de l’avoir “contrainte à une relation sexuelle”. En droit français, cela s’appelle un viol.

Les mots choisis, tout au long du documentaire, entretiennent délibérément la confusion entre liberté sexuelle et violence sexuelle. C’est grave, très grave ; c’est une confusion indigne, une gifle à toutes les femmes victimes de violences sexuelles. Prétendre que les victimes étaient consentantes est le plus vieil argument des agresseurs pour discréditer les victimes. Les accusations pesant sur Strauss-Kahn sont présentées comme un jugement moral sur son soi-disant libertinage, sa liberté sexuelle, ses adultères. Rappelons donc, puisque cela semble encore nécessaire, que les accusations de plusieurs femmes contre cet homme relèvent du pénal et non du moral. Elles ne relèvent pas de la vie privée mais de la cour d’assises.

Tout le monde, dans ce film, semble éberlué qu’un homme accusé de viol soit mis en prison et jugé. Rien d’étonnant à cela quand on sait que seul 1% des violeurs est condamné… Les manifestations d’empathie vis-à-vis de l’agresseur, présenté comme une victime, égrènent le documentaire : DSK “très atteint et extrêmement déprimé”, victime d’“une extrême violence”, en proie à une “extrême souffrance”.

L’apothéose de cette inversion de la culpabilité intervient lorsqu’un des témoins du film explique que Strauss-Kahn est victime d’acharnement judiciaire parce qu’il est un “homme blanc puissant” accusé par une “femme noire pauvre”… Comme si les femmes racisées, pauvres, victimes de toutes les oppressions et toutes les discriminations, étaient en mesure d’engager un rapport de force favorable avec le patron du FMI !

Mal nommer les agressions, créer de l’empathie avec les coupables et mettre les victimes en responsabilité voire en accusation : autant de procédés qui entretiennent la stratégie des agresseurs. Osez le féminisme ! a, encore récemment, dénoncé l’impunité avec sa campagne Stop Agresseurs. Mais les associations ne peuvent porter ce combat seules. Les médias ont une responsabilité, les femmes et hommes politiques aussi : cessez de présenter Strauss-Kahn comme un homme providentiel déchu, c’est pathétique. Cela discrédite la classe politique et ajoute aux traumatismes de toutes les femmes qui ont déjà été victimes de violences.

Vers la fin du reportage, on entend cette phrase insupportable prêtée à Strauss-Kahn : “J’ai vécu des choses violentes et j’ai beaucoup perdu”. Dominique Strauss-Kahn a beaucoup, beaucoup moins perdu que toutes les femmes aux vies brisées, victimes de violences de la part d’hommes puissants qui restent dans l’impunité la plus totale.

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