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personnes (chercheurs et responsables politiques de France, Grèce,
Espagne, Allemagne, Italie et Belgique) signent un texte collectif,
suite à la conférence internationale «La France et l’Europe après le
Brexit» organisée à Paris, les 2 et 3 décembre 2016, par le réseau
européen EReNSEP.
L’Europe est entrée dans une phase critique. L’Union économique et monétaire (UEM) a manifestement et irrévocablement échoué, les économies de la périphérie subissent une crise sévère, et les économies du centre stagnent. La monnaie unique est devenue un instrument du capitalisme allemand pour instaurer une politique économique mercantiliste au moyen du dumping des salaires, et pour dicter – avec le soutien des autres économies du centre de l’UEM – des « réformes structurelles » qui provoquent la stagnation économique, la pauvreté et le chômage.
Les grandes entreprises et les promoteurs du néolibéralisme se servent de la crise pour intensifier leur offensive contre les conquêtes sociales et démocratiques du XXe siècle. La capitulation de Syriza en Grèce a montré que l’UEM comme l’Union européenne (UE) constituent des obstacles majeurs à toute tentative de modifier l’agenda néolibéral qui domine en Europe. L’austérité, le néolibéralisme, les politiques commerciales de libre échange, conjoints au mépris des institutions européennes pour les droits fondamentaux et la démocratie ont conduit à une crise de légitimité sans précédent de l’UE.
Prenons pour exemple les résultats des trois derniers référendums liés à des enjeux européens. En Grèce, le 5 juillet 2015, une large majorité a décidé de rejeter les conditions attachées au troisième memorandum proposé par la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Au Royaume-Uni, le 23 juin 2016, une majorité a choisi de quitter l’Union européenne, exigeant ainsi de facto la réversibilité du processus d’intégration européenne. En Italie, lors du référendum du 4 décembre 2016, une large majorité a rejeté une réforme constitutionnelle anti-démocratique et favorable aux marchés financiers en dépit de l’appui déclaré et unanime des institutions européennes à cette réforme, forçant le premier ministre pro-UE, Matteo Renzi, à démissionner. Le rejet des institutions européennes n’a jamais été aussi manifeste au sein des pays membres de l’UE.
La colère et l’indignation ne cessent de monter chez les travailleurs en Europe. Malheureusement, c’est à ce jour la xénophobie croissante, l’extrême-droite et même le fascisme qui en bénéficient. La gauche européenne paie le prix de son soutien malavisé à l’UEM, ainsi que du tabou de la rupture avec le cadre de gouvernance de l’UE et avec le mode d’intégration néolibéral des pays membres. Si nous ne voulons pas que le futur de l’Europe soit dominé par le néolibéralisme et l’extrême-droite, il faut nous libérer – aux niveaux local, national et international – de la cage d’acier des politiques et des traités imposés par les institutions européennes.
Que devrait faire la gauche ?
Sur la base des propositions discutées lors de la deuxième conférence internationale du réseau EReNSEP (1), et dans le prolongement du dernier Sommet internationaliste pour un Plan B en Europe (2), nous pensons que la gauche devrait poursuivre ces trois principaux objectifs en Europe aujourd’hui :
1. La priorité principale est de mettre fin à l’austérité et de créer des emplois de qualité. Ce devrait être le cœur de la politique économique de la gauche. Cependant, nous ne parviendrons à convaincre de notre capacité à atteindre ces objectifs que si nous pouvons présenter une stratégie concrète, permettant de régler les déséquilibres majeurs entre les économies des pays européens et d’ouvrir ainsi la possibilité d’une transformation écologique et démocratique de l’industrie et de l’agriculture. Nous ne pourrons pas répondre aux besoins sociaux des peuples d’Europe et faire face aux défis environnementaux du continent si nous ne disposons pas d’une telle stratégie, claire et réaliste. Il importe en priorité de mettre en œuvre un programme d’investissement public massif afin de stimuler la demande et de reprendre du pouvoir aux grandes entreprises et aux banques. C’est ainsi que nous pourrons établir les fondations sur lesquelles reconstruire et élargir les services publics et la protection sociale.
2. De telles politiques économiques radicales requièrent la souveraineté monétaire. Le carcan des traités européens et des directives et mécanismes de l’UEM a été construit en vue d’empêcher toute autre stratégie que celle de l’austérité et de la libéralisation économique. Pour en finir avec l’austérité, il est nécessaire de reprendre le contrôle démocratique de la création monétaire et des banques. Tout gouvernement de gauche en Europe devrait commencer par désobéir aux Traités européens et se préparer à une confrontation durable avec les autorités européennes, en mettant en œuvre une stratégie économique cohérente pour gérer ce conflit. La gauche doit se préparer à créer de nouvelles monnaies, et elle ne devrait pas avoir peur d’annuler la dette publique lorsque cela est politiquement légitime et nécessaire d’un point de vue économique. Elle devrait proposer la nationalisation et la socialisation des banques afin de reprendre le contrôle démocratique de l’économie. La gauche devrait également proposer un nouveau cadre pour contrôler les flux de capitaux en Europe et réguler les taux de change ainsi que les excédents et déficits commerciaux entre pays européens. Ces mesures sont tout à fait réalisables et la gauche devrait les défendre avec confiance. L’essentiel est d’élaborer une stratégie permettant d’en finir avec l’austérité et de renforcer la solidarité entre mouvements sociaux des différents pays, ancrée dans chaque contexte national, tout en proposant des alternatives au niveau global. Si nous ne sommes pas prêts à mettre en œuvre ces mesures, sur la base des réalités nationales et avec le soutien d’une alliance des forces de gauche des différents pays, nous ne pourrons pas nous libérer de l’austérité et du néolibéralisme.
3. Ces politiques économiques radicales sont également inséparables de l’exigence de souveraineté populaire et de démocratie. Les institutions de l’Union européenne n’ont jamais été démocratiques ni au service des peuples européens. Elles font partie d’une machine politique conçue pour mettre en œuvre un ordre économique favorable aux entreprises transnationales, à la privatisation systématique des services publics et des autres propriétés publiques, et à l’érosion de la protection sociale. Le régime néolibéral de libre échange promu par l’Union européenne rend toute forme de souveraineté populaire impossible. Il est nécessaire de rompre avec les accords de libre échange et les traités qui ont été imposés aux pays membres de l’UE. Affronter les institutions de l’UEM et refuser d’appliquer les directives néolibérales et les Traités européens constituent des moyens nécessaires pour mettre en œuvre des politiques économiques progressistes et pour regagner le contrôle démocratique de l’économie. Ces mesures sont également des étapes indispensables pour développer la forme nouvelle de coopération politique dont nous avons besoin en Europe, fondée sur la justice sociale, la solidarité internationale, la démocratie et la soutenabilité environnementale. Nous devons soutenir des processus constituants afin de construire des régimes politiques authentiquement démocratiques. Nous devons également encourager l’auto-organisation et la mobilisation populaires.
Les nuages s’amoncellent au-dessus de l’Europe. Mais, si la gauche retrouve du courage politique, il est encore temps pour elle de reprendre la direction des évènements. La gauche doit renouveler et affiner ses propositions économiques, sociales et politiques. Elle doit se souvenir qu’elle tire sa force de la défense de la démocratie, de la souveraineté populaire, des intérêts des travailleuses et travailleurs et des opprimé-e-s. Et elle doit se préparer à une rupture radicale avec le carcan néolibéral imposé par les Traités de l’Union européenne et par l’Union économique et monétaire.
http://www.erensep.org/index.php/en/
1. La deuxième conférence internationale du réseau EReNSEP, intitulée « La France et l’Europe après le Brexit », s’est tenue à Paris les 2 et 3 décembre 2016 (voir ici)
2. Voir ici le « Communiqué pour un Plan B permanent en Europe » après le troisième Sommet internationaliste pour un Plan B en Europe les 19 et 20 novembre 2016 à Copenhague. Le prochain Sommet du Plan B aura lieu à Rome les 11 et 12 mars 2017.
Les signataires:
Josep Maria Antentas (Professeur de sociologie à l’Université autonome de Barcelone, Espagne)
Jeanne Chevalier (Parti de gauche, Secrétaire nationale à l’économie, France)
Eric Coquerel (Parti de Gauche, Coordinateur politique, France)
Alexis Cukier (Ensemble !, Equipe d’animation nationale, France)
Fabio De Masi (Député européen, Die Linke, Allemagne)
Sergi Cutillas (Chercheur en économie à l’Ekona Research Center, membre de la Plateforme pour un audit citoyen de la dette, Espagne)
Cédric Durand (Maître de conférences en économie, Université Paris XIII, France)
Guillaume Etiévant (Parti de gauche, ancien Secrétaire national à l’économie, France)
Stefano Fassina (Député au Parlement italien, Sinistra Italiana, Italie)
Heiner Flassbeck (Professeur honoraire d’économie et de sciences politiques à l’Université de Hambourg, Allemagne)
Constantinos Gavrielides (Conseiller régional et membre de la Commission économique de la région de l’Ouest, Grèce)
Marlène Grangé (Ensemble!, France)
Sabina Issehnane (Maître de conférences en économie, Université de Rennes 2, France)
Costas Lapavitsas (Professeur d’économie à l’Université de Londres, ancien député Syriza, Grèce)
Moreno Pasquinelli (Programma 101, Italie)
Jean-François Pellissier (Ensemble!, Porte-parole, France)
Laura Raim (Journaliste indépendante, France)
Patrick Saurin (Sud BPCE, Porte-parole, CADTM, France)
Eric Toussaint (CADTM, Porte-parole du réseau international, Belgique)
Aurélie Trouvé (Maître de conférences en économie, Agrosup Dijon, France)
Miguel Urbán (Député européen, Podemos, Espagne)
Christophe Ventura (Chercheur en relations internationales, membre de Chapitre 2, France)
Frédéric Viale (Docteur en droit, membre de Chapitre 2, France)
Sébastien Villemot (Economiste à l’OFCE, France)
Grigoris Zarotiadis (Professeur associé à la School of Economics and Political Sciences de l’Université Aristote de Thessalonique, Grèce)
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