mardi 16 novembre 2010

Congrès des Alternatifs : retraites, un mouvement d'une puissance exceptionnelle


La mobilisation de contestation de la contre-réforme et du projet antisocial de la droite s’inscrit en filiation directe avec 1995 et 2003 avec en filigrane le thème des retraites mais elle dépasse les deux précédentes par son ancrage dans la durée, l’ampleur des manifestations, le blocage d’autres secteurs d’activité. Elle les dépasse aussi sur le plan de l'auto-organisation et par son caractère politique, dans une combinaison de mouvement social et de crise politique.


Cette mobilisation constitue par sa puissance le mouvement social le plus important depuis Mai 68, dont il a retrouvé parfois les accents subversifs, y compris dans les exigences de « changer la vie », de ré-interrogation du travail lui-même, de montée du thème de la réduction du temps de travail en même temps que s'amplifiait la mobilisation Au-delà des retraites, le mouvement fédère les colères et les révoltes contre toutes les injustices du capitalisme financiarisé et contre l’Etat sarkozyste autoritaire et répressif. De fait, le mouvement se nourrit largement du rejet des politiques de Sarkozy. La crise politique résultant d’une délégitimation du pouvoir politique avec l’affaire Woerth-Bettencourt mais surtout avec la chasse aux Roms, orchestrée après les événements de Grenoble a produit un fort sentiment d’injustice et un sursaut citoyen dans le prolongement des mobilisations citoyennes en défense des sans-papiers. Comme en 1986 et 1995, le mouvement social s’est étendu à une partie de la jeunesse, en particulier lycéenne, sans parvenir à la mobiliser autant qu’en 2006 contre le CPE.



L’intersyndicale construite au moment du CPE, qui s’est affirmée en 2009 contre la crise a été un outil essentiel de la mobilisation et a été assez peu contestée dans son principe au sein des organisations syndicales. Si les syndicats FO et Solidaires pour des raisons bien différentes s’en sont démarqués à certains moments, ils n’ont pas pour autant rompu définitivement. Le volontarisme en termes de cadre unitaire sans exclusive de la CGT a pesé même si l’axe privilégié reste la CFDT. Mais l’idée de renvoyer systématiquement à la base la décision de la forme d’action a masqué une « forme de retrait syndical ». L’absence de mot d’ordre clair de retrait et encore moins d’appel à la grève générale reconductible ont été révélateurs de la stratégie des deux principales organisations et notamment de la CGT, même si de nombreuses équipes cégétistes ont joué un rôle moteur dans des secteurs en grève reconductible. L’orientation à la fois unitaire et « radicale » de Solidaires lui a attiré beaucoup de sympathie, en particulier parmi les jeunes salarié-e-s et devrait lui permettre d’occuper une place plus importante à l’avenir.


Si les grèves reconductibles n’ont pas vraiment pris à une échelle de masse, il y a eu une multiplication des actions de blocage (raffineries, routes, flux de combustibles, déchetteries, etc.) mises en œuvre par les collectifs interprofessionnels, expression avancée de l’auto-organisation populaire rassemblant dans les actions entreprises les différentes générations, des secteurs professionnels variés et des chômeurs. Ce mouvement a révélé une plus grande diversité d’expression de la conflictualité, des processus de radicalisation et un plus grand « répertoire d’action collective ». La force et l’étendue du mouvement à Marseille et ailleurs ont exprimé un renforcement et une structuration des mobilisations sur un plan territorial. De ce point de vue, il y a eu une amplification de ces phénomènes en comparaison avec 2003 et 2006 avec une radicalisation de certaines équipes syndicales.


Dans de nombreux départements, des assemblées générales ont joué un rôle important dans les mobilisations et ont contribué à l'expression de formes d'auto-organisation. Réunies récemment à Tours, elles viennent de réaffirmer leur volonté de poursuivre la résistance sous des formes variées malgré le retrait sur la pointe des pieds de l’intersyndicale nationale.


Les collectifs unitaires citoyens qui ont engagé dès le mois de mars un travail pédagogique et d’information sur les enjeux de l’avenir des retraites n’ont pas eu la même influence que lors du TCE. Le front syndical jouant un rôle central dans la mobilisation, ces collectifs ont cependant contribué au rapprochement et à l'agrégation des forces associatives, syndicales et politiques en présence dans la mobilisation.


La centralité incontestée des organisations syndicales dans le mouvement est allée de pair avec une moindre visibilité, malgré leur présence, des partis de gauche. Comme les sociaux-libéraux en Europe, le PS partage les grandes lignes de la contre-réforme même s’il s’est prononcé contre elle, alors qu’en réalité il ne s’est opposé qu’à ses aspects les plus brutaux. Les grévistes et les manifestant-e-s n'ont pas été dupes de cette ambiguïté du PS, considérant cependant et à juste titre que le front politico-social le plus large était indispensable pour construire le rapport de forces nécessaire. Toutes les forces situées à la gauche du PS ont clairement condamné la contre-réforme sur le fond du dossier. Mais la séparation et le cloisonnement entre les sphères politique, syndicale et associative, qui renvoient à la vieille conception social-démocratie du « partage des tâches », ont été validés par le positionnement du PCF et du PG qui ont semblé attendre sagement l’échéance de 2012, comme le PS et les écologistes. La Gauche unitaire, le NPA et les Alternatifs, chacun a leur manière, ont tenu un discours différent en pointant la crise politique pour dire la nécessité du départ de Sarkozy et de son gouvernement, de la dissolution de l’Assemblée nationale et, pour les Alternatifs, de l’engagement d’un processus constituant.


Le front politico-social construit dans la mobilisation n'aura pas suffit. Après une amorce prometteuse et stimulante, il est resté au milieu du gué. Il lui aura manqué l'approfondissement et la généralisation de l'auto-organisation, à travers notamment la systématisation des assemblées générales intersyndicales et interprofessionnelles à l'échelle des lieux de travail et des territoires, ouvertes aux citoyennes et aux citoyens également mobilisé-e-s : cette auto-organisation était indispensable pour contrebalancer les limites de l'intersyndicale nationale. Il lui aura manqué aussi la modification du rapport de forces politique à gauche : le ralliement des sociaux-libéraux -au pouvoir comme dans l'opposition- aux contre-réformes en cours ailleurs en Europe aura été le seul argument sérieux de la droite et du patronat en France pour défendre leur contre-réforme présentée comme incontournable


C'est une pierre de plus dans le jardin des forces politiques situées à la gauche du PS : leur rassemblement demeure indispensable.


Après l'expérience très positive du LKP en Gwadlup en 2009, un pas en avant a été fait dans l'auto-organisation et le caractère multiforme d'une mobilisation à caractère politico-sociale. Et, malgré la promulgation de la loi, le mouvement s’achève sans véritable vainqueurs, ni vaincus tant le gouvernement apparaît délégitimé sur le plan social et politique, après une mobilisation dont la popularité a été grandissante, y compris au moment des blocages et de la reconduction des secteurs les plus combatifs.





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