jeudi 3 avril 2014

Cap à gauche ou cap suicide, par Gérard Filoche (intervention au bureau national du PS)


Depuis plus de vingt ans, Gérard Filoche a choisi de rejoindre le PS. Animateur de la gauche de ce parti, il est actuellement membre du bureau national. Son intervention au bureau national du 1er avril pose crûment le dilemme posé au PS : cap à gauche ou cap suicide. Sans illusion sur la réponse apportée par le nouveau tandem Hollande-Valls.

Chers camarades, la situation est très grave et très douloureuse. Les élections municipales ont été un désastre sans précédent pour notre Parti socialiste. La droite a gagné en pourcentage sans qu’il y ait eu de basculement de voix en sa faveur en chiffres absolus. 


Si droite et extrême droite connaissent un tel succès, c’est à cause de l’effondrement du Parti socialiste sanctionné par son électorat déçu. Les électeurs de gauche attendaient un changement en profondeur depuis mai-juin 2012, ils ne l’ont pas vu, rien n’a changé en leur faveur, ils ont marqué leur mécontentement avec une très grande clarté. EELV et le FDG ont gardé leurs voix, c’est bel et bien le PS, politiquement, qui a été visé par cette abstention de gauche massive. 

Ce n’est pas la faute à nos maires ni à nos militants. Bien au-delà du scrutin municipal, c’est la politique nationale du président qui a été visée. On peut dire que le choix du « redressement » par les cadeaux (appelés indûment « baisse des charges ») aux chefs d’entreprise, la réduction des déficits, la baisse du cout du travail est largement minoritaire dans le pays. Cette politique du président est largement minoritaire aux yeux de nos électeurs salariés. Elle est minoritaire à gauche et même dans les rangs du parti socialiste. 

Ne pas avoir dit entre les deux tours que nous allions corriger le cap, a abouti à aggraver le 30 mars la déroute initiée le 23 mars. Ne pas répondre au message des électeurs et aux abstentionnistes des deux tours, à l’exigence d’une véritable politique de changement à gauche, nous conduirait à d’autres cruelles défaites. Est-ce que le président a, hier soir, répondu à ce message ? On peut dire non ce qui nous laisse dans une situation transitoire, instable, angoissante. 

Pour ceux qui attendaient une inflexion, une correction de trajectoire, les signaux envoyés dans le discours de François Hollande sont décevants. Or des millions d’électeurs ont entendu que le gouvernement, après un cadeau de 20 milliards d’impôt aux chefs d’entreprise, allait accorder 35 milliards de remise des cotisations allocations familiales. Et en plus qu’il y aurait 50 milliards de restriction budgétaire… Tout cela en sachant que depuis 20 mois ce genre de cadeaux au patronat non seulement ne fait pas reculer le chômage de masse, il continue de progresser. 

L’argent va dans les dividendes et dans les iles Caïman, pas à l’emploi. Les patrons ont plus intérêt à spéculer qu’à embaucher, la rente rapporte plus que la production, leurs marges comptent plus que l’emploi. Ces mêmes millions d’électeurs, on les connaît, c’est notre base électorale, nos proches, ont subi une hausse de la TVA, un blocage du Smic et des salaires, des hausses des prix des services, et les petites retraites ont été abaissées… A quelques jours du premier tour, il a été annoncé un recul des indemnités des chômeurs de plus de 400 millions… 

Aujourd’hui même, 1er avril, 7 millions de retraités en dessous de 1000 euros ne vont pas voir leur retraite réajustée comme cela était prévu, ils vont perdre des dizaines d’euros alors qu’ils devraient fortement être ré – augmentés : ces électeurs ne pardonnent pas au PS, à juste raison, par une loi honteuse contre les retraites, de leur avoir pris 2,7 milliards. 

Question de « salut public » dans la « crise » : ces milliards pouvaient (et devaient) être pris aux 500 familles qui ont gagné 59 milliards en un an, détiennent 16 % du Pib, 330 milliards plus que le budget de l’état ! Ces milliards pouvaient être repris sur les 80 milliards de fraude fiscale si la volonté de la traquer avait existé. Ces milliards pouvaient être pris sur les 590 milliards d’avoirs français qui sont détournés dans les paradis fiscaux. Ces milliards pouvaient être pris sur les 210 milliards de dividendes nets (84 milliards nets) dont se goinfre l’oligarchie de notre pays. 

Le choix de plaire aux riches, aux actionnaires, aux chefs des multinationales, aux banques, sous prétexte de « redressement » est à la fois choquant et vain. Choquant car les inégalités se creusent, les énormes richesses du pays sont concentrées entre les mains de 1 % et de l’autre coté, il y a 10 millions de pauvres, 5,9 millions de chômeurs, 50 % des salariés gagnent point de 1650 euros. Vain car il vient d’y avoir 31 500 chômeurs de plus, cet argent ne fait pas d’emploi, on le sait depuis toujours, il va dans le puits sans fond des paradis fiscaux et de la finance casino. 

Le discours du président confirme que ces 35 milliards et 50 milliards seront pris aux petits pour être donnés aux gros, à la finance. La priorité au remboursement des intérêts de la dette (car la dette ne sera elle même jamais remboursée) a quelque chose d’irréaliste, d’irrationnel, d’inouï c’est Ubu puisque ce remboursement aux forceps, pour plaire à Bruxelles et aux marchés, aboutit… à augmenter la dette. 

Depuis deux ans, le déficit a baissé d’un point, et la dette a augmenté de 6,5 points. C’est comme un jardinier qui arrose la rivière alors que son jardin est asséché. Ce que nous impose Bruxelles est tueur, non seulement pour la vie quotidienne de nos concitoyens mais pour l’économie du pays. Non seulement ça nous fait perdre les élections mais ça nous enfonce dans la récession. Comme ça c’est passé en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie. Une austérité qui nuit à l’Europe, nourrit l’extrême droite. L’argent va aux banques du pays qui spéculent dessus, et nos services publics et notre protection sociale reculent. 

Au contraire, comme nous n’avons cessé de le dire depuis 20 mois, il faut faire la relance, investir, augmenter les salaires, dépenser plus pour que ca rapporte plus et que des équilibres budgétaires se réalisent ainsi. Enfin le président a annoncé une « baisse des cotisations sociales des salariés ». Qu’est ce que c’est que cette histoire ? D’où ça vient ? Où est-ce qu’a été discutée pareille orientation ? Les cotisations sociales, c’est du salaire brut. Du salaire ! Il faut augmenter les salaires nets et bruts, et non pas les baisser. Les cotisations sociales c’est du salaire, du bonheur, c’est notre précieuse protection sociale. Si elles sont baissées que deviendra cette part du salaire mutualisée et redistribuée à chacun selon ses besoins ? C’est ce qu’il y a de plus beau en France. Est ce l’annonce de l’affaiblissement de la Sécu pour le bénéfice des « complémentaires-santé » individualisées, plus coûteuses, plus inégales ? Cela ne préjuge pas bien de la façon de reconquérir le soutien nos concitoyens. 

Je l’avais dit, malheureusement, sans être entendu, il y a un an, (et au congres de Toulouse) on va dans le mur. On est dans le mur. On n’est plus dans un débat de congres mais dans la vie réelle. Et en continuant dans la même voie, la même impasse, si notre parti ne pèse pas pour changer le cours de tout ça, on perdra les européennes, le sénat, puis les régions, ce sera d’autres désastres, prévisibles et assurés. Il faut le sursaut. Sinon on perdra 19 régions sur 20 et il restera 50 députés sur 300. 

La vie du parti est en jeu. C’est cap à gauche ou cap suicide. Nous ne sommes pas pour un pouvoir personnel, ce n’est pas à un seul homme de tout diriger, tout ne doit pas descendre d’en haut, la Ve République à ses effets pervers, elle empêche un Président élu d’être « « normal » ! 

Au contraire il faut accorder toute sa place au Parlement, aux élus, et aussi au Parti socialiste. Respect de la démocratie, respect des électeurs, respect des partis, des militants ! Halte aux conseillers technos, aux obscurs gourous, « Gracques » ou autres, prétendus experts économiques qui ont les yeux rivés sur les taux d’intérêts, pas sur la vie de nos concitoyens. Que le parti parle, que les militants disent leurs mots, il faut des assemblées ouvertes partout, dans les fédérations, les sections, même un congrès anticipé pour dire et redresser la situation quand il est encore temps ! 

Ce n’est pas après un autre désastre en 2015 – comme après le 21 avril 2002 – qu’il faudra se morfondre, il sera trop tard, on peut, on doit maintenant tracer une orientation et peser ainsi sur le gouvernement pour ne pas perdre en 2015 et en 2017

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