Gazprom a annoncé vendredi 28 mars l’annulation unilatérale de tous les rabais octroyés à l’Ukraine, au bord de la cessation de paiement. L' « aide » du FMI -sur laquelle se décharge l'UE - s'accompagne d'exigences socialement insoutenables. C'est la population qui paiera cette rivalité des « protections» empoisonnées, à moins qu'elle ne se soulève à nouveau, trouvant son unité contre tous les rapports de domination, dans un processus d'autodétermination respectueux de sa diversité et d'une égalité des droits sociaux et culturels.
Le déploiement militaire russe et le référendum précipité en Crimée ont été imposés par Poutine au nom de l'urgence d'une « protection » contre un « putsch fasciste » à Kiev, supposé menaçant pour toutes les populations russophones.
Derrière des rivalités et les jeux de poker menteur géo-politiques, des intérêts communs rapprochent les puissances dominantes, dont la crainte des débordements « d'en bas » face à des politiques socialement agressives, sous tous les cieux. Et c'est une situation largement incontrôlée par ceux « d'en haut », et non pas un putsch, qui a marqué l'échec des compromis de sommet négociés le 21 février à Kiev, produisant la fuite du président, le basculement d'une partie substantielle de l'appareil et des oligarques, donc des députés du Parti des Régions.
Le « gouvernement d'Union » très provisoire, a été choisi sous pression de Maidan, sans clarté, ni représentativité de l'ensemble du pays : sa démocratisation passe par une véritable assemblée constituante et confrontation des programmes. C'est donc dans l'incertitude constitutionnelle et l'opacité politique des changements d'étiquettes superficiels que se dérouleront les prochaines élections présidentielles prévues le 25 mai.
Mutation de l'extrême droite ?
Les diplomates occidentaux, trop contents d'afficher leur soutien hypocrite à « Maidan », supposée simplement « pro-européenne », sans se dissocier de l'extrême-droite et de ses pratiques, sont confrontés aujourd'hui à des formations devenues embarrassantes. Certaines cherchent à se transformer dans un sens « respectable » en vue d'alliances et de sièges au parlement[i], quand certaines composantes ou membres restent réfractaires à ces institutionnalisations.
L'extrême-droite se différencie aussi (comme à l'échelle internationale) en fonction de l' « ennemi principal » du moment et de la grille idéologique fondant la « nation ».
En pratique, Pravy Sektor (Secteur Droite) dont les membres n'hésitaient pas à afficher des sigles SS, s'est transformée en parti politique et son commandant en chef, Dmitry Iarosh, s'est déclaré candidat à la présidence du pays. Pour contrer la propagande de Moscou en direction des populations russophones, il met l'accent dans les régions de l'Est, sur l'indépendance de l'Ukraine et sa neutralité contre tout rapprochement avec l'UE[ii] (« décadente ») autant qu'avec la Russie. L'autre parti d'extrême-droite, Svoboda, doté de plus de 10% de sièges au parlement, s'est positionné contre les russophones « asiatiques », pour « l'Ukraine « européenne », au prix d'une rupture avec le Front national dont il était proche.
La thèse du complot juif international, supposé infiltrer toutes les formations « pro-européennes » domine sur Internet les analyses de la droite russe contre le « coup fasciste » de Kiev.
Les tensions montent entre le ministre de l'intérieur Arsen Avakov et les groupes d'extrême-droite : le parlement a exigé le désarmement de ces groupes et Pravy Sector accuse Avakov de couvrir l'assassinat d'un autre dirigeant de son organisation, Oleksandr Mouzytchko. Celui-ci a été retrouvé le 24 mars criblé de balles. Il faisait l'objet, comme Dmitri Iarosh, d'accusations de Moscou et d'un mandat d'arrêt international pour leur rôle présumé dans la torture et le meurtre de prisonniers russes pendant la première guerre de Tchétchénie de 1994 à 1996, suspectés d'attiser des attentats anti-russes en Tchétchénie pour déjouer l'interventionnisme russe en Ukraine.
Quels enjeux réels ?
D'autres jeux opaques se nouent à l'approche des élections : ce sont les oligarques qui contrôlent le pouvoir ukrainien et les partis, ce qui donne au pays un certain pluralisme, y compris médiatique, par différence à une Russie où l'Etat poutinien contrôle les oligarques. Selon les estimations du sociologue Volodymyr Ishchenko, à Kiev « le candidat le plus sérieux à l’élection présidentielle du 25 mai n’est autre que M. Petro Porochenko, le “roi du chocolat”, l’un des hommes les plus riches du pays… »[iii] pour lequel vient de se désister l'ancien boxeur Klitschko.
L'impopularité des « dirigeants » présumés de Maidan risque de se confirmer, y compris l'adversaire de l'ancien président, Ioulia Timochenko, égérie de la « révolution orange » de 2004 dont l'UE espérait la popularité.
Dans tous les cas, l'Ukraine se confronte, comme en novembre dernier, aux conflits géo-politiques et énergétiques entre grandes puissances rivales et interdépendantes, la Russie ayant entre temps affirmé son rapport de force. Le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, a signifié à Gazprom que les offres faites en décembre dernier au président renversé Ianoukovitch, étaient caduques.
Outre la remise en cause du prêt russe de 15 milliards de dollars « sans conditions », l'Ukraine devra acheter son gaz russe non plus au tarif de 268 dollars les 1000 m3 mais de 485 dollars les 1000 m3. Compte tenu des retards de paiement, Moscou évalue à 11 milliards de dollars les créances de l’Ukraine envers la Russie.
« Un des aspects les plus choquants de l'aide russe est quelle permettait au pouvoir de s'affranchir d'un programme du FMI » disait le Figaro fin février[iv], pas choqué par un tel programme. Un mois plus tard, le même journal annonce pourtant : « le sauvetage du FMI sera douloureux ». Le Fonds accordera entre 14 et 18 milliards de dollars au pays, en négociant sur deux ans d'autres possibles tranches allant au total jusqu'à 28 milliards de dollars. « En échange, l'entreprise publique Naftogaz a annoncé une augmentation de 50% des prix du gaz à partir du 1er mai. Salaires et retraites des fonctionnaires seront gelés ».
Si, dans ce contexte, la Russie offre – comme en Crimée – des tarifs préférentiels et des droits sociaux aux populations russophones, elle affectera, plus que par son armée, l'unité du pays. Elle joue sur cette menace pour préconiser une fédéralisation de l'Ukraine et l'écarter de toute alliance avec l'OTAN.
Le piège serait de prendre un contre-pied « unitariste » et euro-atlantiste, au lieu de transformer ces propositions en réel processus démocratique d'assemblée constituante sous contrôle populaire, avec un ancrage sur les droits sociaux et culturels égalitaires, adressés notamment aux populations tatars de Crimée. L'atout de l'Ukraine est la popularité de son indépendance dans la diversité des cultures. Il faut la consolider contre tous les rapports de domination.
Catherine Samary
i] Voir Le Monde « les nationalistes ukrainiens, du treillis au costume », 28/03
[ii] http://www.youtube.com/watch?v=ED0D-gsDlbI
[iii] Monde Diplomatique d'Avril, "l'Ukraine, d'une oligarchie à l'autre", de Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin www.monde-diplomatique.fr/2014/04/DERENS/50334
[iv] « FMI, Union européenne : qui va payer pour l'Ukraine? » 28/02/2014
- Où va l'Ukraine, réunion débat avec Catherine Samary mardi 15 avril 20h maison des syndicats, à l'invitation d'Ensemble, du Parti de Gauche et du NPA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire