Les mots du Premier ministre, dans son discours de politique générale, ne sont plus ceux de la gauche. La quête de « compétitivité » a pris la place du combat contre les inégalités, et le fond politique colle aux dogmes libéraux et aux ronrons d’une Ve République à bout de souffle.
Ce mardi 8 avril était jour de grand oral pour le Premier ministre, suivi du vote de la confiance par le Parlement. Si le résultat du scrutin ne faisait aucun doute, force est de reconnaître que Manuel Valls a obtenu une large majorité. Le PS, à l’exception de 11 abstentions sur 291 députés, le PRG et les deux tiers d’EELV ont apporté leur soutien à Manuel Valls. Seuls les députés du Front de gauche ont voté contre la confiance à ce nouveau gouvernement – ils s’étaient abstenus il y a deux ans.
Si Manuel Valls a constaté qu’il y a « trop de souffrances, pas assez d’espérance », il n’a pas tracé de chemin nouveau pour sortir la France de l’impasse.
Le smic sans les « charges »
Toujours plus loin des envolées de circonstance contre la finance de François Hollande au Bourget, le Premier ministre n’a rien dit du coût du capital, mais annoncé une accélération de recettes bien connues – alliant austérité, baisses des cotisations sociales et ajustements structurels. « Le coût du travail doit baisser », a martelé le nouveau résident de Matignon. Dès le 1er janvier 2015, c’est une exonération totale des cotisations patronales pour les salariés au niveau du smic qui est prévue. De quoi fragiliser les organismes sociaux et encourager un effet de trappe, c’est-à-dire une incitation à maintenir les salariés à de bas salaires.
Le Medef peut se frotter les mains avec 30 milliards d’allègement de cotisations d’ici 2016 et une promesse d’assouplissement du Code du travail.
Le Pacte de responsabilité fait ici office de mesure phare pour lutter contre le chômage de masse. Pour quelles contreparties ? « Aux employeurs de tenir leurs engagements », répond Manuel Valls, défenseur acharné du dialogue social qui, dans un contexte de rapports de force détériorés, joue pourtant contre la majorité des salariés.
Une suppression des « charges salariales » (sic) doit permettre aux salariés au smic de gagner 500 euros nets de plus par an. Valls a en effet annoncé 5 milliards à horizon 2017, dédiés à cette mesure qui se traduirait par environ 40 euros de plus par mois pour celles et ceux touchant le smic.
Augmenter les salaires en rehaussant le smic eut été le meilleur moyen d’accroître les revenus des salariés. Car ce coup de pouce au pouvoir d’achat est non seulement tout petit, mais a toute chance de se répercuter sur les prestations sociales et l’offre de services publics. Autrement dit, les salariés seront, au total, perdants.
Dans les clous de Bruxelles
Se défendant de mener une politique d’austérité, le Premier ministre a bel et bien endossé l’objectif d’une baisse des dépenses publiques de 50 milliards d’ici à 2017. Les collectivités locales devront consentir un nouvel effort de 10 milliards de baisse de leurs dotations. Elles ont aussi vocation à changer d’architecture : réduction du nombre de régions, nouvelle carte des communautés d’agglomération et suppression à terme des départements, ce qui fera l’objet de lois, a déclaré le Premier ministre. En outre, la clause de compétence générale est supprimée, ce qui signifie que les attributions de compétences pour chaque collectivité seront strictes (par exemple, un département ne pourra plus s’occuper de culture). Quant à l’État et ses agents, ils assumeront 19 milliards de réduction budgétaire. Valls met ainsi la France dans les clous de Bruxelles.
Reste à mieux faire comprendre ces « sacrifices » aux Français, en redonnant du sens. Ce n’est pas gagné.
Seule nouveauté, le Premier ministre se fait désormais le chantre de la « transition énergétique ». Non pas pour sauver la planète ou nos estomacs, mais parce qu’elle est bonne pour le commerce extérieur. C’est là où les cœurs authentiquement écolos se soulèvent : « La croissance, c’est aussi l’économie verte », a assuré Manuel Valls.
En attendant, Paris accueillera la grande conférence sur le climat en 2015, « enjeu planétaire majeur », une « stratégie bas carbone » sera présentée au Parlement pour « réduire de 30% notre consommation d’énergies fossiles et de 40% nos émissions de gaz à effet de serre ». L’engagement de François Hollande de réduire de 50% la part du nucléaire d’ici à 2025 sera « inscrit dans la loi ». Voilà pour la main tendue à EELV.
L’adieu à la gauche
Sur le plan international, les quelques phrases sur le Rwanda laissent un goût amer. Après avoir rendu hommage aux soldats français engagés au Mali et en Centrafrique, Manuel Valls a balayé d’un revers de manche les accusations de complicité de la France dans le génocide rwandais : « Je n’accepte pas les accusations injustes et indignes qui disent que la France a pu être complice d’un génocide au Rwanda alors que la France a toujours cherché à séparer les belligérants ». Fermez le ban.
Comment y retrouver ses petits quand on est issu de cette famille politique que l’on appelait communément la gauche ? D’ailleurs, la référence à la gauche est tout juste apparue au moment où Manuel Valls a évoqué la volonté d’apaisement des Français à la suite des mobilisations contre le mariage pour tous. Car, voyez-vous, la gauche est fidèle à ses valeurs quand elle sait rassembler.
Pour Manuel Valls, de toute façon, « gouverner, ce n’est pas faire gagner un camp contre un autre ». C’est sans complexe qu’il jette ainsi aux oubliettes les antagonismes sociaux et la conflictualité politique qui font le sel et le sens de la transformation sociale. C’est avec détermination qu’il s’apprête à amplifier le cercle infernal – baisse des dépenses publiques, récession économique, inégalités renforcées – menant en bout de course au creusement des déficits publics.
Et pourtant… alors que le conseil fédéral vert s’est prononcé dimanche à 83% pour l’abstention au vote de confiance, la majorité des députés EELV a donné quitus à Manuel Valls (dix députés ont voté pour, six se sont abstenus) et leur secrétaire nationale répète sur toutes les ondes que son mouvement fait partie de la majorité présidentielle.
Alors que la gauche du PS maugréait et pétitionnait jusqu’à hier pour une réorientation politique, elle s’est couchée.
La gauche est en charpie. Mais au même moment, un communiqué de presse tombait pour annoncer qu’un accord était enfin trouvé pour les européennes entre les différentes composantes du Front de Gauche. On a failli attendre…
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