mercredi 2 juillet 2014

Quelles perspectives pour le Front de gauche ?, par Ingrid Hayes (Ensemble)


On ne peut le cacher, le Front de gauche est sorti mal en point de la séquence électorale. Il a progressivement perdu de sa force propulsive, au cours des deux années qui nous séparent de l’élection présidentielle de mai 2012. 

Divers textes ont permis de lancer la discussion sur les raisons de cette perte de substance, qui tient au final, pour l’essentiel, à l’incapacité du FdG à faire une offre politique au lendemain de la campagne présidentielle de 2012, qui avait pourtant mobilisé des dizaines de milliers de personnes, et à l’absence de visibilité nationale du FdG, durant les élections ou hors période électorale, depuis mai 2012. Inutile de revenir sur les municipales, qui virent le PCF faire le choix d’une alliance avec le PS dès le premier tour dans la moitié des grandes villes. Mais, ni les législatives de 2012, ni les européennes de 2014, ni les tentatives de campagne menées dans l’intervalle, n’ont permis de donner à voir une stratégie commune et lisible et les grandes lignes d’un projet alternatif. Dans son émiettement, le FdG s’est retrouvé assimilé au reste de la gauche, et notamment à celle qui mène désormais une politique au service d’intérêts contradictoires avec ceux du plus grand nombre, avec le risque d’être entrainé dans sa chute.


 Mais pourquoi donc alors s’acharner à relancer et à faire vivre ce qui ressemble trop souvent à un cartel brinquebalant et conflictuel ? La réalité est en la matière assez simple. Le Front de gauche, aussi fragilisé soit-il, demeure, à gauche du PS, le seul cadre commun à la fois large et porteur d’espoir pour toutes celles et tous ceux qui sont attachés à une perspective de transformation sociale, ancrée dans les territoires et les mobilisations. Aussi fragilisé soit-il, il conserve un fort potentiel militant, partout où il vit et fonctionne, dans un processus de dépassement de ses composantes, dans une série de villes et de départements mais aussi dans le cadre de ceux des fronts thématiques qui conservent une réalité, en termes d’élaboration collective et de militantisme commun. 

C’est pourquoi, sans illusions évidemment sur le fait que les potentialités seraient aujourd’hui les mêmes qu’en 2012, Ensemble ! n’a pas renoncé à l’ouverture aux adhésions directes, à la possibilité de redynamiser ses structures, bref à une relance et à une refondation du FdG. 

L’assemblée générale de rentrée du FdG, le 6 septembre, constituera une étape importante dans ce processus. Il serait vain de penser opposer la relance du FdG et la perspective d’un cadre plus large, permise par les récents choix d’EELV et la crise en cours au sein du PS. D’abord, parce que la décomposition/recomposition à l’œuvre prendra du temps, et que tout raccourci pourrait être mortel. Les temporalités sont disjointes, il faut travailler à les faire converger mais sans subordonner l’activité du FdG à cet objectif. D’autre part, il n’y aura de recomposition à gauche qu’avec un FdG réunifié et cohérent. Il serait illusoire de penser qu’une composante seule pourrait jouer sa carte, sous peine de se retrouver à la remorque d’autres forces sans avoir obtenu d’avancée en termes de clarification politique. 

Si les rythmes viennent à s’accélérer, c’est uni que le FdG pourra peser, dans le sens d’un profil anti-gouvernemental axé sur la rupture avec l’austérité, pour une politique de redistribution des richesses, une véritable transition énergétique et une bataille pour la démocratie et l’égalité des droits. Mais si les rythmes viennent à s’accélérer, il n’est pas donné que la question du dépassement du FdG soit immédiatement posée. Pour l’heure, dans la discussion sur les contenus, le projet porté par le FdG conserve sa spécificité, pour dire le moins. 

Dans un front comportant des forces qui demeurent acquises au pacte de stabilité, et discutent simplement le montant de la réduction des dépenses, avec des forces qui viennent de voter unanimement un projet de loi ferroviaire alors même qu’un puissant mouvement social s’y était opposé, pas question d’abandonner le drapeau de la transformation sociale ! La relance du FdG est donc fondamentale à plus d’un titre, et notamment parce qu’il n’y aura pas de politique utile vis-à-vis des autres forces qui entrent en crise si le FdG ne sort pas de la sienne. 

Pour cela, la discussion doit avoir lieu en grand et pas seulement au sein du PCF et du PG, qui tentent de redéfinir les perspectives de leur organisation après une séquence qui, d’un certain point de vue, a contredit les espoirs que chacun avait placé dans le FdG : être le réceptacle naturel d’une crise politique et sociale qui produirait une dynamique à gauche, pour le PG, sauvegarder les positions institutionnelles du parti et redessiner une perspective politique dans un contexte de panne stratégique pour le PCF. La discussion au sein de ces deux organisations est manifestement vive. 

Au PG, l’effondrement du scénario politique prévu semble produire contradictoirement une réflexion sur les perspectives et une forte tentation de repli sur soi, avec le risque du sectarisme et de l’isolement. 

Au PCF, le doute vis-à-vis du FdG a saisi des secteurs qui vont au-delà de l’habituel noyau, comme en témoignent certaines tribunes. Les difficultés, jusque-là surtout notoires en Bretagne ou à Toulouse, s’aggravent notamment dans l’Est et le Centre. Les résistances sont heureusement fortes, à la mesure de la remise en mouvement du PCF que le lancement du FdG a permise, au-delà des résultats électoraux eux-mêmes. Pierre Laurent tente de conserver l’unité du parti, le tournant vers la crise du PS sans opposer la recherche d’un regroupement plus large à l’existence du FdG. 

Côté Gauche Unitaire, Christian Piquet quant à lui semble au contraire considérer le FdG comme un obstacle dans la situation, alors qu’il faudrait selon lui déployer une orientation en direction de toute la gauche, en postulant que la majorité du PS basculera dans le bon sens, contre Hollande. 

Restent deux enjeux majeurs à propos desquels la discussion ne fait que commencer, et dont les conséquences vont être redoutables : quel positionnement vis-à-vis d’une gauche constituant une catégorie politique dans laquelle une partie de la population continue à se reconnaître, tandis qu’une partie croissante la rejette en bloc ? Comment conserver ou retrouver une capacité à comprendre et épouser les formes nouvelles de conscience politique et de mobilisation ? 

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