lundi 20 octobre 2014

À Notre Dame des Landes et ailleurs, la fausse promesse de l’emploi pour pouvoir tout saccager, par Jean Petit (Reporterre)

 
Les pro-aéroport jouent leur dernière carte en axant leur propos essentiellement sur l’emploi. Un discours anxiogène qui vise à masquer les problématiques sociales et environnementales, et qui sert à justifier sans condition les politiques productivistes et croissancistes. Si la probabilité de voir décoller des avions à Notre-Dame-des-Landes diminue de plus en plus, les partisans du projet n’ont pas pour autant abandonné leur combat. Les revers qu’ils ont essuyés (forte opposition populaire, départ de J.M Ayrault de Matignon, mise en demeure de l’Union Européenne, etc.), ainsi que le contre-argumentaire systématique des opposants (coût du maintien de Nantes-Atlantique, plan d’exposition au bruit, saturation de l’actuel aéroport, etc.) a réduit leur espace rhétorique comme peau de chagrin. 

Acculés, ils ont décidé d’axer l’essentiel de leur propos sur l’emploi, comme l’atteste l’opération de communication lancée cet été sur les plages de Loire-Atlantique : « OUI à l’aéroport et à l’Emploi » (1). 


Au-delà des slogans, pourquoi cette thématique est-elle devenue l’argument majeur des pro-aéroport ? 

Un discours "facile" et efficient La puissance rhétorique des promesses d’emplois repose, en premier lieu, sur des facteurs objectifs que tout un chacun peut observer : l’importance de la « valeur travail » dans le monde social, le chômage de masse et le consensus politique sur le sujet. 

Ces éléments objectifs donnent aux discours promettant des emplois une grande efficience et jettent par là même le discrédit sur les critiques éventuelles. S’il est aisé, rapide et efficace d’invoquer la création d’emplois, il est plus compliqué de convaincre les citoyens qu’il existe des intérêts divergents (écologie, aménagement du territoire, injustice sociale). 

Par ailleurs, ces autres approches nécessitent plus de temps et d’explications, car elles concernent des problématiques moins intuitives ou moins connues du grand public. Comme le temps n’est pas toujours disponible, la rhétorique de l’emploi fait passer ses adversaires pour des personnes déconnectées de « la réalité des vrais gens ». 

Le cheval de Troie du discours productiviste 

En outre, les promesses d’emplois – dans un contexte de crise – tendent logiquement à dissimuler de nombreuses réalités sociales et environnementales derrière le seul intérêt économique. Qu’en est-il des conditions de travail des employés français et étrangers sur le chantier ; des conditions de travail du personnel dans les compagnies low-cost ; de la menace pour Airbus à Nantes en cas de fermeture de l’actuel aéroport ; des suppressions d’emplois directs et indirects sur la Zad ; de la robotisation de certaines fonctions au sein des aérodromes ; de l’irréversibilité des travaux initiés ou encore de la disparition des surfaces agricoles ? 

Le scintillement du « travail-à-venir » provoque un effacement singulier : l’emploi se présente comme décontextualisé et deshistoricisé de tout enracinement social. Finalement, les promesses d’embauches apparaissent comme un cheval de Troie qui opère une mystification politique. Les discours productivistes légitiment souvent n’importe quelle décision politique, laissant par là même une grande marge de manœuvre aux gouvernants.

Le mythe du : croissance = emploi 

« La croissance, j’irai la chercher avec les dents » affirmait l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. Le volontarisme politique en matière de croissance donne aux élus politiques un outil rhétorique puissant, qui leur permet de justifier aux yeux de la population des choix qui se font d’abord et avant tout pour le plus grand bénéfice du capital. 

La supercherie repose sur notre croyance dans l’activité économique, persuadés que la croissance quantitative de la production est le seul levier pour agir sur la création d’emplois. Or, « en quinze ans, sans croissance des quantités, on pourrait ajouter en France plus de quatre millions d’emplois dans [certains] domaines » affirme l’économiste Jean Gadrey. Pour cela, il faudrait agir sur la durée du temps de travail ou sur la sobriété énergétique et matérielle de la production.

Ainsi, le choix stratégique des pro-aéroport de concentrer leur discours sur l’emploi ne doit rien au hasard. Certes, ils abattent là leur dernière carte, mais il ne faut pas sous-estimer cet argumentaire dans le contexte anxiogène du marché du travail, car les promesses d’emplois possèdent une forte capacité d’enrôlement. Par-delà la lutte à Notre-Dame-des-Landes, il faudra convaincre nos concitoyens que l’activité établie sur le vieux modèle de la croissance n’est plus l’alpha et l’oméga du vivre ensemble. Pour ce faire, le désir de « la vie bonne » devra s’imposer face à la peur de la déqualification sociale et du chômage. 

Source : Jean Petit pour Reporterre.
 http://www.reporterre.net/spip.php?article6332

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