mardi 21 octobre 2014

Allocations familiales : quel modèle de protection sociale ? , par Pierre Khalfa (Ensemble!)


Le gouvernement vient de décider de moduler les allocations familiales en fonction du revenu. Les députés socialistes ont obtenu que la baisse de la prime de naissance, le report de l’âge de majoration des prestations sociales et la diminution des aides à la garde des jeunes enfants, que le gouvernement voulait mettre en œuvre, soient abandonnés. En échange, les allocations familiales seront divisées par deux pour les familles gagnant plus de 6000 euros par mois, par quatre pour celles gagnant plus de 8000 euros par mois. L’objectif est avant tout de faire 700 millions d’euros d’économies sur la politique familiale. 

Mais cette mesure a été présentée comme « un signal de gauche » pris au nom de la justice sociale. D’autres prestations sociales sont déjà sous conditions de ressources. Certaines, comme le RSA, le sont par leur objet même. D’autres, comme par exemple le complément familial, l’allocation de soutien familial, l’allocation de parent isolé ou la prime à la naissance, relèvent d’un choix politique. Cependant, la modulation des cotisations familiales constitue un tournant car c’est à l’un des piliers de la sécurité sociale que l’on vient de s’attaquer. 


Remarquons que Lionel Jospin avait en 1998 fait de même (avec des modalités différentes) avant d’y renoncer quelques mois plus tard. 

Deux types d’argument sont employés pour justifier cette mesure. Le premier est financier. Nous n’aurions plus les moyens de financer la même protection sociale pour tout le monde, il faut donc concentrer nos efforts sur celles et ceux qui en ont le plus besoin. Et de rappeler que le déficit de la sécurité sociale s’établira à 15,4 milliards en 2014. Or la Cour des comptes, dans un récent rapport, vient d’indiquer que la fraude des entreprises aux cotisations sociales serait comprise entre 20 et 25 milliards d’euros. 

Au-delà donc d’une conjoncture économique plombée par les politiques d’austérité, et qui est la principale responsable des difficultés actuelles de la sécurité sociale, une lutte sans merci contre la fraude sociale permettrait de régler les problèmes de financement de la sécurité sociale. 

Mais à l’argument financier se rajoute l’argument de la justice sociale. Il serait contraire à la justice que les prestations versées soient indépendantes du revenu. 

L’égalité serait contraire à l’équité. Cet argument possède une part de vérité indéniable et l’égalité réelle peut parfois supposer des inégalités juridiques. C’est d’ailleurs le principe d’affirmative action mis en place aux Etats-Unis pour lutter contre les discriminations raciales et que les conservateurs américains ne cessent de remettre en cause. D’ailleurs le principe même de l’impôt progressif repose sur l’idée d’équité. Chacun contribue d’autant plus que son revenu est élevé et l’équité est d’autant plus grande que le nombre de tranches est important. Une inégalité permet ici d’atteindre plus de justice sociale. 

Nous sommes cependant, dans le cas des prestations sociales, dans un tout autre cas de figure et l’application du principe d’équité pose ici de nombreux problèmes. Poussée à l’extrême, la mise sous condition de ressources des prestations sociales a pour effet de stigmatiser les individus concernés et à les doter de caractéristiques négatives. C’est le risque de toute politique sociale centrée sur la lutte contre la pauvreté. 

En se focalisant sur les pauvres par des mesures spécifiques, on les enferme dans cette catégorisation et on réduit la politique sociale à la charité publique. Toute mesure de modulation suppose une délimitation en fonction du seuil de ressources. Il y a donc un problème d’effet de seuil qui peut avoir des conséquences problématiques. Des individus placés dans des situations similaires peuvent, ou pas, bénéficier d’une prestation ou voir celle-ci diminuer fortement. 

Ainsi, dans le cas du projet gouvernemental, un foyer ayant 5990 euros de revenus continuerait à toucher les allocations familiales alors que celui ayant 6000 euros de revenu les verrait diviser par deux. Est-ce vraiment équitable ? 

La mesure du gouvernement revient, de fait, à faire financer en partie les allocations des classes populaires et des classes moyennes inférieures par les classes moyennes supérieures. Il y a là un risque sérieux de rupture entre ceux qui financent la protection sociale et ceux qui en bénéficient.

Ce risque est d’autant plus grand que les seuils fixés vont probablement évoluer dans l’avenir et que, au nom des mêmes arguments, d’autres branches de la sécurité sociale seront un jour concernées. Ainsi, pourquoi conserver le même remboursement des soins pour des individus ayant des revenus différents ? 

Cette logique est destructrice car elle aura pour conséquence d’aggraver les oppositions au sein de la population. Elle poussera celles et ceux qui en auront les moyens à se détourner de la sécurité sociale pour aller vers des assurances privées. Elle aboutira à un délitement de la sécurité sociale. 

Le refus de payer pour les pauvres s’amplifiera, les prestations qui leur seront versées diminueront selon l’adage bien connu, « droits des pauvres, pauvres droits ». 

Il faut donc le redire avec force : un système de protection sociale ne trouve sa légitimité que s’il bénéficie à tous. L’universalité, et donc l’égalité, de la prestation sont donc les conditions de sa pérennité. 

Une politique de redistribution est nécessaire et c’est à la fiscalité de jouer là le rôle qui doit être le sien. Il est d’ailleurs significatif que le gouvernement abandonne toute idée de réforme fiscale et, dans le même temps, s’attaque au principe d’universalité des allocations familiales. 

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