"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 2 décembre 2014
Resterons-nous spectateurs de l’irrémédiable ?, par Clémentine Autain
Une droite extrême banalisée, une gauche atomisée et impuissante, un état de sidération politique qui se généralise… C’est pourtant maintenant qu’il faut réagir. Pour ne pas périr.
En ce lendemain de week-end politique, nous avons la gueule de bois. La fascination devant Marine Le Pen a franchi un nouveau cap. Il n’y a qu’à voir toutes ces bouches bées devant l’irrésistible ascension de la patronne d’extrême droite, réélue à la tête d’un FN rajeuni, pimpant, déterminé à prendre les rênes du pouvoir. Tournant en boucle, les images de "Marine" triomphante ne sont pas contrebalancées par des dents mordantes, pertinentes, efficaces, à même de tenir la dragée haute à ceux qui représentent un si grand danger pour la démocratie, l’égalité, la liberté.
Pendant qu’Éric Zemmour profite à plein de toutes ses tribunes libres dans les grands médias, madame Le Pen se pavane de plateau en plateau pour expliquer qu’elle seule peut redresser la France et se porter garante de notre République. On s’étrangle.
Face à ce spectacle de banalisation, sentez-vous le parfum du scandale, un vent de révolte qui souffle et gronde ? Eh non. Comme si la sidération avait pris le dessus. Et les sondages viennent, chaque semaine un peu plus, planter dans le paysage le scenario autrefois impensable d’une victoire du FN.
N’avoir plus que le choix entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ?
Or, aussi ahurissant que cela puisse être, c’est du côté de l’UMP que les regards se tournent pour trouver le sésame contre l’irrésistible ascension de l’extrême droite. Alain Juppé, chemise ouverte à la une des Inrocks, est ainsi transformé en meilleur rempart d’une Marine Le Pen aux portes de l’Élysée. Alain Juppé, nous rabâche-t-on à longueur d’éditos, serait en passe d’incarner « un espoir pour la gauche ». Diantre. Nous parle-t-on de cet ancien premier ministre contre lequel nous avons marché sous la neige pendant des mois en 1995 parce qu’il voulait nous imposer un plan de liquidation du système de retraite ? Est-il question de ce leader d’une droite sûre d’elle-même, déroulant interviews après interviews son projet libéral et réactionnaire ? Nous parlons bien de cet homme de l’UMP. Le peuple de gauche serait aujourd’hui prêt à se pendre à son cou.
Pire, cet électorat est même appelé à se préparer à une autre hypothèse ultime : choisir in fine Nicolas Sarkozy contre Marine Le Pen. Qui l’eut cru ? À Regards comme ailleurs, nous nous demandons comment il est possible d’en être arrivé là.
Nous savons bien que le gouvernement, menant une politique de droite au nom de la gauche, a cassé les repères et brisé les espoirs. Nous voyons bien que le Front de gauche n’a pas réussi à capter le mécontentement qui en découle, à incarner une alternative crédible de gauche, trop associé qu’il est à l’union de la gauche, et donc au PS, et empêtré dans ses difficultés internes, sa cartellisation, son manque de créativité collective.
Nous avons pleinement conscience que l’hégémonie culturelle est polarisée à droite, bien à droite, et que le mouvement social est à la peine, trop atteint par les échecs répétés et les méfaits de politiques néolibérales et austéritaires qui cassent les statuts, les liens sociaux, les vies. Oui, tous les pans de la tradition du mouvement ouvrier sont en crise.
Trouver un sens commun, une force commune
Mais sommes-nous condamner à choisir entre, d’un côté, le reniement des valeurs de gauche au nom du pragmatisme et, de l’autre, la répétition des vieilles recettes et l’éclatement des forces ? Les échecs passés nous rendent-ils si apathiques, refermés sur nous-mêmes, apeurés devant une situation sociale et politique potentiellement désastreuse que l’audace nécessaire dans la période resterait introuvable ?
Allons-nous nous laisser bercer par les événements ou prendre le taureau par les cornes en assumant le travail de refondation, sur la forme et sur le fond, et de renouvellement à même de susciter la mise en mouvement, de fédérer les énergies collectives et individuelles, vers la création d’une nouvelle force de transformation sociale et écologique ?
Est-il possible que, sur ce champ de ruines à gauche, nous sachions être responsables et susciter à nouveau le désir d’engagement ? Il en va de la reconstruction de l’imaginaire comme du cadre organisationnel.
Les forces disponibles pour mener cette entreprise politique sont nombreuses en France aujourd’hui. Elles sont chez les femmes de chambre du Royal Monceau comme à Notre-Dame-des-Landes, chez les Fralib comme à Grenoble parmi les élus qui retirent un marché de publicité au géant Decaux pour reprendre les murs de la ville. Elles s’expriment au cinéma pour clamer « On a grèvé » ou dans le roman d’aujourd’hui, à l’instar de La petite communiste qui ne souriait jamais.
Mais que pèsent ces résistances et espaces d’invention s’ils restent éclatés, loin d’un sens commun qui se dégagerait par une force commune ? Des alternatives concrètes existent, se pensent et s’inventent. Nous ne partons pas de rien.
Mais la perspective n’est pas (encore tracée) et le temps presse. Ou les forces d’alternatives se mettent ensemble au travail, lucides sur le besoin de convergences nouvelles et le niveau de refondation à produire pour être audible et crédible. Ou nous n’aurons plus qu’à aller vivre dans des arbres.
Publié sur le site de Regards.
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