"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mercredi 29 janvier 2014
Quelques réponses à des questions en marge du Grand Marché Transatlantique, par Raoul-Marc Jennar
1. Etes-vous opposé au libre-échange ?
Oui, je suis opposé au libre-échange tel qu’il se conçoit et se pratique aujourd’hui. Du fait des accords de l’OMC, le principe de libre concurrence prime sur tout. Sur la santé, sur les normes sociales, sanitaires, alimentaires, environnementales qui sont considérées comme des obstacles à la concurrence. Il remet en question des avancées sociales comme les services publics dont la finalité est de rendre accessible à tous un certain nombre de droits : santé, éducation, culture, logement,… J’y suis opposé car aujourd’hui ce qui domine, c’est le dumping social, fiscal et écologique. Je suis favorable à l’échange, mais un échange équitable, donc encadré, soumis au respect de valeurs qui sont à mes yeux plus importantes que la concurrence et qu’on retrouve dans les articles 22 à 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
2. Qu’est-ce qui vous choque le plus dans le projet de mandat ?
D’abord, le fait que les gouvernements donnent leur feu vert à une telle négociation sans même avoir consulté leur parlement et encore moins leur peuple. Aucun gouvernement n’a été mandaté pour négocier de tels bouleversements dans nos modes de vie. Ensuite, ce qui me choque, ce sont les risques que cette négociation fait prendre à nos conceptions de la vie en société, au rôle de l’Etat, à l’existence des services publics, au droit fondamental de tous à l’accès à la santé, à l’éducation, au logement, au travail, à l’énergie et à l’eau, aux transports, à la culture et que ce droit soit désormais réservé aux seuls qui peuvent se les payer. On ne marchandise pas les biens communs de l’humanité.
Enfin, je suis révolté par l’idée qu’on puisse organiser le transfert de la souveraineté populaire vers les firmes privées. Si l’accord final reprend les termes du mandat conféré par les 28 gouvernements, si on enlève aux juridictions officielles le pouvoir de juger des conflits entre firmes privées et pouvoirs publics, on sera passé de « tous les pouvoirs émanent du peuple » à « tous les pouvoirs émanent des firmes privées .»
3. Qui va profiter le plus d’un tel accord ?
Les firmes privées et surtout les multinationales. Toutes les multinationales. Les américaines, bien évidemment, mais aussi les européennes. En France, les firmes du CAC 40, qui pratiquement toutes, ont d’ailleurs un siège aux USA. Car le grand vainqueur de cette négociation, cela ne fait aucun doute, ce sera le gouvernement des USA. Cela fait d’autant moins de doute que l’ultra-libérale Commission européenne poursuit les mêmes objectifs que le gouvernement US. Qu’il s’agisse de l’agriculture dont le grand bénéficiaire sera l’agro-business américain ou de la compatibilité entre les normes sociales, sanitaires, phytosanitaires, alimentaires, environnementales ou techniques, qui sont dans presque tous les cas plus faibles aux USA qu’en Europe, ce sera tout profit pour les firmes américaines. En outre, il ne faut pas se cacher que les USA honorent rarement leurs engagements quand leurs intérêts sont en cause. La signature américaine n’est pas une garantie, comme on le voit dans le cadre de l’accord de libre échange entre le Canada, les USA et le Mexique ou tout récemment dans le cadre de l’accord de libre-échange Corée du Sud-USA.
4. Quels seront les grands perdants d’un tel accord ?
Tout d’abord les peuples. Les peuples d’Europe et aussi le peuple américain. Car l’harmonisation des normes va en fait être une réduction au plus petit dénominateur commun et non un alignement sur les normes les plus élevées. Et donc tous les peuples en pâtiront. Sans nul doute, les peuples européens seront davantage les grands perdants puisque que ce sont eux qui verront leurs normes sociales, sanitaires et environnementales diminuer.
Ensuite, les grands perdants seront ceux qui font la vitalité, la richesse et la durabilité de notre vie économique : les artisans, les petits agriculteurs, les petits producteurs, les petites et moyennes entreprises qui vont être broyées par la concurrence américaine. Enfin, la grande victime, c’est l’idée d’une Europe européenne fondée sur un modèle social original où les pouvoirs publics ont une fonction de régulation et de redistribution. Les 28 Etats européens sont en passe de devenir 28 colonies des USA.
5. Pourquoi nos gouvernements soutiennent-ils un tel projet ?
Depuis 1945, et ce fut confirmé après la chute du Mur de Berlin qui pourtant signifiait la fin de la guerre froide et de la division du monde en deux blocs, nos gouvernements ont fait le choix d’un partenaire privilégié : les USA. Je respecte le peuple américain. Et je n’oublie pas le prix qu’il a payé, comme le peuple russe, pour que nous retrouvions la liberté en 1944-1945. Le peuple américain fait ses choix. Et c’est son droit. Mais ces choix sont les siens. Pas les nôtres. Les valeurs sur lesquelles il fait ses choix sont les siennes. Pas les nôtres. Et ce n’est pas faire de l’anti-américanisme que de vouloir être maîtres de nos choix fondés sur nos propres valeurs.
Mais ce que je viens d’exprimer n’est pas la ligne de conduite de nos gouvernements. Ils ont fait un choix géopolitique sur lequel les peuples n’ont jamais été invités à se prononcer. Et ce choix en induit un autre : celui de l’adhésion à une conception de la société où c’est l’économie qui dirige, pas le peuple. On est loin de la formule du général de Gaulle quand il disait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », c’est-à-dire à la bourse. Le choix de l’alignement sur les USA explique pour une bonne part l’abandon par le PS de l’idéal socialiste tel qui fut défini par Jean Jaurès. Et, plus fondamentalement, la professionnalisation de la politique explique qu’aujourd’hui la grande majorité des élus ne veulent plus exercer le pouvoir, ils se contentent de l’occuper.
Exercer le pouvoir, c’est faire des choix. Ce qui réclame du courage et de la persévérance. Il est plus aisé d’occuper le pouvoir et de se laisser porter dans le sillage de ceux qui décident à votre place.
6. N’était-ce pas la mission de l’Union européenne de veiller à l’intérêt général des peuples qu’elle rassemble ?
Certes oui, sur le papier. Mais nous savons que le projet d’union des peuples d’Europe tel qu’il a été conçu au départ l’a été par des hommes de droite – Jean Monnet, Robert Schuman – qui agissaient pratiquement pour le compte des USA. Et que l’orientation très libérale, au sens économique du mot, de l’intégration européenne est inscrite dans les textes fondateurs de la CECA, puis du Marché commun. Le tournant qu’a donné Jacques Delors en 1986 avec l’Acte unique européen, puis en 1992 avec le traité de Maastricht a confirmé et amplifié cette orientation. Et le projet de grand marché transatlantique apparaît comme un aboutissement du processus entamé en 1957. C’est pourquoi l’opposition à ce projet s’inscrit naturellement dans une volonté de rompre avec cette manière d’unir les peuples d’Europe qui, en fait, par l’instauration de la concurrence de tous contre tous, les dresse les uns contre les autres et ressuscite le plus abominable des nationalismes. Refuser le grand marché transatlantique, c’est vouloir la rupture avec l’Union européenne et la reconstruction d’une Europe fondée sur ce principe incontournable : la souveraineté populaire.
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