dimanche 11 octobre 2015

Attentat en Turquie : la paix obstinément, par Clémentine Autain


Au lendemain des explosions d’Ankara qui ont tué des opposants au régime d’Erdogan, le soutien de la France et de l’Europe à « un État meurtrier qui s’est transformé en mafia » est moins tolérable que jamais. 

 Hier, près de la gare d’Ankara, des milliers de femmes et d’hommes étaient venus manifester pour le travail, la paix et la démocratie. Ces forces syndicales, associatives et politiques – notamment autour du HDP, le jeune Parti démocratique des peuples – se retrouvaient alors que le PKK venait d’annoncer une trêve le temps de la campagne électorale. 


À trois semaines des législatives anticipées, ces militants opposés au régime d’Erdogan n’auront même pas eu le temps de défiler : des bombes ont explosé faisant, selon un bilan provisoire, 95 morts et plus de 200 blessés. 

Ce drame sanglant est historique pour la Turquie. Il a immédiatement suscité une émotion internationale. Cette étape supplémentaire dans l’engrenage de la violence s’est traduite hier, après l’attentat, par ces images, cette réalité proche du chaos, profondément bouleversante. 

Une mare de sang autour d’Erdogan 

Juste après l’explosion, la police a tiré des coups de feu en l’air et lancé des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants en colère, qui protestaient contre la mort de leurs camarades aux cris de « Policiers assassins » Les grands médias omettent généralement de rappeler qu’aucune protection policière n’avait été prévue pour défendre les manifestants d’éventuelles agressions. 

Après le drame, le régime a bloqué l’accès aux réseaux sociaux, Internet fonctionnait au ralenti. « Nous sommes confrontés à un État meurtrier qui s’est transformé en mafia », a dénoncé le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas. 

 Comme pour les attentats de Suruç, où trente-trois opposants ont été tués en juillet dernier et pour lequel aucune organisation terroriste n’a depuis revendiqué l’attaque, le discours dominant porte la responsabilité du côté de Daesh. « Cela pourrait bien être le 11-Septembre turc », estime d’ores et déjà Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche sur la Turquie au Washington Institute for Near East Policy, dans le Washington Post. C’est la version que propose le régime turc. 

Comme après Suruç, François Hollande appellera-t-il Recep Erdogan pour le féliciter de son engagement contre le terrorisme [1] ? Le chef de l’État français ne s’avance pas aujourd’hui en déplorant simplement un « odieux attentat terroriste ». 

On se souvient qu’Erdogan a été reçu en grande pompe à Bruxelles, quelques jours après la mort du jeune Haci Lokman Birlik, criblé de vingt-huit balles dans le cadre d’une répression policière. 

La mare de sang s’étend autour du régime d’Erdogan mais la cécité et les soutiens restent intacts. Si, de temps en temps, un article paraît ici ou là pour rendre compte de la dérive autoritaire en Turquie, la prise de conscience est à mille lieues de la réalité du siège des villes du Kurdistan de Turquie, des pogroms antikurdes, des saccages des locaux du HDP… 

Les dangereux méfaits de la realpolitik 

La passive complicité de François Hollande n’est pas seulement la légitimation de crimes en Turquie, elle est également une absurdité pour toute cette région du monde. Elle affaiblit la seule force qui combat effectivement Daesh sur le terrain. À Kobane, alors que les combattants armés kurdes mettaient en échec Daesh, Erdogan lui ouvrait les bras ! 

Les grands discours français contre le terrorisme de Daesh, bien réel, masquent des contradictions profondes, que l’on retrouve aussi, par exemple, dans la realpolitik économique d’États occidentaux dans leurs rapports avec le Qatar. 

Qui peut croire un seul instant qu’un autocrate comme Erdogan peut aider à l’émergence d’une Syrie démocratique et combattre Daesh ? Son seul souci est d’écraser le mouvement kurde de Turquie et, il l’a dit, « quel qu’en soit le coût ». 

Face à Daesh, face à la dictature sanguinaire de Bachar Al-Assad, la seule perspective valable est celle d’une Syrie plurinationale, démocratique au sein de laquelle les Kurdes pourraient disposer de leur autonomie. 

Cette solution politique, Erdogan n’en veut pas. Le régime d’Erdogan est l’un des obstacles à la paix au Proche-Orient. Il poursuit la tradition étatique d’oppression des kurdes et, pour cela, il a ouvert ses bras à Daesh. 

La France apparaît d’une inconséquence criminelle. Les gouvernements successifs sont pour le maintien du PKK sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Le cabinet de François Hollande l’a confirmé dans un courrier au Collectif solidarité Kurdistan le 15 septembre dernier. Dans ce courrier, rien n’est dit sur la terreur de l’État turc, sur les atteintes aux libertés fondamentales. Après les attentats sanglants inouïs d’Ankara, la France changera-t-elle de ton et d’attitude ? 

Depuis des décennies, la résistance obstinée du mouvement de libération kurde a traversé toutes les épreuves et se présente au monde avec une énergie sans cesse renouvelée. 

Les courants historiques progressistes et ce qui a émergé des nouvelles mobilisations ont trouvé une traduction politique commune : le HDP. Erdogan redoute cette force d’opposition, lui qui n’a pas réussi à dégager une majorité lors des dernières élections législatives et se trouve contraint de retourner aux urnes le 1er novembre prochain. 

Après de tels attentats, la solidarité avec les Turcs et les Kurdes qui luttent pour l’émancipation et la paix doit redoubler d’efforts. Comme l’a dit Osman Baydemir, député et figure majeure du HDP, lors du rassemblement samedi place de la République à Paris : « Aucune dictature ne pourra prendre les proches en otage. Ne perdez pas confiance, le jour où le régime devra rendre des comptes est proche ». Gageons que le gouvernement français l’entende. 

Notes [1] Le 27 juillet dernier, après l’attentat de Suruç, le site de l’Élysée rendait ainsi compte d’une discussion téléphonique entre François Hollande et Recep Erdogan : « Le président de la République a remercié son homologue pour l’action vigoureuse menée contre Daech et pour le renforcement de l’engagement de la Turquie aux côtés de la Coalition. » 

http://www.regards.fr/web/article/attentat-en-turquie-la-paix

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