Adapter
l’homme au travail… à la place d’adapter le travail à l’homme
Le rapport
remis le 26 janvier par la commission Badinter signe la condamnation à mort du
code du travail construit depuis un siècle.
Bien
que le président de la commission, Robert Badinter, ait cru sans modestie
devoir écrire qu’il s’agissait d’une « difficile entreprise » et
d’une « mission complexe qui n’aurait pu être réalisée dans
les brefs délais impartis au comité si ses membres n’avaient pas fait preuve
d’une ardeur égale à leur compétence reconnue », un élève de terminale
aurait pu sans difficulté opérer en moins de temps ce qui, pour l’essentiel,
n’est que le copier-coller des 50 articles « fondamentaux » déjà
écrits par le tandem Badinter/Lyon-Caen il y a plus de six mois.
A
l’époque, cette tentative de réécrire le code en 50 points était déjà
prétentieuse et dérisoire, mais on comparera et on notera que le copié-collé du
« rapport » induit encore plus de reculs pour plaire aux
commanditaires du rapport, Valls, Macron. Gattaz venait de dire que
« le code du travail était l’ennemi n°1 des patrons ». C’est fait il
est exécuté.
Pour être
juste, les désormais 61 articles censés poser les principes fondamentaux du
droit du travail ont tout de même été expurgés des scories qui exposaient trop
au grand jour le nouveau missel patronal, du type « Le salarié exécute
avec diligence la prestation convenue », mais c’est pour aggraver le
contenu en l’ajustant mieux encore à la commande de la ministre du
travail qui avait insisté pour qu’il y ait une parfaite harmonie avec le
texte de loi qui va bientôt supprimer de fait la durée légale du travail.
On
caractérisera le rapport comme une tentative pour en finir avec un « code
du travail » spécifique et le remplacer par un mixte avec le code civil,
où les contrats commerciaux et les statuts d’indépendants sont mis sur le même
plan que l’ex contrat de travail. La «personne » » remplace le
salarié. Le salarié est traité comme l’indépendant. Uber peut s’y retrouver,
Attali et Macron sont passés par là.
La notion de
subordination est disparue, remplacée par une « soumission librement
consentie ». Le patron est le seul agent actif de droit quasi divin mais, comme
il se doit chez les libéraux, hypocritement masqué. Et les contreparties à la
subordination sont noyées dans un salmigondis d’improvisations d’inspiration
libérales. Les deux parties inégales au contrat de travail sont
remplacées par deux parties cocontractantes mises artificiellement à égalité.
La
hiérarchie des préoccupations commence aussi par la « personne », les
libertés individuelles, pas par la santé, l’hygiène ni la sécurité ce qui
illustre le degré d’extériorité conceptuelle qui préside à l’approche de cette
casse d’un siècle de droit du travail. Le code du travail historiquement était
construit autour de la réduction légale du temps de travail : la notion
de durée légale est supprimée. Entre autres, la mensualisation, la
médecine du travail, les prud’hommes, l’indépendance de l’inspection du
travail, les institutions représentatives du personnel, sont supprimés. Il n’y
a même plus d’âge plancher pour le travail des enfants.
Décidément
il faut être prétentieux et ignorant à la fois, petit et planant, cet essai le
prouve, pour se lancer, avec une poignée de technocrates déracinés du travail
réel, dans la réécriture d’un siècle de droits vivants du travail produit
de luttes sociales.
Le code du
travail depuis 1910 était fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes,
c’état l’expression des rapports de force sociaux à travers des décennies, une
co-construction historique exceptionnelle, salariés et patrons, propre à notre
pays, depuis 1906, la terrible catastrophe de Courriers, 1910 la naissance
juridique du code, les grèves de 1936, de 1945, de 1968, de 1995 et les lois
qui en étaient issues…
Là, ce
rapport Badinter, c’est un bricolage médiocre fait de neurones badins et de
préjugés aristocratiques, de discussion de salon et de sotte expertise,
déconnecté de la réalité, de l’histoire, et surtout soucieux de plaire au
maitre du moment, le Medef.
Ni
historique, ni matérialiste, ni social, ce rapport est un assemblage aléatoire
de soucis opportunistes qui provoque un grand haut le cœur de mépris aux
familiers du droit des salariés, tels que nous avions pu réussir à les bâtir et
à des défendre jusque là.
En détail :
Article 1 : désormais « Les libertés et droits
fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail
» mais des limitations à ces libertés fondamentales peuvent être apportées
« si elles sont justifiées… par les nécessités du bon fonctionnement de
l’entreprise ».
Le bon
fonctionnement de l’entreprise au-dessus des libertés fondamentales, ceux qui
continuent à penser qu’avec l’artisan de l’abolition de la peine de mort, on
n’avait rien à craindre pour les libertés fondamentales devraient relire cet
article.
Dans cet
article et dans tous les autres, il n’est jamais question « des »
salariés (sans parler des travailleurs) mais toujours « du » salarié
et de « la » personne. Le choix ne doit rien au hasard :
l’article correspondant du Code du travail, par exemple, parle
« des » personnes.
Articles 2,
3, 4, 7, 15, 17, 18, 19, 23, 31, 37, 38, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 53, 61 : déclarations de principes existants, de nul effet
sur la responsabilité de l’employeur. Concernant par exemple la protection des
données personnelles (article 3), elle est déjà piétinée par la mise en place
du « Compte Personnel de Formation », du « Passeport
d’orientation, de formation et de compétences » et l’élaboration en
cours du « Compte Personnel d’Activité » prévu par la loi Rebsamen
du 17 août 2015, « Passeport » et « Comptes »
centralisés sur une application numérique nationale.
Article
5 : « Les discriminations sont interdites dans toute relation de
travail ».
Lesquelles ?
Les principes fondamentaux Badinter/Lyon-Caen de juin 2015 les détaillaient,
conformément à la loi actuelle (« à raison de l’origine, des
opinions, de la religion, de l’âge, du sexe, de l’orientation sexuelle, de
l’état de santé ou du handicap physique »). Certes, ils oubliaient déjà une
partie non négligeable des discriminations interdites : les mœurs, la
situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques,
l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une
nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou
mutualistes, l’apparence physique, le nom de famille. Ici plus rien. Les
libertés fondamentales ne méritaient-elles pas ce rappel ?
Article 6 : L’inquiétude induite par la rédaction de l’article
5 grandit quand on voit à l’article 6, à l’heure où la discrimination
antisyndicale se déchaîne avec le soutien gouvernemental, que la seule
discrimination indiquée est celle relative aux « convictions
religieuses ». En outre, il est difficile d’y voir autre chose qu’une arme
supplémentaire en actualité dans l’incessante croisade contre les personnes de
religion musulmane quand on lit que cette liberté fondamentale peut être
réduite si cela est justifié « par l’exercice d’autres libertés et
droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise
et si elles sont proportionnées au but recherché ».
Article 8 : L’interdiction d’employer des mineurs de moins
de 16 ans pourra désormais être contournée par des « exceptions prévues
par la loi ». Il y a 6 mois, le premier rapport Badinter/Lyon-Caen
rappelait plus strictement la seule exception possible : « si le travail
prend place dans une formation professionnelle ou alterne avec elle »…
Article 9 : « La conciliation entre la vie professionnelle
et la vie personnelle et familiale est recherchée dans la relation de
travail ».
Outre la
formulation apaisante, pour l’employeur (« recherchée » et non
« garantie »), il faut voir dans ce nouveau « principe
fondamental » les prémices des dispositions qui vont, sous couvert de
l’encadrer, élargir le travail où on ne compte plus les heures (travail à
domicile rebaptisé télétravail, forfait-jours, et autre travail à la tâche)
Article
10 : « L’employeur exerce son pouvoir de direction dans le respect
des libertés et droits fondamentaux des salariés ».
Le pouvoir
de l’employeur ne connaîtrait donc d’autres limites que celles des
« droits fondamentaux »…Pourquoi avoir abandonné dans ces droits
fondamentaux celui rappelé dans le rapport publié 6 mois plus tôt :
« assurer l’adaptation du travail à la personne du salarié » ?
« Adapter le travail à l’homme » et non l’inverse est toujours
inscrit dans le Code du travail comme mesure générale de prévention (article
L.4121-2 du Code du travail) et Badinter a solennellement affirmé en préambule
de son rapport qu’ils avaient travaillé « à droit constant ».
Article 11 : « Chacun est libre d’exercer l’activité
professionnelle de son choix » ?
A
contrario, que fait dans les principes fondamentaux du droit du travail cet article
11 ? A la fin du XVIIIème siècle, le décret d’Allarde de
1791, couplé avec la loi Le Chapelier, stipulait certes qu’« il sera
libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art
ou métier qu’elle trouvera bon », mais c’était dans la logique d’une
législation qui voulait la liberté du commerce et la liberté de faire
travailler les autres. Et ici ?
La réponse
est dans la loi Macron 1, les rapports Mahfouz, Mettling, Terra nova, Institut
Montaigne, Centre National du Numérique, le projet Macron 2 (Nouvelles
Opportunités Economiques ») et dans les recommandations européennes :
dérèglementer les professions qui le sont encore (bonjour UBER) et
multiplier les faux « indépendants ».
Article 12 : « Le contrat de travail se forme et
s’exécute de bonne foi. Il oblige les parties ».
Un pas
de plus, après la loi Macron 1, pour dissoudre le droit du travail, forgé pour
compenser un peu l’inégalité des deux parties, dans le droit civil. Dans
celui-ci les deux parties sont égales et elles expriment dans le contrat
l’accord libre de leurs volontés.
On peut le
voir en comparant avec la formulation actuelle de l’article L.1222-1 du Code du
travail : « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». En
ajoutant qu’il est aussi « formé » de bonne foi et qu’il « oblige
les parties », on a la teneur de l’article 1134 du code civil (« Les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites ») dont l’idée essentielle est qu’il ne peut y avoir vice de
consentement entre deux parties égales et qu’en conséquence le contrat, forme
particulière de convention, doit, peu ou prou, pouvoir déroger à la loi. Qu’on
pense aux « accords » arrachés, contrat par contrat, aux salariés de
chez SMART, par-dessus la loi (sur le salaire minimum) et par-dessus le
refus d’accord collectif.
Article 13 : « Le contrat de travail est à durée
indéterminée. Il ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas
prévus par la loi ».
Confirmation
de la première « ligne rouge » avec la proclamation du caractère
essentiel du CDI ?… Le début du contraire.
Tout
d’abord, ce principe ne reprend plus la formulation actuelle qui est que le CDI
est « la forme normale et générale de la relation de travail ».
Ensuite, renvoyer les dérogations à la loi sans préciser comme actuellement le
principe fondamental de ces dérogations (répondre à des besoins temporaires de
l’entreprise) ouvre la voie aux exigences du Medef d’un recours sans aucun
frein aux CDD, déjà abouties dans d’autres pays de l’Union européenne.
Article
14 : « Le contrat de travail peut prévoir une période d’essai d’une
durée raisonnable ».
Confirmation
de l’article 13. C’est l’antichambre du contrat unique, retour du CNE/CPE.
C’est quoi « raisonnable » pour la période d’essai d’un CDI ?
« Raisonnable » ne veut rien dire, ou plutôt la raison du plus fort
qui, en droit réel du travail est toujours la meilleure. Le mot doit donc être
traduit par « raisonnablement long ».
Article
16 : « Tout salarié est informé, lors de son embauche, des éléments
essentiels de la relation de travail »
Ah
bon ? Le contrat de travail dont l’article 12 disait qu’il devait être
formé « de bonne foi » et pour lequel Badinter et Lyon-Caen
écrivaient il y a 6 mois qu’il devait faire, sur les éléments essentiels,
l’objet d’une « information complète et écrite », ce contrat de
travail ne ferait plus l’objet que d’une simple information. Cela tombe bien,
une des exigences du Medef depuis plusieurs années est que tout ne soit pas écrit
dans le contrat de travail. Et la communication de la convention
collective ?
Article
20 : « Chacun doit pouvoir accéder à une formation professionnelle
et en bénéficier tout au long de sa vie »
La
première partie de la phrase fait état d’un droit à un « accès ».
Les accords concoctés par le Medef et les textes de loi qui en découlent font
de plus en plus référence non plus à des droits (exemple, droit à la
formation), mais des droits à « bénéficier » d’un « accès
», droit à « bénéficier » d’une procédure ou d’une information sur
des droits. Le distinguo n’est pas anodin : les centaines de milliers de
« bénéficiaires » de compte épargne-temps en savent quelque chose,
avoir des points sur un compte n’assure aucun droit.
Plus subtil,
la rengaine sur la formation « tout au long de la vie », du berceau
au tombeau, sonne agréablement aux oreilles d’organisations syndicales qui y
ont vu l’aboutissement d’une revendication (la « deuxième chance »)
alors qu’il faut y voir, après le chômage, la principale arme patronale pour
asservir les travailleurs et les diviser : jamais assez formés, toujours
remis en cause, responsables de leur déclassement et de leur chômage…
Article 21 : « L’employeur assure l’adaptation du
salarié à l’évolution de son emploi. Il concourt au maintien de sa capacité à
exercer une activité professionnelle »
Illustration
de la portée régressive de l’article 20. On n’adapte pas le travail au salarié
(voir remarque article 10), mais le contraire. Et on voit bien, tous les mots
sont importants, que le salarié est en permanence guetté par l’insuffisance
professionnelle et pas seulement dans son boulot, on doute même qu’il reste
capable d’ « une activité professionnelle » !
Article 22 : « Aucune sanction disciplinaire ne peut
être prononcée sans que le salarié ait été mis à même de faire connaître ses
observations »
Ici les
rapporteurs ont simplement oublié les deux dispositions principales en
vigueur : l’obligation pour l’employeur de faire connaître les faits
reprochés et celle de motiver sa décision par écrit. Sans parler de l’absence
de mention d’un règlement intérieur.
Article
24 : « Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à
l’initiative de l’employeur, du salarié ou d’un commun accord »
D’un
commun accord…Qui a rencontré cette situation dans une entreprise ? il a
fallu attendre 2008, un A.N.I scélérat et une loi qui l’entérine, pour que le
Code du travail intègre une modalité de rupture « conventionnelle »
prétendument sans motif. Depuis des centaines de milliers de licenciements pour
motif économique, pour dégradation de la santé physique et psychique passent en
rupture censée être d’un « commun accord ». Les 2/3 à la demande de
l’employeur. Mais cette fiction était tout de même tempérée, au moins
symboliquement, par l’homologation que l’administration du travail (la
D.I.R.E.C.C.T.E, qui se contente de laisser passer son délai) doit donner.
Là, le
symbole saute. Bonjour le code civil.
Article 25 : « Le salarié peut librement mettre fin au
contrat à durée indéterminée »
Une seule
raison peut justifier cet article, a priori redondant avec le précédent. Une
raison idéologique, conforter l’idée, aux conséquences essentielles, que
salariés et employeur sont également « libres ». Dans cette période
où les barreaux sont de plus en plus solides, le poulailler est libre avec le
renard libre.
Article 26 : « Tout licenciement doit être justifié par
un motif réel et sérieux »
Cela
semble simple bon sens et respect et de la loi française et des conventions
internationales (et légèrement contradictoires avec les ruptures « d’un
commun accord »). Mais qui connaît les très anciennes exigences de
Monsieur Gattaz bruyamment répétées depuis plusieurs mois, sait que cette
formulation ouvre la voie aux licenciements qui ne seront justifiés (et le
souhait du Medef est que cela le soit dès la signature du contrat de travail)
que par la seule déclaration de l’employeur de la nécessité d’une simple
réorganisation de l’entreprise ou de la réalisation d’un objectif atteint.
Article 27 : « Aucun licenciement ne peut être prononcé
sans que le salarié ait été mis à même, en personne ou par ses représentants,
de faire connaître ses observations »
Double recul.
Il se pourrait donc que le salarié ne puisse faire
valoir ses observations lui-même, ses représentants (lesquels ?) pouvant
le remplacer.
Et où est passé le conseiller du salarié qui peut
assister les salariés dans les entreprises où il n’y a pas de représentants du
personnel ?
Qu’en est-il
de l’obligation d’un écrit ?
Article
28 : « Le licenciement pour motif économique ou pour inaptitude
physique du salarié ne peut être prononcé sans que l’employeur se soit efforcé
de reclasser l’intéressé, sauf dérogation prévue par la loi »
A relire
deux fois pour être sûr d’avoir bien lu. Le Medef l’avait demandé et a déjà en
partie obtenu satisfaction sur les licenciements pour motif économique. Là il
s’agit d’étendre la possibilité, par dérogation légale, de supprimer
l’obligation de reclassement des licenciés pour motif économique et de ceux que
les conditions de travail ont rendu invalides !
Article 29 : « Le licenciement est précédé d’un préavis
d’une durée raisonnable »
On n’échappe
pas au sentiment que les rapporteurs ont eu besoin de quelque espièglerie pour
faire redescendre dans leur mission « difficile » et « complexe
» une tension à la mesure de la conviction de contribuer, rien de moins,
à la « grandeur des démocraties occidentales ».
Las, il
semble que la notion de « raisonnable » fasse partie du corpus des
chimères européennes, au point d’être récemment reprise par la Cour de
cassation pour qualifier le dépassement de la durée maximale de travail. Il
faut donc prendre au sérieux cette notion. Comme tout ce qui est sérieux en
droit du travail est d’abord décidé par l’employeur, ici « raisonnable »
signifiera « raisonnablement court ».
Article 30 : « Tout salarié a droit à une rémunération
lui assurant des conditions de vie digne.
Un salaire
minimum est fixé par la loi »
Pour la
première phrase, même remarque que pour l’article 29, l’employeur décide de ce
qui est digne et on peut à loisir voir depuis des décennies ce que cela donne.
Pour la
phrase suivante, la deuxième « ligne rouge » est-elle intacte ?
Même pas, il y manque deux des conditions de la « dignité » :
l’obligation de le réévaluer en fonction du coût de la vie, et celle de
garantir une augmentation au moins égale à la moitié de celle des salaires
réels moyens (sans même parler des « coups de pouce » annuels que le
gouvernement, bras courts et poches profondes, oublie depuis des lustres).
Article
32 : « La rémunération du salarié lui est versée selon une
périodicité régulière »
Le
versement mensuel ne serait-il plus « raisonnable » ? Un effort
de mémoire permettrait de se souvenir que les cols bleus ouvriers ont été
alignés, par le haut, sur les cols blancs employés grâce précisément à la
mensualisation il y a 45 ans. Un versement « régulier » à l’heure,
à la semaine, tous les quinze jours ? Les rapporteurs – qui n’ont,
il est vrai, pu mener à bien leur défi « dans les brefs délais impartis
» qu’au prix « d’une ardeur égale à leur compétence reconnue »
– ont dû se tromper de siècle.
Article
33 : « La durée normale du travail est fixée par la loi. Celle-ci
détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs
peuvent retenir une durée différente.
Tout salarié
dont le temps de travail dépasse la durée normale a droit à une compensation »
Troisième
« ligne rouge », la plus urgente à dépasser depuis 1936…La patience
patronale a atteint ses limites.
Le Code du
travail (article L.3121-10) parle, logiquement, de « durée légale ».
Elle ne sera plus que « normale ». L’explication de texte vient à
la phrase suivante : cette durée « normale » pourra être
différente d’une branche à l’autre, d’une entreprise à l’autre. En clair, il
n’y aura plus de durée légale.
Qu’est-ce
que cela change ? A force, depuis une vingtaine d’années bientôt,
d’entendre dire dans les grands médias que la durée légale, les « 35
h », sont un carcan, qu’on empêche le salariés de travailler plus, il en
est plus d’un pour s’être rentré dans la tête que 35 h était plus ou moins un
plafond. Alors que, depuis qu’il existe des majorations pour heures
supplémentaires, la durée légale (35 h aujourd’hui) n’est que le seuil de
déclenchement des majorations pour heures supplémentaires. Des heures
supplémentaires que les employeurs ont tout loisir de faire faire en grand
nombre mais qu’ils ne veulent pas payer. Il y a quinze ans, l’ex chef du Medef,
le baron Seillière disait qu’il voulait bien la durée légale à 30 h et même
moins s’il n’y avait plus à payer de majoration. Ce qui, Macron l’a dit en
anglais à Davos, veut très exactement dire qu’il n’y a plus de durée légale.
Pour le fun
(encore une espièglerie ?) et entretenir les discussions sans fin en
espérant qu’elles retarderont la prise de conscience, il est question de
« compensation ». En bon français, « compensation » n’est
pas équivalent de « rémunération » ni de « majoration »
(sans même parler de la hauteur de cette rémunération) et on peut faire confiance
à l’imagination patronale pour, par exemple, enrichir…des « comptes »
personnels (épargne-temps, droits à heures de formation, droits à congés,
points de pénibilité…). Peut-être est-il bon de rappeler qu’il y a déjà des
centaines de millions d’heures supplémentaires qui ne sont pas payées, malgré
la législation actuelle.
Deux
secondes de réflexion montrent qu’en procédant ainsi, la seconde « ligne
rouge » (salaire minimum horaire) est ainsi franchie avec aisance. Et
l’inégalité entre salariés garantie.
Article
34 : « Les durées quotidienne et hebdomadaire de travail ne peuvent
dépasser les limites fixées par la loi »
Deux
interprétations possibles pour cet article trop court pour être honnête. Soit
une baisse momentanée de régime des rapporteurs soumis à la pression
insupportable de la Ministre du travail qui, dans la lettre de mission, les
enjoignait de ne pas entrer en contradiction sur la question du temps de
travail qui allait faire l’objet d’un urgent projet de loi début mars.
Soit, plus
vraisemblablement, une rédaction concise, « limites fixées par la
loi » signifiant : la loi fixera les limites et dira qui décide des
dérogations, les « accords » collectifs ou les « accords »
individuels (à l’exemple du soi-disant plancher de 24 h pour les temps partiels,
qu’un accord individuel suffit à faire sauter).
Article
35 : « Tout salarié a droit à un repos quotidien et à un repos
hebdomadaire dont la durée minimale est fixée par la loi »
Même
remarque que pour l’article 34, avec la surprise, pas rassurante, du non rappel
que le repos quotidien (11 h) est fixé par l’Union européenne.
Article 36 : « Le travail de nuit n’est possible que
dans les cas et dans les conditions fixés par la loi. Celle-ci prévoit les
garanties nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des
salariés »
Le coup de
fatigue était sans doute passé : pas la moindre « compensation »
salariale prévue pour le travail de nuit. Et rien pour en rechercher la
diminution (première mesure générale de prévention). Ne parlons donc pas… du
travail posté.
Article
39 : « L’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé
des salariés dans tous les domaines liés au travail. Il prend les mesures
nécessaires pour prévenir les risques, informer et former les salariés »
La majeure
partie du Code du travail, celle qui est à l’origine du droit du travail, est
résumée en deux phrases. On ne peut pas faire plus concis. Si ?
A faire
court, il aurait été sans doute plus utile de se contenter de rappeler la
mesure générale de prévention, fondamentale : adapter le travail à
l’homme..
Article 41 : « Tout salarié peut accéder à un service de
santé au travail »
Voir
remarque article 20. Exit la médecine du travail.
Article 45 : « L’appartenance ou l’activité syndicale ne
saurait être prise en considération par l’employeur pour arrêter ses décisions
»
On imagine
l’effroi des employeurs à la lecture de cet article. L’occasion de se demander
pourquoi il n’est pas ici question de discrimination comme actuellement
(article L.1132-1 du Code du travail) et pourquoi la violation de cette
interdiction n’est pas sanctionnée par la nullité des mesures prise en
méconnaissance des dispositions sur cette discrimination (article L.1132-4 du
Code du travail).
A moins que
l’ambiguïté de la phrase ne laisse la porte ouverte à une autre interprétation,
celle qui y verrait la possibilité pour l’employeur d’ignorer les attributions
du représentant du personnel.
Article 46 : « L’exercice de certaines prérogatives peut
être réservé par la loi aux syndicats et associations professionnelles reconnus
représentatifs »
Est
ainsi érigé en principe fondamental une mesure aujourd’hui utilisée largement
par le patronat (et le gouvernement pour la Fonction publique) pour contraindre
des organisations syndicales à la signature d’ « accords »
rétrogrades.
Article 47 : « Tout salarié participe, par
l’intermédiaire de représentants élus, à la gestion de l’entreprise.
Ces
représentants assurent la défense des intérêts individuels et collectifs des
salariés.
Ils ont le
droit d’être informés et consultés sur les décisions intéressant la marche
générale de l’entreprise et les conditions de travail »
Ici il faut
lire en diagonale.
Tout
d’abord, le premier rôle des représentants élus n’est plus ici, comme le
prévoit aujourd’hui l’article L.2313-1 du Code du travail relatif aux délégués
du personnel, de « présenter aux employeurs toutes les réclamations
individuelles et collectives », ni de « saisir l’inspection du
travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des
dispositions légales ».
Ensuite la
deuxième phrase attribue à ces même représentants « la défense des
intérêts individuels et collectifs des salariés ». Est ainsi opérée dans le
texte la confusion demandée par le Medef entre délégués du personnel, membres
du comité d’entreprise et membres du C.H.S.C.T. Un « conseil
d’entreprise » comme en Allemagne et avec des pouvoirs moindres. La
collaboration de classe institutionnalisée.
S’agissant
du C.E et du C.H.S.C.T, leurs attributions seraient réduites à être « informés
et consultés ». Leur pouvoir de proposer, d’analyser, de contrôler,
d’inspecter (articles L.2323-1, L.4612-1, 2, 3, 4, 5 du Code du travail par
exemple) disparaît.
Article 51 : « Tout projet de réforme de la législation
du travail envisagé par le Gouvernement qui relève du champ de la négociation
nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable
avec les partenaires sociaux en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation
»
Cet
article, parfaitement contraire à la Constitution (article 34), et qu’Hollande
voulait précisément constitutionnaliser, est déjà inscrit en toutes lettres
dans le préambule de l’actuel Code du travail.
Il illustre
les moyens légaux que le patronat a mis en place pour parvenir à ses
fins : une chance au grattage (des organisations syndicales acceptent de
signer un nième « accord » régressif, tel l’A.N.I du 11
janvier 2013), une chance au tirage (elles ne le font pas, la loi s’en charge,
telle la loi Rebsamen du 17 août 2015).
Article 52 : « Les négociations doivent être loyales
»
Un peu de
détente sans doute, le rapport touchant à sa fin ? On ne sait s’il est
question de chemise déchirée ou de chantage à l’emploi, mais c’est aussi
réaliste que de demander à Monsanto de faire du « Rond up » bio. Demandez
a ceux de Goodyear…
Article 54 : « L’autorité publique peut rendre une
convention ou un accord collectif applicable à des entreprises qui ne sont pas
liées par lui »
Voilà
un article qui apparaît de prime abord très positif car il maintient le principe
de la possibilité pour le gouvernement d’étendre les dispositions d’un accord
collectif au-delà de son champ d’application (= signataires). Mais ce qui est
bon quand l’accord en question est plus favorable aux salariés que la loi (la
règle jusqu’ici, malgré les exceptions introduites notamment sur le temps de
travail depuis les années 80) devient très mauvais quand c’est le contraire.
Article 55 : « La loi détermine les conditions et
limites dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent prévoir
des normes différentes de celles résultant des lois et règlements ainsi que des
conventions de portée plus large »
Et,
précisément, c’est l’objectif essentiel de la réécriture du Code du travail
programmée dans les deux ans et immédiatement, dès le mois de mars pour le
temps de travail : que les accords collectifs puissent prévoir des normes
différentes, plus défavorables que la loi.
Et ce,
contrairement à maintenant, dans tous les domaines : l’inoxydable ex
Directeur Général du travail Combrexelle, dans son rapport, nomme en effet
« A.C.T.E.S » (« Accords sur les Conditions de Travail,
l’Emploi et les Salaires ») les domaines où pourraient se signer des
accords dérogatoires de ce type
Article 56 : « En cas de conflit de normes, la plus
favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement »
Pour ceux
qui n’y croiraient toujours pas, la possibilité d’avoir des accords plus
défavorables que la loi est ici écrite en toutes lettres.
Article
57 : « Les clauses d’une convention ou d’un accord collectif
s’appliquent aux contrats de travail.
Les
stipulations plus favorables du contrat de travail prévalent si la loi n’en
dispose pas autrement »
Piqûre
de rappel. Ce principe d’application possible des dispositions plus
défavorables pour les salariés s’appliquera aussi au contrat de travail
individuel, qui ne protègera plus les salariés face à un accord collectif moins
favorable pour lui.
Article
58 : « L’inspection du travail veille à l’application du droit du
travail dans des conditions protégeant ses membres de toute pression extérieure
indue »
Pour
apprécier la dégradation des garanties d’indépendance qu’implique cette
formulation, il faut la rapprocher des dispositions de la convention
internationale n ° 81 de l’O.I.T, signée par la France, et largement piétinée
par le décret Sapin de mars 2014 ainsi que par la loi Macron 1 et l’ordonnance
prévue en la matière.
L’article 6
de la convention stipule : « Le personnel de l’inspection sera
composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service
leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout
changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue » ;
et l’article 3 : « Si d’autres fonctions sont confiées aux inspecteurs
du travail, celles-ci ne devront pas faire obstacle à l’exercice de leurs
fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité
ou à l’impartialité nécessaires aux inspecteurs dans leurs relations avec les
employeurs et les travailleurs ».
Article
59 : « Les litiges en matière de travail sont portés devant une
juridiction composée de juges qualifiés dans le domaine du droit du travail
»
Un
euphémisme pour dire que rien ne s’opposera plus à la disparition des
prud’hommes, juges des litiges en droit du travail depuis deux cent ans.
Article
60 : « L’exercice, par le salarié, de son droit à saisir la justice
ou à témoigner ne peut, sauf abus, donner lieu à sanction »
La
commission Badinter aura réussi l’exploit, dans ce dernier chapitre intitulé
« Contrôle administratif et règlement des litiges « de
n’évoquer aucune sanction pénale à l’égard des employeurs (la formulation
« contrôle administratif » est d’ailleurs en adéquation avec la
volonté affichée de supprimer les sanctions pénales pour les remplacer par
d’éventuelles amendes administratives négociées dans le bureau du sous-préfet
aux affaires sociales qu’est en réalité le D.I.R.E.C.C.T.E, le supérieur
hiérarchique des inspecteurs du travail qui est à l’indépendance de celle-ci ce
que Mac Do est à la gastronomie.
Mais a
contrario, la commission a jugé nécessaire de prévoir de sanctionner les
salariés s’ils abusent de leur droit à saisir la justice ou à témoigner. Elle
ne pouvait mieux clore son rapport qu’en dévoilant ainsi son but réel :
désarmer un peu plus les salariés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire