vendredi 29 janvier 2016

Analyse détaillée des 61 mesures du rapport Badinter, par Richard Abauzit et Gérard Filoche




Adapter l’homme au travail… à la place d’adapter le travail à l’homme

Le rapport remis le 26 janvier par la commission Badinter signe la condamnation à mort du code du travail construit depuis un siècle.

 Bien que le président de la commission, Robert Badinter, ait cru sans modestie devoir écrire qu’il s’agissait d’une « difficile entreprise » et d’une « mission complexe  qui n’aurait pu être réalisée dans les brefs délais impartis au comité si ses membres n’avaient pas fait preuve d’une ardeur égale à leur compétence reconnue », un élève de terminale aurait pu sans difficulté opérer en moins de temps ce qui, pour l’essentiel, n’est que le copier-coller des 50 articles « fondamentaux » déjà écrits par le tandem Badinter/Lyon-Caen il y a plus de six mois.


 A l’époque, cette tentative de réécrire le code en 50 points était déjà prétentieuse et dérisoire, mais on comparera et on notera que le copié-collé du « rapport »  induit encore plus de reculs  pour plaire aux commanditaires du rapport, Valls,  Macron. Gattaz venait de dire que « le code du travail était l’ennemi n°1 des patrons ». C’est fait il est exécuté.

Pour être juste, les désormais 61 articles censés poser les principes fondamentaux du droit du travail ont tout de même été expurgés des scories qui exposaient trop au grand jour le nouveau missel patronal, du type « Le salarié exécute avec diligence la prestation convenue », mais c’est pour aggraver le contenu en l’ajustant mieux encore à la commande de la ministre du travail qui avait insisté pour qu’il y ait une parfaite harmonie avec le texte de loi qui va bientôt supprimer de fait la durée légale du travail.

On caractérisera le rapport comme une tentative pour en finir avec un « code du travail » spécifique et le remplacer par un mixte avec le code civil, où les contrats commerciaux et les statuts d’indépendants sont mis sur le même plan que l’ex contrat de travail. La «personne » » remplace le salarié. Le salarié est traité comme l’indépendant. Uber peut s’y retrouver, Attali et Macron sont passés par là.

La notion de subordination est disparue, remplacée par une « soumission librement consentie ». Le patron est le seul agent actif de droit quasi divin mais, comme il se doit chez les libéraux, hypocritement masqué. Et les contreparties à la subordination sont noyées dans un salmigondis d’improvisations d’inspiration libérales.  Les deux parties inégales au contrat de travail sont remplacées par deux parties cocontractantes mises artificiellement à égalité.

La hiérarchie des préoccupations commence aussi par la « personne », les libertés individuelles, pas par la santé, l’hygiène ni la sécurité ce qui illustre le degré d’extériorité conceptuelle qui préside à l’approche de cette casse d’un siècle de droit du travail. Le code du travail historiquement était construit autour de la réduction légale du temps de  travail : la notion de durée légale est supprimée. Entre autres, la mensualisation, la médecine du travail, les prud’hommes, l’indépendance de l’inspection du travail, les institutions représentatives du personnel, sont supprimés. Il n’y a même plus d’âge plancher pour le travail des enfants.

Décidément il faut être prétentieux et ignorant à la fois, petit et planant, cet essai le prouve, pour se lancer, avec une poignée de technocrates déracinés du travail réel, dans la réécriture  d’un siècle de droits vivants du travail produit de luttes sociales.
Le code du travail depuis 1910 était fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes, c’état l’expression des rapports de force sociaux à travers des décennies, une co-construction historique exceptionnelle, salariés et patrons, propre à notre pays, depuis 1906, la terrible catastrophe de Courriers, 1910 la naissance juridique du code, les grèves de 1936, de 1945, de 1968, de 1995 et les lois qui en étaient issues…

Là, ce rapport Badinter, c’est un bricolage médiocre fait de neurones badins et de préjugés aristocratiques, de discussion de salon et  de sotte expertise, déconnecté de la réalité, de l’histoire, et surtout soucieux de plaire au maitre du moment, le Medef.

Ni historique, ni matérialiste, ni social, ce rapport est un assemblage aléatoire de soucis opportunistes qui provoque un grand haut le cœur de mépris aux familiers du droit des salariés, tels que nous avions pu réussir à les bâtir et à des défendre jusque là.

En détail :

Article 1 : désormais « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail » mais des limitations à ces libertés fondamentales peuvent être apportées « si elles sont justifiées… par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ».

Le bon fonctionnement de l’entreprise au-dessus des libertés fondamentales, ceux qui continuent à penser qu’avec l’artisan de l’abolition de la peine de mort, on n’avait rien à craindre pour les libertés fondamentales devraient relire cet article.

Dans cet article et dans tous les autres, il n’est jamais question « des » salariés (sans parler des travailleurs) mais toujours « du » salarié et de « la » personne. Le choix ne doit rien au hasard : l’article correspondant du Code du travail, par exemple, parle « des » personnes.

Articles 2, 3, 4, 7, 15, 17, 18, 19, 23, 31, 37, 38, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 53, 61 : déclarations de principes existants, de nul effet sur la responsabilité de l’employeur. Concernant par exemple la protection des données personnelles (article 3), elle est déjà piétinée par la mise en place du « Compte Personnel de Formation », du « Passeport d’orientation, de formation et de compétences » et  l’élaboration en cours du « Compte Personnel d’Activité » prévu par la loi Rebsamen du 17 août 2015, « Passeport » et « Comptes » centralisés sur une application numérique nationale.

 Article 5 : « Les discriminations sont interdites dans toute relation de travail ».

Lesquelles ?  Les principes fondamentaux Badinter/Lyon-Caen de juin 2015 les détaillaient, conformément à la loi actuelle (« à raison de l’origine, des opinions, de la religion, de l’âge, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’état de santé ou du handicap physique »). Certes, ils oubliaient déjà une partie non négligeable des discriminations interdites : les mœurs, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, l’apparence physique, le nom de famille. Ici plus rien. Les libertés fondamentales ne méritaient-elles pas ce rappel ?

Article 6 : L’inquiétude induite par la rédaction de l’article 5 grandit quand on voit à l’article 6,  à l’heure où la discrimination antisyndicale se déchaîne avec le soutien gouvernemental, que la seule discrimination indiquée est celle relative aux « convictions religieuses ». En outre, il est difficile d’y voir autre chose qu’une arme supplémentaire en actualité dans l’incessante croisade contre les personnes de religion musulmane quand on lit que cette liberté fondamentale peut être réduite si cela est justifié « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Article 8 : L’interdiction d’employer des mineurs de moins de 16 ans pourra désormais être contournée par des « exceptions prévues par la loi ». Il y a 6 mois, le premier rapport Badinter/Lyon-Caen rappelait plus strictement la seule exception possible : « si le travail prend place dans une formation professionnelle ou alterne avec elle »…

Article 9 : « La conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale est recherchée dans la relation de travail ».

Outre la formulation apaisante, pour l’employeur (« recherchée » et non « garantie »), il faut voir dans ce nouveau « principe fondamental » les prémices des dispositions qui vont, sous couvert de l’encadrer, élargir le travail où on ne compte plus les heures (travail à domicile rebaptisé télétravail, forfait-jours, et autre travail à la tâche)

 Article 10 : « L’employeur exerce son pouvoir de direction dans le respect des libertés et droits fondamentaux des salariés ».

Le pouvoir de l’employeur ne connaîtrait donc d’autres limites que celles des « droits fondamentaux »…Pourquoi avoir abandonné dans ces droits fondamentaux celui rappelé dans le rapport publié 6 mois plus tôt : « assurer l’adaptation du travail à la personne du salarié » ? « Adapter le travail à l’homme » et non l’inverse est toujours inscrit dans le Code du travail comme mesure générale de prévention (article L.4121-2 du Code du travail) et Badinter a solennellement affirmé en préambule de son rapport qu’ils avaient travaillé « à droit constant ».

Article 11 : « Chacun est libre d’exercer l’activité professionnelle de son choix » ?
 A contrario, que fait dans les principes fondamentaux du droit du travail cet article 11 ? A la fin du XVIIIème siècle, le décret d’Allarde de 1791, couplé avec la loi Le Chapelier, stipulait certes qu’« il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon », mais c’était dans la logique d’une législation qui voulait la liberté du commerce et la liberté de faire travailler les autres. Et ici ?

La réponse est dans la loi Macron 1, les rapports Mahfouz, Mettling, Terra nova, Institut Montaigne, Centre National du Numérique, le projet Macron 2 (Nouvelles Opportunités Economiques ») et dans les recommandations européennes : dérèglementer les professions qui  le sont encore (bonjour UBER) et multiplier les faux « indépendants ».

Article 12 : « Le contrat de travail se forme et s’exécute de bonne foi. Il oblige les parties ».

 Un pas de plus, après la loi Macron 1, pour dissoudre le droit du travail, forgé pour compenser un peu l’inégalité des deux parties, dans le droit civil. Dans celui-ci les deux parties sont égales et elles expriment dans le contrat l’accord libre de leurs volontés.
On peut le voir en comparant avec la formulation actuelle de l’article L.1222-1 du Code du travail : « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». En ajoutant qu’il est aussi « formé » de bonne foi et qu’il « oblige les parties », on a la teneur de l’article 1134 du code civil (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ») dont l’idée essentielle est qu’il ne peut y avoir vice de consentement entre deux parties égales et qu’en conséquence le contrat, forme particulière de convention, doit, peu ou prou, pouvoir déroger à la loi. Qu’on pense aux « accords » arrachés, contrat par contrat, aux salariés de chez SMART, par-dessus la loi  (sur le salaire minimum) et par-dessus le refus d’accord collectif.

Article 13 : « Le contrat de travail est à durée indéterminée. Il ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas prévus par la loi ».

Confirmation de la première « ligne rouge » avec la proclamation du caractère essentiel du CDI ?… Le début du contraire.
Tout d’abord, ce principe ne reprend plus la formulation actuelle qui est que le CDI est « la forme normale et générale de la relation de travail ». Ensuite, renvoyer les dérogations à la loi sans préciser comme actuellement le principe fondamental de ces dérogations (répondre à des besoins temporaires de l’entreprise) ouvre la voie aux exigences du Medef d’un recours sans aucun frein aux CDD, déjà abouties dans d’autres pays de l’Union européenne.

 Article 14 : « Le contrat de travail peut prévoir une période d’essai d’une durée raisonnable ».

Confirmation de l’article 13. C’est l’antichambre du contrat unique, retour du CNE/CPE. C’est quoi « raisonnable » pour la période d’essai d’un CDI ? « Raisonnable » ne veut rien dire, ou plutôt la raison du plus fort qui, en droit réel du travail est toujours la meilleure. Le mot doit donc être traduit par « raisonnablement long ».

 Article 16 : « Tout salarié est informé, lors de son embauche, des éléments essentiels de la relation de travail »

 Ah bon ? Le contrat de travail dont l’article 12 disait qu’il devait être formé « de bonne foi » et pour lequel Badinter et Lyon-Caen écrivaient il y a 6 mois qu’il devait faire, sur les éléments essentiels, l’objet d’une « information complète et écrite », ce contrat de travail ne ferait plus l’objet que d’une simple information. Cela tombe bien, une des exigences du Medef depuis plusieurs années est que tout ne soit pas écrit dans le contrat de travail. Et la communication de la convention collective ?

 Article 20 : « Chacun doit pouvoir accéder à une formation professionnelle et en bénéficier tout au long de sa vie »

 La première partie de la phrase fait état d’un droit à un « accès ». Les accords concoctés par le Medef et les textes de loi qui en découlent font de plus en plus référence non plus à des droits (exemple, droit à la formation), mais des droits à « bénéficier » d’un « accès », droit à « bénéficier » d’une procédure ou d’une information sur des droits. Le distinguo n’est pas anodin : les centaines de milliers de « bénéficiaires » de compte épargne-temps en savent quelque chose, avoir des points sur un compte n’assure aucun droit.
Plus subtil, la rengaine sur la formation « tout au long de la vie », du berceau au tombeau, sonne agréablement aux oreilles d’organisations syndicales qui y ont vu l’aboutissement d’une revendication (la « deuxième chance ») alors qu’il faut y voir, après le chômage, la principale arme patronale pour asservir les travailleurs et les diviser : jamais assez formés, toujours remis en cause, responsables de leur déclassement et de leur chômage…

Article 21 : « L’employeur assure l’adaptation du salarié à l’évolution de son emploi. Il concourt au maintien de sa capacité à exercer une activité professionnelle »

Illustration de la portée régressive de l’article 20. On n’adapte pas le travail au salarié (voir remarque article 10), mais le contraire. Et on voit bien, tous les mots sont importants, que le salarié est en permanence guetté par l’insuffisance professionnelle et pas seulement dans son boulot, on doute même qu’il reste capable d’ « une activité professionnelle » !

Article 22 : « Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée sans que le salarié ait été mis à même de faire connaître ses observations »

Ici les rapporteurs ont simplement oublié les deux dispositions principales en vigueur : l’obligation pour l’employeur de faire connaître les faits reprochés et celle de motiver sa décision par écrit. Sans parler de l’absence de mention d’un règlement intérieur.

 Article 24 : « Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur, du salarié ou d’un commun accord »

 D’un commun accord…Qui a rencontré cette situation dans une entreprise ? il a fallu attendre 2008, un A.N.I scélérat et une loi qui l’entérine, pour que le Code du travail intègre une modalité de rupture « conventionnelle » prétendument sans motif. Depuis des centaines de milliers de licenciements pour motif économique, pour dégradation de la santé physique et psychique passent en rupture censée être d’un « commun accord ». Les 2/3 à la demande de l’employeur. Mais cette fiction était tout de même tempérée, au moins symboliquement, par l’homologation que l’administration du travail (la D.I.R.E.C.C.T.E, qui se contente de laisser passer son délai) doit donner.
Là, le symbole saute. Bonjour le code civil.

Article 25 : « Le salarié peut librement mettre fin au contrat à durée indéterminée »

Une seule raison peut justifier cet article, a priori redondant avec le précédent. Une raison idéologique, conforter l’idée, aux conséquences essentielles, que salariés et employeur sont également « libres ». Dans cette période où les barreaux sont de plus en plus solides, le poulailler est libre avec le renard libre.

Article 26 : « Tout licenciement doit être justifié par un motif réel et sérieux »

 Cela semble simple bon sens et respect et de la loi française et des conventions internationales (et légèrement contradictoires avec les ruptures « d’un commun accord »). Mais qui connaît les très anciennes exigences de Monsieur Gattaz bruyamment répétées depuis plusieurs mois, sait que cette formulation ouvre la voie aux licenciements qui ne seront justifiés (et le souhait du Medef est que cela le soit dès la signature du contrat de travail) que par la seule déclaration de l’employeur de la nécessité d’une simple réorganisation de l’entreprise ou de la réalisation d’un objectif atteint.
 
Article 27 : « Aucun licenciement ne peut être prononcé sans que le salarié ait été mis à même, en personne ou par ses représentants, de faire connaître ses observations »

Double recul.
Il se pourrait donc que le salarié ne puisse faire valoir ses observations lui-même, ses représentants (lesquels ?) pouvant le remplacer.
Et où est passé le conseiller du salarié qui peut assister les salariés dans les entreprises où il n’y a pas de représentants du personnel ?
Qu’en est-il de l’obligation d’un écrit ?

 Article 28 : « Le licenciement pour motif économique ou pour inaptitude physique du salarié ne peut être prononcé sans que l’employeur se soit efforcé de reclasser l’intéressé, sauf dérogation prévue par la loi »

A relire deux fois pour être sûr d’avoir bien lu. Le Medef l’avait demandé et a déjà en partie obtenu satisfaction sur les licenciements pour motif économique. Là il s’agit d’étendre la possibilité, par dérogation légale, de supprimer l’obligation de reclassement des licenciés pour motif économique et de ceux que les conditions de travail ont rendu invalides !

Article 29 : « Le licenciement est précédé d’un préavis d’une durée raisonnable »

On n’échappe pas au sentiment que les rapporteurs ont eu besoin de quelque espièglerie pour faire redescendre dans leur mission « difficile » et « complexe » une tension à la mesure de la conviction de contribuer, rien  de moins, à la « grandeur des démocraties occidentales ».
Las, il semble que la notion de « raisonnable » fasse partie du corpus des chimères européennes, au point d’être récemment reprise par la Cour de cassation pour qualifier le dépassement de la durée maximale de travail. Il faut donc prendre au sérieux cette notion. Comme tout ce qui est sérieux en droit du travail est d’abord décidé par l’employeur, ici « raisonnable » signifiera « raisonnablement court ».

Article 30 : « Tout salarié a droit à une rémunération lui assurant des conditions de vie digne.
Un salaire minimum est fixé par la loi »

Pour la première phrase, même remarque que pour l’article 29, l’employeur décide de ce qui est digne et on peut à loisir voir depuis des décennies ce que cela donne.
Pour la phrase suivante, la deuxième « ligne rouge » est-elle intacte ? Même pas, il y manque deux des conditions de la « dignité » : l’obligation de le réévaluer en fonction du coût de la vie, et celle de garantir une augmentation au moins égale à la moitié de celle des salaires réels moyens (sans même parler des « coups de pouce » annuels que le gouvernement, bras courts et poches profondes, oublie depuis des lustres).

 Article 32 : « La rémunération du salarié lui est versée selon une périodicité régulière »

 Le versement mensuel ne serait-il plus « raisonnable » ? Un effort de mémoire permettrait de se souvenir que les cols bleus ouvriers ont été alignés, par le haut, sur les cols blancs employés grâce précisément à la mensualisation il y a 45 ans. Un versement « régulier » à l’heure, à la semaine, tous les quinze jours ?  Les rapporteurs – qui n’ont, il est vrai, pu mener à bien leur défi « dans les brefs délais impartis » qu’au prix « d’une ardeur égale à leur compétence reconnue » – ont dû se tromper de siècle.

Article 33 : « La durée normale du travail est fixée par la loi. Celle-ci détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente.

Tout salarié dont le temps de travail dépasse la durée normale a droit à une compensation »
 Troisième « ligne rouge », la plus urgente à dépasser depuis 1936…La patience patronale a atteint ses limites.

Le Code du travail (article L.3121-10) parle, logiquement, de « durée légale ». Elle ne sera plus que « normale ». L’explication de texte vient à la phrase suivante : cette durée « normale » pourra être différente d’une branche à l’autre, d’une entreprise à l’autre. En clair, il n’y aura plus de durée légale.

Qu’est-ce que cela change ? A force, depuis une vingtaine d’années bientôt, d’entendre dire dans les grands médias que la durée légale, les « 35 h », sont un carcan, qu’on empêche le salariés de travailler plus, il en est plus d’un pour s’être rentré dans la tête que 35 h était plus ou moins un plafond. Alors que, depuis qu’il existe des majorations pour heures supplémentaires, la durée légale (35 h aujourd’hui) n’est que le seuil de déclenchement des majorations pour heures supplémentaires. Des heures supplémentaires que les employeurs ont tout loisir de faire faire en grand nombre mais qu’ils ne veulent pas payer. Il y a quinze ans, l’ex chef du Medef, le baron Seillière disait qu’il voulait bien la durée légale à 30 h et même moins s’il n’y avait plus à payer de majoration. Ce qui, Macron l’a dit en anglais à Davos, veut très exactement dire qu’il n’y a plus de durée légale.

Pour le fun (encore une espièglerie ?) et entretenir les discussions sans fin en espérant qu’elles retarderont la prise de conscience, il est question de « compensation ». En bon français, « compensation » n’est pas équivalent de « rémunération » ni de « majoration » (sans même parler de la hauteur de cette rémunération) et on peut faire confiance à l’imagination patronale pour, par exemple, enrichir…des « comptes » personnels (épargne-temps, droits à heures de formation, droits à congés, points de pénibilité…). Peut-être est-il bon de rappeler qu’il y a déjà des centaines de millions d’heures supplémentaires qui ne sont pas payées, malgré la législation actuelle.

Deux secondes de réflexion montrent qu’en procédant ainsi, la seconde « ligne rouge » (salaire minimum horaire) est ainsi franchie avec aisance. Et l’inégalité entre salariés garantie.

 Article 34 : « Les durées quotidienne et hebdomadaire de travail ne peuvent dépasser les limites fixées par la loi »

 Deux interprétations possibles pour cet article trop court pour être honnête. Soit une baisse momentanée de régime des rapporteurs soumis  à la pression insupportable de la Ministre du travail qui, dans la lettre de mission, les enjoignait de ne pas entrer en contradiction sur la question du temps de travail qui allait faire l’objet d’un urgent projet de loi début mars.
Soit, plus vraisemblablement, une rédaction concise, « limites fixées par la loi » signifiant : la loi fixera les limites et dira qui décide des dérogations, les « accords » collectifs ou les « accords » individuels (à l’exemple du soi-disant plancher de 24 h pour les temps partiels, qu’un accord individuel suffit à faire sauter).

 Article 35 : « Tout salarié a droit à un repos quotidien et à un repos hebdomadaire dont la durée minimale est fixée par la loi »

Même remarque que pour l’article 34, avec la surprise, pas rassurante, du non rappel que le repos quotidien (11 h) est fixé par l’Union européenne.

Article 36 : « Le travail de nuit n’est possible que dans les cas et dans les conditions fixés par la loi. Celle-ci prévoit les garanties nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des salariés »

Le coup de fatigue était sans doute passé : pas la moindre « compensation » salariale prévue pour le travail de nuit. Et rien pour en rechercher la diminution (première mesure générale de prévention). Ne parlons donc pas… du travail posté.

 Article 39 : « L’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé des salariés dans tous les domaines liés au travail. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir les risques, informer et former les salariés »

La majeure partie du Code du travail, celle qui est à l’origine du droit du travail, est résumée en deux phrases. On ne peut pas faire plus concis. Si ?
A faire court, il aurait été sans doute plus utile de se contenter de rappeler la mesure générale de prévention, fondamentale : adapter le travail à l’homme..

Article 41 : « Tout salarié peut accéder à un service de santé au travail »

 Voir remarque article 20. Exit la médecine du travail.

Article 45 : « L’appartenance ou l’activité syndicale ne saurait être prise en considération par l’employeur pour arrêter ses décisions »

On imagine l’effroi des employeurs à la lecture de cet article. L’occasion de se demander pourquoi il n’est pas ici question de discrimination comme actuellement (article L.1132-1 du Code du travail) et pourquoi la violation de cette interdiction n’est pas sanctionnée par la nullité des mesures prise en méconnaissance des dispositions sur cette discrimination (article L.1132-4 du Code du travail).

A moins que l’ambiguïté de la phrase ne laisse la porte ouverte à une autre interprétation, celle qui y verrait la possibilité pour l’employeur d’ignorer les attributions du représentant du personnel.

Article 46 : « L’exercice de certaines prérogatives peut être réservé par la loi aux syndicats et associations professionnelles reconnus représentatifs »

 Est ainsi érigé en principe fondamental une mesure aujourd’hui utilisée largement par le patronat (et le gouvernement pour la Fonction publique) pour contraindre des organisations syndicales à la signature d’ « accords » rétrogrades.

Article 47 : « Tout salarié participe, par l’intermédiaire de représentants élus, à la gestion de l’entreprise.
Ces représentants assurent la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés.
Ils ont le droit d’être informés et consultés sur les décisions intéressant la marche générale de l’entreprise et les conditions de travail »

Ici il faut lire en diagonale.
Tout d’abord, le premier rôle des représentants élus n’est plus ici, comme le prévoit aujourd’hui l’article L.2313-1 du Code du travail relatif aux délégués du personnel, de « présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles et collectives », ni de « saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales ».

Ensuite la deuxième phrase attribue à ces même représentants « la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés ». Est ainsi opérée dans le texte la confusion demandée par le Medef entre délégués du personnel, membres du comité d’entreprise et membres du C.H.S.C.T. Un « conseil d’entreprise » comme en Allemagne et avec des pouvoirs moindres. La collaboration de classe institutionnalisée.

S’agissant du C.E et du C.H.S.C.T, leurs attributions seraient réduites à être « informés et consultés ». Leur pouvoir de proposer, d’analyser, de contrôler, d’inspecter (articles L.2323-1, L.4612-1, 2, 3, 4, 5 du Code du travail par exemple) disparaît.

Article 51 : « Tout projet de réforme de la législation du travail envisagé par le Gouvernement qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les partenaires sociaux en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation »

 Cet article, parfaitement contraire à la Constitution (article 34), et qu’Hollande voulait précisément constitutionnaliser, est déjà inscrit en toutes lettres dans le préambule de l’actuel Code du travail.

Il illustre les moyens légaux que le patronat a mis en place pour parvenir à ses fins : une chance au grattage (des organisations syndicales acceptent de signer un nième « accord » régressif, tel l’A.N.I du 11 janvier 2013), une chance au tirage (elles ne le font pas, la loi s’en charge, telle la loi Rebsamen du 17 août 2015).

Article 52 : « Les négociations doivent être loyales »

Un peu de détente sans doute, le rapport touchant à sa fin ? On ne sait s’il est question de chemise déchirée ou de chantage à l’emploi, mais c’est aussi réaliste que de demander à Monsanto de faire du « Rond up » bio. Demandez a ceux de Goodyear…

Article 54 : « L’autorité publique peut rendre une convention ou un accord collectif applicable à des entreprises qui ne sont pas liées par lui »

 Voilà un article qui apparaît de prime abord très positif car il maintient le principe de la possibilité pour le gouvernement d’étendre les dispositions d’un accord collectif au-delà de son champ d’application (= signataires). Mais ce qui est bon quand l’accord en question est plus favorable aux salariés que la loi (la règle jusqu’ici, malgré les exceptions introduites notamment sur le temps de travail depuis les années 80) devient très mauvais quand c’est le contraire.

Article 55 : « La loi détermine les conditions et limites dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent prévoir des normes différentes de celles résultant des lois et règlements ainsi que des conventions de portée plus large »

Et, précisément, c’est l’objectif essentiel de la réécriture du Code du travail programmée dans les deux ans et immédiatement, dès le mois de mars pour le temps de travail : que les accords collectifs puissent prévoir des normes différentes, plus défavorables que la loi.
Et ce, contrairement à maintenant, dans tous les domaines : l’inoxydable ex Directeur Général du travail Combrexelle, dans son rapport, nomme en effet « A.C.T.E.S » («  Accords sur les Conditions de Travail, l’Emploi et les Salaires ») les domaines où pourraient se signer des accords dérogatoires de ce type

Article 56 : « En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement »

Pour ceux qui n’y croiraient toujours pas, la possibilité d’avoir des accords plus défavorables que la loi est ici écrite en toutes lettres.

 Article 57 : « Les clauses d’une convention ou d’un accord collectif s’appliquent aux contrats de travail.
Les stipulations plus favorables du contrat de travail prévalent si la loi n’en dispose pas autrement »

 Piqûre de rappel. Ce principe d’application possible des dispositions plus défavorables pour les salariés s’appliquera aussi au contrat de travail individuel, qui ne protègera plus les salariés face à un accord collectif moins favorable pour lui.

 Article 58 : « L’inspection du travail veille à l’application du droit du travail dans des conditions protégeant ses membres de toute pression extérieure indue »

Pour apprécier la dégradation des garanties d’indépendance qu’implique cette formulation, il faut la rapprocher des dispositions de la convention internationale n ° 81 de l’O.I.T, signée par la France, et largement piétinée par le décret Sapin de mars 2014 ainsi que par la loi Macron 1 et l’ordonnance prévue en la matière.

L’article 6 de la convention stipule : « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue » ; et l’article 3 : « Si d’autres fonctions sont confiées aux inspecteurs du travail, celles-ci ne devront pas faire obstacle à l’exercice de leurs fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou à l’impartialité nécessaires aux inspecteurs dans leurs relations avec les employeurs et les travailleurs ».

 Article 59 : « Les litiges en matière de travail sont portés devant une juridiction composée de juges qualifiés dans le domaine du droit du travail »

 Un euphémisme pour dire que rien ne s’opposera plus à la disparition des prud’hommes, juges des litiges en droit du travail depuis deux cent ans.

 Article 60 : « L’exercice, par le salarié, de son droit à saisir la justice ou à témoigner ne peut, sauf abus, donner lieu à sanction »

 La commission Badinter aura réussi l’exploit, dans ce dernier chapitre intitulé « Contrôle administratif et règlement des litiges «  de n’évoquer aucune sanction pénale à l’égard des employeurs (la formulation « contrôle administratif » est d’ailleurs en adéquation avec la volonté affichée de supprimer les sanctions pénales pour les remplacer par d’éventuelles amendes administratives négociées dans le bureau du sous-préfet aux affaires sociales qu’est en réalité le D.I.R.E.C.C.T.E, le supérieur hiérarchique des inspecteurs du travail qui est à l’indépendance de celle-ci ce que Mac Do est à la gastronomie.

Mais a contrario, la commission a jugé nécessaire de prévoir de sanctionner les salariés s’ils abusent de leur droit à saisir la justice ou à témoigner. Elle ne pouvait mieux clore son rapport qu’en dévoilant ainsi son but réel : désarmer un peu plus les salariés.
  

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