"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 5 janvier 2016
La laïcité en question, par Pierre Khalfa
Le tour néoconservateur pris par le gouvernement Hollande avec le projet de déchéance de nationalité, le projet de réforme de la procédure pénale et celui de constitutionnaliser l’état d’urgence s’accompagne de la fermeture de lieux de culte musulman, que ce soit des mosquées ou de simples salles de prières.
D’après le journal Le Monde (30/12/2015), la préfecture de police des Alpes-Maritimes justifie ces fermetures comme étant des mesures « préventives » destinées à « dessiner un islam modéré » dans notre pays, ces lieux étant réputés diffusant un islam « contraire aux valeurs de la République ». Quoi de plus normal, cela sera sans doute la réaction première de la plupart des lecteurs. Et pourtant…
Car si les imans de ces mosquées, ou des individus qui s’y trouvaient, étaient suspectés de préparer des attentats ou de faire l’apologie du terrorisme, de prêcher la haine et l’antisémitisme, les autorités auraient enclenché, à juste titre, des poursuites judiciaires. Or, comme le rapporte Le Monde, aucune procédure judiciaire n’a été entamée.
La seule justification de ces mesures reste donc la volonté de combattre un islam « contraire aux valeurs de la République » et de « dessiner un islam modéré » contre le fondamentalisme. Remplaçons un instant « islam » par « christianisme » ou « judaïsme ». Est-ce le rôle de l’État de promouvoir un judaïsme ou un christianisme modéré ?
À ce que l’on sache, le gouvernement n’a pas fermé l’église Saint-Nicolas du Chardonnet occupée illégalement depuis des décennies par les intégristes catholiques qui multiplient pourtant les actions plus ou moins violentes contre des centres IVG ou contre des spectacles qui dérangent leur conception du monde.
Nous n’avons pas non plus connaissance de mesures prises contre les sectes intégristes juives dont le respect des valeurs de la République n’est pas évident au premier abord.
De même, les gouvernements français de l’époque n’avaient pas fermé les églises alors même que les curés, au nom d’un christianisme réactionnaire, tonnaient en chaire contre « la gueuse », la République, tout en fricotant avec les monarchistes.
C’est que la loi de 1905 est avant tout une loi de séparation des églises et des institutions publiques. Et la séparation s’effectue dans les deux sens. Les églises doivent certes renoncer à vouloir imposer leurs dogmes à la société - et encore récemment, on a vu que cela n’allait pas de soi lors de la loi sur le mariage pour tous où les religions, à l’exception notable du protestantisme, ont retrouvé leur comportement dominateur.
Mais l’État doit aussi renoncer à régimenter les cultes. Un État laïque n’a rien à dire sur ce que doit être le dogme religieux. Il n’a pas à intervenir sur la façon dont les croyants vivent leur foi. Imagine-t-on un gouvernement légiférer sur la messe en latin ou sur le port d’une perruque pour les femmes juives orthodoxes ?
Par contre, que la puissance publique puisse dire ce qui est ou pas acceptable dans l’islam ne semble pas choquer grand monde. C’est qu’il s’agit là d’une histoire qui vient de loin. Il faut rappeler que la loi de 1905 n’a jamais été appliquée dans les colonies françaises, et notamment en Algérie, et ce malgré la demande des responsables musulmans. Les autorités coloniales préféraient en effet maintenir un contrôle étroit sur tous ceux qui étaient soumis au code de l’indigénat, à tel point que le terme musulman a pris à l’époque une connotation ethnique. Ainsi, la cour d’appel d’Alger a statué en 1903 que le terme musulman « n’a pas un sens purement confessionnel, mais qu’il désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane qui, n’ayant point été admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartiennent ou non au culte mahométan ».
Le refus d’appliquer les lois de la République aux musulmans a été une constante et, hélas, l’empreinte du colonialisme n’a pas disparu puisque l’État continue à vouloir avoir son mot à dire sur la religion musulmane.
Mais nous dira-t-on, ces fondamentalistes musulmans sont des terroristes en puissance. Outre que, comme l’a montré le sociologue Raphaël Lioger, le fondamentalisme islamique est pour une grande part anti-djihadiste, les salafistes piétistes étant absolument contre le jihad au sens où ce terme est aujourd’hui couramment employé, dans un État de droit, on ne punit pas des intentions supposées mais des faits prouvés.
De plus, en supposant même que des personnes fréquentant des lieux de cultes fondamentalistes puissent avoir des velléités de djihadisme, comment penser que la fermeture de lieux de culte sera efficace pour les empêcher de passer à l’acte, alors même l’embrigadement se fait de façon express sur internet.
Les idées portées par l’intégrisme religieux sont effectivement contraires à toute perspective d’émancipation et à l’existence même d’une société démocratique.
Comment les affronter et empêcher leur développement ? La force de l’intégrisme religieux tient à sa capacité à donner un sens global à la vie des individus qui embrassent la foi. Le combattre suppose de faire vivre concrètement un autre imaginaire social.
Dans une société où la concurrence entre individus est promue comme valeur suprême, où la compétitivité devient l’objectif majeur de la vie sociale et où la devise louis-philipparde « enrichissez-vous » semble le seul horizon, c’est en promouvant pratiquement dans la réalité sociale les valeurs de solidarité, d’égalité, de justice que sera asséché le terreau de l’intégrisme.
Tout le contraire de ce que fait le gouvernement actuel.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire