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« Je vois, j'entends, j'observe, je parle et de cette façon je témoigne, un vilain mot mais qui a encore un sens quand il murmure « c'est faux » à l'oreille de ceux qui se laissent bercer par la ritournelle du pouvoir. » Roberto Saviano (Gomorra)
Notre Dame des Landes : la fabrication d'un mensonge d’État
Depuis l'automne 2013, la stratégie
du gouvernement dans le dossier de Notre Dame des Landes est claire. Silence
total sur les arguments que les opposants continuent inlassablement d'avancer mais
poursuite sans faille du rouleau compresseur décisionnel et
administratif : préparation des derniers arrêtés préfectoraux, réalisation
d'une étude « globale » censée répondre aux critiques de l'Europe,
nomination d'un nouveau sous-préfet en charge du dossier, recrutement de
juristes, annonce de la volonté gouvernementale de vider la ZAD ... Le
gouvernement mise de toute évidence sur le temps qui passe comme ferment de
« pourrissement » ou de démobilisation de la lutte, sur la fatigue
des citoyens et des media pour un sujet certes emblématique mais qui finit par
sembler trop compliqué, et sur une propagande bien huilée qui présente un grand
chantier comme une chance pour l'emploi et le développement de la région et ses
opposants comme de « dangereux extrémistes marginaux de
l'ultra-gauche ». La phrase lapidaire « Pour que la France reste la
France, il faut continuer à y construire des routes, des ponts et des
aéroports » ou son autre version, tout aussi stupide « si on ne peut
plus construire cet aéroport, alors on ne pourra plus rien construire »
pourrait faire lentement son travail de sape dans l'esprit de français inquiets
pour l'avenir et croyant encore, hélas , en la parole politique d'hier ou
d'avant hier…
Ajoutez à ce tableau l'incantation
au « nécessaire respect de l’État de droit », un premier ministre à
la fibre autoritaire et la forte probabilité qu'au bout du compte le Conseil
d’État rejette les derniers recours des opposants, vous aurez tous les
ingrédients pour enclencher au moment opportun, c'est à dire après les
régionales et la COP 21 de 2015 (avant cela aurait fait un peu désordre tout de
même... ), une nouvelle opération de force pour en finir avec « le
kyste » de Notre Dame qui n'a que trop duré aux yeux du pouvoir politique et
économique.
Évidemment, les justifications sont
prêtes. On peut déjà écrire le communiqué de presse et donner les éléments de
langage qui seront utilisés à l'envi par le premier ministre, les ministres des
Transports, de l’Écologie, le Préfet de Région, les Grands élus locaux, du
Parti Socialiste aux « Républicains » : « le gouvernement a été
à l'écoute des opposants, il a mis en place une commission du dialogue, fait
réaliser des études complémentaires, organisé de nouvelles réunions. Il a accepté
que le projet prenne du retard pour être amélioré et mieux admis. La justice a
dit le droit. Il est temps désormais de passer à l'action. Ceux qui voudraient
continuer à s'opposer à la réalisation de cet équipement indispensable sont de
dangereux individus, violents et anarchistes. La violence est inacceptable
lorsque toutes les procédures ont été respectées comme cela a été le cas pour
cet aéroport qui sera exemplaire du point de vue du développement durable
auquel la France, vous le savez, est attachée ! Force doit maintenant
rester à l’État de droit ! » L'inénarrable association « Les
Ailes pour l'ouest », composée d'une partie du milieu patronal local (BTP,
immobilier et compagnie…) sabrera le champagne et donnera un coup de main pour
sécuriser la zone s'il le faut ; admirative des milices privées mises en
place à Sivens pour défendre le projet de barrage, elle avait invité avant
l'été à son assemblée générale un représentant de la Fédération Départementale
des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Tarn pour avoir des conseils pratiques
sur la manière de s'occuper manu militari des zadistes, elle a dû faire marche
arrière devant le tollé suscité et la mise au point de la FDSEA 44 ; elle
fera donc les choses plus discrètement mais le gouvernement peut compter sur elle.
Que se passera-t-il alors ? Une
évacuation rapide, sans grande résistance ou avec une résistance trop faible
pour arrêter les travaux et empêcher l'irréversible? Ou au contraire une
nouvelle page de la lutte avec militarisation durable de la zone ? La guerre
pendant des mois avec des blessés ? Un ou des morts ? Personne
ne peut le dire… Le risque est grand pour les deux camps mais la répression est
sûre. Elle a déjà commencé, elle montera en puissance, et bénéficiera en plus
des nouvelles mesures sur la « sécurité intérieure ». On prépare
d'ailleurs l'opinion par une rhétorique bien huilée sur la minorité
d'ultra-violents, chargés de tous les maux et terrorisant la population locale.
Le pire peut arriver.
Comment peut-on se retrouver dans
une telle impasse, dans un pays déjà très « aménagé et développé »,
où l'on aurait mieux à faire qu'un nouvel aéroport ? Pour ceux qui
l'ignoreraient encore, en effet, Nantes-Atlantique n'a pas une piste en herbe
au centre-ville mais un aéroport international, hors périphérique, tout à fait
fonctionnel et qui peut être optimisé sur place.
On a déjà beaucoup écrit sur cet
aéroport dont l'idée est née dans les années 70. L'objet de ce texte n'est pas
de raconter à nouveau l'historique de la lutte ni d'en présenter sous un angle
particulier tel ou tel groupe d'acteurs même si certains épisodes devront à
nouveau être racontés pour la compréhension. Ce n'est pas non plus un
argumentaire exhaustif contre le projet. Pour cela, il faut se référer aux
travaux des opposants et prendre le temps de lire leur abondante production(
les fiches argumentaires sur les sites de l'Acipa*, du CéDpa*, et les récents
cahiers techniques de l'Atelier citoyen*). Ce n'est pas enfin un débat sur les
modèles de développement sous-tendus par ce projet.
C'est plutôt un essai de décryptage
des mécanismes qui aboutissent à ce que l'on peut sans crainte désormais
appeler « la fabrication d'un mensonge d’État » et une tentative pour
en comprendre les raisons.
Chapitre 1 : les procédures, démocratiques vraiment ?
Au commencement, il y a bien sûr le
mode de décision « historique » de notre pays. Un État centralisateur
avec ses hauts fonctionnaires qui savent, et ses élus qui veulent. Un État qui
en lançant la décentralisation a ajouté aux défauts de la centralisation ceux
de la féodalité. Volontairement ou non, difficile à dire, les historiens nous
expliqueront cela un jour. Le fait est que les Grands Élus locaux ont reproduit
avec délices les tares de l'Ancien Régime : liens de vassalité, qui font
obéir quantité d'élus, liés par la reconnaissance qu'ils doivent au suzerain
pour leur place ou pour les subventions obtenues, cumul des fonctions pour
« tenir » un territoire, ce qui empêche évidemment d'ouvrir nombre de
dossiers au fond pour se contenter de répéter la vulgate en cours (
désenclavement, compétitivité, attractivité ) et volonté de marquer son passage
par des réalisations spectaculaires et évidemment inaugurables.
L'acte de naissance du projet de Notre Dame des
Landes n'est pas fondé sur un mensonge – cela viendra plus tard – mais d'abord
sur une croyance. Celle qui a baigné les Trente Glorieuses.
Lorsque le projet d'un nouvel
aéroport à Notre Dame des Landes naît en 1970, ce sont les hauts fonctionnaires
d’État qui le lancent. On rêve de Concorde traversant l'Atlantique chaque jour,
l'Organisme Régional d’Étude et d'Aménagement de l'Aire Métropolitaine de
Nantes-St.Nazaire (Oream) évoque une croissance merveilleuse en terme
d'habitants et de transport aérien : « Vers 1985, la clientèle de
Loire-Atlantique pourrait permettre des escales à Nantes sur les lignes de
l'Amérique du nord et de l'Amérique du sud. A l'horizon 2000, il est probable
que pour la seule clientèle régionale, plusieurs lignes intercontinentales
puissent être mises en service. »
Le futur aéroport intercontinental doit être localisé près de la
mer ce qui « permettrait de limiter la durée du trajet
au-dessus des terres et donc d'utiliser de jour et de nuit des avions à fortes
nuisances, tels que les supersoniques ou les avions-cargos traversant
l'Atlantique ». Les élus locaux de cette époque pensent pour certains
à remblayer une partie des marais salants de Guérande, ce joyau actuellement
vanté par tous, à commencer par les élus d'aujourd'hui, pour y faire un
aérodrome et une marina ! C'est dire l'importance qu'on donne à l'époque
aux zones humides, et à la terre en général. Il n'est donc pas étonnant que le
bout de campagne de Notre Dame des Landes soit choisi ( « pour des raisons
qui seraient trop longues à expliquer ici » comme le dit joliment à la
télévision en 1974 un « ingénieux ingénieur » de l'époque). Et qu'on
ne voie aucun problème à dessiner dans un bureau ministériel un avenir radieux
pour la population sans autre forme de débat.
Notre Dame des Landes est donc
inscrit dans un bureau de la Direction
Générale de l'Aviation Civile comme le site du futur aéroport de
Nantes-Atlantique. Dans l'attente de l'avenir – radieux – promis à
l'équipement, on gardera l'aéroport existant, le bon vieux
« Château-Bougon », en limitant les investissements et sans aucune
perspective cohérente de développement. Château-Bougon, victime du
« syndrome de Notre Dame des Landes » : à quoi bon penser
intelligemment son développement, puisqu'on va en partir tôt ou tard ?
C'est donc de ce choix initial fait
en 70, et conforté par une réserve foncière que l'on reste prisonnier 45 ans
plus tard. Et c'est pour ne pas savoir en sortir que l'on se mettra à mentir.
Il le faut bien car les citoyens ont
appris à lire, écrire et compter depuis quelques siècles. Ils prétendent même
comprendre les dossiers et demandent des comptes. Entre les années 70 et
aujourd'hui, l'idée de « démocratie participative » pour utiliser une
expression désormais connue et commode a fait son chemin, en tout cas sur le
papier. Il est devenu politiquement incorrect dans nos prétendues démocraties
de ne pas demander son avis à la population. On le fera donc mais évidemment en
pipant les dés. Il ne manquerait plus que les citoyens aient des idées qui
remettent en cause les beaux projets de ceux qui pensent pour eux…
Les décideurs organisent donc une
démocratie participative « canada dry », qui comme le disait la
publicité de cette boisson que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître,
a la couleur, la saveur, l'odeur de la démocratie mais qui n'en est pas.
Première
étape : mettre en place des procédures de débat et affirmer régulièrement
la transparence nécessaire et l'objectivité de la décision.
Deuxième
étape : donner l'impression que l'on suit ces beaux principes mais ne pas
bouger d'un iota sur le fond.
Troisième
étape : affirmer ensuite que les préoccupations des citoyens ont été
entendues, que le projet a été substantiellement amélioré, et que la démocratie
participative a bien fonctionné. Si l'opposition persistait, elle serait alors
celle d'une minorité agissante, au mieux « nimbyste »*, c'est à dire
motivée par son seul intérêt personnel, au pire anarchiste donc dangereuse.
Le
cercle vicieux est bouclé et ne peut que provoquer le conflit.
Des procédures pleines
de défauts
« Toutes les procédures ont été
respectées. » C'est le leitmotiv qui est régulièrement asséné pour faire
taire l'opposition et convaincre l'opinion publique du bien fondé du projet.
D'ailleurs, beaucoup de citoyens sont persuadés que les nombreuses
concertations, consultations, enquêtes publiques qui jalonnent de fait le
processus d'élaboration d'un projet sont le gage du bon droit final de la
décision... Est-ce si sûr ? Et si les procédures avaient en réalité des
défauts structurels, que personne ne veut reconnaître ? Car l'on peut avoir
des procédures de démocratie « formelle » qui par leurs défauts
internes ou l'esprit dans lequel elles sont menées ne permettent pas un
dialogue réellement constructif mais font naître une véritable exaspération
quand ceux qui y participent loyalement constatent qu'en réalité « les
jeux sont faits » et que « la démocratie participative » n'est
qu'un simulacre...
C'est ce qu'ont tenté de montrer
devant la commission spécialisée mise en place après la mort de Rémi Fraisse
sur la ZAD de Sivens le 24 octobre 2014 pour réfléchir à une « rénovation
du débat public », douze mouvements citoyens opposés à des projets
inutiles et imposés dont celui de Notre Dame. Pour cette audition, nous
avons rédigé une plate-forme commune*,
comprenant une analyse précise et étayée par des exemples concrets et
vérifiables et des propositions de modifications réglementaires ou
législatives. Ce n'est pas de gaieté de cœur qu'à Notre Dame des Landes, aux
Chambarans, à Sivens ou ailleurs il a fallu s'opposer au démarrage des travaux
par une occupation du terrain. Ce n'est pas de gaieté de cœur que l'on va
démonter une usine à vaches, que l'on s'enchaîne devant les grilles d'une
préfecture, que l'on monte des barricades. Tous les résistants à ces projets ne
rêvent pas d'anarchie ou de révolution comme certains voudraient le faire
croire. Et beaucoup d'entre eux ont loyalement participé aux nombreuses étapes
de la « démocratie participative ». Pour comprendre à la fin la
boutade du regretté Coluche : la dictature, c'est « ferme ta
gueule », la démocratie, c'est « cause toujours » !
Une
analyse comparative des dossiers conflictuels montre clairement que l'on
retrouve les mêmes ingrédients et les mêmes défauts. Les voici, résumés
abruptement :
- une confiscation de la définition même de l'intérêt général,
- l'absence d'étude correcte des alternatives,
- un « saucissonnage » des dossiers,
- le peu de valeur donné à la destruction environnementale,
- la non-indépendance des études environnementales,
- le fait que les recours juridiques ne soient pas suspensifs et ne puissent donc empêcher le démarrage des travaux quand bien même le dossier serait au bout du compte retoqué par la justice.
Quand viennent s'ajouter à ces défauts des
manquements à l'éthique : conflits d'intérêts, manipulations, mensonges,
rétention d'informations ou une forme de paresse et d'irresponsabilité qui
amène des élus à voter sans connaître le dossier au fond ni en mesurer toutes
les conséquences, comment la démocratie pourrait-elle correctement
fonctionner ? A moins que ne soit vrai le très joli aphorisme qui circule dans le monde de
l'aménagement français : « une enquête publique qui dysfonctionne, c'est quand les
habitants participent ». Et pourrait-on ajouter quand ils cherchent à
comprendre.
Expliquons
pour ceux qui ne se sont jamais plongés dans les délices des
« procédures ». Et passons sur le fait qu'y participer
ressemble à un véritable parcours du combattant pour qui tente d'assimiler des
dossiers de centaines ou de milliers de pages. Si vous voulez avoir votre mot à
dire, eh bien au travail ! Et si vous
ne vous contentez pas des présentations faites par le maître d'ouvrage,
il faut une farouche détermination pour ne pas tout avaler benoîtement…
Passons
aussi sur les dates souvent judicieusement choisies pour les enquêtes, sur les
arguments d'autorité employés ou sur des arguments si techniques qu'ils
laissent cois. Et pas seulement les citoyens d'ailleurs.
Le
premier défaut est
fondamental : la définition de l'utilité
publique est en effet le cœur du problème. C'est l'utilité publique décidée par
le Préfet ou le Ministre après enquête qui donne au porteur du projet le droit
capital d'expropriation puis justifie les transformations du site retenu
(destruction de zones humides, d'espèces protégées ou non, modification des
écoulements, perte de terres agricoles, artificialisation, etc.) au nom de
« l'intérêt général ».
Tout le monde peut s'accorder assez facilement
sur l'intérêt général que représente la construction d'un nouveau collège ou
d'une nouvelle école : le besoin se prouve par le nombre d'enfants à scolariser
et l'état des lieux de l'existant ; seule la localisation du nouvel équipement
voire sa taille peuvent prêter à discussion.
En
revanche, pour beaucoup de projets, ceux dont se saisit la Commission Nationale
du Débat Public compte tenu de leur coût (ligne grande vitesse, aéroport, parc
de loisirs, barrage, voie routière, stockage de déchets etc.) ou d'autres plus
petits dont elle ne se saisit pas, il est beaucoup plus compliqué d'établir ce
qu'est l'intérêt général. En fait, la plupart du temps, l'essentiel de la
concertation porte sur les modalités de réalisation du projet et non sur
l'utilité sociale du projet. Comme si le fait que ce projet soit désiré par des
élus, par l’État ou par une entreprise privée soutenue par des élus suffisait à
le justifier.
En
théorie pourtant, le débat public qui est mené en amont d'un projet ou
l'enquête publique qui doit valider ou non son utilité publique permettent de
discuter de l'opportunité du dit projet et pas seulement des modalités de sa
réalisation. Ce premier moment de débat devrait donc en bonne logique permettre
à la population concernée de discuter du projet au fond : cette ligne
Grande Vitesse est-elle utile ? A qui ? Quel est le besoin ?
Comment a-t-il été détecté et mesuré ? Vaut-il mieux une LGV ou une
amélioration des trains du quotidien ? Quel serait le coût pour l'usager,
pour le contribuable de tel ou tel choix ? (cf. site de la Commission
Nationale du Débat Public). Sur le papier du journal officiel, tout semble
presque pour le mieux dans le meilleur des mondes :
De
la circulaire Bianco du 15 décembre 1992 ? (JORF n°48 du 26 février 1993
page 3039) à l'instruction-cadre De Robien en 2004 et 2005, en passant par la
loi Barnier de 1995 et la loi Vaillant de 2002, les textes se suivent et se
ressemblent sur la nécessaire transparence et la place à donner au public dans
les projets d'infrastructures :
« Les grands projets nationaux d’infrastructures sont
nécessaires au développement économique et social de notre pays. Ils
constituent des éléments essentiels d’une politique d’aménagement du
territoire.
Dans une démocratie moderne, ils ne peuvent être réalisés qu’après
un large débat auquel doivent participer tous les partenaires concernés.
La pratique actuelle est orientée principalement vers la recherche du meilleur tracé dans le cadre de la procédure d’utilité publique.
La pratique actuelle est orientée principalement vers la recherche du meilleur tracé dans le cadre de la procédure d’utilité publique.
Ces insuffisances conduisent souvent à la mise en cause de la légitimité des projets et de toute décision de réalisation quelle qu’elle soit.
C’est pourquoi j’ai décidé de préciser les conditions d’un débat transparent et démocratique pour la conception et la réalisation des grandes infrastructures décidées par l’Etat. » circulaire signée Jean-Louis Bianco.
L'instruction-cadre
De Robien du 25 mars 2004 mise à jour le 27 mai 2005 reprend les mêmes
idées :
« Il n’est
plus de projet qui ne provoque des débats, voire des controverses, souvent
longs, auxquels participent les élus, les associations et les citoyens. Ils ont
parfois tendance à occulter le travail d’évaluation, au point de donner
l’impression que celui-ci n’est qu’un exercice de style interne à
l’administration, alors que la décision se fait ailleurs.
La loi a cherché
à canaliser, mais a aussi consacré cette réalité en commençant dès 1995 à
codifier le débat public en amont des grands projets. La loi du 27 février 2002
relative à la démocratie de proximité en a renforcé l’exercice en le
rendant obligatoire pour tous les projets d’importance et en plaçant sa
réalisation sous la garantie de la commission nationale du débat public
constituée en autorité administrative indépendante.
(...)
Sur la communication : L’application des principes suivants
devrait être généralisée :
(...)
•apporter des réponses motivées, explicatives et didactiques
aux questions que tout citoyen ou groupe représentatif est en droit de poser
notamment sur la portée des quantifications ;
(...)
• assurer la transparence de bout en bout, en donnant à tout moment
accès aux documents techniques et aux calculs à tous ceux qui le souhaitent, et
se prêter aux contre-expertises »
Opportunité,
transparence et contre-expertise, trois jolis mots à retenir. Qui devraient
permettre éventuellement qu'un mauvais projet soit abandonné. Ce qui n'arrive
jamais pour les projets d’État, nous le verrons.
Un des opposants français au
Lyon-Turin, Daniel Ibanez, dont le livre « Trafics en tous genres »
démonte les manipulations de ce projet mégalomaniaque, utilise souvent l'image
très concrète et parlante du lave-linge et de la blanchisserie. La première
question qui devrait être posée aux citoyens est celle du besoin réel. A-t-on
besoin d'un lave-linge, et si oui de quelle capacité, ou d'une
blanchisserie ? Mais le plus souvent, le débat public passe en réalité
assez vite sur la question du besoin, parce que la blanchisserie a déjà été
choisie, et se concentre donc longuement sur sa localisation, voire la couleur
de sa devanture.
« C'était hier !
Aujourd'hui, ce n'est plus vrai, la parole citoyenne est vraiment
reconnue ! » diront ceux qui voudraient nous faire prendre des
vessies pour des lanternes et nous faire croire que la démocratie n'est pas
sous contrôle.
Un
des tout derniers exemples de débat public prouve pourtant le contraire.
De
septembre 2014 à janvier 2015, s'est tenu, sous la houlette de la Commission
Nationale du Débat Public (CNDP), un débat sur les Liaisons ferroviaires Nouvelles pour
l'Ouest de la Bretagne et les Pays de Loire (LNOBPL pour les amateurs de
sigles). Le bilan quantitatif est impressionnant : 16 réunions publiques
et un atelier, 22 000 participants, 7 rencontres avec le public, 43 cahiers
d'acteurs, 30 contributions, 155 questions, 101 avis, 16 114 visiteurs sur le
site internet, 954 abonnés Facebook, 272 sur Twitter, 2000 exemplaires du
dossier diffusés, 3400 exemplaires de sa synthèse ! Seul le coût du débat
n'est pas sur le site de la Commission Nationale du Débat Public.
« Vous
voyez bien que vous avez eu la parole ! » Certes. Mais derrière ces
chiffres impressionnants, derrière le compte rendu fidèle des discussions dans
le rapport de la Commission qui reconnaît que les citoyens ont vivement
contesté le fond du dossier, il y a la dure réalité : même si les débats
montrent le doute des participants sur la nécessité d' une blanchisserie (en
l'occurrence ici, une liaison ferroviaire mettant Brest à 3 heures de Paris et
une ligne Nantes-Rennes passant par l'aéroport de Notre Dame des Landes), même
s'ils ont demandé qu'on regarde plutôt si deux ou trois lave-linge ne feraient
pas l'affaire, par exemple plus de lignes intérieures à la Bretagne, cadencées
et d'usage quotidien ou bien une optimisation de lignes existantes, une grande
partie du Débat a été consacré à l'examen des scénarios possibles pour la
construction... de la blanchisserie ! Et au bout du compte, en juin 2015,
sans surprise Réseau Ferré de France a
annoncé poursuivre les études du projet (journal officiel du 6 juin 2015).
Braves gens, vous avez participé et nous vous avons écoutés mais nous
continuons « notre » projet.
Il
suffit de reprendre les propos tenus lors des réunions publiques, notamment par
le maître d'ouvrage Réseau Ferré de
France et les porteurs politiques présents pour comprendre la supercherie. En
fait le projet a préalablement à sa mise en débat été longuement discuté,
négocié (?) en interne entre Réseau Ferré de France, l’État et les
collectivités locales. Réseau Ferré de France théoriquement porteur n'est pas
indépendant de ce que veulent les « partenaires » qui contribueront
financièrement ; quant aux élus qui ont suivi le dossier, une toute petite
minorité, ils ne peuvent même pas imaginer qu'on remette en cause leur beau
projet. Il est illusoire de penser que le débat public pourrait aboutir à une remise
à plat, c'est trop tard. Le cri du cœur de Gilles Bontemps, vice président
communiste du Conseil régional des Pays de Loire, et de son collègue de la
Région Bretagne Gérard Lahellec, communiste également, un peu énervés par la
tournure d'une des réunions publiques en témoigne : « Enfin, on a
travaillé des mois, des années, on a fait plein de réunions, on ne va pas
maintenant mettre tout au panier ! ». La blanchisserie, c'est ce
qu'il faut pour votre bien, l'avenir de vos enfants, les emplois de demain…
Mais on peut discuter de la couleur de la devanture. Vous avez le choix
théorique entre une bleue, une mauve ou une verte. Choix théorique car on vous
le dit gentiment, le mauve et le vert sont certes possibles mais pas très
seyants, comte tenu de l'environnement local : en fait le bleu c'est
vraiment ce qui ira le mieux dans le quartier, on vous l'assure. D'ailleurs,
avant même que vous ayez été entendus, vous citoyens qui croyez à la démocratie
participative, tout le monde a donné son avis : le monde patronal, les
conseils généraux, les conseils départementaux, les métropoles, c'est à dire
vos élus, ceux qui vous représentent et qui savent déjà ce qui est bon pour
vous. Le petit monde politique, toujours d'accord pour les Grands Travaux. Et
figurez-vous, comme c'est curieux, comme c'est étrange, ils préfèrent tous la
devanture bleue ! D’ailleurs si vous avez bien lu le document de
présentation de Réseau Ferré de France, vous aussi vous choisirez le scénario
bleu, car les autres sont vraiment beaucoup moins intéressants...
La vérité, c'est qu'il n'est pas
possible d'arrêter un projet de ce type- là. La vérité, c'est que l'étape du
« débat démocratique » est un passage obligé, une sorte de concession
politiquement correcte. La vérité c'est qu'il n'y a pas d'alternatives réelles
pour le porteur du projet. Celles qui sont présentées le sont pour la forme,
pour faire croire au choix possible. Tout le monde le sait bien, qui a un jour
été dans un endroit de décision où l'on présente trois scénarios. Trois pour
amuser la galerie, le bon scénario a déjà été choisi mais évidemment si le
groupe le choisit de son plein gré, c'est encore mieux ! Menée avec talent, la
consultation du public aboutira non pas à modifier substantiellement un projet
ou à l'abandonner mais à le rendre plus acceptable car doté d'un vernis
démocratique. Au mieux à l'amender à la marge.
En tranches, ça passe mieux
En France, on aime le saucisson,
c'est un fait. Mais pas qu'à table. Dans les procédures aussi. Découpé en
rondelles, un gros dossier devient sans doute plus digeste. En tout cas plus
facile à faire avaler...
Bien qu'en infraction avec la
directive européenne dite « plan/ programmes 2001/42» qui exige que
l'impact global d'un projet soit estimé dès le début du processus, la France
continue à faire le contraire : on s'occupe d'abord de la plate-forme
aéroportuaire et de sa route. Plus tard, après le démarrage de ce premier
morceau, on regardera l'impact de l'éventuelle ligne ferroviaire qui desservira
l'équipement. L'intérêt est évident : une fois la première pièce du puzzle
posée, on continue quoi qu'il arrive, et l'on a de bonnes chances de minimiser
l'impact global. Pour comprendre ce processus pervers, on peut dans un autre
domaine regarder par exemple l'application de la loi littoral.
En théorie,
cette loi empêche une urbanisation massive dans des zones particulièrement
fragiles. Mais le gel n'est pas total. Et pour qui a siégé en Commission des
Sites*, chargée de donner un feu vert aux projets publics ou privés concernés
par la loi, le constat est frappant : de petits lotissements en petits
lotissements, acceptés du fait de leur taille modeste, de la pression des élus
et/ou des promoteurs, on finit tout de même par beaucoup artificialiser pour ne
pas dire trop. Ce qui n'empêchera pas de s'étonner et de crier à la catastrophe
lorsque la nature reprendra ses droits…
Saucissonnage du dossier en
tranches, saucissonnage dans le temps, un bon moyen d'arriver au but, l'air de
rien.
« L'environnement ça commence à bien faire ! »
Nicolas Sarkozy
Drôle
de phrase, quand on y réfléchit car
l'environnement n'a jamais rien pesé fondamentalement. La question de la
destruction environnementale n'entre même pas en effet dans le fameux calcul de
rentabilité d'un équipement, calcul obligatoire pour justifier la poursuite
d'un projet. Ni au moment du débat public, ni au moment de l'enquête publique.
On remet à plus tard, après la Déclaration d'Utilité Publique, l'étude complète
environnementale, au moment des arrêtés au titre de la loi sur l'eau et
éventuellement au titre des espèces protégées dont on va autoriser la
destruction. Le coût des terres agricoles disparues, la perte de la
biodiversité, les impacts possibles sur l'eau tout cela ne sera pas monétisé et
mis dans la balance. Même entre deux scénarios présentés en débat public. Dans
ces conditions, ce n'est pas la découverte tardive de la grande qualité d'un
site déjà choisi qui va empêcher quoi que ce soit. La loi sur l'eau dit
pourtant : Éviter, Réduire, Compenser. On peut déjà oublier son premier
terme. Pour les autres, nous en reparlerons.
Au
fait, qui est en charge de cette fameuse étude d'incidence
environnementale ? Le porteur de projet. S'il est normal qu'il la paye,
est-il normal qu'il soit le donneur d'ordre direct du bureau d'études qu'il
choisit ? Le lien de dépendance financière ne fait pas bon ménage avec
l'indépendance de pensée et l'objectivité…
Exemple
caricatural mais réel : pour la désormais célèbre ferme des mille vaches,
le bureau d'études environnemental s'appelle Ramery Environnement, le maître
d'ouvrage étant Ramery BTP. M. Ramery, le fermier
tendance industriel de ce début de 21ème siècle l'a bien compris, on
n'est jamais mieux servi que par soi-même ! Il n'est donc pas très
étonnant que l'état des lieux initial sur l'environnement et les espèces
protégées soit incomplet, dans la Somme pour la Ferme, en Loire-Atlantique pour
l'aéroport de Notre Dame des Landes ou en Isère pour le Center Parc de
Roybon.
Des avis qui gênent ?
On
consulte beaucoup pour respecter les procédures. Trop, disent beaucoup de
porteurs de projet. Ils ont raison sur la durée du processus et les délais qui
en découlent. Mais à quoi servent au fond ces avis éclairés ? L'avis des
commissions d'enquête, lieu par excellence de la « démocratie participative »
d'après ses thuriféraires est en réalité seulement consultatif. Autrement dit,
même si une commission donne un avis négatif (ce qui est encore exceptionnel,
compte tenu de la culture professionnelle des commissaires enquêteurs, souvent
anciens ingénieurs, techniciens, bref de culture bâtisseuse), cela n'empêche
rien. Le Préfet, ou le Ministre, peut tout à fait passer outre un avis
défavorable. Il lui suffira de dire qu'il prend sa décision « au regard de
tous les enjeux ». Le pouvoir reste donc bien là où il est depuis
toujours.
Deux exemples récents aussi scandaleux l'un que l'autre : les
lignes LGV Limoges-Poitiers et Bordeaux-Toulouse viennent d'être déclarées
d'Utilité Publique malgré les avis négatifs des commissions d'enquête. Et ne parlons
même pas d'autres instances consultées, comme le Conseil National de Protection
de la Nature, composé de scientifiques par exemple ou l'ONEMA, organisme d’État
chargé de la protection de la qualité de l'eau. On comprend bien qu'il ne
puisse y avoir obligation de conformité de tous les avis mais tout de même...
Parfois, quand une commission s'est montrée particulièrement rétive, c'est à
dire quand elle a bien fait son travail (étudier le dossier impartialement,
écouter les opposants, s'apercevoir qu'ils ont raison) et donné un avis
défavorable ou assorti de si fortes réserves que cela rendrait caduc le beau
projet, on recommence jusqu'à ce qu'une nouvelle commission, plus
compréhensive, donne un avis favorable. C'est ainsi que pour le Grand Stade de
Lyon, il aura fallu s'y reprendre à trois fois avant d'obtenir un bel avis
favorable. Refaire voter quand le vote ne correspond pas à ce que l'on attend
est aussi une bonne technique. Il faut bien donner l'impression que tout le
monde est d'accord n'est-ce pas ? …
La justice inutile
Pour
le citoyen de base, le fonctionnement de la justice administrative reste un
grand mystère. Possibilités de recours, nature de la juridiction, intérêt à
agir, délais d'instruction, tout est opaque pour le citoyen qui ne s'est jamais
frotté au droit. Mais une chose est claire sur les sujets qui nous occupent.
Aussi surprenant que cela paraisse en effet à un esprit de bon sens, les
recours ne sont pas suspensifs. Les bulldozers allant plus vite que les
procédures contentieuses, des projets ont ainsi été annulés par la justice
après leur inauguration… L'exemple de l'Université Paris-Diderot en est un des exemples les plus récents, avec
l'annulation en première instance et en appel du permis de construire de deux
de ses bâtiments construits en Partenariat Public Privé avec ...Vinci.
Évidemment,
il existe des procédures d'urgence, en référé. Mais l'urgence est apparemment
une notion variable. Quant il s'agit de déboiser, de remblayer, peut-on
attendre une semaine, ou plus ? Le bon sens voudrait que les recours
soient suspensifs lorsqu'il s'agit de transformer un site de manière
irréversible, mais le bon sens n'est pas aux manettes. Comment s'étonner qu'il
faille dès lors s'opposer physiquement au démarrage des travaux ? On
reconnaîtra qu'il y a là une vraie question, quand il s'agit de destruction
irréversible ! Ce « dysfonctionnement » fait de la justice un
acteur impuissant dans les faits et mine la confiance des citoyens dans un
véritable État de droit.
A Notre Dame des Landes, s'il n'y avait pas eu
occupation du terrain, résistance farouche lors de l’automne 2012, et accord
politique obtenu par une grève de la faim de 28 jours, la zone aurait déjà été
vidée de tous ses habitants, humains ou tritons, et l'aéroport serait déjà en
construction.
Contre-expertise : attention danger !
Les textes officiels la prévoient
si nécessaire. Et l'encadrent par sûreté ! C'est ainsi que dans le débat
LNOBPL, plusieurs associations ont demandé à la Commission Particulière du
Débat Public une contre-expertise indépendante. Un des cinq objectifs de ces
nouvelles liaisons ferroviaires est en effet la réalisation d'une voie rapide
Nantes-Rennes passant par... Notre Dame des Landes. Or il existe une voie
existante reliant Nantes à Rennes par Châteaubriant. La Région des Pays de la
Loire a choisi de la réutiliser pour faire circuler un tram-train qui relie
Nantes à Châteaubriant. Là, il faut descendre, faire quelques mètres à pied et
prendre un TER pour terminer le trajet. L'association nantaise Nexus qui
s'intéresse à l'optimisation de l'étoile
ferroviaire existante a montré comment ce choix curieux obérait des
possibilités plus intéressantes pour la population. Choix curieux et doublé de
pratiques très limites par rapport à la légalité puisque le marché de
construction des tram-trains a été attribué par la Région à Alsthom dix-huit
mois avant le résultat de l'enquête publique sur l'utilité du dit tram-train…
Demande
est faite à la Commission Particulière du Débat Public de faire expertiser la
possibilité de reprendre cette ligne pour relier Nantes à Rennes de manière
performante. Accord de la Commission Nationale. Quatre experts sont nommés qui
affirment lors de la réunion de restitution leur totale et parfaite
indépendance. Or parmi ces quatre personnes, l'un a été Directeur de à
l'Aviation Civile de 73 à 84, et a donc eu à connaître le projet de Notre Dame
des Landes...l'autre est prestataire de services régulier pour Réseau Ferré de
France. Où est l'indépendance annoncée ? Faut-il préciser que la contre-expertise
conclut que certes on pourrait passer par Châteaubriant, mais au prix de très,
très gros problèmes environnementaux ? Curieusement cette fois
l'environnement compte! Mais surtout, apprend-on des experts, ne pas faire le
tronçon Nantes-Rennes en passant par cet aéroport encore inexistant mettrait en
péril l'équilibre économique du reste des projets ferroviaires de l'Ouest et de
la Bretagne.
Autrement dit, si l'on ne fait pas la ligne rapide passant par
Notre Dame des Landes, on ne pourra pas justifier le Paris-Brest en 3
heures ! Et voilà comment en 2014 apparaît un nouvel argument pour Notre
Dame des Landes...
Pendant le débat public, nous
évoquons publiquement, bien que fort poliment, la question du conflit
d'intérêts de ces deux « experts », nous l'écrivons au Président de
la Commission Nationale du Débat Public qui répond uniquement sur les
compétences et pas sur le fond. Nouveau courrier pour expliquer la différence
entre « conflit d'intérêts » et « prise illégale d'intérêts ».
Nous ne mettons pas en doute les compétences techniques des deux personnes en
question, nous ne disons pas qu'ils ont tiré un profit personnel de cette
affaire mais nous disons que leurs fonctions passées ou plus récentes jettent
un doute légitime sur leur objectivité. Pas de réponse. Le projet restera bien
sur ses rails, et ses défenseurs pourront même dire que nous avons eu notre
contre-expertise !
Ce
que nous venons de balayer rapidement ne sont pas des détails, mais bien des
règles du jeu incompatibles avec la loyauté de la prétendue « démocratie
participative ». Cumulés, tous ces « défauts » assurent à l’État
porteur de projet qu'aucun grain de sable ne viendra enrayer la machine.
En
réalité le pouvoir ne se partage pas. Et
les décideurs n'ont pas la moindre envie d'y renoncer. Il faut donc à la
fois donner des gages démocratiques mais s'assurer que rien ne viendra empêcher
au bout du compte ce qui a déjà été décidé.
Finalement,
les procédures sont peut-être bien faites, contrairement à ce que l'on vient de
montrer, en tout cas pour ceux qui décident. Leurs défauts servent le pouvoir, ce qui expliquerait que rien ne
change et que rien ne changera vraisemblablement.
La
plate-forme commune présentée à la commission spécialisée formulait vingt propositions précises pour
restaurer une confiance minimale entre
citoyens et décideurs. Le rapport d'Alain Richard semble ne pas en avoir retenu
grand-chose si ce n'est l'idée d'un débat très en amont et peut-être d'un « garant ».
Le problème n'est pourtant pas de rajouter une étape ou une personne au débat
mais de le pratiquer de manière honnête et en acceptant que l'issue ne soit pas
forcément préécrite ! Quant au gouvernement, il a prévu de légiférer par
ordonnance ce qui augure évidemment bien de sa conception de la démocratie. Si
même les députés et sénateurs sont tenus à l'écart de cette réforme, on voit
mal comment les simples citoyens seraient mieux traités... Mais une fois de
plus, le pouvoir dira sans doute avoir « écouté et réformé ».
Chapitre deux : La preuve par Notre Dame des Landes
Lorsqu'en 2000, le ministre
communiste de l’Équipement, des Transports et du Logement Jean-Claude Gayssot,
dont un des chargés de mission s'appelle M. Notebaert, promis à un bel avenir
chez Vinci où il deviendra directeur, exhume le projet de Notre Dame des
Landes, on est encore dans une phase de construction de la démocratie canada
dry. Après une période de flottement, et à la demande expresse portée par
l'UFCNA, l'Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs, l’État accepte un
« débat public » en bonne et due forme, sous l'autorité de la
Commission Nationale du Débat Public. Débat qui sera donc mené de décembre 2002
à mai 2003.
La relecture, treize ans plus tard, des
documents du débat public n'est pas inutile. Le dossier du maître d'ouvrage
énonce les quatre grands objectifs du projet. Un seul relève en réalité du
constat des insuffisances de l'aéroport existant :
- répondre à la saturation de l’aéroport Nantes-Atlantique en déployant une infrastructure en capacité d’accueillir sur le long terme un trafic en plein essor.
Les trois autres objectifs relèvent de la croyance, croyance que l'organe peut
créer la fonction et de l'hypothèse non prouvée qu'un nouvel équipement
améliorerait l'offre de liaisons aériennes, sans passer par Paris :
- améliorer l’offre de mobilité au départ du Grand Ouest vers les principales villes en France, en Europe et à l’international
·
réduire la
dépendance du territoire aux infrastructures parisiennes
·
contribuer
au développement économique du territoire et à l’amélioration de la mobilité de
ses habitants.
Sur
le constat des insuffisances de l'aéroport existant, le porteur de projet,
c'est à dire l’État, par la voix de la Direction Générale de l'Aviation Civile,
affirme (page 17 du document):
.
que la piste unique de Nantes-Atlantique sera saturée à 75 000 – 80 000
mouvements commerciaux « selon les calculs en vigueur » (sic).
.
que l'extension maximale de l'aérogare ne permettrait d'accueillir que 4
Millions de voyageurs et que l'on a
renoncé à cette extension à cause de son coût ( 400MF, soit 60M€).
.
que le Plan d'Exposition au Bruit (P.E.B) gèlera trop de surfaces pour
permettre le développement de l'agglomération. (3000 ha sur 10 000 ha des
communes concernées par le PEB)
Voilà
donc le transfert justifié :
« La
saturation technique de l’aéroport de Nantes-Atlantique , fondée sur la
capacité de l’aérogare à 3 millions de passagers, est envisagée à l’horizon
2010. Pour autant, elle est loin d’être la seule justification du transfert
rapide des activités commerciales de la plate-forme : les survols de
l’agglomération nantaise devenant plus fréquents, les contraintes liées à
l’urbanisation et aux nuisances sonores – dans la perspective d’un PEB révisé –
confortent cette perspective.
En l’absence de solution alternative, le transfert de l’aéroport
de Nantes-Atlantique est nécessaire. »
Sa
localisation aussi : ce sera Notre Dame des Landes bien sûr, car
« l'environnement naturel est peu contraignant » et « les enjeux
écologiques et paysagers limités » (sic page 40). La Direction Générale de
l'Aviation Civile ne s'étend d'ailleurs pas sur les autres sites dans son
dossier et pour cause. Notre Dame des Landes a été choisi en 71 et le
Département de Loire-Atlantique y est désormais propriétaire de centaines
d'hectares. On ne va tout de même pas changer de site d'implantation
maintenant ! D'ailleurs pour conforter encore, si besoin était, ce choix
judicieux, Le Conseil Général verse au débat une étude complémentaire qu'il a
fait réaliser juste avant le débat public en 2002 : évidemment et sans
surprise, Notre Dame des Landes arrive en tête. (étude Setec février et
novembre 2002).
Page
38 :« Différentes réflexions ont été conduites depuis une vingtaine
d’années
afin de permettre le choix d’un site pour le nouvel aéroport du Grand Ouest. Il
en ressort que le site de Notre-Dame-des-Landes, dont l’urbanisation a été
limitée par la création d’une Zone d’Aménagement Différée (ZAD) en 1974, est
bien adapté.
Une
étude multicritères menée par l’association interconsulaire de la
Loire-Atlantique et actualisée en 2002 par le Conseil Général compare sept
sites répartis sur l’interrégion, en sus des deux précédemment cités [ Notre
Dame des Landes et Guéméné-Penfao tous deux en 44] (...) Il en ressort que le
site de Notre-Dame-des-Landes reste le plus pertinent. »
Devant
la forte mobilisation des opposants, et un dossier qui paraît bouclé à
l'avance, la Commission Particulière du Débat Public finit par faire droit à ce
qui apparaît comme le minimum démocratique : une expertise complémentaire qui
devra porter sur la saturation ou non de l'aéroport de Nantes-Atlantique, sur
les autres sites écartés par le maître d'ouvrage au profit de Notre Dame des
Landes et sur les solutions alternatives proposées par certains opposants.
Vaste champ d'investigation dans un délai forcément très court. Reconnaissons à
la CPDP son ouverture d'esprit puisque les opposants sont associés au choix du
bureau d'étude, Cosynergie.
On
va donc débattre « saturation » et délai de saturation. Saturation
reste le mot qui vient spontanément à l'esprit dès qu'on parle du sujet du
transfert de l'aéroport . Même ceux qui ne sont jamais venus à Bouguenais voir
le site actuel évoquent la « saturation » de l'aéroport de Nantes-Atlantique.
Le débat est loin d'être simple. Parle-t-on de la saturation technique de la
piste unique ? De la saturation de l'aérogare ? Ou encore de la
saturation « psychologique » liée au bruit pour les riverains ?
En fait, une grande partie de la manipulation des chiffres et de la réalité
vient de cette confusion subtilement entretenue. Nous y reviendrons. Essayons
d'abord de clarifier la notion.
La
saturation de la piste : une piste unique est certes moins pratique que
deux pistes mais peut accueillir, avant d'être saturée, des centaines de
milliers de mouvements. Plus de 160 000
par exemple à Genève en 2014.
La
Direction Générale de l'Aviation Civile avance une saturation à 75 000
mouvements, l'étude Cosynergie va jusqu'à 100 000 en préconisant des aménagements mineurs. Les
deux annoncent une saturation qui devrait déjà être atteinte, aux alentours de
2015 pour la Direction Générale de l'Aviation Civile et de 2020 pour
Cosynergie. Disons tout de suite que la réalité dément les deux
hypothèses : en 2014 le nombre de mouvements commerciaux a été de
51 000 …Par ailleurs dans tous les aéroports, au fur et à mesure que le
trafic commercial progresse, la part de l'aviation légère et privée régresse. A
Nantes-Atlantique, l'accueil des avions de tourisme et d'affaires tourne
toujours à plus de 20 000 mouvements,
c'est dire la marge qui existe encore !
La
saturation physique de l'aérogare aurait dû être un non sujet dès 2003. Il
suffit de regarder une photo aérienne. Agrandissement, rénovation, tout est
possible sur place, l'espace ne manque pas. Et pourtant le porteur du projet
prend prétexte de contraintes supposées (la présence notamment d'un parking
dans la continuité de l'aérogare) et du coût pour balayer l'idée d'un
aménagement possible.
Enfin,
la « saturation psychologique » concerne le bruit et son corollaire,
c'est à dire les restrictions à l'urbanisation . Or le bruit est lié au nombre
de mouvements d'avions et pas au nombre de voyageurs accueillis. Cela paraît
une évidence et pourtant...On parlera le plus souvent de l'augmentation du
nombre de passagers accueillis et pas des mouvements d'avions pour prouver
« la saturation » générale de Nantes-Atlantique.
Le Plan d'Exposition
au Bruit présenté lors du débat public et valable jusqu'à l'horizon 2010, est
fondé sur le nombre très supérieur à la vraisemblance de
110 000 mouvements ; effectivement effrayant, il a de quoi empêcher
de dormir les élus qui ont l'obsession de voir grandir leur commune. Au point
que pour définir la zone C, où les contraintes empêcheraient la réalisation de
logements collectifs, l’État admettra par dérogation un indice sonore moins
pénalisant, donc moins protecteur.
En
réalité, pour débattre du maintien sur le site ou du transfert il aurait fallu
ne parler que mouvements d'avion et bruit mais le mot saturation est
bien commode pour les tenants de Notre Dame des Landes, car il permettra toutes
les approximations et les mensonges.
Quant
à la localisation du projet, le cabinet Cosynergie conclut ainsi :
« L'écart
entre les deux sites de Notre Dame des Landes et de Guéméné-Penfao n'est pas
significatif ; il serait souhaitable pour départager les 2 sites arrivés
en tête et, aussi, pour fiabiliser et crédibiliser l'ensemble de l'analyse, en
confortant la décision finale de localisation, d'effectuer des études
complémentaires :
•
Études de marché (voyageurs, résidents, compagnies) et modèles d'évaluations
des marchés.
•
Analyse technique plus approfondie des sites (caractéristiques des
terrains...).
•
PEB et nuisances à évaluer pour chaque site.
•Nouveaux
sites éventuels à détecter (de manière opportune ou systématique ) et à
évaluer.
•
Études environnementales plus poussées sur les sites sélectionnés.
Au
bout du compte, les conclusions du cabinet Cosynergie, chargé de l'expertise
complémentaire, soulèvent de nombreuses questions et demandent un
approfondissement …
Hélas,
d'études complémentaires il ne sera plus question. Exit toute autre
localisation et notamment le site de Guéméné-Penfao dont le maire, à ce
moment-là vice président du Conseil Général ne voulait pas, ce qui pourrait
expliquer l'étude complémentaire du Conseil Général vantant les mérites du site
de Notre Dame des Landes (cf page 54 du compte rendu de la CPDP).
Exit
surtout l'espoir que le débat public aboutisse à autre chose que ce qui a été
décidé déjà…La commission spécialisée a beau présenter quatre options dont les
trois premières ne valident pas le projet présenté, c'est bien évidemment la
quatrième qui a les faveurs des décideurs (les grandes collectivités locales, les
milieux patronaux et l'Acipran, ancêtre de l'association « Des Ailes pour
l'Ouest ») qui plaident pour aller vite. L’État confirme ainsi sans
surprise en octobre 2004 la poursuite des études pour un nouvel aéroport à
Notre Dame des Landes.
Les porteurs
du projet ont déjà pris quelques libertés avec la vérité, sur la saturation de
l'aérogare, sur l'absence d'enjeux environnementaux à Notre Dame des Landes,
ils ont aussi retenu des hypothèses contestables d'augmentation du nombre de
mouvements d'avion. Mais ils pensent que le plus dur est passé et que désormais
le dossier va se poursuivre sans heurts. Personne n'est prêt à renoncer à un
beau projet d'avenir comme celui-là !
Nous voilà donc avec un projet «
pré-validé » par le débat public originel.
Vient en 2006 l'Enquête d'Utilité
Publique sur un dossier approfondi. Approfondi, sauf sur tout ce qui concerne
les questions environnementales, qui seront regardées plus tard, après la
Déclaration d'Utilité Publique. Plus tard, donc trop tard pour choisir par
exemple entre deux sites d'implantation, dont l'un aurait des conséquences plus
graves que l'autre. Notre Dame des Landes est un exemple spectaculaire de ce
saucissonnage dans le temps : naissance du projet en 1970, débat public en
2003, DUP en 2008, enquête au titre de la loi sur l'eau en ...2012 !
Rappelons
que la directive européenne Plans/programme datant
du 27 juin 2001 prévoit une analyse
globale des atteintes à l'environnement mais n'est toujours pas
respectée dans notre pays car le « saucissonnage » a bien des
avantages ! On aurait dû présenter le projet dans sa globalité,
plate-forme et routes, tram-train, et ligne grande vitesse Nantes-Rennes. On
s'en gardera bien. Trop compliqué ? Peut-être mais surtout le saucissonnage
est une arme formidable : en décrétant l’Utilité Publique avant d'avoir
analysé complètement les impacts environnementaux, on se met à l'abri d'un
possible abandon du site et donc d'un retard dans le projet. En découpant un
projet global en tranches, on minimise aussi son impact final. Une fois qu'un
bout du programme est parti, qui pourra l'empêcher d'aller jusqu'au bout ?
Une fois l'aéroport construit, qui pourrait remettre en cause une éventuelle
liaison ferroviaire ? La France est donc en situation contentieuse avec la
commission européenne sur ce point. Et Notre Dame des Landes a été rajouté dans
le dossier, n'en déplaise à tous ceux qui nous donnent des leçons de légalité…
Malheureusement
pour les porteurs du projet, les opposants ne désarment pas mais travaillent,
analysent, comptent au point de relever tant d'incohérences et de failles dans
le beau projet qu'il va falloir mentir à nouveau pour justifier le mensonge
précédent.
Des premiers mensonges au Mensonge d’État
Le
rouleau compresseur des « procédures » poursuit sa route.
Le 13 avril 2007, la commission d'enquête donne un avis favorable dont
les justifications reprennent le discours déjà tenu en 2002.
Le
point extrême de la saturation de Nantes-Atlantique est annoncé pour 2020-2030,
en millions de voyageurs comme d'habitude et pas en mouvements. Les solutions
alternatives dont la Commission Particulière du Débat Public et Cosynergie
disaient pourtant qu'elles devaient être regardées sont balayées par une
formule lapidaire : « Ces différentes options n’apportent pas de
solutions de portée suffisante pour palier (sic) la saturation prévisible de
l’aéroport tant sur le plan technique que sur le plan des nuisances
sonores. »
Quant
au bilan économique et financier, il est vite expédié : « L’intérêt
socio-économique a fait l’objet d’une étude sérieuse et détaillée en pièce F.
Quels que soient les scénarios retenus, les calculs de TRI (le Taux de
Rentabilité Interne qui prouve l'intérêt de l'investissement) donnent des
résultats acceptables à bons. » Sérieuse et détaillée si on ne la regarde
que de loin...Ce que tout le monde fait, commission d'enquête comprise.
Dans
les conclusions de la commission apparaissent aussi deux nouveaux arguments qui
feront les choux gras des pro-Notre Dame des Landes et seront ensuite repris à
l'envi :
« Les solutions alternatives à
Nantes-Atlantique ne permettent pas de régler les principaux inconvénients du
site Nantes-Atlantique (sic) :
· contraintes foncières : 320 ha
disponibles alors qu’un outil adapté à la demande exige probablement un minimum
de 700 ha
· contraintes techniques :
implantation ILS sur piste 21, temps de roulage si les installations actuelles
sont réutilisées…
· contraintes environnementales :
importance des populations touchées par les nuisances sonores, atteinte à
des milieux de haute qualité protégés de façon réglementaire…
·
contraintes liées au survol de zones habitées : risque lié au survol de zone
d’habitat dense…
Voici
que s'invitent au débat (ou à son ersatz) le risque et le lac de Grand-Lieu,
réserve naturelle classée Natura 2000. Deux magnifiques mensonges qui
prospéreront dans les années suivantes et dont nous reparlerons.
L'avis
de la commission est favorable comme il est de coutume dans ce genre de
dossier. Question impertinente à poser à ceux qui prétendent que rien
n'est joué à l'avance : combien de grands projets n'ont pas eu, in fine, d'avis
favorable de la commission d'enquête, au moment de la Déclaration d'Utilité
Publique ? Aucun ou presque. Presque, car tout récemment, comme on l'a
dit, deux commissions d'enquête ont émis un avis défavorable sur les projets de
lignes à Grande Vitesse, Limoges-Poitiers et Bordeaux-Toulouse. Ce qui n'a pas
empêché Alain Vidalies, actuel Ministre des Transports de signer les décrets
d'Utilité Publique*. Autrement dit, dans plus de 90 % des cas, l'avis émis
par la commission d'enquête est favorable donc l'Utilité Publique est décidée
et dans les 10 % restants, elle l'est aussi ! Pas mal ficelée la
démocratie canada dry...
L'Intérêt
Général est donc prononcé sur les bases suivantes : saturation proche de
l'équipement de Nantes-Atlantique, pas d'alternative crédible, étude
socio-économique positive, pas de problème environnemental sur le site retenu
de Notre Dame des Landes. C'est le Préfet Bernard Hagelsteen qui signera la DUP
en 2008. Sa femme siège alors au Conseil d’État, comme présidente de la section
des travaux publics qui a eu à émettre un avis sur le projet. Deux ans plus
tard, retraité de la Haute Fonction Publique, il sera recruté chez Vinci
Autoroutes, parfaitement légalement. « Honni soit qui mal y pense »
évidemment...
Parallèlement, l’État a lancé son
appel d'offres pour la construction et la gestion de ce nouvel aéroport. Un
aéroport probablement classé « secret défense » puisque les documents
principaux, notamment le cahier des charges remis aux trois candidats retenus
ne sera jamais rendu public, détail qui a son importance comme on le verra par
la suite. Les responsables arguent de la nécessaire discrétion pendant la
négociation. Soit. Le premier appel d'offres est un échec, personne ne semble
se bousculer pour proposer ses services. On relance. Cette fois le groupe AGO
constitué par Vinci, la Chambre de commerce de Nantes-Saint-Nazaire, précédent
gestionnaire de l'aéroport et l'entreprise de Travaux Publics ETPO emporte la
Délégation de Service Public. Le Décret est signé le 29 décembre 2010 par
François Fillon, Nathalie Kosciusko-Moriset, Christine Lagarde, François Baroin
et Thierry Mariani. C'est le numéro deux de la Direction Générale de l'Aviation
Civile Paul Schwach qui paraphe la
convention de financement …
Les opposants demandent à voir le
contrat de concession signé. La première réponse de la Préfecture est de nous
inviter à venir à la Direction Départementale de l’Équipement avec papier et
crayon pour le consulter en présence des fonctionnaires. Vous avez dit
transparence ? Finalement nous en aurons une copie numérique :
quelques milliers de pages, 19 annexes. Bon courage au citoyen lambda pour
trouver quelque chose là-dedans. Nous trouverons cependant, mais il faudra du
temps, ce temps que le gouvernement utilisera, lui, pour poursuivre
l'instruction administrative du dossier.
Une bien curieuse étude coûts/bénéfices
La bataille juridique a commencé, à armes
inégales. Les opposants n'ont pas encore compris qu'il ne s'agissait pas d'un
combat d'arguments objectifs. Tous les recours sur le fond du projet seront
perdus. La mécanique est bien huilée : l'inscription du projet dans les
documents planificateurs, Directive Territoriale d'Aménagement, Schéma de
Cohérence Territoriale semble suffire à le justifier
« démocratiquement » et le Débat Public a clos, aux yeux des porteurs
en tout cas, la question de l'opportunité. Circulez, il n'y a plus rien à voir.
Le Conseil d’État qui porte bien son nom, diront les mauvais esprits, rejette
en 2009 la première demande d'annulation de la DUP. Cette même année, les
Élu-e-s qui Doutent de la Pertinence de l'Aéroport se rassemblent dans un
collectif d'abord informel, le CéDpa, qui se transformera en association pour
pouvoir notamment ester en justice. Las de demander une étude économique
indépendante, ils décident de financer une contre expertise de la fameuse étude
coûts/bénéfices qui au moment de la Déclaration d'Utilité Publique en 2007 a
soi-disant prouvé la pertinence économique du projet.
La
Loi d'Orientation sur les Transports Intérieurs de 1982 (LOTI) prévoit en effet
que tout projet important d'infrastructure de transport comporte une analyse
socio-économique. Cette analyse globale coûts/bénéfices doit chiffrer toutes
les conséquences d'un projet, en les monétarisant pour
vérifier qu'il apporte bien une amélioration de la richesse pour la
collectivité dans son ensemble. Elle diffère évidemment du plan d'affaires du
concessionnaire car elle estime l'intérêt public d'ensemble. La Cour des Comptes a rendu public le 23 octobre 2014
un rapport très parlant et très sévère
sur la grande vitesse ferroviaire et alerté sur l'optimisme des prévisions, qui
disons le pudiquement, « orientent » les résultats afin de
démontrer ce que l'on veut démontrer. « Dans le temps de gestation
technique des projets de LGV, tous les efforts tendent vers la justification de
la construction des lignes : compte-rendu incomplet des débats publics ; biais
optimiste des études de trafic en vue d’atteindre un taux de rentabilité
suffisant pour la ligne(sans toujours y parvenir) » peut-on lire notamment
pages 88 à 91 du rapport. Un des paramètres le plus facile à manipuler
est celui du gain de temps, c'est à dire la valorisation financière des gains
de temps pour les utilisateurs d'une
nouvelle infrastructure.
Pour Notre Dame des Landes, l'étude
incluse dans le dossier d'enquête d'utilité publique prévoyait donc sur ce
point précis un gain de 911 M€ ce qui pèse lourd dans le bénéfice final présumé
de 500 à 600 M€. Comment ne pas vouloir un si beau projet pour la
collectivité ?
Oui mais...Le CéDpa demande à un
cabinet hollandais indépendant CE/Delft, spécialisé dans ce genre de travail,
de vérifier l' étude. Son verdict, rendu public à l'automne 2011* est
accablant : non respect des directives nationales (l' instruction cadre de
2005 sur la méthode de calcul par exemple), omission de certains coûts
(notamment celui du tram-train qui doit desservir le nouvel aéroport), ajout à
tort de certains bénéfices et erreurs (?) de calcul, notamment sur la
fameuse valeur du temps économisé. Pour être précis, CE/Delft qui n'a pas
trouvé dans le dossier d'enquête l'étude détaillée sur les gains de temps de
trajet pointe des contradictions et des invraisemblances et rétablit des gains
de temps plus logiques. Avec la correction de ces nombreuses erreurs, et même
avec une incertitude liée à l'impossibilité d'accéder aux chiffres détaillés,
le résultat final est bien différent de ce qui a été présenté lors de
l'enquête. Ce n'est plus un bénéfice mais une perte pour la collectivité qu'il
aurait fallu annoncer. La conclusion de CE/Delft est claire :
« L'optimisation de Nantes-Atlantique apparaît plus génératrice de
richesses pour la France que la construction d'un nouvel aéroport à Notre Dame
des Landes. Nous sommes face à un besoin très sérieux d'analyse complète des
coûts et bénéfices de toutes les options concernant l'amélioration du trafic
aérien pour la région nantaise. »
Les
élus du CéDpa pensent que cette fois l'affaire est entendue, le projet est
ébranlé et pour le moins les autorités vont devoir rouvrir le dossier.
Innocents élus, naïfs opposants... La réponse, si l'on peut parler de réponse
ne tarde pas : elle tient en trois arguments développés non par l’État qui
se tait, mais par les élus locaux pro-aéroport et leur outil, le Syndicat Mixte
Aéroportuaire, arguments dont le lecteur appréciera la pertinence : 1)
cette étude ne vaut rien parce que vous en êtes les commanditaires. 2) vous ne
l'avez pas payée très cher (20 000€, une paille il est vrai au prix des
études dont sont habituellement friands les décideurs) ; pour ce prix-là,
on n'a rien de sérieux. 3) le cabinet CE/Delft se trompe et de manière
grossière sur les gains de temps.
Circulez, il n'y a toujours rien à
voir... Le CéDpa reconnaît volontiers qu'il peut y avoir matière à discussion,
l'étude détaillée et complète du maître d'ouvrage étant inaccessible puisque
sans doute classée « secret défense » comme le cahier des charges de
la concession. Qu'on se mette autour d'une table avec nos experts
respectifs ! Refus par le silence. Silence de la Direction Générale de
l'Aviation Civile, silence de l’État. Un silence qui dure encore.
Résumé des
tentatives du CéDpa, sans réponse: courrier au Premier Ministre François Fillon
en novembre 2011, demande de rencontre avec la Ministre Nathalie Kosciusko-Moriset
pour lui remettre l'étude, recours gracieux auprès du même Premier Ministre
début 2012 pour demander l'abrogation de la DUP de 2008, recours juridique
devant le Conseil d’État, et ...rejet de la requête à l'automne 2012 – avec entre autres motifs : « que
si les requérants soutiennent que les coûts liés à la réalisation d'une ligne
de tram-train entre l'aéroport et Nantes, évalués à 75 M€, n'ont pas été inclus
dans l'appréciation initiale du budget de l'opération, alors que ses effets
positifs avaient pour leur part été pris en compte, que la valeur des économies
en temps de trajet retenue dans l'étude de 2006 était surévaluée, que la
comparaison des coûts et bénéfices entre, d'une part, les améliorations de
l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique et, d'autre part, la construction d'un
nouvel aéroport, était favorable à la première solution, de tels arguments,
qui ne font pas état de changement des circonstances de fait mais seulement de
divergences d'appréciation sur les études réalisées antérieurement au décret
déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet
d'aéroport pour le Grand Ouest - Notre-Dame-des-Landes, sont sans incidence
sur l'appréciation de l'éventuelle perte d'utilité publique du projet. »
Traduisons
pour le profane : nous montrons qu'il y a eu erreur ou pire mensonge sur
les chiffres qui ont permis de déclarer l'utilité publique du projet mais le
conseil d’État considère qu'il ne s'agit là que de « divergences
d'appréciation » et que cela ne remet pas en cause l'utilité
publique ! Imaginez le raisonnement appliqué à une affaire criminelle : pas de réouverture d'un
dossier même si des éléments nouveaux montrent l'erreur judiciaire ?
Début 2013, nous
redemandons l'étude par l'intermédiaire de la Commission du dialogue puis
directement à la DGAC qui aurait semble-t-il fourni une note à la presse
justifiant l'étude coûts/bénéfices. Mai 2013, rencontre avec le Préfet De
Lavernée. Réitération de la demande d'accès à l'étude sur les gains de temps,
refus net du sous-préfet en charge du dossier, Mikaël Doré, à notre grande
surprise et d'ailleurs à la surprise manifeste du Préfet qui confirme pourtant
qu'il faut « réduire toutes les zones d'ombre »… Rencontre avec la
Direction Générale de l'Aviation Civile en juin 2013. Nouvelle demande. Idem lors des rencontres d'octobre
et novembre 2013. En vain. Ah si pourtant, soyons juste : la Direction
Générale de l'Aviation Civile a produit une note technique, le 4 décembre 2012. On peut y lire la
formidable phrase suivante : « Nous avons vérifié les calculs du
bureau chargé de l'étude coûts/bénéfices. Ils sont justes. » Alors
puisqu'il sont justes, pourquoi ne pas les donner ? La Commission d'Accès
aux Documents Administratifs est saisie en mai 2015, sa décision positive arrive
en septembre. Nouvelle lettre à la Ministre de l’Écologie. La réponse cette
fois ne tarde pas, le courrier est transmis ...à la Direction Générale de
l'Aviation Civile ! Qui ne répond ni au téléphone, ni aux courriels. Nous
déposons un recours devant le Tribunal Administratif de Paris. Deux jours
après, arrive un volumineux courrier, contenant...non pas l'étude demandée mais
le dossier préparatoire à l'enquête publique de 2007 portant les sigles
DGAC/Direction Départementale de l’Équipement 44 dans lequel il n'y a toujours
pas les fameux calculs pourtant justes et vérifiés ! Nouveau courrier,
maintien du recours. Aurons-nous cette étude
avant que le nouveau sous-préfet en charge du dossier ne reçoive le feu vert
pour lancer l'évacuation de la ZAD ? Les paris sont ouverts.
De
la coupe aux lèvres, et de la démocratie proclamée aux pratiques réelles il y a
loin décidément . Quelques rappels juste pour rire, jaune :
Circulaire
Bianco 1992 : « C’est pourquoi j’ai décidé de préciser les
conditions d’un débat transparent et démocratique pour la conception et la
réalisation des grandes infrastructures décidées par l’État. »
Instruction-cadre De
Robien ( 2005) : « […] assurer la transparence de bout en bout,
en donnant à tout moment accès aux documents techniques et aux calculs à tous
ceux qui le souhaitent, et se prêter aux contre-expertises »
Discours
de F.Hollande, après la mort de Rémi Fraisse, novembre 2014 : «
[la] transparence est la première condition de la démocratie
participative »
Récapitulons :
nous voici avec une DUP signée en 2008 par un Préfet qui aime le groupe Vinci
au point de le rejoindre après sa retraite, sur la base d'une analyse
coûts/bénéfices pour le moins douteuse. Est-ce tout ? Pas vraiment…
Notre Dame des Landes : tromperie sur la marchandise
Chacun
imagine évidemment que le nouvel équipement réglera tous les défauts de
l'actuel aéroport : deux pistes à la place d'une, assez longues pour
accueillir les très gros porteurs ( B747 ou A 380), une aérogare plus spacieuse
pour les voyageurs, une connexion performante par transports collectifs, le
tout permettant d'accueillir de nouvelles lignes aériennes.
C'est
ainsi en tout cas que le dossier de 2007 présente l'infrastructure à créer. Et
c'est ainsi que le rêvent encore ceux qui n'ont pas vraiment ouvert le contrat
de concession. Il y aura bien deux pistes, oui, mais l'une de 2900m et l'autre
de 2700 (celle de Nantes-Atlantique mesure 2900m). Pas d'Airbus A380 à pleine
charge donc, pas de vol Notre Dame des Landes / Shanghai dont rêve sans doute
Jacques Auxiette, le farouche partisan de Notre Dame des Landes, président de
la Région Pays de Loire jusqu'en 2015 et amoureux de la Chine. Ou plutôt, pour
être parfaitement juste, pas d'Airbus A380 avant 2052… soit à la fin de la concession d' AGO. La piste pourra être
prolongée s'il le faut ; mais en réalité AGO le concessionnaire, qui a au
moins le sens des affaires, sait très bien qu'il n'y aura pas de marché pour
les gros porteurs à Notre Dame des Landes. Et qu'il est donc inutile de
construire des pistes de 3600m comme le présentait le dossier de DUP. Pauvres
élus locaux qui rêvent de s'affranchir de la situation géographique de Nantes,
toute proche de l'Atlantique, qu'ils vivent comme une contrainte et traduisent
parfois par cette phrase incroyable : « on ne peut pas rester comme
ça, dos à la mer ! », comme le condamné dos au mur. De fait nous ne
sommes pas au cœur de l'Europe et encore moins au cœur du monde. Est-ce
vraiment un drame ?
Les
pistes seront donc plus courtes que rêvées. Seront-elles performantes ? A voir… leur largeur,
45m, est identique à celle de
Nantes-Atlantique ; si l'on veut 60m, il faudra « lever l'option »,
comme le précise le contrat de concession, c'est à dire que celui qui veut 60m
paiera ! Apparemment AGO attend que quelqu'un le veuille. Plus de taxiway,
un local pompiers plus loin des lieux possibles d'intervention. Moins de places
de parking pour les avions aussi.
Une
aérogare plus spacieuse alors? Encore perdu. Comme un article du Canard
enchaîné l'a révélé le 8 octobre 2014, après avoir pris connaissance du permis
de construire, l'aérogare de Notre Dame
des Landes à l'ouverture sera plus petite que celle de Nantes-Atlantique. Les
architectes qui ont rejoint « ceux qui doutent » l'ont vérifié en reprenant à la fois les surfaces
de l'aéroport existant et celles prévues dans l'Avant Projet Sommaire joint au
contrat de concession. Vous avez bien
lu, plus petit ! Moins de comptoirs d'enregistrement, moins de Postes d'Inspection aux Frontières, moins de
places dans les salles d'embarquement, moins de passerelles pour accéder aux
avions, mais plus de surfaces commerciales, c'est vrai ! Plus aussi de
distance entre l'entrée de l'aérogare et les avions… En bref, l'aéroport prévu
par le contrat de concession est une vaste zone commerciale qu'il faut
traverser pour être sûr d'y dépenser son argent en attendant l'avion. Au
passage, vous accomplirez aussi les tâches devenues habituelles, vous
enregistrer, tirer votre valise et vous déshabiller au contrôle. Cela méritera
bien un petit parfum ou une bonne bouteille…
Réaction
à l'article du Canard enchaîné?
Aucune, sinon une vague explication embarrassée du sous-préfet Mikaël Doré
expliquant que le permis de construire est suspendu et sera modifié, compte
tenu du retard pris dans le planning prévisionnel, à cause des opposants, cela
va sans dire. Pas de réponse sur le fond. Pourtant le contrat de concession est
très clair et montre bien l'évolution de l'aérogare sur les 55 ans à venir. A
l'ouverture, Notre Dame des Landes sera plus petit que Nantes-Atlantique et par
la suite, on agrandira au plus juste et au plus rentable. Optimisé, l'aéroport
de demain, c'est le moins que l'on puisse dire !
Restent
les transports en commun pour y accéder. Vous les rêviez performants ?
Encore perdu. La commission d'enquête en 2006 n'avait pourtant pas oublié la
nécessaire desserte de qualité du futur aéroport par voie ferrée :
« Concernant
les liaisons fer, la commission prend acte des dates annoncées dans le dossier
: liaison tram-train à l’ouverture du futur aéroport (2012) et liaison TGV
Rennes - NDDL à l’horizon 2025. Il appartient au porteur du projet, en
l’occurrence l’État, de s’engager résolument dans la réalisation de ces projets
(dans lesquels il peut fortement s’impliquer) pour que ces échéances soient
respectées. »
Aujourd'hui,
la seule liaison sûre en transports en commun est celle… d'un car du
Département ! Le tronçon de tram-train qui devait « au plus près de sa
construction » relier l'aéroport à la ligne rouverte récemment
Nantes-Châteaubriant est loin d'être programmé car il coûtera cher en
investissement et surtout en fonctionnement. Quant à la ligne rapide entre
Nantes-Atlantique et Rennes passant par Notre Dame des Landes, le débat LNOBPL
déjà cité situe son éventuelle réalisation entre 2030 et 2050. Tout cela peut
réjouir AGO qui avec ses 7425 places de
stationnement continuera comme actuellement à Nantes-Atlantique à gagner
beaucoup d'argent en taxant les voyageurs contraints de venir en automobile.
Quant
aux lignes aériennes nouvelles, elles ne dépendent pas de l'infrastructure mais
évidemment du marché. Aucune création de ligne n'a été refusée sur Nantes-Atlantique
à ce jour. Même le Président de la Chambre de Commerce de Nantes-St-Nazaire,
Jean-François Gendron l'a reconnu :« Il ne faut pas rêver, ce n'est
pas parce qu'on déplacera l'aéroport que de nouvelles lignes se créeront ! »
On
pourrait sourire de tout cela s'il ne
s'agissait que des erreurs ou des
difficultés de cohérence, inhérentes à tout gros dossier. Mais en réalité,
l'affaire est plus simple et plus terrible à la fois. Les mensonges et les
manipulations sont bel et bien avérés. Reprenons un tout petit peu l'histoire
pour le démontrer.
A
l'automne 2012, Jean-Marc Ayrault lance l'opération César, il s'agit de vider
la ZAD de ses occupants « illégaux », en gros les jeunes qui s'y
sont installés depuis 2009 et occupent maisons vides ou cabanes de fortune. Les
sous-préfets Lapouze et Doré pensent en finir en une semaine. Lorsqu'il ne
restera sur place que les quelques agriculteurs et habitants protégés par
l'accord politique obtenu à l'issue d'une longue grève de la faim au printemps
2012, les travaux pourront, pensent-ils, démarrer sans difficultés. Hélas pour
eux, l'opération tourne au fiasco et donne une visibilité au sujet. Après de
longues semaines d'occupation militaire et de violences, Jean-Marc Ayrault
décide de mettre en place une commission chargée « d'apporter aux parties
les précisions complémentaires en s'appuyant sur les éclairages techniques
nécessaires » c'est à dire d'expliquer ce que les opposants n'auraient pas
compris ! La « commission du dialogue », composée de trois membres
choisis par le Premier Ministre s'installe pour plusieurs mois d'audition. Son
rapport remis au printemps 2013 justifie, sans surprise puisque c'était sa
mission, le nouvel équipement mais reconnaît la validité de certains arguments
des opposants. Dans ses recommandations, la commission souhaite donc que soient
réalisées plusieurs études, l'une sur la possibilité réelle de réaménager
l'aérogare actuelle, l'autre sur les conséquences sur le Plan d'Exposition au
Bruit ( bruit et urbanisation).
C'est
à la suite de ce rapport que le Préfet de Loire-Atlantique reprend contact avec
le CéDpa qui dans le partage des rôles entre opposants a accepté le dialogue et
apporté beaucoup de matière à la commission. Dans un premier temps, le Préfet
parle de cahier des charges à écrire ensemble, de réunions techniques et de
transparence. Nous nous remettons à espérer dans la possibilité d'une étude
vraiment indépendante ou en tout cas, faite avec nous ; hélas la
commission du dialogue a considéré, précaution utile du point de vue du
gouvernement, que la Direction Générale de l'Aviation Civile peut se charger du
travail… La première réunion nous montre vite nos illusions. En fait, la
Direction Générale de l'Aviation Civile a déjà une partie des résultats même si
elle ne le dit pas ainsi, elle entend faire vite et nous présenter ses études
dès septembre. Nous claquons la porte. Et demandons un rendez-vous au ministre
des Transports, Frédéric Cuvillier. La scène vaut son pesant d'or. La main sur
le cœur, M.Cuvillier nous confirme d'abord « Parole de ministre, Madame, que
voulez-vous de plus ? » que nous serons bien reçus par son collègue
Philippe Martin, ministre de l’Écologie. Rendez-vous accepté depuis des
semaines sur le principe mais jamais abouti. Et qui n'aura jamais lieu. Une
parole de ministre ne vaut décidément pas grand-chose… Puis, il affirme qu'il
attend lui aussi avec intérêt les conclusions de ces nouvelles études, car il
ne les connaît pas, bien sûr. M.Schwach, numéro deux de la Direction Générale
de l'Aviation Civile assiste à la scène, souriant et silencieux. Une lettre
confirmera la volonté du ministre. Une jolie lettre bien habile qui met en
place un nouveau groupe de travail avec « tous les acteurs locaux, dans un
souci de pluralisme pour en garantir le sérieux ». Le sous-préfet Doré
s'empressera d'inviter des représentants du milieu patronal, de la Région, de
la Métropole, du Conseil Général et du Syndicat Mixte, tous fervents partisans
de Notre Dame des Landes, plus deux membres d'une obscure association l'ACSAN*
qui milite contre le survol de la ville de Nantes-Atlantique et que l'on n'a
jamais vue à l’œuvre quand il s'est agi de défendre vraiment les riverains
puisque pour elle la solution est dans le transfert… mais l'un de ses deux
représentants a été chargé de mission au cabinet du Conseil Général 44. Bref,
tous les pro aéroports sont là qui se féliciteront de la qualité des travaux de
la Direction Générale de l'Aviation Civile. Jolie lettre parce qu'elle promet
comme à chaque fois un débat loyal : « A chaque étape, le caractère
ouvert du débat devra être garanti par l'accès de tous aux données d'études
certifiables. »
« Chat
échaudé craint l'eau froide ». Inutile de dire que nous ne croyons plus du
tout à l'impartialité de la Direction Générale de l'Aviation Civile depuis l'épisode précédent de l'étude coûts/bénéfices, (cf
page 17) d'autant qu'en septembre, juste avant les premières réunions du
groupe de travail, les services de l’État Français avaient montré à Bruxelles,
devant la commission des pétitions et en « avant-première » en
quelque sorte le PEB monstrueux qui résulterait du maintien de
Nantes-Atlantique.
L'image
est passée bien vite, mais nous avons pu deviner que cette fois même
l'hypercentre allait être touché. Geler
l'urbanisation d'une ville qui se rêve Grande Métropole de Taille
Européenne, impensable ! Par
prudence nous avions lancé de notre côté une nouvelle étude sur le PEB et
commencé à glaner des informations sur les extensions d'aéroports en France
(Bordeaux, Marseille) ou à l'étranger. C'est d'ailleurs encore à l'étranger
qu'il nous faut chercher un cabinet compétent. L'avantage en matière de PEB,
c'est que tout le monde travaille avec le même modèle mathématique. Le malheur
c'est que le résultat dépend des hypothèses entrées dans la machine… Et que des
hypothèses, on ne discutera pas sérieusement.
Adecs
Air-Infra est un cabinet hollandais dont les références sont inattaquables. Ses
travaux prennent en compte la flotte actuelle d'avions, mais aussi à l'horizon
2030 les perspectives de progrès techniques des nouveaux avions. Il faut aussi
parier sur l'évolution de l'emport, c'est à dire le niveau de remplissage des
avions. Aura-t-on plutôt beaucoup de petits avions peu remplis ou des avions
plus gros bien remplis ? Plusieurs hypothèses sont testées, en travaillant
à partir de la réalité. Depuis le débat public de 2003, le paysage aérien a
évidemment évolué. Le nombre de passagers a crû beaucoup plus vite qu'on ne
l'imaginait mais pas le nombre de mouvements, précisément parce que les avions
sont mieux remplis désormais. C'est le trafic des vols à bas coût (low cost) qui dope
Nantes-Atlantique-Atlantique, avec des appareils plutôt récents.
Trois
réunions sont donc organisées sous la houlette du sous-préfet de septembre à
novembre 2013 où sont présentés les travaux de la Direction Générale de
l'Aviation Civile et les nôtres. Les dossiers de ce grand service d’État sont
toujours téléchargeables sur le site du ministère : l'étude sur les
possibilités de réaménagement de Nantes-Atlantique montre qu'il est possible de
reconfigurer l'aérogare pour accueillir 5, puis 7 et 9 Millions de voyageurs. Grand progrès par rapport à ce
qui était dit jusque là. La piste pourrait aussi être allongée s'il le fallait.
Ce qui était présenté comme une impossibilité en 2003 au moment du débat public
ne l'est plus désormais. Fin de la saturation technique de Nantes-Atlantique…
Fin du projet de transfert ? Pas du tout.
Éberlués,
nous apprenons alors que la piste actuelle doit être refaite en totalité, parce
qu'elle a une bosse, qu'il faudrait fermer l'aéroport plusieurs mois, que les
pertes d'exploitation ajoutées aux travaux de démolition et de reconstruction
aboutissent quasiment au même coût que la réalisation d'un aéroport neuf… Et
bien sûr, si l'on peut désormais oublier la saturation technique, il reste la
saturation psychologique car le PEB qui nous est présenté est réellement
effrayant. Sonnez hautbois, résonnez musettes, le projet de Notre Dame des
Landes est bien à nouveau validé !
Notre
expert hollandais, présent à la dernière réunion de novembre 2013, explique son
travail et montre lui un PEB fort différent où les zones de bruit, donc les
zones à restriction d'urbanisation diminuent à cause de l'augmentation de
l'emport et parce que les progrès techniques vont mettre sur le marché des
avions beaucoup moins bruyants. Évidemment, il est prêt à discuter dans le
détail des choix et hypothèses retenus dans son étude comme dans celle de la
Direction Générale de l'Aviation Civile. Il n'en aura pas le loisir. Il est
écouté fort poliment, son travail est reconnu comme sérieux. Mais on lui dit
que ses hypothèses ne sont pas les bonnes. Pour la Direction Générale de
l'Aviation Civile, il n'y aura quasi pas de progrès techniques des avions avant
2030, en revanche elle prévoit une augmentation des vols de nuit, une
augmentation des atterrissages par le nord c'est à dire sur la ville de
Nantes-Atlantique, et bien sûr une augmentation du nombre de mouvements que la
réalité dément. Tout cela aboutit à un quasi triplement des zones de bruit.
Argument d'autorité, aussitôt repris en chœur par les pro-aéroport dans un
magnifique concert de louanges :
M.BONTEMPS (conseiller
régional communiste en charge des transports) fait observer « que le
travail de la Direction Générale de l'Aviation Civile est fiable et de qualité,
et félicite la Direction Générale de l'Aviation Civile. Sans être technicien ou
spécialiste, les réponses apportées sont compréhensibles. »
M. LEMASSON (maire socialiste de St-Aignan, une des deux communes
les plus concernées par les nuisances sonores) « salue la qualité des
études menées par la Direction Générale de l'Aviation Civile. »
M. MUSTIERE (président des ailes pour l'ouest, ancien psdt de la
CCI) « salue la qualité de l’étude qui constitue une véritable aide
à la décision. »
M. BOSCHET (association contre le survol de Nantes-Atlantique)
« remercie la Direction Générale de l'Aviation Civile pour ce travail
rigoureux et méthodique. »
M. GILLAIZEAU (vice président socialiste de Nantes-Métropole,
ancien contrôleur aérien) « apprécie le caractère pertinent et argumenté
de l’étude, qui s’appuie sur des textes réglementaires incontournables. »
(Extraits des comptes rendus des réunions octobre et novembre
2013.)
L'ingénieur
hollandais du bureau Adecs Air-infra nous dira qu'il n'imaginait pas ainsi une
réunion destinée à faire la lumière sur des points de dissensus. Nous non plus
à vrai dire… Jacques Bankir, dont le curriculum
vitae n'est pas celui d'un doux écolo ou d'un violent black-bloc, mais d'un
ancien dirigeant de compagnies aériennes
qui nous accompagne oscille lui aussi entre stupéfaction et incrédulité.
Sur l'autre point, le coût
exorbitant du réaménagement de Nantes-Atlantique, que nous n'avons pas à ce
moment-là étudié à fond, nous émettons des doutes, demandons des précisions,
comparons avec les chiffres connus d'extension de terminaux aéroportuaires. Le
numéro deux de la Direction Générale de l'Aviation Civile ose alors affirmer
que le terminal « low cost » de Bordeaux que nous avons choisi comme
exemple de coût raisonnable n'a ni sièges pour les passagers en attente ni
toilettes ! Nous montrons le plan et ses toilettes. Cela ne suffira pas.
Nous
réitérons nos questions techniques restées sans réponse et demandons la
poursuite du « dialogue », compte tenu des écarts importants dans les
résultats du calcul du PEB. Il nous faut aussi absorber les 140 pages des deux
rapports, ce qui demande un peu de temps. Refus immédiat du sous-préfet qui
considère que les demandes de la commission du dialogue ont été honorées et que
désormais « le dialogue et la concertation ont vocation à se poursuivre
quand on entrera dans la phase de construction puis de gestion de
l'aéroport. »
Lettre
au Préfet, lettre au ministre pour poursuivre le travail. Pas de réponse. Ou
plutôt si, mais indirecte. Dès le 16 décembre 2013 le numéro 1 de la Direction
Générale de l'Aviation Civile, M. Gandil se déplace à Nantes-Atlantique et
tient avec le Préfet Christian de Lavernée une conférence de presse pour
annoncer que le débat est clos et que le transfert de l'aéroport est bel et
bien justifié. Quant à nos listes de questions techniques, malgré les promesses
faites pendant la dernière réunion, elles resteront sans réponse. Mieux encore
le dernier compte rendu officiel renvoie nos arguments en annexe et oublie fort
curieusement des propos réellement échangés, l'anecdote des toilettes de
Bordeaux par exemple. Or, la réunion a été enregistrée par nos soins et nous
pouvons fournir le verbatim. Notre bon sous-préfet refuse de réintégrer les
nombreux ajouts que nous demandons. Mensonge -véniel?- par omission. Après un
nouveau courrier au Préfet, notre compte rendu complet sera, paraît-il, renvoyé
aux participants en annexe. On est prié d'y croire. Et le silence s'abat à nouveau.
Silence parce que mensonge -mortel- ?
Il
va falloir quelques mois pour que nous débusquions le loup… Trois architectes, étonnés par les coûts dont la
presse s'est fait l'écho pour le réaménagement de Nantes-Atlantique se
proposent d'analyser le volumineux dossier de la Direction Générale de
l'Aviation Civile et de passer au crible les surfaces jugées nécessaires et les
coûts annoncés. Rien ne vaut effectivement l'œil d'un professionnel... Le
résultat serait assez cocasse si l'on n'était pas dans un sujet aussi sérieux.
Tout est fait pour maximiser les coûts : les surfaces prévues pour
optimiser l' aérogare sont plus importantes que ce que prévoient les textes
officiels de la Direction Générale de l'Aviation Civile. Ainsi la surface des
Postes Inspection Frontière. On démolit
et on reconstruit aussi un maximum de bâtiments existants, alors que rien
n'obligerait à le faire. Le pompon étant le chenil (70m2 de bureaux et 120 m²
d'enclos), démoli et reconstruit pour ...600 000€ ! On rajoute des
stationnements pour les avions. On prévoit aussi le déroutement possible de
très gros porteurs, donc l’allongement de la piste à 3600m alors qu'à Notre
Dame des Landes, cet allongement n'est prévu qu'en toute fin de concession, en
2052. Bref, tout cela aboutit à un coût « presque aussi important que
l'aéroport neuf ». Exagération pour justifier Notre Dame des Landes. Oui à
l'évidence. Lorsque nous publions ces
éléments, « la tour de contrôle ne répond pas » comme le titre
joliment « le Canard enchaîné » le 7 janvier 2015. La tour est même muette.
Cette
fois le mensonge est bel et bien avéré. Les
directeur et directeur adjoint de la Direction Générale de l'Aviation Civile
ont fait signer aux ministres un contrat de concession prévoyant à l'ouverture
de Notre Dame des Landes une aérogare
plus petite que l'actuel aéroport ; les mêmes ont supervisé une étude
soi-disant objective pour réaménager Nantes-Atlantique en multipliant les
besoins de manière spectaculaire...
Ce
sont aussi probablement les mêmes qui ont
fait rédiger le cahier des charges pour la réalisation de Notre Dame des
Landes. Ce cahier des charges donné aux
candidats à la concession-construction ressemblait-il à ce que la Direction
Générale de l'Aviation Civile prétend nécessaire pour Nantes-Atlantique ?
Si oui, pourquoi a-t-elle finalement accepté un projet plus modeste à la
demande d'AGO, et si elle l'a accepté pour NDL, pourquoi exige-t-elle pour
Nantes-Atlantique un aéroport de rêve,
haut de gamme ? Si non, si elle a rédigé pour Notre Dame des Landes un
cahier des charges plus modeste que celui qu'elle a présenté comme nécessaire
pour Nantes-Atlantique, alors elle a sciemment chargé la barque ici pour
justifier à nouveau le transfert.
Dans
les deux cas, il y a une véritable manipulation. Par des hauts fonctionnaires.
Aux ordres ou non ? Impossible de le savoir. Nouveau courrier à M.
Vidalies en octobre 2014, pas de réponse. Réitération en juin 2015. Toujours
rien.
Des mensonges pour l'émotion
Ces
mensonges-là, on les avait vu apparaître lors de l'enquête d'utilité publique.
Le risque que ferait peser l'aéroport de Nantes à la population à cause du
survol de la ville et à la réserve naturelle du lac
de Grand-Lieu. Le risque d'abord : le danger d'un crash fournit un argument de choix, propre à émouvoir
l'opinion et à lui faire croire que les vraies raisons du transfert, qu'on lui
avait cachées jusque là sans doute pour ne pas effrayer inutilement, sont liées
à la sécurité. Braves gens, nous avons peur pour vous. Ces avions qui survolent
la ville, ce n'est plus possible, cela n'existe pas ailleurs, il est temps de
faire cesser pour vous ce risque énorme ! Depuis qu'un avion d'une
compagnie exotique est descendu trop bas sur Nantes-Atlantique, un matin de
bonne heure, c'est presque comme s' il était tombé...Peu importe que l'enquête
ait montré qu'il s'agissait d'une double erreur humaine, en l'occurrence celle
du pilote et celle d'un contrôleur en « hypovigilance » (appréciez
l'euphémisme), peu importe que la remise de gaz ait bien évidemment permis de reprendre
de l'altitude, la conclusion de cet épisode devient que « l'aéroport
est dangereux ».
Entendons nous bien, le risque de chute d'un avion existe
ici comme partout ailleurs, c'est même un risque inhérent à l'aviation. On le
sait depuis… Icare. Effectivement, il vaudrait mieux que les avions ne tombent
pas ou le fassent hors de toute zone habitée, mais bien malin qui peut dire où
tombent les avions… En tout état de cause, on ne décide pas du transfert de
Toulouse-Blagnac ou d'Orly au motif que les avions survolent des zones
habitées. Pourtant les habitants sont beaucoup plus nombreux à Toulouse (20 543
logements concernés par le Plan de Gêne Sonore, contre 1781 à
Nantes-Atlantique). Mais il est vrai que là-bas, c'est une zone populaire qui
est survolée par les avions. Tomber sur le Mirail serait-il moins grave que sur
l'île de Nantes ?
Pendant
des mois, la question du risque est agitée comme un chiffon rouge. Les
opposants cherchent si Nantes-Atlantique est classé comme tel par la Direction
Générale de l'Aviation Civile. Rien de tel évidemment. Le collectif des pilotes contre le transfert rigole.
Clermont-Ferrand paraît-il nécessite plus de précautions… La Direction Générale
de l'Aviation Civile est d'une discrétion totale et laisse monter au créneau « les
Ailes pour l'ouest » et nos bons élus qui semblent maintenant affolés pour
leur population. Population à qui on ne parle pourtant pas d'autres risques
bien réels sur l'agglomération, notamment le fameux tunnel ferroviaire de
Chantenay, risque souterrain donc bien caché. Si un feu survenait dans ce
tunnel, impliquant un convoi de matières dangereuses, les pompiers auraient
beaucoup de mal à intervenir et à sauver tout un quartier. Chut...Ce beau monde
finit tout de même par se calmer car admettre la réalité d'un danger sérieux
impliquerait la fermeture immédiate de l'aéroport. Ce qui n'est pas à l'ordre
du jour. Il n'est même pas question d'un couvre-feu la nuit ou d'une
restriction des vols d'affaires ce qui mettrait à mal la compétitivité de notre
bel aéroport !
Il
n'empêche. Comme dans une calomnie, il reste dans l'opinion crédule cette
petite musique du risque….
Heureusement,
il y a un meilleur argument très tendance, très « développement
durable » : le lac de Grand-Lieu,
la perle, le joyau du Sud-Loire, l'argument écologique qui tombe à point.
Rendez-vous compte : les anti Notre Dame des Landes seraient prêts à
sacrifier cette merveille pour sauver un bout de campagne anodine. A bas les
imposteurs ! Les véritables défenseurs de l'environnement, ce sont les
porteurs du projet de transfert. Qui veulent mettre à l'abri le lac de tout
risque de pollution et de chute d'un avion. Protéger les oiseaux et la
biodiversité. On se pince pour y croire mais ils le disent avec tellement de
conviction : « le lac est menacé par l'actuel aéroport, il faut le
sauver ».
C'est
au tour des naturalistes et de l'ancien directeur de la réserve de rire, même
si c'est un peu jaune. Car si ce lac d'eau douce, le plus grand d'Europe,
classé ZPS et Natura 2000, protégé par moult décrets et arrêtés est
effectivement menacé, c'est bien d'eutrophisation et d'asphyxie à cause … de la
mauvaise qualité de l'eau. Le kérosène des avions peut-être ? Pas du tout.
Les effluents agricoles et urbains. Autant dire un quasi tabou pour les effluents
agricoles. Et encore du pain sur la planche pour les effluents urbains, malgré
les investissements des communes sur l'assainissement. On ne parle pas de
sujets qui fâchent. Et si la loi littoral empêche une urbanisation galopante,
elle permet cependant un grignotage régulier des abords du lac.
Oui,
mais le bruit des avions tout de même, ça doit bien perturber les
oiseaux ? Ces oiseaux qui d'habitude ne sont aux yeux des développeurs de
tout poil (si l'on ose dire!) que des empêcheurs de progrès, voilà qu'ils
pourraient se révéler de précieux auxiliaires dans l'argumentaire. Ainsi, la
commission du dialogue, installée comme on l'a vu par Jean-Marc Ayrault en
décembre 2012 après l'épisode violent et piteux de l'opération César,
arrive-t-elle persuadée qu'il y va de l'avenir du lac
de Grand-Lieu. Qu'elle visite d'ailleurs, ce qui est un privilège et un
bonheur réel.
Seulement,
la vérité c'est que les oiseaux sont habitués aux avions et qu'ils ne sont pas
du tout gênés par le survol du lac. En revanche, un cri humain, un bruit de pas
et hop, les voilà partis. Comme l'écrit à la commission du dialogue Loïc
Marion, chercheur au CNRS et premier directeur de la réserve naturelle de
Grand-Lieu pendant 23 ans : Les
avions commerciaux ne gênent nullement la faune du lac de Grand-Lieu puisque
son survol s’effectue à plusieurs centaines de mètres de hauteur, bien au-delà
des 300 m d’interdiction réglementaire de survol aérien de la réserve. Les
oiseaux notamment ne réagissent absolument pas à ces passages auxquels ils sont
depuis longtemps habitués (rien à voir avec des hélicoptères). En outre, le
survol du lac s’effectue essentiellement en vol d’atterrissage, moteurs au
ralenti et pratiquement silencieux avec les avions actuels, tandis que les
décollages prennent très vite de la hauteur et généralement bifurquent avant
d’atteindre le lac ….. »
Mais
qu'importe la vérité, en l'occurrence l'avis scientifique ? On continuera
à dire que l'aéroport est un problème pour le lac. Même si rien ne le prouve,
même si les gestionnaires de la réserve naturelle disent l'inverse. Même si
l'aéroport paradoxalement protège en quelque sorte le lac car le Plan
d'exposition au Bruit gèle de fait l'urbanisation d'une partie de la commune de
Saint-Aignan. Loïc Marion poursuit dans son courrier : «Je crois donc
pouvoir affirmer que l’argument concernant les menaces que feraient porter
l’actuel aéroport sur le lac de Grand-Lieu est non seulement faux, mais que ce
déménagement de l’aéroport aura exactement l’effet inverse.(…) »
La
commission du dialogue, sous la pression des opposants du CéDpa, qui lui
demandent sur quelle base scientifique elle s'appuierait pour avancer cet
argument alors que la contribution de Loïc Marion prouve le contraire renoncera
finalement à l'écrire dans son rapport mais à contre cœur comme nous le dira
son président lors de la dernière entrevue : « moi, je n'y crois
pas que ce n'est pas une gêne». Encore la foi...
Manuel
Valls interrogé en octobre 2015, par un sénateur de Loire-Atlantique parlera de
la nécessaire protection du Lac de
Grand-Lieu...et récidivera quelques jours plus tard en parlant cette fois de
trois zones Natura 2000 à protéger près de Nantes-Atlantique. La
nouvelle lettre de Loïc Marion en réponse permettra-t-elle aux conseillers du
Premier Ministre de remettre à jour les fiches qu'ils lui préparent ?
Le bruit et l'urbanisation : encore des mensonges
La
question des nuisances sonores et de la limitation de l'urbanisation mérite
elle aussi d'être regardée de plus près. Car cet argument a gagné en force au
fur et à mesure du temps, au point d'être désormais quasiment l'argument
principal du transfert. Un argument on s'en doute très important aux yeux, ou
plutôt aux oreilles de l'opinion publique nantaise.
Malheureusement
là encore, la vérité est tordue pour servir la cause. Et pas qu'un peu.
Le
bruit est pourtant une réalité mesurable et objectivable. Certes, les riverains
de routes bruyantes qui se battent pour être mieux protégés le savent bien, la
manière de procéder aux mesures de bruit est parfois discutable, mais enfin il
y a un minimum de chiffres et de réalité derrière. La preuve, ce sont les
cartes de bruit que doivent désormais établir les agglomérations. Nous en
reparlerons.
La
loi a prévu pour les aéroports les plus importants la réalisation de deux
documents d'urbanisme : le Plan d'Exposition au Bruit, qui doit anticiper
l'évolution du trafic et donc ses conséquences sonores pour ne pas exposer de
nouvelles populations à un bruit inacceptable. Le PEB s'impose donc aux Plans
locaux d'Urbanisme. Il comprend quatre zones, A, B, C et D. Les deux premières,
très proches de l'infrastructure empêchent toute construction nouvelle qui ne
serait pas en rapport avec l'aéroport lui-même. La zone C autorise des zones
d'activité mais pas de logements collectifs. Seule la reconstruction limitée de
l'existant est possible. Enfin la zone D permet toutes les constructions
qu'elles soient à usage de logements ou d'activités.
Le second document s'appelle le Plan de Gêne
Sonore. Il doit refléter autant que faire se peut le bruit réel, la véritable
gêne subie ici et maintenant. Il ouvre droit pour les habitants qui s'y
trouvent inclus à des aides financières, pour les aider à insonoriser leurs
maisons. L'argent vient d'une taxe spéciale payée par les compagnies aériennes.
Un progrès fort important pour les riverains des aéroports, on en conviendra.
Le
PEB rénové de Nantes-Atlantique-Atlantique a été présenté lors du débat public
de 2002 sur le transfert et approuvé quelques mois plus tard en 2003. Construit
par la Direction Générale de l'Aviation Civile, il prévoit 110 000 mouvements à
l'horizon 2010. La zone C touche l'île de Nantes-Atlantique, où se dessine un
grand projet urbain. La peur que le nouveau PEB rende impossibles les beaux
projets dont rêvent les élus nantais aboutira à une dérogation pour que la zone
C soit réduite. Autrement dit, puisque l'aéroport sera déplacé -un jour- on
peut bien tordre un peu le PEB pour ne pas gêner les projets. La commission
consultative de l'environnement valide, le Préfet signe. Les méchantes langues
pourraient dire que c'est un peu fort de
café puisque le projet de Notre Dame des
Landes n'a pas été encore jugé d'Utilité Publique, officiellement en tout
cas!
En
l'occurrence, on n'en voudra pas à ceux qui ont préféré les projets urbains à
la tranquillité des habitants puisque la réalité du bruit n'a rien à voir avec
ce qui était imaginé par le PEB dessiné par la Direction Générale de l'Aviation
Civile à l'horizon 2015. Qu'on en juge : en lieu et place des 110 000
mouvements, ce sera 51 000 pour 2014. Moitié moins ! Ce seul chiffre
devrait suffire à jeter le doute sur les simulations faites pour 2030 par la
Direction Générale de l'Aviation Civile. Et obtenir que l'on remette à plat
toutes les données sur le bruit.
Évidemment
c'est le contraire qui est fait. Non seulement la Direction Générale de
l'Aviation Civile ne reconnaît en rien ses erreurs même lorsque nous lui
montrons la différence entre son PEB prévisionnel et la réalité (réunions de
nov 2013) mais on continue à marteler que le bruit augmente et augmentera sans
cesse. Et mettra en péril la densification de l'agglomération.
Le
bruit existe certes, le bruit aérien est-il vraiment plus pénalisant que le
bruit routier ? Il faut regarder les cartes de bruit, sur le site internet
de Nantes-Métropole. Très parlantes, trop parlantes sans doute. Le bruit
routier est majeur, le bruit des avions entre 55 et 60 db touche 5600 personnes quand le bruit routier en malmène 17
000 au-delà de 70 db……
Personne n'a pourtant l'idée de mettre le
périphérique à la campagne et chaque jour fleurissent partout dans l'agglo de
nouveaux immeubles de logements, avec balcons s'il vous plaît, le long d'axes
routiers fort passants.
L'agglomération
nantaise est actuellement en train de réaliser son Plan Local d'Urbanisme
Métropolitain ( PLUM). Toutes les cartes de bruit ont été actualisées comme le
prévoit la loi. Toutes sauf… celles du bruit aérien. Oubli vraiment ?
Non.
Manipulation encore.
Le
PEB, comme le Plan de Gêne Sonore d'ailleurs,
ne dépend pas seulement du nombre de mouvements mais aussi des trajectoires et
de la répartition des décollages et atterrissages.
Or,
à Nantes-Atlantique, au fil des années, les trajectoires ont été modifiées. Par
la Direction Générale de l'Aviation Civile. Pour des raisons de sécurité et de
règles diverses a-t-on expliqué à la commission consultative de
l'environnement, présidée par le Préfet ou son sous-préfet. On est ainsi passé
de trajectoires qui longeaient la Loire et évitaient ainsi le centre ville de
Nantes-Atlantique à une trajectoire de descente par le Nord qui survole
davantage la ville. Le virage de décollage par le sud vers l'est a aussi été
modifié.
Pourquoi
pas. Mais alors il faudrait revoir les tracés des plans PEB et PGS. Car
aujourd'hui des habitants qui n'ont plus d'avions au dessus de leurs têtes
peuvent obtenir des aides financières, alors que d'autres qui entreraient
peut-être dans un PGS rénové s'exaspèrent à juste titre.
La
demande en est faite régulièrement en Commission Consultative de
l'Environnement, il est vrai par de méchants opposants à Notre Dame des Landes,
le refus est tout aussi régulier. Pas la peine, puisqu'on va partir n'est-ce
pas…
L'ACNUSA, Autorité indépendante de contrôle des Nuisances
Aéroportuaires, constate dans son rapport 2014
(page 52 et 53) cette distorsion entre le bruit réel et le PGS. « Un
examen même rapide et superficiel montre au premier coup d’œil que le PGS
protège assez largement des zones d'habitation qui ne sont pas concernées par une
densité de survols justifiant l'insonorisation des bâtiments d'habitation, mais
en revanche d'autres communes supportent l'essentiel des
départs-particulièrement bruyants-tout en étant hors du périmètre. »
Elle demande donc fermement la révision
du PGS . Recommandation numéro 11 du
rapport 2014 :
« L'ACNUSA recommande à l'Autorité préfectorale
compétente de mettre en révision le plan de gêne sonore de l'aéroport de
Nantes-Atlantique dans les délais les plus brefs. » On peut douter de la réponse qui lui sera faite, quand on sait que
le Préfet a fait remonter au plus haut niveau ses « interrogations »
sur le Président de l'ACNUSA qui avait eu l'audace d'émettre un avis sur un
possible aménagement de la piste à Nantes-Atlantique. C'est le Président de
l'ACNUSA lui-même qui mentionne cette
curieuse manière de faire devant une commission sénatoriale qui l'interroge sur
divers aspects du transport aérien.(« ... je me suis accroché avec le
préfet, qui est allé se plaindre au ministère qu'une autorité administrative
indépendante puisse avoir une position indépendante... Autant dire que peu
d'espoirs sont permis. ») Autorité Indépendante… Cela sonne pourtant
aussi joliment que démocratie participative, non ?
Il
est fort probable que le silence habituel suivra donc cette recommandation.
Pourtant si le bruit augmente comme le prétendent les pro-Notre Dame des
Landes, qu'ont-ils à craindre de la révision du PGS, et de l'actualisation des
cartes de bruit de la Métropole ? Ils ont tout simplement à perdre l'argument
choc, celui du bruit qui deviendrait insupportable. Car la révision montrerait
plutôt la diminution des zones les plus fortement touchées.
C'est
d'ailleurs ce qu'a reconnu devant témoin une employée d'AGO en charge de
l'accueil des riverains et de l'information sur les trajectoires et le bruit.
Les outils existent qui permettent de suivre bien mieux qu'avant ces questions
de bruit et de trajectoires et sont accessibles au public. Accompagnée d'une habitante de longue date de Bouguenais
qui avait constaté la modification des trajectoires, et voulait comprendre
pourquoi, je m'étonnais devant elle de la
distorsion évidente sur les cartes entre la réalité des fuseaux et le PGS. Des
habitants sont actuellement gênés par le bruit des avions mais ne peuvent
bénéficier des aides prévues alors que d'autres sont sortis des nuisances
réelles mais peuvent encore faire subventionner les travaux de leurs maisons.
« Mais, Madame, me dit-elle alors dans un accès de franchise dont elle se
mord sans doute encore les doigts, vous savez bien que si on révisait le PGS,
il serait plus petit ! ».
Tout
est dit. Le Plan de Gêne Sonore serait
différent dans son tracé et sans doute plus petit parce que les
avions font de moins en moins de bruit. Et en feront encore moins. Partout
dans le monde les zones de bruit autour des aéroports diminuent, sauf à
Nantes-Atlantique où il faudrait croire ce qu'affirme la Direction Générale de
l'Aviation Civile. C'est ce que le bureau d'études Adecs/Air Infra missionné
par le CéDpa avait montré, en 2013, en vain( cf page 24 et 25 ).
Le
Préfet a fait rentrer en 2013 à la Commission Consultative de l'Environnement
de l'aéroport actuel l'ACSAN qu'il a aussi fait siéger au groupe de travail mis
en place par F. Cuvillier. Cette association qui milite pour le départ de
l'aéroport a mis sur son site un paragraphe sur le bruit assez drôle puisqu’il
va dans notre sens, ce qu'elle n'a peut-être pas vu... Dans l'onglet censé
répondre aux très mauvais arguments des opposants, on peut lire la réponse à
cet argument : « l'avion n'a pas d'avenir » : (...) En
matière de bruit, les avions développés dans les années 60 dont beaucoup volent
encore aujourd'hui réveillaient en moyenne 400 personnes à l'atterrissage; les
avions actuels en réveillent 200 de moins.Ceux du futur causeront aux riverains
des aéroports moins de gêne qu'une mobylette", a précisé Fabrice Brégier,
directeur général d'Airbus, dans une interview au Figaro le 24 septembre 2009.
Qu'on
ne croie pas les méchants opposants qui parlent du bruit soit, mais quand c'est
le directeur d'Airbus qui parle,
l'ACSAN a l'air de le croire,
sans en tirer les conséquences par rapport à son argumentaire pour le
transfert!
Il
ne s'agit évidemment pas de nier la réalité du bruit des avions, et l'on
comprend tout à fait que certains habitants situés très près de l'aéroport
préfèrent le transfert au maintien. Mais pour qui habite à l'intérieur du PEB,
et regarde les choses avec honnêteté, il y a bien évolution du bruit, à la
baisse. Le collège de Bouguenais est l'un des derniers bâtiments survolés par
les avions à l'atterrissage. Dans les années 80, il fallait se taire lorsque
l'un d'entre eux passait et le premier gros porteur de la saison donnait
toujours l'impression qu'il allait se poser sur le toit. Aujourd'hui, le bruit
de certains nouveaux avions est quasiment couvert par le bruit de fond de
l'agglo, routier notamment.
Et
surtout le collège a été insonorisé, grâce aux aides financières du PGS. Mais
même pour cela, il a fallu se bagarrer, parfois contre, comme c'est étrange,
ceux qui prétendent vouloir aujourd'hui protéger les populations du bruit. La
mémoire est courte décidément. Un petit rappel ne fera pas de mal.
Les
aides à l'insonorisation sont mises en place en 2003.
L'argent tarde à rentrer, pour de sombres histoires techniques inutiles à
raconter ici. Les deux communes directement touchées à la fois par le bruit
mais aussi par les retombées économiques de la zone aéroportuaire sont
Saint-Aignan de Grand-Lieu et Bouguenais,
où naissent tous les Airbus...et dont je suis à l'époque le maire. Avec
mon collègue de la commune voisine, nous sommes membres de la fameuse CCE. Et
nous y défendons l'intérêt de la population riveraine de l'aéroport :
Vivre au mieux avec l'aéroport, autour duquel gravite le plus grand bassin
d'emplois du Sud-Loire de l'agglomération. Donc obtenir vite les aides
financières. Fatigués du temps qui passe sans apporter de réelles réponses à
l'attente des habitants, nous organisons en 2006 et 2007 quelques
manifestations à l'aéroport dont une quête symbolique. Aucun grand élu n'est
là, aucun de ceux qui aujourd'hui plaident pour le transfert.
Finalement nous
proposons à l’État que les collectivités locales avancent l'argent ce qui
permettra aux habitants de déposer leurs dossiers et de lancer les travaux. Le
sous-préfet de l'époque finit par accepter et pense que c'est à
Nantes-Métropole de le faire ; Nantes-Métropole qui est représentée à la Commission Consultative de l'Environnement par un des
vice-présidents, ancien contrôleur aérien. Le vice président trouve l'idée très
bonne. Mais le Président de la Métropole, un certain Jean-Marc Ayrault,
refusera au nom d'une prétendue impossibilité réglementaire que la Préfecture,
elle, ne voyait pas … Les nuisances subies par les habitants de Bouguenais et
de Saint-Aignan n'étaient sans doute pas si graves à ses yeux.
Les
communes de Bouguenais et de Saint-Aignan, qui en ont les moyens car elles
bénéficient directement d'une taxe professionnelle conséquente, à cause de la
zone économique ( Airbus et D2A) proposent d'avancer elles-mêmes l'argent mais
on leur interdit d'aller jusqu'au montant qu'elles étaient pourtant prêtes à
engager, au nom … du transfert à Notre Dame des Landes! Considéré comme acquis,
avant la fin de toutes les procédures bien sûr…. « A partir de 2012, il
n'y aura plus d'aéroport ici, dit l’État, donc plus de redevances sur les
nuisances aéroportuaires ». Kafka, vous dis-je...
Comme
il n'y a déjà pas assez d'argent pour les demandes des particuliers, les
bâtiments publics passeront après. Je fais le siège du
président
du Conseil Général, farouche partisan du transfert et avec qui j'ai eu des mots
sur le sujet, pour qu'il accepte lui aussi d'avancer l'argent. J'obtiens la
même première réaction : « A quoi bon ? Pour quelques années, on
peut bien attendre le transfert... ». On voit comme l'intérêt des enfants
prime. Il finira par donner son accord peut-être parce que je suis aussi à ce
moment-là vice-présidente à l'environnement et que je n'accepterais pas
de le rester s'il devait maintenir sa position.
Dernier
point. La demande de couvre-feu ( fermeture de
l'aéroport la nuit comme à Orly) ou de revalorisation dissuasive des taxes
aéroportuaires pour dissuader les compagnies de programmer des vols de nuit
est régulièrement rejetée au nom de la « compétitivité » de Nantes-Atlantique.
Nous arrachons la promesse de ne pas voir augmenter les vols de nuit. Depuis
2013, ils augmentent à nouveau… Ce qui bien sûr apporte de l'eau au
moulin : s'il y a des nuisances, plutôt que de tenter de les régler,
partons !
La
question du bruit, qui mérite de vraies réponses, est donc devenue un argument
majeur, avec son corollaire, le frein supposé à l'urbanisation. En réalité
comme on vient de le voir, seuls les élus des deux communes les plus touchées
essaient d'améliorer la situation ; les grands élus, pro-transfert, ne
s'en soucient que fort peu mais vont en faire un argument choc. La Direction
Générale de l'Aviation Civile instruit des études malhonnêtes, le Préfet refuse
de mettre en révision PEB et PGS. Les élus de la Métropole, du Département, de
la Région peuvent alors brandir l'arme suprême car frappée au coin du
« développement durable » : en gardant l'aéroport, on ne pourra
plus densifier la ville, alors qu'avec son départ,
15 000 habitants pourraient être accueillis « au cœur de
l'agglo ». Personne ne songe à demander aux responsables politiques, qui
sont à la manœuvre depuis si longtemps, pourquoi ils n'ont pas empêché la
flambée des prix du foncier sur Nantes et ses communes proches, repoussant
ainsi de plus en plus les candidats à un logement accessible et les forçant à
s'éloigner vers la seconde ou la troisième couronne. Non, on accusera plutôt
les opposants à Notre Dame des Landes d'être les empêcheurs « d'un
urbanisme économe en espaces ». Bientôt ils seront responsables de la
perte des terres agricoles et de la destruction de la biodiversité... Les pro
transfert se gardent de montrer où se construiraient ces logements et à quel
horizon. Il suffit de répéter comme un mantra « 15 000 habitants ».
La vérité c'est que, en cas de transfert, la zone actuelle autour d' Airbus, du
Domaine d'Activités Aéroportuaires et de l'aéroport resterait d'abord une zone
d'activités, dont le développement est possible dès maintenant, avec
l'aéroport. On est d’ailleurs à l'extérieur du périphérique, pas vraiment au
cœur de l'agglo donc. A l'intérieur du périphérique, quelques zones,
aujourd'hui gelées par le PEB pour la construction de logements seraient
effectivement ouvertes à l'urbanisation sur Bouguenais et Rezé permettant
d'accueillir environ 4 000 personnes et pas 15 000. Seule la densification d'un quartier
actuellement pavillonnaire pourrait permettre d'aboutir au chiffre annoncé dans
les vingt ans qui viennent. Est-ce la forme de la ville que la population
souhaite ? En a-t-on parlé avec elle ? Non, bien sûr. En tout état de
cause, c'est une curieuse manière de présenter la réalité.
Une
carte et quelques photos sont plus parlants que tous les discours: la
densification pour faire de Nantes-Atlantique une métropole de taille
européenne puisque c'est désormais l'alpha et l'oméga de toute politique des
villes est en route partout y compris à Bouguenais, à Rezé, à Saint-Aignan, en
zone D. La densification est en route partout y compris au bord d'axes routiers
importants, près des lignes de chemin de fer, près du tramway, bruit ou pas… De
qui se moque-t-on, en prétendant que la présence de l'aéroport est un
frein?
Il
reste un dernier argument pour accabler ce pauvre aéroport! La
construction en zone D coûterait plus cher, à cause de l'obligation d'isoler
acoustiquement les nouveaux bâtiments. Or les communes limitrophes ont beaucoup
de projets immobiliers en zone D. Vous voyez bien qu'il faut vraiment partir,
pour des raisons financières ! Faux à nouveau. Cette fois c'est la
commission du dialogue qui est prise en flagrant délit de mensonge puisqu'elle
laisse dans son rapport une contre-vérité, alors même que nous la lui avons
signalée. Elle affirme en effet, page 19 et 34 que la zone D du PEB impose des
isolations acoustiques pour les constructions neuves ce qui est vrai sur le
papier du code de l'urbanisme (articles datant de 1978 et 1988) mais ne l'est
plus en réalité car les normes de construction
ont rattrapé ces normes de protection phonique. Il est donc mensonger de prétendre que la construction en zone
D impliquerait des coûts supplémentaires. La lettre du CéDpa du 18 mars 2013
signalant cette « erreur » n'a bien sûr pas reçu de réponse…
Mensonge à
Nantes-Atlantique, vérité à Toulouse
La
palme de l'incohérence ou de la schizophrénie reviendra tout de même à l’État
et à son digne représentant, le Préfet actuel des Pays de Loire. M Henri-Michel
Comet a été nommé à Nantes-Atlantique en mai 2014. Il venait de la région
Midi-Pyrénées. Son arrivée a fait courir un petit vent d'espoir chez les
opposants. Toujours crédules, les opposants... A Toulouse, le projet de
transfert de l'aéroport de Blagnac avait été abandonné, et le préfet Comet
avait signé en février 2013 une lettre au Président du Syndicat Mixte du Schéma
de cohérence t de la Vallée de l'Ariège qui en expliquait les raisons. Avec
exactement tous les arguments que nous nous efforçons depuis des années de
faire comprendre : plus de voyageurs mais moins de mouvements, progrès
techniques des avions, restrictions possibles des vols de nuit etc.
« L'évolution actuelle du trafic de Toulouse-Blagnac montre une progression des
mouvements d'avions, et donc des nuisances, plus modérée que celle initialement
envisagée. En effet, le trafic enregistré sur l'aéroport de Toulouse-Blagnac
depuis 10 ans fait apparaître une forte évolution de l'emport des avions se
traduisant par un nombre de mouvements moins important que prévu. (…) La
sensibilité environnementale du site de Toulouse-Blagnac a donné lieu en 2011 à
des restrictions d'exploitation des vols de nuit. L'amélioration des conditions
de vie en période nocturne constitue un facteur important dans l'acceptation de
l'aéroport par les populations riveraines. Ces améliorations, combinées à
l'effort continu d'amélioration des performances acoustiques des avions de
nouvelle génération, permettent de penser que le développement du trafic de
l'aéroport de Toulouse-Blagnac restera cohérent avec le Plan d'Exposition au
Bruit actuel. (…) L'hypothèse d'une saturation de l'aéroport envisagée par le passé,
n'est plus d'actualité. » Interrogé
par la presse locale à son arrivée à Nantes-Atlantique, il n'hésitera pas à
dire : « c'est tout simplement faux, je ne me suis jamais occupé de
l'aéroport de Toulouse-Blagnac ». On se pince, on relit la lettre qui porte
bien sa signature. Lors du rendez-vous qu'il accorde au CéDpa à l'été 2014 il
nous donnera une leçon de casuistique : le projet était déjà enterré à son
arrivée à Toulouse, il ne s'en est donc pas « occupé » au sens
littéral ! Et en tant que Préfet des Pays de Loire il ne peut pas non plus
nous fournir le dossier de ce projet avorté (lettre du 1er octobre
2014).
Les hauts fonctionnaires seraient-ils frappés
d'amnésie par nécessité absolue de service ? Le mensonge par amnésie ou
par sophisme ?
Construire un aéroport en zone humide, et faire croire qu'on
respecte la loi sur l'eau
Un
projet d'aéroport sur une zone humide (98%), à l'heure où l'on doit protéger
les zones humides, comment l’État va-t-il sortir de cette difficulté ? Et
réussir à passer au travers des règles qu'il impose aux autres ? Chaque
maire sait combien l'instruction d'un dossier de construction en zone fragile
est devenue difficile, et c'est tant mieux si l'on veut cesser le massacre des
zones humides et des rivières. Chaque maire sait qu'on lui demande de respecter
la règle fondamentale de la Loi sur l'eau « Éviter, Réduire,
Compenser ». Éviter, c'est à dire vérifier qu'il n'y a aucune alternative
à la destruction d'une zone humide. Réduire, c'est à dire limiter la destruction
si elle ne peut pas être évitée et enfin compenser la destruction résiduelle.
Pour
le premier terme, on l'a vu précédemment, la mécanique bien huilée des
procédures a figé la localisation choisie.
On n'évitera donc rien du tout. Réduire, c'est aussi beaucoup demander au
porteur de projet qui a prévu à Notre Dame des Landes une aérogare compacte
mais des parkings nombreux et à l'horizontale. Toutes les grandes surfaces
construisent des parkings-silos, c'est à dire à étage, mais pas un aéroport
moderne, prétendument de Haute Qualité Environnementale. Et le pire c'est
le prétexte avancé : une meilleure insertion paysagère ! En
réalité, c'est plutôt au nom de la
rentabilité immédiate, car le coût de réalisation est bien plus faible. Même la
commission du dialogue, rejointe en cela par
la commission agricole nommée elle-aussi
en fin d'année 2012 pour mesurer les impacts du projet, reconnaît le
lourd tribut payé par les zones naturelles et agricoles !
Pas
d'évitement, pas de réduction, on se contentera de la compensation. Un projet
qui prévoit la destruction de zones humides doit passer avant signature des
arrêtés préfectoraux ou ministériels devant un certain nombre
d'instances : commission d'enquête publique, Commission
Locale de l'Eau du bassin versant (CLE), Conseil Départemental de
l'Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques (Coderst). La
composition de la CLE ou du Coderst met de toute façon l’État à l'abri de toute
mauvaise surprise. Quand il s'agit d'un dossier important, il peut compter sur
ses divers représentants, et être sûr du vote final. Et lorsqu'il y a avis
extérieur à ses propres services, la loi, comme on l'a vu, prévoit qu'il puisse
ne pas en tenir compte. Pour Notre Dame des Landes, la commission d'enquête
publique nommée pour étudier les conséquences de la destruction de la vaste
zone humide de Notre Dame des Landes donne en 2013 un avis favorable, sous
réserve de la validation scientifique de la méthode de compensation qui a été
présentée par AGO. Le premier ministre installe donc une commission
scientifique dont le rapport au printemps 2013 aurait dû en toute logique
mettre un terme au débat tant les conclusions sont sévères. La méthode de
compensation est totalement invalidée par le collège d'experts, ainsi que son application
au cas particulier de Notre Dame des Landes. Les scientifiques affirment aussi
que l'état des lieux initial est incomplet. Le rapport scientifique sort en
même temps que celui de la commission du dialogue mais il est beaucoup moins
médiatisé. Le Préfet dira devant nous que ce rapport est celui de scientifiques
« en chambre », loin de la vraie vie sans doute et qu'il n'a jamais
vu lui un dossier où l'on mettait autant de moyens pour compenser les
destructions de l'environnement. Les arrêtés seront signés en fin d'année 2014,
sur la base de la méthode pourtant invalidée. Le Tribunal Administratif est
saisi. Les avocats des opposants rappellent l'importance connue désormais des
zones humides, brandissent les avis scientifiques unanimes, celui de la commission scientifique (avril
2013), celui du Conseil National de Protection de la Nature (mai 2013), celui
du Conseil Scientifique National du Patrimoine Naturel et de la Biodiversité,
(avril 2015). Trois avis dont personne ou presque ne parle dans ce débat. Ils
montrent aussi que la quasi totalité des exploitants agricoles du secteur
refuseront de mettre en place les « mesures compensatoires » sur
leurs terres. En vain. Le rapporteur public développe un raisonnement qui a de
quoi faire désespérer de la justice et de l'avenir. Le voici en résumé :
1)
certes, le rapport scientifique est très sévère mais rien dans la
réglementation n'oblige à suivre les scientifiques,
2)
puisque la réserve émise par la commission d'enquête n'a pas été levée, son
avis doit donc être considéré comme négatif mais l'arrêté du préfet est
parfaitement légal puisque l'avis de la dite commission n'est que
consultatif ,
3)
rien ne prouve que la compensation ne marchera pas et si les résultats de la
compensation ne sont pas à la hauteur, on pourra demander des comptes à AGO,
après la destruction de la zone humide et des espèces qu'elle abrite, après la
réalisation de l'aéroport, c'est à dire quand il sera trop tard. CQFD. Sans
doute le rapporteur public n'a-t-il pas eu connaissance de l'épisode de
compensation du petit bois de 2 ha à l'entrée de Nantes-Atlantique. Détruit en
2011 pour faire place à un nouveau parking, il devait être
« compensé » par des plantations à l'intérieur de la concession. A la
visite de suivi, la constatation a été rude : 10 % au mieux des
plants avaient survécu. Mais personne ne les voit, la concession est un monde
bien clos. On ne sait pas replanter des arbres, mais on prétend compenser un
biotope de milliers d'hectares dont les scientifiques disent qu'il est devenu
rare et exceptionnel...
Que pensez-vous qu'il arriva ? En juillet
2015, le tribunal confirme ce raisonnement « strictement légaliste »
et déboute les opposants.
Il
paraît qu'il ne faut pas commenter une décision de justice. Je me suis toujours
demandé pourquoi, mais soit. Ne commentons pas le jugement mais le
réquisitoire.
Appliqué
au climat, qui est désormais au cœur des plus
beaux discours après la COP 21, le sophisme donne à peu près ceci :
certes les rapports successifs du GIEC sont alarmants, mais rien dans la
réglementation ne nous oblige à sortir des énergies carbonées, nous pouvons
donc continuer légalement à aller droit vers la catastrophe. Nous mourrons dans
la légalité. Voilà qui devrait rassurer la Ministre de l’Écologie, le ministre
des Affaires Étrangères, le Président de la République et tous les
décideurs : ils ne seront jamais inquiétés pour les conséquences de leurs
actions ou en l'occurrence de leur non-action.
Le
rapporteur public n'a évidemment pas uniquement fondé son appréciation sur ce
seul raisonnement ; il y a eu d'autres grands moments dans ses
conclusions. Par exemple celui-ci: nous avions plaidé le
« saucissonnage » puisque la Déclaration d'Utilité Publique pour les
modifications de voiries après construction de l'aéroport avait été séparée du
reste du dossier. S'appuyant sur une jurisprudence du Conseil d’État, affirmant
qu'une ligne Haute Tension partant d'une Centrale Nucléaire n'avait rien à voir
avec la dite Centrale (oui, oui, vous avez bien lu, une Centrale et sa LHT sont
indépendante l'une de l'autre, voilà ce que la plus haute instance
administrative affirme « au nom du peuple français »!) le rapporteur
assure benoîtement que les routes pourraient parfaitement être remodelées
(coupées, rétablies, détournées) en l'absence de la réalisation de l'aéroport…
Admettons
encore puisqu'il a une lecture strictement légaliste et qu'on ne commente pas
une décision du Conseil d’État…
Là
où le bât blesse et où preuve est faite que le rapporteur est en service
commandé, c'est dans le déroulé mot pour mot des arguments des défenseurs du
transfert, comme si depuis plus de dix ans, il n'y avait eu aucune
contradiction apportée, comme si aucun travail d'analyse n'avait ébranlé les
arguments. Alors que la faisabilité d'un maintien sur le site actuel a
finalement été reconnue par la Direction Générale de l'Aviation Civile, même si
elle en a alourdi les conditions, le rapporteur balaie toute alternative et
affirme qu'il y va de la santé publique ! Pas moins. Se rend-il compte qu'
il signe une accusation gravissime envers l’État qui a renoncé au transfert de
Toulouse-Blagnac, pourtant bien plus pénalisant pour la santé des
riverains ? Argument repris dans le jugement. Si le transfert de
Nantes-Atlantique est d'intérêt général majeur pour des raisons de bruit et de
santé publique, alors il faut tout de suite déménager les aéroports d'Orly,
Roissy, Toulouse pour ne citer qu'eux.
Peut-être
devrions nous attaquer l’État pour mise en danger de la vie
d'autrui puisqu'il ne déplace pas ces aéroports?
Dans
le même registre du service commandé, il y a cette proposition du rapporteur
public qui sera suivie par le Tribunal « dans sa grande sagesse »,
comme on dit. La commission du dialogue et la commission agricole avaient
toutes deux pointé du doigt le gaspillage
de terres agricoles et demandé
des « économies » : sur les parkings, et sur la localisation
même du barreau routier sud. A aucun moment après ces deux rapports, l’État et
le concessionnaire n'ont dit vouloir modifier leur projet. Devant le Tribunal
Administratif, cet argument du gaspillage d'espace lorsqu'il s'agit de détruire une zone humide
a bien évidemment été soulevé. Le rapporteur public dont on a vu les
convictions environnementales plus haut propose cependant aux juges d'enjoindre
au porteur de projet une modeste modification : il demande, non pas des parkings à étages, il ne
faut pas exagérer, mais une réduction de la superficie de chaque place de
stationnement. 8 ha sauvés ! L'avocat
d'AGO s'empresse de dire que son client entend bien la recommandation,
qui deviendra une injonction puisque le Tribunal suit le rapporteur.
Non
seulement on viendra en voiture à cet aéroport, mais on aura comme toujours les
plus grandes difficultés à ouvrir sa portière sans rayer la voiture d'à côté.
Oui, mais on aura sauvé au moins trois ou quatre campagnols amphibies, et ça coûtera moins cher encore à AGO !!!!
Le rappel à la loi, pas pour tout le monde visiblement
Depuis
l'enlisement du dossier, pas un jour ne passe ou presque sans que soient
poussés des cris d'orfraie sur le scandale de la ZAD, zone de non-droit, et sur
le nécessaire respect des règles. Quand ce n'est pas le Président des Ailes
pour l'Ouest, qui s'étrangle parce que des clowns ont distribué des ballons
dans sa concession automobile, c'est le Président socialiste de la Région,
Jacques Auxiette, qui demande que les forces de l'ordre interviennent comme au
Mali. Ou le Préfet de Région qui affirme que l'Acipa et le CéDpa sont « la
vitrine légale d'un mouvement armé ». La période des élections régionales
promet d'être à la hauteur. Déjà, F. Louvrier Conseiller Régional, ardent
« républicain » et ancien conseiller communication de N. Sarkozy a demandé
la dissolution de l'Acipa au motif qu'elle n'aurait pas « dénoncé
l'occupation de la ZAD ». Un motif inexistant dans le droit actuel. Et
Bruno Retailleau, ancien président du Conseil Départemental de Vendée et tout nouveau Président de la Région Pays de
Loire affirme lui que « sur la ZAD
on se croirait à Damas ou à Mossoul. » Diable ! On en frémit sans
doute au fond des campagnes... C'est à qui aura les mots les plus durs pour les
opposants, tantôt décrits vêtus de peaux de bêtes, avec arcs et flèches (J.
Auxiette), tantôt vrais délinquants, voire terroristes façon Tarnac, en tout
cas empêcheurs de bétonner en rond. Peut-on juste rappeler à tous ces élus,
ministres et autres Grands Fonctionnaires
que si l’État veut être respecté, il doit être respectable ? Et
qu'eux-mêmes se doivent de balayer devant leur porte. Car certains sont bien
accommodants avec les règles quand elles sont un peu gênantes.
C'est
ainsi que l’État français est en contentieux depuis des années avec la
commission européenne sur la pratique du saucissonnage, dont nous avons parlé
plus haut.
C'est
ainsi que les collectivités locales qui se sont engagées dans le financement de
l'aéroport n'ont pas respecté les règles européennes puisqu'elles n'ont pas
officiellement signifié ces aides à la commission européenne. Ce qui nous a
permis d'obtenir notre seule victoire juridique à ce jour. Peu médiatisée et
peu commentée par les perdants il est vrai. Le Syndicat Mixte Aéroportuaire a
été condamné à récupérer auprès d'AGO les intérêts de subventions versées
illégalement entre 2001 et 2003. Une bagatelle de 876 599€. Dans ces temps de
disette d'argent public, on aurait pu dire merci aux opposants, non ? Mais
un journal local a titré : « Les opposants déboutés sur 7 recours ».
Vrai sur la forme, faux sur le fond : Après avoir poliment demandé à
chaque collectivité de récupérer l'argent indûment versé et attendu patiemment
mais en vain une réponse quelconque, nous avions attaqué devant le Tribunal
Administratif ce refus implicite. Huit recours, un pour l’État et un par
collectivité adhérente au Syndicat. Le TA nous a donné raison sur le fond mais
a jugé qu'il incombait au Syndicat, composé des dites collectivités, de faire
rentrer l'argent. Sept recours tombent, le huitième est gagné. Victoire donc,
présentée comme une défaite. Il est même possible que les sept recours
« perdants » soient comptabilisés dans le curieux calcul que nous
servent régulièrement les porteurs du projet pour dire à quel point les
opposants ne sont que des plaideurs qui utilisent la justice pour retarder le
projet. « On est dans la manœuvre dilatoire d'opposants qui ont perdu 154
recours » vient d'affirmer le nouveau sous-préfet en charge du dossier
(Ouest-France du 11/09/2015). 154, excusez du peu ! Nous les cherchons encore
... l’État aime décidément le saucisson dont on peut faire tant de tranches. Il
compte 8 quand nous comptons 1, pour le même contentieux, celui des aides
financières par ex ; il compte 2 quand nous comptons 1 pour le contentieux
eau, puisqu'il faut attaquer la plate-forme et la route séparément. Il peut
même compter 28 puisque nous sommes plusieurs associations à attaquer sur le
même sujet ne serait-ce que pour être sûrs qu'un de nos recours au moins sera
recevable. La justice ayant là aussi certains mystères sur ce que l'on appelle
« l'intérêt à agir ».
Évidemment
en comptant ainsi, on voit bien le but poursuivi. 154 ! Discréditer
l'opposition plutôt que de répondre à ses arguments.
C'est
ainsi, enfin, que l’État sans doute pour ne pas rajouter à l'embolie judiciaire
a été aussi extrêmement silencieux alors que nous lui avons signalé une
grossière arnaque à l'argent public ? Le bureau d'études en charge de
l'évaluation environnementale pour Notre Dame des Landes s'appelle Biotope. Son
patron, Frédéric Melki, fut l'un des « pigeons », faisant reculer
Jean-Marc Ayrault en 2012 au sujet d'un projet de réforme fiscale concernant la
taxation de cession des jeunes entreprises. M. Melki a le sens des affaires.
Pour pouvoir collecter un peu d'argent public, celui des emplois jeunes, il a
trouvé un stratagème efficace : adosser à son bureau d'études, qui n'a pas
le droit de bénéficier d'un emploi-jeune, une association en charge sur le
papier du moins de voyages (écologiques sans doute) car elle peut profiter du
système. L'ingénieur écologue qui a réalisé le diagnostic environnemental de
Notre Dame des Landes a été payé par cette association, avec des aides publiques illégales. Le jugement des prud’hommes est très
clair et sans appel. Mediapart s'en est d'ailleurs fait l'écho. Quand
nous en avons eu connaissance, nous avons écrit au Préfet, à la Ministre de
l'Action Sociale, au Ministre du Budget et au procureur de la République.
Silence habituel des ministres. Côté justice, une enquête préliminaire a été
confiée à un gendarme. Pour l'instant on en est là. Un an après. Y aura-t-il
poursuite ? M. Louvrier demande-t-il la dissolution de l'entreprise
Biotope ? M. Mustière condamne-t-il ce patron indélicat ? Madame la
Ministre des affaires sociales crie-t-elle à l'arnaque ? Non. Comme
toujours la délinquance en col blanc émeut très peu. Moins qu'une barricade sur
la ZAD, ce « kyste » dont il faut se débarrasser .
Et l'on peut aussi se demander quelles
contorsions seront nécessaires pour financer peut-être avec de l'argent public
le maintien de la piste pour Airbus. Car on a, là aussi, un merveilleux exemple
d'improvisation et d'amateurisme de nos donneurs de leçons. L'usine Airbus de
Bouguenais utilise l'aéroport pour son avion-cargo, le Beluga, et bien
évidemment aussi pour les nombreux déplacements professionnels de ses cadres.
L'usine Airbus de Saint-Nazaire fait de même. Comme les deux aéroports sont des
équipements publics ouverts à l'aviation générale et font partie de la même
concession, aucun problème. Il n'y a aucune usine Airbus en France qui ne soit
à côté d'une piste. Peut-on envisager que Bouguenais devienne la
première ? Est-il raisonnable de fragiliser le site industriel majeur du
sud de l'agglomération ? La question est donc posée dès le débat public. Les
réponses sont rassurantes : pas de problème, on gardera la piste. En 2009,
changement de posture. Jean-Marc Ayrault annonce la fermeture totale du site de
l'aéroport et la mise en place d'une commission pour trouver les meilleures
solutions pour Airbus. Quelques mois plus tard, retour à la case départ, on
gardera la piste. Oui, mais qui paiera ? Si la piste de St-Nazaire fait
bien partie du contrat de concession signé avec AGO, ce n'est pas le cas de
Nantes-Atlantique, censée disparaître. Alors ? Le Président du Département
tire le premier : « S'il faut participer financièrement, nous serons
autour de la table ». Il est le seul officiellement. Et personne ne sait
aujourd'hui encore qui paiera. Airbus ? A voir, on ne l'a pas encore entendu
le dire. Les collectivités locales ? Avec de l'argent public, pour une
entreprise privée ? Cela intéressera certainement l'Europe de le savoir et
aussi Boeing. Dans le cadre de la concurrence libre et non faussée, dans le
respect des règles de l'OMC… n'est-ce pas ? Une belle impréparation pour
le moins en tout cas, pour un si vieux dossier.
Chapitre trois : Mentir, et finir par y croire ?
Un
des sujets de philo du bac 2015 aurait mérité d'être traité par de nombreux
responsables politiques : « La politique échappe-t-elle à l'exigence
de vérité ? » Malheureusement il semble qu'elle lui échappe. Alors
qu'elle ne le devrait pas.
Pourquoi ?
Comment des élus peuvent-ils en arriver à oublier tout désir de vérité ?
Parce
qu'ils n'ont pas le temps de regarder les dossiers ? Parce qu'ils ne
veulent pas les regarder ? Parce qu'ils ne savent pas ou plus se faire une
opinion de manière rationnelle ?
Qu'ils
n'aient pas le temps, tout le monde le sait. Quand on passe sa vie en politique,
on n'a pas le temps de lire comme l'a avoué Fleur Pellerin, ministre de la
culture, on lit des fiches, courtes. On a une bonne mémoire et l'on retient deux ou trois arguments qu'on
répétera comme un mantra, en finissant par y croire. La technicité des dossiers
est un fait : il nous aura fallu à nous opposants du temps et des
compétences multiples pour décrypter, comprendre, trouver les manipulations.
Rien d'étonnant à ce que la plupart des élus qui votent pour un aéroport, un
stade, une ligne Grande Vitesse et engagent notre argent ne prennent pas ce
temps de l'analyse de fond. Il faut dire que le dossier technique est rebutant
notamment l'analyse financière. La pertinence d'un grand équipement doit être
confortée par deux ratios, la Valeur Actualisée Nette (VAN) et le Taux de Rentabilité Interne (TRI), alpha et oméga de la justification économique d'un
projet d'infrastructure. La formule de calcul de la VAN et du TRI renvoie tout le monde à de mauvais
ou lointains souvenirs de mathématiques et d'économie.
Inutile
de dire qu'aucun élu, ou presque, ne
connaît ni ne comprend les deux
formules. Et cela n'a rien d'étonnant. Heureusement, comme le lapin du chapeau
du prestidigitateur, à la fin il sort de ces
formules compliquées un simple chiffre ; un TRI supérieur ou égal à 4 signerait
un projet pertinent. Pour calculer ce chiffre, il faut faire des hypothèses (
sur les taux, sur le montage financier,etc). Bien sûr, c'est là que se niche le
diable… car le dit montage financier est souvent repoussé à plus tard. Et
personne ne pose la question ou ne s'interroge sur les hypothèse retenues. Pire
même, comme on ne comprend pas vraiment de quoi on parle, on est prêt à valider
un projet à 3,8 de TRI. Que font deux petits dixièmes à l'affaire ?
A l'automne 2014, au moment où s'ouvrait le débat LNOBPL, le Conseil Général de Loire-Atlantique a voté pour le
fameux scénario bleu, comme on l'a expliqué plus haut. J'ai testé la
connaissance du dossier chez mes collègues en demandant sur quelles hypothèses
financières avaient permis de calculer la VAN et le TRI, les deux indicateurs
garants de la « rentabilité » du projet. La seule réponse qu'a pu me
donner le rapporteur du dossier fut de m'expliquer le sens des deux sigles…
Dans la délibération d’ailleurs, il n'y avait même pas les chiffres. Peut-on
dès lors parler de décision éclairée ? Les élus sont en général trop
confiants dans le « grand élu » qui voit paraît-il plus loin, et dans
le technicien qui sait. Méfiants a contrario envers les opposants, car
l'opposition quelle qu'elle soit renvoie à l'élu la difficile question de la
démocratie. Et de la perte éventuelle de son pouvoir. La démocratie se
joue-t-elle seulement au moment des élections ou doit-elle être un processus
permanent ? Elle demande en tout cas du temps et de la patience
incompatibles avec les mandats qui durent et se transforment en métier. Aux
yeux des élus, le citoyen devient non plus celui qui ayant délégué sa parcelle de
pouvoir exige à juste titre des comptes mais celui qui râle et empêche de
faire. L'esprit de corps, l'appartenance au groupe, l'absence de temps pour
cause de cumul de mandats, empêchent que les questions soient posées
correctement. Mais aussi l'absence de culture du travail collectif et une forme
de paresse intellectuelle.
Objectivement,
rationnellement, et hors toute réflexion sur l'avenir du transport aérien, la
question du transfert de l'aéroport aurait dû être posée ainsi :
Nantes-Atlantique a un aéroport international. Il a deux défauts, une piste
unique, dont l'orientation oblige à un
survol de zones habitées. Ces défauts sont-ils totalement rédhibitoires ou
gérables ? L'amélioration qui résulterait de son transfert justifie-t-elle
l'argent public qui doit y être investi et la destruction irréversible
d'espaces agricoles et naturels alors qu'on connaît désormais l'enjeu de l'artificialisation des
terres ? Bref y a-t-il un Intérêt Général Majeur au transfert de Nantes-Atlantique ? Si oui, le site retenu il y a 50 ans, une
zone humide à plus de 90 %, vaste éponge où naissent les sources de deux
bassins versants, au bocage devenu exceptionnel parce que presque partout
ailleurs on l'a détruit, reste-t-il le bon ?
Mais ce n'est pas ainsi que l'on
débat en politique. Tout le monde a oublié Socrate sans doute et sa maïeutique.
Au Conseil Général, Patrick Mareschal Président de 2004 à 2013, farouche
partisan du transfert, a organisé un débat au sein de sa majorité. Effort
louable de démocratie qu'on veut bien lui reconnaître surtout quand par
ailleurs Jean-Marc Ayrault, à la tête de la Métropole et de la ville de
Nantes-Atlantique a toujours refusé de discuter de Notre Dame des Landes, se
mettant en colère immédiatement et rompant là le dialogue (si l'on ose utiliser
le terme). Pour préparer ce que je crois être un vrai débat, j'envoie au
préalable à mes collègues un questionnaire, égrenant les questions que l'on
devrait se poser collectivement. Avec trois colonnes (oui ; non ; je
ne sais pas). Aucun retour. La réunion commence et dure deux bonnes heures
pendant lesquelles chacun à tour de rôle donnera son avis. Du genre :
« Je suis pour parce qu'on a besoin d'un aéroport international pour le
rayonnement de la Région. » « Je suis pour parce que avec Notre Dame des
Landes, on aura plus de lignes commerciales. » « Parce qu'il sera
l'aéroport du Grand-Ouest etc etc ». Le tout dans la langue de bois
habituelle, compassée et répétitive. Impossible d'arrêter et d'objecter. Au nom
de la démocratie, bien sûr, on doit s'écouter poliment. De quoi faire bouillir
toute personne qui essaie de raisonner, c'est à dire de traquer une vérité qui
se dévoile par approches successives, loin des positions a priori. A la fin de
ce long tour de table, on constatera sans surprise que les pro sont
majoritaires mais que l'on n'a pas avancé d'un iota sur la véracité ou non des
arguments. Peu importe. Le Président pourra conclure sur la richesse du débat
et avoir en plus l'impression d'avoir été démocrate.
La
session publique où l'on engagera les finances du Département sera du même
tonneau : une succession d'affirmations et de prises de position pour
Notre Dame des Landes dont beaucoup d'élu-e-s n'ont pas ouvert le dossier. J'ai
vécu le même vertige lors du débat sur le Traité Constitutionnel en 2005. Lors
des nombreuses réunions auxquelles j'ai participé à ce moment-là, j'ai constaté
régulièrement que les partisans les plus acharnés du « OUI »
n'avaient pas lu le texte. Les plus honnêtes le reconnaissaient mais
justifiaient tout de même leur position par une sorte de raisonnement
stupéfiant : « Je n'ai pas lu, mais je suis pour ce que je voudrais
voir écrit, ou pour ce que je crois être écrit ! » Beaucoup n'avaient
même pas cette honnêteté minimale, hélas.
Pour Notre Dame des Landes, même attitude.
Dans les débats contradictoires que certains partisans ont acceptés, il n'est
pas question de la réalité du dossier, comme si on était au dessus des détails.
A quoi bon connaître la longueur de la piste ? Juste à savoir qu'on nous
raconte des bobards quand on prétend accueillir de gros porteurs à Notre Dame
des Landes... A quoi bon regarder le contrat de concession ? Juste à voir
l'arnaque des superficies. A quoi bon regarder les chiffres des emplois actuels
sur l'aéroport ? Juste à comprendre qu'il n'y aura pas les créations
d'emplois promises tout simplement parce que les courbes d'augmentation des
voyageurs et celles des emplois créés ne se suivent pas ...
Ne pouvant se fonder sur des faits objectifs, le discours
pro-transfert est un mélange de mensonges (sur les risques, le bruit, le risque
pour le lac de Grand-Lieu, les emplois
créés, les nouvelles lignes etc) et de déclarations de
foi : « C'est un projet de territoire », « C'est bon
pour l'avenir de notre Grand-Ouest » , « C'est nécessaire au développement. »
Jean-Yves Le Drian a déclaré qu'il ne comprenait pas « au nom de quoi on
voudrait priver les habitants de Bretagne et des Pays de la Loire et d'autres
régions de l'accessibilité aérienne ». Qui a jamais parlé de priver qui
que ce soit d'accessibilité aérienne ? Il y a à ce jour 10 aéroports en Bretagne et 17 en Pays de Loire
( Nantes-Atlantique étant évidemment le plus important), et aucune compagnie
n'a renoncé à ouvrir une ligne au motif que l'infrastructure ne le permettait
pas... S'il n'y a pas de ligne vers Shanghai, ou New York ce n'est pas parce
que Nantes-Atlantique est saturé mais parce que le marché n'existe pas et Notre
Dame des Landes ne changera rien à l'affaire.
« On
ne va quand même pas laisser ainsi en l'état ce vaste terrain
vague ! », Nicolas Sarkozy à qui personne n'a dit sans doute que les
terres de Notre Dame des Landes sont cultivées.
« C'est
un projet utile pour des régions, pour des millions d'habitants pour notre
pays », Manuel Valls. Mais encore? La fiche fournie au premier
ministre ne devait pas être très complète…
« Cet
aéroport est nécessaire pour l'ouverture de notre région au monde... »
Christophe Clergeau, candidat socialiste à la Région lors d'un de ses premiers
meetings de campagne en octobre 2015. « L’aéroport apportera des bénéfices
très concrets pour le développement économique et le rayonnement international.
Il est porteur d’une vision positive du développement durable. » Jacques
Auxiette, président de Région. Développement durable, combien de crimes commettra-t-on
en ton nom ?
« L'Aéroport
du Grand Ouest représente un enjeu essentiel pour l’attractivité
internationale, le désenclavement, la croissance et le développement pour les
territoires et les habitants de la région Bretagne et Pays de Loire ». Le même
J.Auxiette.
« L'Aéroport
se fera parce que le transfert est inéluctable, parce qu'on n'a pas le
choix. » André Tameza, ancien directeur de la CCI, en charge de la gestion
du Domaine d'Activités Aéroportuaires pendant des années, et vice président de
l'association « Des Ailes pour l'Ouest ».
« L'aéroport
est indispensable pour développer l'économie. » J.F.Cadio vice-président de la CCI.
On
pourrait poursuivre à l'envi et jusqu'à satiété la litanie des phrases creuses
et si caractéristiques de notre « élite politico-économique ».
« Mais
enfin, tous ces gens qui ont décidé de réaliser cet aéroport ne sont pas
stupides, ils sont même d'accord par delà leurs divergences politiques.
Alors ? » questionnent certains.
Stupides,
non. Personne ne le dit. Mais tous sur le même logiciel certainement. Le
logiciel de la croissance, des réalisations qui modèlent le paysage,
transforment les villes (et les campagnes!), dessinent des routes, des ponts,
des ports et des aéroports, des « investissements d’aujourd’hui pour les
emplois de demain », comme on l'a tant entendu. Ce qui explique aussi le
couple formidable que certains élus forment avec leurs
« fonctionnaires ». Comment un ingénieur des Ponts n'aurait-il pas
envie de construire ? Sa culture professionnelle est celle du bâtisseur,
et en ce sens il ressemble à l'élu. Il est probable qu'à Paris la Direction
Générale de l'Aviation Civile rêve, culturellement parlant, de ce nouvel
aéroport présenté d'ailleurs comme le dernier qui serait construit en
métropole. Sur l'île de Pâques, les rois ont abattu leurs derniers grands
arbres pour avoir la plus grande statue...( comme le montre avec brio Jared
Diamond dans son livre : Effondrement). Il est possible qu'à
Nantes-Atlantique, une partie des contrôleurs aériens rêvent d'un aéroport à
deux pistes, plus simple à gérer. Il est probable que joue aussi l'attrait du
neuf, du moderne, surtout s'il est repeint en vert et Haute Qualité
Environnementale (ce sigle qui ne veut pas dire grand-chose mais dont on sent
qu'il est politiquement correct) ! Et puis, il y a l'emploi !
Certains croient honnêtement que ce projet est porteur d'emplois, et en période
de chômage massif, cet argument a évidemment un poids réel. Qu'en est-il
vraiment ?
Les pro NDL ont fait miroiter les créations d'emplois sur
deux fronts : celui du chantier de réalisation et celui du fonctionnement
du nouvel équipement. Évidemment un chantier génère du travail. AGO, la CCI et
les Ailes pour l'Ouest parlent en milliers d'emplois et en millions d'heures, c'est
plus impressionnant (5,4 Millions d'heures, 3 500 emplois). Commençons par
traduire : cela fait 750 Équivalents temps plein pendant 4 ans. Combien
d'emplois nouveaux parmi eux ? Fort peu sans doute, et par nature non
durables, puisque les entreprises de ce type de grand chantier viennent souvent
avec leurs travailleurs. Certes, on peut compter sur la mécanique huilée des
quelques emplois d'insertion que l'on montrera en exemple et qui cacheront
peut-être la cascade probable de sous-traitances...Mais de toute façon, s'il
faut un chantier pour le BTP mal en point,
on en a un facile, sans « zadistes » ni destruction d'espèces,
sans zone humide ni problèmes administratifs, un chantier qui pourrait être
lancé dès 2016 : la rénovation de Nantes-Atlantique.
Quant à l'autre chiffre concernant les emplois directs de
l'aéroport, il a aussi permis de solides mensonges : 1200 emplois créés
par million de voyageurs disait la chambre de commerce. Plus modérés les
bulletins du département et de la ville de Nantes Supplément au magazine du
département, juin 2012 : « 800 à 1000 salariés par million de
passagers transporté. (…) d’ici à 2017, toute l’activité sera transférée sur le
nouveau site et 500 postes supplémentaires créés pour faire face à
l’augmentation du trafic. »Nantes-Passion, janvier 2013 :
« selon les études, 1 emploi direct est créé tous les 900
passagers. » Mais à Nantes-Atlantique le ratio est beaucoup plus bas,
plutôt de l'ordre de 600 : 1986 ETP en 2013 pour 3,6 Millions de
passagers. Et bien évidemment les emplois seront d'abord transférés du Sud
Loire vers le Nord Loire alors que la plupart des employés qui travaillent
aujourd'hui à Nantes-Atlantique habitent au Sud-Loire. Par ailleurs dans le
domaine aéroportuaire comme partout la tendance est plutôt à automatiser, et à
réduire le recours à du personnel supplémentaire. La preuve en est que malgré
l'augmentation importante du nombre de voyageurs accueillis à Nantes, les
créations d'emplois ne suivent pas le même rythme : 1850 ETP en 2010 pour 3
Millions, 1986 ETP en 2013 pour 3,6 Millions
de passagers.
Impossible « machine
arrière »
Que
les élus aient pensé que ce projet était
intéressant, dans le sillage d'un vieille décision, n'est pas vraiment
surprenant. Ce qui l'est plus, c'est le maintien envers et contre tout du
projet. Et contre l'évidence.
« Visiblement, mentir c'est moins grave que de perdre la
face » constatait Antony Bellanger,
journaliste, sur les ondes de France Inter le 14 août 2015 à 8h15, à propos des
statistiques économiques chinoises fausses.
Il
n'y a pas que les chinois qui trichent et qui n'aiment pas perdre la face. Dans
leur « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens »
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois fournissent une des explications
probables à cette obstination irrationnelle. Lorsque nous nous sommes engagés
dans une voie qui a nécessité un choix ou une première décision, quelque chose
résiste ensuite en nous à accepter de faire marche arrière, même si la preuve
de l'erreur est évidente. Les psychosociologues appellent ce phénomène
« le piège abscons ». Il semble que ce soit une maladie
particulièrement répandue dans le monde politique où l'on rencontre peu de gens
prêts à reconnaître leurs erreurs et encore moins leurs mensonges…
Il
est donc peut-être impossible mentalement pour Jean-Marc Ayrault, Jacques
Auxiette ou Bruno Retailleau de faire
machine arrière, et donc pour tous les autres élus qui les suivent ou les ont
suivis. D'autant que depuis des années les politiques vivent dans une forme de
schizophrénie permanente, à gauche comme à droite, à l'échelon local comme à
l'échelon national. Quelques exemples : les élus de droite qui
idéologiquement se présentent comme des libéraux et trouvent toujours que les
dépenses publiques sont excessives, sont en principe rétifs à l'embauche de
fonctionnaires mais localement, quelle que soit la couleur des
intercommunalités, des départements ou des régions, ils ont embauché, preuve
sans doute que le bon fonctionnaire est celui qu'on embauche soi même… Les
mêmes élus lorsqu'une entreprise ferme sur leur territoire affirment leur
soutien aux employés, interviennent, soumettent à leurs assemblées des vœux, en
appellent au ban et à l'arrière ban pour éviter les licenciements, alors qu'ils
devraient aller expliquer aux futurs licenciés leur jolie théorie de la
nécessaire compétitivité, de la nécessaire flexibilité, du nécessaire sacrifice
aujourd'hui de certains pour le prétendu bonheur à venir… Des élus de gauche
sont tout à fait capables de défendre dans le discours avec fougue une
agriculture paysanne, créatrice d'emplois, et soucieuse de l'environnement,
mais incapables de s'opposer dans les faits à l'industrialisation
catastrophique de l'agriculture. Les propos de Stéphane Le Foll au moment du
procès des démonteurs de la ferme des mille vaches est stupéfiant (« Ce
n'est pas le modèle que nous défendons mais je ne peux pas m'y opposer »)
signe un terrible aveu : un ministre ne
sait plus que la puissance publique existe et que les lois sont faites
justement pour s'opposer à ce que l'on considère comme mauvais.
C'est ainsi que tous ensemble, les élus locaux
adoptent des agendas 21 et des plans climat, parlent de développement durable
et de haute qualité environnementale mais continuent à peu de choses près comme
hier. Il suffit de regarder la répartition des principales masses financières
dans les budgets des collectivités locales pour comprendre que la transition
écologique est loin d'être entrée dans les faits, même si tout le monde en
parle.
Le
département de Loire-Atlantique a adopté
à l'unanimité un superbe plan-climat, fondé sur le scénario
« Négawatt » qui prévoit une baisse des consommations d'énergie et de
production des gaz à effet de serre et qui concerne donc aussi le transport
aérien ; c'est écrit noir sur blanc page
97 : «transport aérien réservé à des usages très
limités » ! Cela n'empêche
absolument pas les mêmes élus de vouloir un nouvel aéroport, d'en payer une
partie des coûts, et de se féliciter de la progression du transport aérien et
de croire que rien ne la limitera… Contradictions, schizophrénie, injonctions
paradoxales, il faudrait faire appel désormais à des psychiatres pour
comprendre le fonctionnement des politiques. Il est possible aussi que nos
politiques aient un problème avec l'acceptation des limites pour ne pas dire
avec l'idée de mort. Eux qui ne se voient jamais arrêter leur carrière, qui
refuse l'idée de la limitation des mandats, ont-ils vraiment conscience des
limites de la planète et des limites de leur territoire immédiat ?
Visiblement en tout cas leur désir de marquer le territoire, de réaliser le
grand équipement de rêve leur fait perdre même la mémoire. Dans les années 80,
les géants de l'eau démarchaient les communes qui géraient en régie directe
l'eau et l'assainissement pour qu'elles leur en
délèguent la gestion. Avec des arguments sonnants et trébuchants, c'est
à dire en proposant de verser une somme rondelette au budget de la commune. Pas
par philanthropie, mais en contrepartie de contrats léonins, très longs ( 30
ans) où il se payaient sur la bête, c'est à dire sur les usagers. Ce n'était
déjà pas glorieux mais enfin on comprenait que certains élus cèdent à la
tentation de voir arriver de l'argent frais. L'analyse critique a été faite de
ces contrats de concession, qui ont coûté cher à tous les usagers et où souvent
les réseaux n'ont pas été entretenus correctement. Aujourd'hui, c'est pire.
Vous voulez un aéroport ? Très bien, mais c'est le candidat qui impose ses conditions : adieu l'aéroport
idéal, le plus rentable suffira. Quant
au partenariat financier, il prévoit que
l'État et les collectivités mettent sur la table des subventions (
remboursables pour certaines si le chiffre d'affaires d'AGO est meilleur que
prévu), garantissent les prêts et signent une concession de 55 ans...Et les
élus se réjouissent ! On croit rêver.
Est-ce
suffisant pour expliquer l'impasse dans laquelle nous sommes ? Sans doute
pas. Mais les autres explications ne sont pas plus rassurantes.
A l'obstination, ou à l'impossibilité
psychologique de faire machine arrière, il faut rajouter le jeu politicien qui
pousse à la surenchère. Devant des arguments de fond, imparables, on préférera
parler d'autre chose : de la ZAD, de ses opposants « ultra
violents » (comme les a présentés Manuel Valls, après la manifestation de
février 2014 ou le 15 oct 2015).
L'enjeu, pour ceux qui sont dans l'opposition aujourd'hui est de faire passer
le gouvernement pour un faible qui cède aux minoritaires, l'enjeu pour le
gouvernement, c’est de ne pas perdre la face et donc d'être ferme, voire très
ferme. La course à l'échalote est en route et les gorilles tambourinent à qui
mieux mieux. La différence c'est que dans la nature, les gorilles sont capables
de faire machine arrière après avoir tambouriné parce qu'ils seront en première
ligne s'ils passent à l'attaque. Dans le confort des palais de la République,
on peut décider d'envoyer les gardes-mobiles, on n'est pas en première ligne…
L'aéroport de Notre Dame des Landes
est désormais un objet qui alimente le jeu politique : le rapport de
forces entre socialistes et écologistes, les négociations au sein de la
majorité, les stratégies au sein du gouvernement, ou entre Matignon et
l’Élysée. Au point que la décision de faire ou de renoncer sera hélas prise
probablement pour d'autres raisons que des raisons de fond du dossier.
Plus grave encore, la forme qu'a
prise la résistance (avec une occupation du terrain et des maisons vides, une
solidarité impressionnante et un élargissement de la lutte et de ces méthodes)
est absolument insupportable pour le pouvoir. Car elle met en lumière la crise
de la démocratie représentative, le fossé entre les élites et une partie de la
population, le décalage entre le discours politique et la réalité. Elle permet
aussi de détourner l'attention du fond du sujet en centrant les discours quasi
exclusivement sur la ZAD et ses occupants.
Dernière hypothèse, qui n'est pas la
plus réjouissante. N'y aurait-il pas en arrière plan des intérêts cachés mais
décisifs qui expliqueraient une connivence entre certains acteurs du
projet ? La connivence existe et depuis longtemps au plus haut niveau de
l’État. On a déjà parlé du Préfet Hagelsteen et de Nicolas Notaebert, ancien du
cabinet du ministre des transports Gayssot et devenu responsable de Vinci
Concession mais il faudrait aussi ajouter le conseiller « énergie,
transports, environnement » actuel auprès de Manuel Valls, Loïc Rocard qui a travaillé pour Cofiroute et Vinci
Concession.
Tout cela est légal, nous dira-t-on,
et habituel. Dans notre pays certes où la consanguinité entre le monde
politique et le monde économique est désormais bien connue. Ce qui ne justifie
rien. Et n'empêche pas un doute légitime sur les décisions publiques, un doute
qui mine la confiance entre citoyens et
décideurs, socle théorique de notre
république. Le dernier mensonge de notre dossier concerne en effet les finances
et le coût en l'argent public de ce transfert. Un des arguments entendus pour
poursuivre malgré tout est le suivant : cela coûterait trop cher de
s'arrêter maintenant. Une somme monstrueuse a même circulé, plus d'un milliard
de dédit si l’État rompait le contrat avec AGO… (article de l' Express du 7 janvier 2015 ). Nous avions
regardé les conditions du contrat de concession et avions noté qu'il faudrait
rembourser au concessionnaire le montant des travaux engagés et calculer aussi
« le manque à gagner » pour AGO. Pas de réaction de l’État à la
parution de cette somme. Le silence comme approbation cette fois ?
Nous
arguions qu'il y aurait discussion, que l’État avait bien déboursé 839M€ pour rompre le contrat avec Ecomouv en
renonçant à l'écotaxe et à ses portiques, qu'il pourrait négocier avec AGO sur
la gestion de l'aéroport actuel, très profitable, mais nous n'avions pas creusé
davantage. L'Atelier Citoyen l'a fait et la surprise est de taille :
d'abord le coût du dédit serait bien moindre qu'annoncé (entre 150 et 250 M€ du
fait de l'actualisation prévue au contrat) et surtout financièrement, tous les
acteurs, tous, auraient intérêt à arrêter maintenant : l’État qui
éviterait de financer les investissements qu'il doit prendre en charge (tour de
contrôle, partie de la route) et même avec le coût du fameux dédit serait
financièrement gagnant au bout du compte, les collectivités locales (qui ont
prévu de prêter de l'argent à AGO et de financer d'autres
investissements : barreau tram-train, pont sur la Loire comme le demandent
les élus vendéens ?) et même AGO dont les actionnaires devraient regarder
de plus près la manière dont leur groupe est géré puisque le réaménagement de
Nantes-Atlantique serait beaucoup plus profitable. Qui perdrait à cette sortie
de l'impasse ? Les banques, acteurs discrets mais présents et surtout, un
secteur inexistant officiellement mais probablement très influent, le secteur
de l'immobilier. Car partir du site actuel et construire ailleurs signifie
évidemment dégager de nouveaux terrains constructibles et réaliser de juteux
bénéfices au passage. Si Vinci en tant que gestionnaire de l'aéroport a intérêt
financièrement à rester à Nantes-Atlantique, Vinci construction a probablement
lui intérêt à partir…D'ailleurs la liste des entreprises liées à Vinci, dans
l'annexe 19 du contrat de concession, a de quoi donner le vertige : 2460
(!) entreprises « liées » dont un certain nombre dans l'immobilier.
Pour
répondre à la critique du risque d'artificialisation accrue des terres autour
d'une nouvelle plate-forme aéroportuaire, les élus du Département ont répondu
par la mise en place d'un PEAN*,
périmètre censé protéger les espaces agricoles et naturels entre
Nantes-Atlantique et Notre Dame des Landes. Louable intention mais comme
c'était prévisible, toutes les communes n'ont pas accepté cette protection.
Certaines attendent avec impatience la manne de la construction et des taxes
foncières. Comment en serait-il autrement d'ailleurs puisque notre pays n'a
jamais pris à bras le corps ni la question compliquée des ressources
financières des communes ni celle de la péréquation équitable qui serait
nécessaire pour que les élus cessent de penser uniquement au développement
quantitatif, c'est à dire à la construction et au grignotage inéluctable de
l'espace agricole et naturel. Il est donc plus que probable que la spéculation
foncière se nourrira de ce nouvel équipement… Un des administrateurs de
l'association des Ailes pour l'Ouest est d'ailleurs promoteur immobilier ce
qui, on s'en doute, conforte son bel enthousiasme pour le transfert !
Si
les décideurs politiques n'entendent pas ce dernier argument purement
financier, est-ce seulement parce qu'à force de manier des millions ou des
milliards d'euros ils n'ont plus la notion des coûts ? Ou parce qu'ils ont d'autres intérêts, eux ou les
grands groupes amis?Parce que les grands travaux sont un puissant carburant
financier pour le système économique, quelle que soit l'utilité réelle des
infrastructures ? Parce qu'il sont tous atteints par l’envie de jouer
à SimCity, ce jeu vidéo où l'on construit des villes avec leurs équipements,
écoles, transports, hôpitaux, où l'on lève l'impôt, où l'on surveille et punit,
où l'on doit aussi ménager les électeurs pour qu'ils ne s'en aillent pas?
Oui, les élus jouent à SimCity, mais dans la vraie vie, avec de l'argent public
et un territoire fini. Or si dans le jeu
il y a bien une touche « reset » pour repartir à zéro, la planète sur
laquelle nous vivons, elle, n'a pas cette touche miracle...
Media et opinion publique
Que
les politiques n'entendent même plus le sens de leurs propos nous est devenu,
hélas, habituel. Les humoristes s'en régalent d'ailleurs. Pourtant, quand on
s'arrête un instant, et au-delà de certaines phrase creuses déjà citées, il y a plus grave.
F.
Hollande affirme le 5 janvier 2015 sur France inter : « Ce projet est
lancé depuis des années, il est contesté, il y a des recours. Tant que les
recours ne sont pas épuisés, le projet ne peut pas être lancé. Quand les
recours seront épuisés, le projet sera lancé ».
Cela
paraît plutôt sympathique et les opposants s'appuient régulièrement sur cette phrase pour espérer
encore. Relisons cependant. « Quand les recours seront épuisés, le projet
sera lancé. » Pas l'ombre d'un doute, pas de « si », pas de
conditionnel, le résultat des recours est tellement sûr que le président
emploie l'indicatif futur. Lapsus
révélateur. Que personne ne relève. De même qu'aucun journaliste n'a osé
rappeler au premier ministre affirmant que les recours étaient purgés qu'en
droit il y a pourtant trois temps dans une procédure juridique. Faut-il croire
encore en l'indépendance de la justice si les gouvernants savent à l'avance
qu'il gagneront les recours ? Il est vrai qu'en dernière instance, le
Conseil d’État s'oppose rarement ...
La
recherche de la vérité est-elle encore une valeur partagée ? Il est permis
d'en douter. Ce qui intéresse l'essentiel des media,
sauf exceptions, ce n'est pas le fond du dossier mais le spectacle, le bruit et
la fureur, le sang et les larmes. Depuis les événements de l'automne 2012,
l'image d'une barricade et d'un zadiste cagoulé a plus d'impact que tous les
chiffres et les arguments rationnels. La société de l'image et du sensationnel dans laquelle nous vivons
n'aide pas à penser juste. Et les media ont leur part de responsabilité. Les
journalistes tendent bien leur micro à chacun des camps, mais ne font que rarement leur travail d'investigation. La
terre n'est pas plate, et elle tourne, c'est un fait. Peut on renvoyer dos à dos Giordano Bruno et le juge
de l'inquisition qui le condamne en leur donnant à chacun la parole ?
« Les gens n'y comprennent plus rien » m'ont dit certains
journalistes, « Vous dites cela mais en face ils disent autre
chose », « C'est trop compliqué! ». L'important n'est plus
visiblement de savoir ce qui est vrai et ce qui
dit faux sur chaque point du dossier.
Comment
l'opinion publique s'y retrouverait-elle ? Oscillant entre la sympathie que lui
inspirent les agriculteurs, les tritons à sauver, les jeunes qui vivent dans des conditions précaires sur la
ZAD , et la peur du désordre, la crainte des mêmes jeunes lorsqu'ils ont des
cagoules et l'agacement devant les difficultés de circulation sur certaines
routes dont la plupart seraient d'ailleurs coupées en cas de construction de
l'aéroport. Ignorante des mensonges qu'on lui raconte parce qu'elle veut encore
croire à la manne des emplois, ou parce que comme l'autruche elle ne veut pas
regarder les vrais problèmes de l'énergie, du climat, du système économique
dominant. Fatiguée par toute l'encre déjà coulée sur le sujet. Ou accablée par
tant de mensonges, de scandales quotidiens, de promesses non tenues déjà qu'elle en perd sa faculté d'indignation.
Versatile aussi et égoïste, comme nous le sommes presque tous.
Légalité et légitimité
Si
la vérité n'éclate pas, si les mensonges restent méconnus et impunis, et si les
recours sont perdus, que ferons-nous se
demandent parmi les opposants, ceux qui ont accepté les règles du jeu du
« débat
démocratique » parce qu'ils le croyaient honnête ? Depuis des mois, je sais que nous ne ferons pas l'économie du
choix entre légalité et légitimité. Que nous devrons résister, fût-ce en
s'opposant à la loi et aux forces de l'ordre. Fille d'une institutrice,
héritière des hussards de la République et d'un ouvrier de la sidérurgie, j'ai
été élevée dans le respect de l'ordre, de la règle et du travail. A vingt ans
je comprenais Créon et peinait à admettre la dureté de cristal d'Antigone, à
soixante je suis révoltée comme je ne l'ai jamais été après avoir passé toute
ma vie d'enseignante et d'élue à rechercher l'intérêt général. Le discours de
l’État et des plus fervents zélateurs du transfert ne cesse de se référer à la
légitimité démocratique des élus qui ont voté pour le projet et au respect de
l’État de droit pour discréditer les opposants. Comme si l’histoire ne nous
avait pas appris que le pire peut arriver légalement et démocratiquement...Pour
que l’État de droit soit respecté, il faut qu'il soit respectable. Pour que la
légitimité des décisions prises par nos représentants soit reconnue, il
faudrait qu'ils admettent que la démocratie est un exercice continu, qui exige
de reconnaître la place des citoyens, leurs compétences, leurs capacités à
produire des analyses et des propositions alternatives, bref à accepter de
perdre une parcelle de pouvoir. Il
faudrait qu'ils acceptent de reconnaître qu'ils ont peut-être regardé trop
superficiellement ce dossier. Se croire seul dépositaire du bien commun, surtout quand on voit ce que certains
en font, sans assumer aucune des
conséquences parfois désastreuses de ses votes ou décisions n'est pas digne
d'une charge élective. L'intelligentsia
applaudit Stéphane Hessel qui appelle à l'indignation, invite partout
Edgar Morin, le sage de la complexité,
mais ne trouve leurs propos
formidables que dans les colloques et les réunions de l'entre-soi.
Après
la mort de Rémi Fraisse, j'ai écrit une lettre à Najat Valaud-Belkacem, la
Ministre de l’Éducation Nationale :
« Bien
que vous ne connaissiez probablement pas dans le détail les dossiers de Notre
Dame des Landes ou du barrage de Sivens, ou d'un autre de ces grands projets
contestés, c'est à vous que je souhaite m'adresser aujourd'hui. Depuis la mort
de Rémi Fraisse, ce ne sont que questions et commentaires dans tous les media,
manifestations dans les rues de France, émotion et colère. Ce qui s'est passé à
Sivens aurait pu arriver à Notre Dame en 2012 lors de la tristement célèbre
opération « César », et nous l'avons craint chaque jour de cet
automne-là. C'est probablement pour cela que nous avons été très sollicités
pour réagir sur le drame de Sivens. Un
journaliste m'a demandé ce que je pouvais dire, en tant qu'opposante au
transfert d'aéroport mais aussi en tant qu'ancienne
enseignante aux jeunes en colère. Et
cette question à laquelle j'ai probablement mal répondu sur le coup m'a donné à
réfléchir depuis.
Et c'est
vous que je vais interroger en retour, Madame la Ministre.
J'ai enseigné les
lettres classiques du collège à la
classe préparatoire. Ai-je eu tort de faire découvrir à mes élèves la révolte
d'Antigone dans Sophocle, Jean Anouilh ou Henry Bauchau , ai-je eu tort de leur
expliquer la différence entre la légalité
et la légitimité d'un combat ? Ai-je eu tort de leur faire lire Émile
Zola ou Victor Hugo en lutte permanente contre l'injustice et pour
la vérité ?
Ai-je eu tort de montrer aux plus jeunes que le Petit Prince a raison de préférer sa rose aux fausses
richesses du businessman et de débattre avec les plus âgés sur le Discours
de la servitude volontaire d’Étienne de la Boétie ? Ai-je eu tort de lire avec eux Les
racines du ciel dont on a dit qu'il
était le premier roman « écologique », le premier appel au secours de
notre biosphère menacée ? Dont le héros
avait trouvé la force de résister
à la barbarie des camps grâce aux hannetons et aux éléphants, pour lesquels il
se battait désormais. « L'espèce
humaine (est) entrée en conflit avec l'espace, la terre, l'air même qu'il lui
faut pour vivre...comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les
plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? »,
écrit Romain Gary. Lorsqu'il a reçu pour
ce livre le prix Goncourt en 1956, le ministre de la culture l'a
probablement félicité n'est-ce pas
...
Dois-je multiplier les exemples ?
Faut-il vraiment lire Villon ( un délinquant d'ailleurs…), Rabelais, Montaigne,
La Fontaine, Beaumarchais, Montesquieu, Voltaire, Bernanos, Camus, Boris Vian
(un dangereux pacifiste, lui !) Malraux et tant d'autres ?
Tous ces auteurs
font pourtant partie des programmes, ils sont « consacrés »,
régulièrement cités et encensés par les grands de ce monde...alors ?
Aurais-je dû plutôt choisir, hors
programme, des ouvrages qui apprennent l'appât du gain, l'art du mensonge,
le refus du doute, le goût du pouvoir, la supériorité de l'oligarchie sur la
démocratie ? Aurais-je dû leur dire que la justice, la vérité, le respect
du vivant étaient des utopies inutiles, des valeurs ringardes et en total
décalage avec le monde réel ? Peut être après tout. Le choc serait moins
rude et l'école serait enfin en phase avec la société...
C'est pourquoi,
Madame la Ministre, je vous engage vivement à revoir les programmes si vous
voulez que la jeunesse se taise, qu'elle accepte le monde saccagé que nous
allons leur laisser, qu'elle n'ait comme idéal que la reproduction des erreurs
de ses aînés, qu'elle ne s'indigne pas comme le lui demandait pourtant il
n'y a pas si longtemps Stéphane Hessel,
sous les applaudissements de tous.
Au moins, les
choses seraient claires. Et l'on ne s'étonnerait plus que les socialistes au
pouvoir qui avaient pleuré en 1977 la
mort de Vital Michalon, tué lui aussi par une grenade offensive au cours d'une
manifestation anti-nucléaire, n'aient visiblement aucun remords pour Rémi Fraisse et se dédouanent au
contraire de leurs responsabilités en stigmatisant « la violence des manifestants ».
Sans doute n'ont-ils plus le temps de lire, sans doute ont-ils oublié leurs
lectures et leur jeunesse…
Dans l'espoir
d'une réponse qui intéressera sans aucun doute mes collègues enseignants et
leur permettra de mieux répondre à la tâche qu'on attend apparemment d'eux aujourd'hui, je vous assure Madame la
Ministre de ma tristesse d'enseignante et de toute mon incompréhension.
La
Ministre m'a répondu, ce qui est déjà beaucoup, vu le silence assourdissant de
tant d'autres, mais bien sûr totalement à côté du sujet. Bien que pratiquant fort peu Facebook et autres
réseaux sociaux, j'ai appris qu'on qualifiait ma lettre de
« romantique ». Le dernier adjectif auquel j'aurais pensé pour
qualifier ma plume et mes convictions... Si ce dossier mobilise tout mon temps,
si je ne peux me résigner à laisser faire ( alors que mon intérêt strictement
personnel serait que le transfert ait lieu puisque j'habite en zone D, sous les
avions) c'est qu'il signe pour moi une faillite intellectuelle et morale. Une faillite
des élites qui met à mal tout ce à quoi je crois.
Au
cœur du labyrinthe de ce dossier, il y a
bien un Minotaure effrayant. C'est la paresse de la pensée, c'est le rêve de
grandeur, c'est l'obstination coupable,
c'est l'irresponsabilité, c'est le refus des limites, peut-être aussi le
goût de l'argent et au bout du compte le
mensonge. De fonctionnaires et d'élus. Un mensonge d’État inacceptable et aux
conséquences délétères. Et l'on frémit en se disant que de telles dérives ne
concernent évidemment pas ce seul projet de transfert d'aéroport. En ce début
d'année 2016, à l'heure où tout le pays s'interroge sur les valeurs de la
République, peut-on encore espérer que des décisions publiques soient
prises sur la raison et la vérité ? Peut-on espérer que
« l'honnêteté élémentaire » et le bon sens, la « common
decency » pour reprendre l'expression de Georges Orwell, l'emportent
enfin ?
Principaux
sigles utilisés :
Acipa :
association citoyenne née en 2000, opposante historique.
CéDpa : collectif des Élus doutant de la pertinence de
l'aéroport de Notre Dame des Landes, né en 2009, devenu association en 2011.
Atelier
citoyen : association née en 2015 pour expertiser les possibilités
d'optimisation de l'actuel aéroport.
Plate-forme
proposée par des mouvements d'opposition aux Grands Projets Inutiles
Imposés :
Commission
départementale des sites, perspectives et paysages : commission
administrative sous la présidence du Préfet , rassemblant services de l’État,
élus, personnalités qualifiées et associations en charge d'émettre des avis
dans différents domaines « environnementaux », notamment les
autorisations d'urbanisation en zone concernée par la loi Littoral.
Etude
CE/Delft : http://aeroportnddl.fr/articles.php?lng=fr&pg=422
AGO :
Aéroport du Grand Ouest, société concessionnaire. Composition : Vinci,
Chambre de Commerce, ETPO.
C.C.E : Commission Consultative de l'Environnement,
présidée par le Préfet et composée d'élus, de services de l’État, du
gestionnaire de l'aéroport et d'associations pour suivre la vie quotidienne de
l'équipement : trajectoires, bruit, charte de fonctionnement etc.
D.G.A.C :
Direction Générale de l'Aviation Civile, service dépendant du Ministère des
Transports.
GIEC :
Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'évolution du Climat.
ILS :
Instrument Lending System, moyen de radio-navigation permettant un atterrissage
très précis et sûr.
NIMBY :
Not In My Back Yard : acronyme signifiant « pas dans mon
arrière-cour » . Le terme, généralement péjoratif est utilisé pour
décrire l'opposition de riverains à un
projet local d’intérêt général dont ils considèrent qu’ils subiront les nuisances.
ACSAN : Association Contre
le Survol de l'Agglomération Nantaise.
PEAN : Périmètre de
Protection d' espaces agricoles et naturels
périurbains que peut mettre en œuvre un Département après concertation
avec les collectivités locales pour protéger de l'urbanisation une zone
particulière (loi de 2005).
P.E.B : Plan d'exposition au
bruit, document d'urbanisme
« anticipatif » réalisé par la DGAC ; en imaginant le
développement du trafic en nombre de mouvements, et en dessinant les quatre zones impactées par les nuisances
aériennes, il est censé éviter une urbanisation trop importante près des
aéroports. Schématiquement, en zone A et B, il ne peut y avoir de construction
nouvelle de logements, en zone C pas de nouveaux logements collectifs, en zone D
pas de restriction mais une information obligatoire des riverains.
P.G.S :
Plan de Gêne Sonore, document qui cartographie la réalité des nuisances
sonores. A l'intérieur du P.G.S, les riverains peuvent recevoir une aide
financière pour réaliser des travaux d'insonorisation de leur maison selon la
date de construction de celle-ci.
ZAD :
Zone d’Aménagement Différé ; le sigle d'urbanisme a été détourné par les
opposants ; désormais connu de tous, il signifie Zone A Défendre...
Merci Mme Verchère de ce récit édifiant sur la malhonnêteté intellectuelle de nos élus carriériste, des hauts fonctionnaires de la république et autres grands messieurs
RépondreSupprimerLe ménage sera dur à faire, mais pour nettoyer un escalier il est préférable de commencer par le haut; n'importe quelle femme de ménage le sait !