jeudi 14 janvier 2016

Primaire à gauche, des questions en suspens, par Annick Coupé, syndicaliste , Pierre Khalfa, responsable associatif , Willy Pelletier, responsable associatif et Aurélie Trouvé, responsable associatif


Si l’initiative est bienvenue, peut-elle vraiment renouveler des pratiques obsolètes qui écartent les citoyens de la politique ? 

L’appel pour «une grande primaire des gauches et des écologistes» initié par Thomas Piketty, Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot, Marie Desplechin et publié dans Libération (1), dénonce, à juste titre, la confusion d’une partie croissante de la gauche mettant en cause les «valeurs humanistes et les droits humains qui fondent la République». 


Les signataires fustigent le projet de déchéance de la nationalité, l’instrumentalisation de la Constitution à des fins tacticiennes, la rupture démocratique majeure. 

Ils prennent acte de la défiance des citoyens face à un personnel politique dont les «projets conjuguent le néolibéralisme du capitalisme financier, les régressions ethniques et racistes et le recyclage nostalgique de l’étatisme des Trente Glorieuses et de l’Etat omnipotent». 

A priori, une telle initiative est bienvenue. En effet, la politique du gouvernement de François Hollande, qui combine politiques néolibérales sur le plan économique et social et néoconservatisme sur les questions sécuritaires, rend le président de la République illégitime pour représenter les valeurs de la gauche à la prochaine élection présidentielle. La question se pose alors de savoir si la primaire permettra de désigner un candidat porteur d’un programme de transformation sociale et écologique. 

D’un autre côté, l’organisation d’une primaire serait l’occasion pour des centaines de milliers de nos concitoyens de faire à nouveau de la politique, c’est-à-dire de s’occuper de leur propre sort et de celui du pays. 

Et, pourquoi pas, lancer une dynamique citoyenne porteuse d’espoir dont on peut penser qu’elle contribuera à assécher le terreau fait d’angoisse et de désespérance sociale sur lequel le Front national prospère ? 

A l’issue d’une primaire, la logique veut que les vaincus soutiennent le gagnant. Cela suppose que les candidats s’inscrivent dans le même cadre politique avec des projets compatibles, au-delà des différences de propositions et de personnalités. Il faut donc préciser d’abord la perspective politique. 

Les signataires indiquent vouloir «du contenu, des idées, des échanges exigeants» et un «projet positif dont la France a besoin pour sortir de l’impasse». Certes, mais de quel contenu, de quelles idées s’agit-il ? 

Peut-on regrouper, dans une même primaire, d’un côté celles et ceux qui pensent que la politique actuelle est néfaste, conduit à la catastrophe et, de l’autre, celles et ceux pour qui il n’y aurait pas d’autre choix possible ? 

Une primaire suppose un accord a minima entre les candidats sur le projet politique, condition pour que le candidat qui en sortira soit soutenu par les perdants. De ce point de vue, que recouvre le «projet porteur et bienveillant» évoqué par les signataires alors même qu’il y a des projets antagonistes au sein même de ce qui est communément nommé la gauche, de même que parmi les écologistes ? 

Enfin, et surtout, comment éviter de tomber dans le piège présidentialiste de la femme ou de l’homme providentiel ? Les signataires dénoncent, à juste titre, le résultat plébiscitaire de la primaire du Parti socialiste en 2011, qui a abouti à «un supercandidat qui s’est affranchi de toute responsabilité envers les citoyens mobilisés derrière lui». 

Mais, comment éviter que cette situation ne se reproduise aujourd’hui ? Comment faire pour renouveler des pratiques obsolètes qui écartent les citoyens de la politique ? Comment faire en sorte de donner envie à des militants syndicaux, associatifs, à des membres de réseaux citoyens de s’impliquer dans ce processus sans avoir l’impression de donner un chèque en blanc à un ou à une candidate ? 

Ces questions devront trouver des réponses dans le cours même du processus si l’on veut qu’une primaire n’aboutisse pas à une déception de plus. Une primaire sera utile si elle permet de désigner un candidat porteur, à gauche, d’un projet alternatif aux politiques mises en œuvre depuis des décennies et aggravées par le gouvernement actuel. Ce projet doit être l’objet d’un processus de construction collectif issu du débat citoyen, permettant ainsi de battre en brèche le présidentialisme de la Ve République. La primaire et l’élection présidentielle seraient ainsi l’occasion de faire émerger une nouvelle génération politique, et d’entamer un processus de refondation de la gauche afin que celle-ci soit de nouveau porteuse des exigences d’égalité, de solidarité et de justice. 

(1) Libération du 11 janvier. 

http://www.liberation.fr/debats/2016/01/13/primaire-a-gauche-des-questions-en-suspens_1426207

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