mardi 19 janvier 2016

Un vrai plan pour l’emploi suppose de rompre avec la financiarisation, par Pierre Khalfa


Les mesures annoncées par François Hollande relèvent des recettes éculées du néolibéralisme pour qui le coût du travail et les freins aux licenciements seraient les principaux obstacles à la création d’emplois. La formation des chômeurs est alors présentée comme la condition pour que ceux-ci retrouvent un emploi. 

Nous ne reviendrons pas ici sur ces fariboles qu’un récent point de vue (http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/chomage-le-mirage-de-la-formation-pour-tous-541242.html) a de nouveau parfaitement démonté. Comme on ne peut penser que le président de la République puisse y croire lui-même, il est probable que ces mesures ne visent pas à s’attaquer au chômage, mais aux chiffres du chômage, ce traitement statistique permettant à François Hollande d’afficher la fameuse inversion de courbe qui lui permettrait de se présenter en 2017.
 

Pourtant, il serait possible de mettre en œuvre une nouvelle logique pour l’emploi. Les entreprises sont aujourd’hui guidées par une logique financière visant à maximiser « la création de valeur pour l’actionnaire ». Cette financiarisation touche aussi les PME qui, pour la plupart, sont prises dans une chaine de sous-traitance et soumises aux exigences de leur donneur d’ordre. 

Le bilan de ces trente dernières années est éloquent. Le chômage et la précarité ont grandi alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée baissait de 5 à 8 points selon que l'on prend comme référence 1972 ou 1982, soit une baisse comprise entre 100 et 160 milliards d’euros par an en valeur actuelle. 

De plus, l’investissement productif a progressé très modérément, alors qu’explosaient les placements financiers, les exportations de capitaux, les rachats d’actions et la part des dividendes dans le PIB. 

L’emploi est, dans ce cadre, une simple variable d’ajustement. S’attaquer vraiment au chômage et à la précarité suppose de rompre radicalement avec ce type de logique. 

La mesure préalable est donc d’abord de soustraire les entreprises à cette logique financière et de favoriser l’investissement productif aux dépens de la rente. 

Des mesures fiscales doivent permettre de pénaliser la distribution des profits non réinvestis et taxer fortement les dividendes et les revenus des dirigeants pour instaurer, de fait, un revenu maximal. Une autre possibilité pourrait être de plafonner les dividendes versés aux actionnaires. 

Il faut, d’autre part, interdire aux entreprises de racheter elles-mêmes leurs propres actions et instaurer un temps minimal avant de pourvoir revendre ses actions. 

L’investissement productif doit être tourné vers les besoins sociaux à satisfaire et permettre d’engager la nécessaire transition écologique de la société. Il faut donc, par un contrôle social des banques, en finir avec les conglomérats financiers et avec l’action d’un pôle financier public, réorienter le crédit vers des investissements qui répondent à des critères écologiques et sociaux. 

De plus, des mesures spécifiques de crédit pour alléger les charges financières des PME doivent être mises en œuvre. 

Depuis des années, les services publics ont été systématiquement affaiblis. Or, le développement des services publics est une condition absolument nécessaire pour que l’investissement des entreprises puisse se déployer efficacement pour satisfaire les besoins sociaux et réduire les inégalités. 

Le développement de l’emploi public est donc absolument primordial, ce qui suppose une réforme fiscale d’ampleur qui combine justice sociale et nouveaux moyens donnés à la puissance publique. De plus, le développement de nouveaux « communs », en particulier dans la connaissance, peut permettre de développer une économie du partage créatrice d’empois. 

La réorientation de l’investissement productif aura des conséquences sur les salarié-es. Produire autrement et autre chose nécessitera sans aucun doute des reconversions et des fermetures d’entreprises. Il faut donc protéger les salariés, promouvoir leurs capacités. 

La mise en place d’un statut du salarié, d’une sécurité sociale professionnelle doit permettre que le salarié puisse bénéficier du maintien de sa rémunération, de sa protection sociale et d’une formation professionnelle lui garantissant de retrouver un emploi équivalent à celui qui était le sien. Cette mesure pourrait être financée par les ressources actuelles de l’indemnisation chômage, auxquelles viendrait s’adjoindre une cotisation sociale spécifique. 

De nouveaux droits pour les salariés dans l’entreprise complèteraient cette mesure. Ainsi les élus représentants les personnels devraient se voir doter d’un droit de veto, de contre-propositions avec des moyens financiers à l’appui en cas de reconversion et de restructuration des entreprises. 

La législation sur le temps partiel doit être revue pour permettre à tous les salariés qui le désirent, essentiellement des femmes, de travailler à temps plein. 

Enfin il faut reprendre le mouvement historique de réduction du temps de travail (RTT). Puisqu’il s’agit d’accueillir de nouveaux actifs et de résorber le chômage, la RTT est absolument nécessaire aujourd’hui, en permettant de décupler l’effet de l’activité économique sur l’emploi, tout autant qu’elle l’a été dans le passé. Ainsi, la productivité horaire a été multipliée par 15 au cours du 20ème siècle alors que la production ne l’était que par 10. Dans la même période, le temps de travail a été divisé par deux et l’emploi multiplié par 1,3. 

Mais la RTT répond aussi à une nécessité sociale, celle de ne pas perdre sa vie à la gagner, d’avoir du temps pour soi, pour les autres, de pouvoir ainsi mieux participer à la vie de la cité et permettre d’instaurer un partage des tâches familiales égalitaire entre hommes et femmes. 

Alors que la durée effective du travail est aujourd’hui, pour un salarié à temps plein, de plus de 40 heures, il est grand temps que la RTT soit mise à l’agenda des politiques économiques. Cette nouvelle logique pour l’emploi suppose évidemment de rompre avec les politiques menées ces dernières décennies et aggravées par le gouvernement actuel. Elle suppose aussi pour voir le jour que les questions économiques sortent du cercle étroit d’experts autoproclamés pour que la société puisse s’en emparer. 

L’économie n’a jamais cessé d’être politique et la politique c’est avant tout se réapproprier les sujets qui concernent nos vies et de pouvoir de choisir en toute connaissance de cause. 

Pierre Khalfa, tribune publiée sur Médiapart.

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