vendredi 1 janvier 2016

Nous sommes tous des enfants de ceux-là… , par Joëlle Palmieri


Je suis née en France de nationalité française. Je dois cette identité nationale à mon grand-père paternel né en Algérie, d’« origine indéterminée », comme mentionné sur le « certificat de nationalité française » de mon père, né, lui, en Tunisie. 

La preuve a été faite en 1900 que mon grand-père résidant sur le « sol français » – algérien – a acquis cette nationalité en respect de l’application du Code civil et ne l’a pas « décliné » à sa majorité. Le droit du sol colonial français. Ma mère quant à elle, née maltaise en Tunisie a acquis la nationalité française par le mariage. Le droit familial. Le code Napoléon. Elle était jusqu’alors, en 1945, « sujet britannique », indique son passeport. 


Ma famille, tout en ayant pour une de ses branches, des origines inconnues, a donc, il n’y a pas si longtemps, obtenu le bénéfice d’avoir le droit d’avoir des droits, comme dirait Hannah Arendt. Ses membres sont devenus des citoyens à part entière, à égalité avec ceux aux origines plus nettes, c’est-à-dire dont la généalogie peut se lire entre les fils des monarchies et empires français et est enracinée dans la « terre des ancêtres » : la patrie. 

L’identité nationale de mes parents et sœurs a certes connu des épisodes administratifs un peu folkloriques – nés en Tunisie, arrivés en France au début des années 1950, ils ont toujours dû prouver leur nationalité, en toutes situations alors que, née en métropole, j’ai toujours eu la paix –, mais elle leur a permis de travailler, de bénéficier de l’assurance-santé, d’aller à l’école publique, bref de ne pas être des mineurs civiques car apatrides. 

Aujourd’hui, la loi ne permet pas de rendre quelqu’un apatride. Le Code civil permet déjà et depuis 1998 de déchoir de la nationalité française une personne binationale, née hors du territoire1. Demain, selon la volonté du gouvernement français, ce sera le tour des binationaux, nés en France. Même si tout le monde a compris que les effets du changement constitutionnel visé impacteront une poignée d’individus – majoritairement masculins, jeunes, pauvres, hétérosexuels, de parents d’origine immigrée, animés par la haine –, le choc souhaité et annoncé bruyamment ajoute au jeu d’exclusion globale d’une part de citoyens, toute classe, race et sexe confondus, qui ne mériteraient plus, même s’ils sont nés sur la « terre des ancêtres », de bénéficier de la noble identité de Français. 

La définition du citoyen français se veut résolument originelle : ancienne, européenne, propre, rassurante, claire de peau, de pilosité, de convictions. Supérieure. Celui qui est d’origine indéterminée, double, en plus d’être déjà subalterne, devient d’emblée suspect. 

Le mythe du rattrapage entre « vrais » Français et Français de seconde zone se creuse. L’« indéterminé » va devoir encore davantage faire ses preuves, montrer qu’il n’est pas « barbare » par essence, qu’il est en mesure de penser droit, autant que d’acheter, de consommer. La domination, et ses composantes oppression et aliénation – policière, épistémique pour le moins –, se dissout sans laisser de trace visible dans les discours toujours plus sécuritaires, fortement universalistes. L’assurance sur la « sécurité nationale pour tous » s’amalgame progressivement avec l’appartenance hiérarchisée de race, de classe et de sexe. Sa recherche perpétuelle dépolitise plus que jamais les relations humaines et les rapports de domination qui les structurent, en les nivelant par la peur. 

Ce jeu d’exclusion/dépolitisation/mystification de la vie démocratique s’accélère. Le Patriot Game se prolonge. Le fascisme quotidien s’enracine. La démocratie française continue de s’étioler. Bientôt la déchéance ? 



https://joellepalmieri.wordpress.com/2015/12/31/nous-sommes-tous-des-enfants-de-ceux-la/ 

1 La procédure de déchéance de nationalité nait avec le décret d’abolition de l’esclavage en 1848. Elle sanctionne tout Français qui continue de pratiquer l’esclavage. Cette mesure exceptionnelle est ensuite élargie en période de conflits : durant la Première Guerre mondiale, une législation spéciale permet de déchoir des Français originaires des pays avec laquelle la France est en guerre, ou sous le régime de Vichy, la dénaturalisation massive est pratiquée notamment à l’égard des Juifs et des Tziganes (15000 cas).

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