vendredi 22 janvier 2016

Sortir de l'état d'urgence : adresse aux Parlementaires de Loire-Atlantique



Madame la députée, Monsieur le député,
Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,

Dans quelques jours vous serez amené-e à vous prononcer sur la loi visant à reformer la Constitution de manière à y inclure l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. Notre collectif est catégoriquement opposé à chacune de ces mesures lourdes de conséquences qui ne sauraient permettre de lutter plus efficacement contre le terrorisme, objectif que nous partageons tous.


En matière de lutte antiterroriste, la législation est déjà largement dérogatoire au droit commun et l’empilement des lois votées depuis trente ans offre aux juges et aux policiers des pouvoirs d’enquête et d’intervention exorbitants. D’ores et déjà, l’infraction d’« association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » permet aux juges et aux policiers d’agir en amont de tout passage à l’acte.

D’un point de vue opérationnel, l’état d’urgence n’a donc pas ouvert la voie à des mesures qui n’auraient pu être appliquées sans lui et, d’ailleurs, il n’a, semble-t-il, permis aucun résultat tangible. 

En revanche, les pouvoirs conférés au ministre de l’Intérieur et aux préfets d’ordonner des assignations à résidence et des perquisitions de jour comme de nuit se sont révélés redoutables pour les libertés individuelles et ont donné lieu à un certain nombre de dérives, dont les médias se sont faits largement l’écho. Telles qu’appliquées, sans grand contrôle des juridictions administratives, elles ont eu pour effet de stigmatiser un peu plus une partie de la population.

Pourquoi alors constitutionnaliser l’état d’urgence ? Pratiquement, la constitutionnalisation de ce régime d’exception, hérité de la guerre d’Algérie, avaliserait, au nom de l’impératif sécuritaire, les atteintes aux libertés individuelles, en évinçant notamment le juge judiciaire pourtant garant de la liberté individuelle d’après l’article 66 de la Constitution. L’exercice, s’il affiche l’intention du gouvernement de préserver l’Etat de droit, ne permet aucunement de le garantir mais bien au contraire d’y déroger, sans imposer aucune nouvelle limitation au pouvoir exécutif. Par ailleurs, le projet inscrit dans le marbre de la Constitution que la loi pourra toujours proroger la durée de l’état d’urgence. Ainsi, de constats de périls en constats de péril, l’urgence pourra devenir pérenne et l’exception sera la règle.

A cela s’ajoute que ce serait le troisième régime d’exception qu’intègrerait notre système constitutionnel, après les pouvoirs conférés au président de la République par l’article 16 et l’état d’exception.

Faut-il que notre Constitution devienne un recueil de régimes d’exception et déroge ainsi aux valeurs qui animent la plupart des démocraties en Europe et dans le monde ?

Quant à la déchéance de nationalité, cette mesure, rappelons-le, est une très ancienne revendication de l’extrême droite et particulièrement des Le Pen – père, fille et maintenant petite-fille -, reprise par Nicolas Sarkozy, notamment dans son discours de Grenoble en 2010 inspiré par Patrick Buisson et alors vilipendé par la gauche.

Le projet de réforme introduit une différence de traitement – une inégalité manifeste – entre les Français « mononationaux » et les Français binationaux, comme si ces derniers étaient plus susceptibles que les Français « de souche » de perpétrer des actes terroristes. Idée parfaitement démentie par l’identité des auteurs des actes de terrorisme de janvier ou de novembre 2015. Idée saugrenue aussi, mais qui n’est pas neutre et qui, au contraire, révèle la volonté de stigmatiser encore et toujours, et cette fois au niveau même de la Constitution, une catégorie de Français, ceux dont l’histoire est en partie liée aux anciennes colonies françaises et qui se sentent déjà particulièrement ciblés.

Par ailleurs, si l’on reconnaît qu’il existe deux catégories de Français, c’est bien que le peuple français n’est plus un et indivisible : c’est donc bien un des fondements du pacte républicain qui est mis à mal, alors même que le Premier ministre ne cesse d’en appeler aux valeurs républicaines.

Enfin, si l’objectif est d’expulser du territoire français ceux qui deviendraient alors parfaitement étrangers, les autorités restent contraintes par leurs engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux. A tout le moins, en effet la Cour européenne des droits de l’Homme, comme d’autres organes internationaux, interdit d’expulser des étrangers même pour terrorisme vers tout Etat, y compris le leur, où ils risquent d’être soumis à des actes de torture et traitements inhumains ou dégradants.

Au total, ces mesures portent en elles le symbole d’une France divisée, où l’exercice des libertés serait restreint à la seule volonté de l’exécutif. Elles n’apportent en outre aucune efficacité dans la lutte contre le terrorisme et il est à craindre que, sous prétexte de leur adoption, le nécessaire examen des dispositifs antiterroristes n’ait pas lieu.

Nous sommes absolument convaincus que les terroristes doivent être sévèrement sanctionnés et mis hors d’état de nuire mais nous vous demandons de décider en conscience de ne pas accepter de modifier notre loi fondamentale dans l’urgence dans un sens, qui constituerait une rupture de l’égalité entre les Français et un affaiblissement des garanties individuelles. Ce serait pour les terroristes atteindre l’objectif qu’ils se sont donnés : montrer que la démocratie et les principes qui les animent ne résistent pas à leurs attentats.

Sachant que chacun des votes exprimés est essentiel pour la décision finale, nous vous demandons de résister à la pression de tous ceux qui, aveuglés par la course à la sécurité, peuvent commettre les pires erreurs en ignorant les exigences des libertés qui nous unissent.

C’est pourquoi, nous vous demandons si vous vous proposez de voter :
– en l’état, la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour crime terroriste ou si vous n’avez pas encore arrêté de position sur cette question ?
– en l’état, l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution ou si vous n’avez pas encore arrêté de position sur cette question ?
– si le gouvernement le propose, la prolongation de l’état d’urgence ou si vous n’avez pas encore arrêté de position sur cette question ?


Vos réponses seront mises à disponibles des citoyens qui le souhaiteront, avec les commentaires que vous ne manquerez pas d’y ajouter.

Nous vous assurons, Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, de notre considération distinguée.

Collectif nantais Sortir de l’état d’urgence,
composé de : Association Républicaine des Anciens Combattants (Arac), Attac, Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa), CGT Spectacle, Droit au logement (Dal), Fédération Syndicale Unitaire (Fsu), France Palestine Solidarité (Afps), Les Amoureux au ban public, Libre Pensée, Ligue des droits de l’Homme (Ldh), Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (Mrap), Mouvement National de Lutte pour l’Environnement (Mnle), Syndicat de la Médecine Générale (Smg), Syndicat des Avocats de France (Saf), Tissé Métisse, Union syndicale Solidaires, … (liste en cours)
avec le soutien de : Association « Place au Peuple-Front de Gauche », Ensemble, Europe Écologie Les Verts, Mouvement des Jeunes Communistes de France, Parti Communiste Français, Rezé à gauche toute.

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