mardi 7 juin 2016

L'euro de foot comme moyen de chantage: la coupe est pleine !, par Noël Mamère


Alors que la mobilisation contre la Loi Travail ne faiblit pas, un vent de panique s’est emparé du gouvernement. Les grévistes, les « casseurs » et les inondations menaceraient l’image de la France à la veille de l’Euro de football. Ce chantage insupportable est la dernière trouvaille d’un gouvernement en capilotade. Son unique but est de faire avaler la potion amère de la loi Travail à une gauche sociale qui refuse de capituler devant les « contre-réformes » programmées pour en finir avec le modèle social français. 

Si un tel chantage peut s’exercer, c’est que le sport de compétition en général et le football en particulier, ont un poids certain dans ce qui reste de lien entre la nation et la société. La conscription ayant disparue, les services publics étant fragilisés, dans les campagnes comme dans les quartiers populaires, l’Etat étant affaibli et réduit à ses foncions régaliennes, l’histoire et la géographie n’étant plus des matières importantes dans les programmes, le sport reste presque le seul lien qui subsiste entre les Français….


Sauf que ce domaine est tout autant atteint par les fractures qui minent la société française. Les déclarations de Karim Benzema, relayées maladroitement par Eric Cantona et Djamel Debbouze, ne sont pas anodines. Par-delà leurs outrances, elles pointent une des caractéristiques de notre société : les discriminations ethno raciales rongent l’unité du pays et des classes populaires. Même le sport est atteint par le racisme sous toutes ses formes. 

Ce n’est certes pas une nouveauté : La politique et le sport ont toujours eu des interactions fortes. La mort de Mohamed Ali vient de nous le rappeler. L’icône de la boxe est devenue une référence parce qu’il avait refusé de combattre le peuple vietnamien et s’était engagé dans le combat pour les droits civiques des noirs américains, comme le firent les athlètes qui levèrent le poing aux jeux olympiques de Mexico au moment de la remise des médailles. 

Les arènes sportives sont en fait une caisse de résonance formidable pour celles et ceux qui considèrent qu’il n’y a pas de trêve qui tienne. Ainsi la Coupe du monde au Brésil, l’année dernière, fut-elle l’occasion de protester contre la corruption et les grands projets inutiles et imposés. Tandis que les JO de Pékin, puis de Sotchi, mirent l’accent sur les droits de l’Homme bafoués en Chine et en Russie. 

Mais le sport de haut niveau, avec le dopage, la corruption de ses bureaucraties par l’argent, la compétition ultra personnalisée et sponsorisée, est aussi l’illustration d’une société néolibérale, devenue une insulte à la misère du monde. L’attribution du Mondial 98 à la Russie de Poutine, celui de 2022 au Qatar, qui exploite des milliers d’esclaves pour construire ses stades, en dit long sur cette multinationale qu’est devenue la FIFA et ses filiales continentales. Les droits télés, le marketing des sponsors, la concurrence des Etats et des villes, la collaboration avec les dictatures, font le quotidien de la planète football. 

Disons le tout net : cette prétendue modernité n’a rien à voir avec la pratique coopérative du sport qui devrait être la règle dans une société du bien vivre. Dans notre monde du « challenge » permanent, elle est devenue un des moyens pour faire accepter la logique de la concurrence entre les individus, pour leur apprendre les logiques individualistes contre les formes collectives d’émancipation. 

Pour notre part, et les rugbymen de l’Union Bordeaux Bègles, comme les équipes amateur, le montrent chaque semaine, le sport n’est pas une marchandise. Il y a plusieurs manières de le pratiquer. Nos clubs n’ont pas besoin d’être côtés en Bourse. Nos équipes n’ont pas besoin d’être financées par le Qatar ou les Emirats. Nos joueurs doivent cesser d’être des produits spéculatifs, avec un marché à risque volatil où ils sont vendus et achetés pour des dizaines de millions d’euros. Nous avons besoin de retrouver les racines du sport, du temps où l’argent roi ne pourrissait pas le petit monde la FIFA ou du CIO. 

Les gouvernants estiment que le sport est devenu le nouvel opium du peuple et ils en rajoutent, d’où les déclarations larmoyantes des ministres et du Président pour faire cesser les grèves et les manifestations. Il y a deux ans, à la veille du Mundial, les Brésiliens lançaient leur slogan : « la coupe du monde, on s’en fout, on veut de l’argent pour la santé et l’éducation »…Et c’était au pays du football roi ! 

Michel Platini, alors Président de l’UEFA - mais c’était avant qu’on découvre « ses affaires » particulières avec Sepp Blatter - déclarait « Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du Monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays, leur passion pour le football et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil et pour la planète football (…). Le climat est tendu, il faut qu’on dise au Brésil, faites un effort pendant un mois, calmez vous, rendez hommage à cette belle Coupe du Monde ». 

Cet appel à la trêve footballistique est exactement ce que demandent en chœur Hollande, Valls et Vidalies, depuis deux semaines. 

L’équipe de Didier Deschamps a une fonction : chloroformer les consciences, détourner l’attention sur l’équipe nationale et faire diversion pour désamorcer la révolte sociale contre la loi Travail. Circulez, il n’y a rien à voir, hormis les matchs à la télévision et dans les « fan zones » ; ces camps de rétention à ciel ouvert, espaces sécuritaires sponsorisés par Adidas et Coca Cola, pour les mordus de compétition, seront utilisés pour remplacer les Nuit debout sur les places de notre pays. 

Cette marchandisation de l’espace public, protégé par des milliers de policiers en plein état d’urgence, en dit long sur les priorités des pouvoirs publics. Nous sommes loin du divertissement de masse ! François Hollande veut croire à la magie de 1998 et de la France Black Blanc Beur. 

Mais l’histoire ne se répète jamais à l’identique. Et cette fois-ci, la fête risque d’être gâchée par l’entêtement de l’équipe au pouvoir. Ils veulent nous faire choisir entre le pain et les jeux. Nous leur répondons : nous voulons les deux. Notre seul but : gagner la Coupe d’Europe du progrès social. 

Noël Mamère Le 06/06/2016.

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