dimanche 12 juin 2016

L'état des contentieux juridiques à Notre-Dame-des-Landes, par Thomas Dubreuil


Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes a donné lieu et donne encore lieu aujourd'hui à plusieurs types de contentieux et de procédures.

Le contentieux de l’expropriation et de l'éviction :
 
Les agriculteurs et habitants locaux qui ont fait l'objet d'expropriation et d'éviction ont d'abord contesté la déclaration d'utilité publique qui a été validée le 31 juillet 2009 par le Conseil d’État. 


Depuis, plusieurs dizaines de personnes ont refusé de négocier à l'amiable leur expropriation ou éviction (locataires) de la zone du projet. Dans la très grande majorité des cas, le juge de l'expropriation leur a accordé des indemnités plus élevées que celles qu'AGO (Vinci) leur proposait.  Leur contestation était donc parfaitement fondée.

En janvier 2016, le juge nantais a refusé la démesurée demande d'astreinte d'AGO (Vinci) à l'égard des agriculteurs dont l'expulsion a été ordonnée.

Le contentieux de l'accès aux documents administratifs :
 
A 4 reprises, les opposants (associations environnementales et d'opposants) ont du saisir la CADA pour forcer l’État à leur communiquer des documents administratifs qui leur avaient été refusés. Tous les avis rendus par la CADA ont été favorables aux opposants. Dans un cas, concernant les chiffres de la DGAC, les opposants ont du saisir le tribunal administratif de Paris parce que l’État refuse d'exécuter la décision de la CADA. Dans les autres cas, l’État a fini par s'exécuter, faisant perdre aux opposants au projet un temps d'analyse précieux du dossier. L’État a parfois également oublié de communiquer certains documents demandés par les opposants, comme une note de la DREAL sur le Lac de Grand-Lieu.

Les autorisations environnementales :
 
4 procédures ont été lancées contre les arrêtés concernant la loi sur l'eau et les espèces protégées (deux pour chaque thématique, concernant la plate-forme et la desserte). Le  17 juillet 2015 le tribunal administratif de Nantes a rejeté 3 des 4 procédures, et a accueilli partiellement les opposants sur l'une des 4 procédures en ordonnant la modification du projet de plate-forme aéroportuaire. Ces 4 procédures ont fait l'objet d'un appel devant la Cour administrative d’appel de Nantes. L’arrêté de dérogation relatif au campagnol amphibie n’a toujours pas été publié.
 
Il en est de même du recours engagé par les opposants à l'encontre de la déclaration d'utilité publique du programme viaire, rejeté le 17 juillet 2015 et faisant l'objet d'un appel en cours.

La procédure européenne sur le versant environnemental :
 
La commission européenne a adressé à la France une mise en demeure de se mettre en conformité avec la directive sur l'évaluation environnementale des plans et programmes s'agissant de la stratégie d'aménagement du Grand Ouest dont le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est la composante centrale. La commission demande à la France de régulariser sa situation en intégrant la problématique globale de l'aéroport dans un document d'orientation général, le SCOT Nantes – Saint Nazaire, et en procédant à une évaluation environnementale de ce document. Si l’État français rend une copie satisfaisante (évaluation environnementale), la commission européenne pourra refermer la procédure d'infraction (encore ouverte aujourd'hui).

Les aides d’État et la concession aéroportuaire :
 
Le Conseil d’État a validé dans un arrêt de 2012 le décret de concession adopté en 2010 pour confier la réalisation du projet d’aéroport à VINCI, par le biais de la société AGO (aéroport du grand ouest). Le Conseil d’État a considéré qu’aucune obligation de notification d’aide d’État ne pesait sur l’État français. 
 
Saisie par les opposants dans le cadre d’une pétition européenne, la commission européenne a démenti l’analyse du Conseil d’État et a constaté l'absence de notification préalable des aides perçues par Vinci pour la construction de l'aéroport. Une régularisation a donc été demandée, et est intervenue en Juillet 2013. Les opposants ont demandé à Vinci de rembourser les intérêts des aides perçues de manière prématurée : le tribunal administratif de Nantes leur a donné raison le 1er juillet 2015. Près de 900 000 € ont dû être remboursés par Vinci au syndicat mixte aéroportuaire et à l’État français.

Les espèces protégées oubliées, et le campagnol amphibie :
 
les associations de protection de la nature ont été obligées de mettre en demeure le Préfet de prendre en compte les espèces protégées non intégrées dans les arrêtés environnementaux pour qu'enfin une procédure de régularisation soit engagée.


Qui perd qui gagne ?

Dans de nombreux litiges, il n'y a  pas de gagnant évident. En matière d'expropriation, si les expropriations sont confirmées, le juge est lié par la validation de la DUP par le Conseil d’État – il ne peut pas décider autrement que de valider les expropriations. Par contre, les juges ont très régulièrement revus à la hausse les offres indemnitaires en demandant à AGO / Vinci de payer davantage que ce qu'ils proposaient.

Les procédures européennes sont menées sous la forme de régularisations. Mais on peut constater qu'en matière d'aide d’État et d'évaluation environnementale, la France a méconnu la réglementation européenne et a dû procéder (et procède encore !) à une régularisation de sa situation. Cette dernière passe par :
  • la révision du SCOT pour les aspects environnementaux et la réalisation d'une nouvelle évaluation environnementale ;
  • le remboursement des intérêts pour les aspects relatifs aux aides d’État.

Le contentieux de l'accès aux documents administratifs a recadré l’État qui se vantant de transparence est remis à l'ordre par la CADA à 4 reprises, permettant de réduire le manque de transparence de l’État dans le dossier de NDDL.

Le contentieux environnemental est en appel. Il n'a pas fait l'objet d'un rejet en bloc car un des 4 arrêtés contestés a été modifié sur injonction du juge nantais.

Alors qu'il a abouti au succès de la demande des opposants, le contentieux du remboursement des aides d’État est considéré par les soutiens au projet comme ayant engendré de nombreux « recours perdus » puisque les demandes des opposants avaient été adressées tant au syndicat mixte aéroportuaire qu'aux différentes collectivités le composant, individuellement. Le juge a préféré globaliser la demande en annulant le seul refus de demande de remboursement du syndicat mixte aéroportuaire (et de l’État) et rejetant les demandes adressées aux collectivités. Il s'agit pourtant indiscutablement d'une victoire contentieuse globale des opposants.

Au regard de ces éléments, le chiffre annoncé par les partisans du projet de 160 décisions favorables à l’État est une déformation de la réalité entretenue par les soutiens au projet d'aéroport aux fins d'une propagande visant à discréditer les opposants. Ce chiffre est infondé car il cumule les multiples requérants et les procédures d'appel, et aboutit à gonfler artificiellement le nombre de décisions. Il ne reflète pas la réalité du contentieux sur le projet d'aéroport, où les décisions tranchent souvent au milieu des demandes de l'une ou l'autre des parties, ou bien rejette partiellement en accueillant une partie d'une demande, en rejetant une autre partie, mais aucune de ces décisions n'a pour objet d'obliger l’État à construite un aéroport à NDDL. En outre, il suffirait qu'une seule des décisions environnementales soit annulée pour que le projet soit remis en cause dans son intégralité.

Il n'y a aucun usage abusif de la justice dans ces contentieux. On n'a retrouvé aucune décision condamnant les opposants à payer des frais de justice de leur adversaire, et encore moins d'amende pour recours abusifs.

En conclusion

Il nous apparaît que l'indication dans le document de synthèse à destination du public d'un « chiffre » du nombre de recours perdus ou gagnés par l’État dans le cadre du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est extrêmement difficile à opérer. Elle procéderait à la déformation de la réalité aux fins d'une simplification bien accommodante pour les soutiens au projet, alors que cette réalité est bien plus contrastée que ce qu'ils souhaiteraient. Seule une présentation de cette réalité contrastée est de nature à assurer une information objective des électeurs, conformément à l'article L. 123-26 du code de l'environnement.

Thomas DUBREUIL                        le 7 juin 2016
Avocat

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