lundi 20 juin 2016

Loi travail : le gouvernement choisit le camp de la peur, par Adrien Gueydan et Pierre Jean


Depuis la manifestation du 14 juin, tout se passe comme s’il ne restait à l’État qu’une coercition sans dialogue. Qui traduit son glissement de la violence symbolique des mots à la violence physique de la répression.

Après la manifestation du 14 juin, le mot à l’honneur est celui de « climat ». Le « climat » : c’est le mot utilisé largement dans la presse pour évoquer les tensions de la semaine. Alors que Manuel Valls se félicitait, en début de semaine, d’être « serein » face à une mobilisation sociale que l’exécutif jugeait en déclin, les récentes déclarations du premier ministre sont loin d’être apaisées. 


Sommant la CGT de lever toute « ambiguïté » vis-à-vis des actes de casse perpétrés lors de la manifestation du 14 juin ; alors que celle-ci s’est désolidarisée bien évidemment. François Hollande cherche à intimider directement le mouvement social en déclarant, via le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, pouvoir interdire certaines manifestations sous la condition de la sécurité des biens et des personnes. 

L’interdiction n’est pourtant pas chose facile, non pas que cela soit impossible sur le registre discrétionnaire, mais il y a un fort risque de se heurter à la rugueuse nature de l’opinion publique. Et quand on traîne une cote de popularité aussi basse, autant dire que cela se révèle périlleux. 

La bataille de l’opinion 

C’est à ce moment qu’entre en jeu le communicant, ou dans le cas d’un chef de gouvernement, son bataillon entier de communicants. Et s’il y a bien une chose que ces derniers savent, c’est que l’opinion publique est prompte à s’émouvoir. Il ne reste plus alors que la bataille des mots, ceux qui feront retourner une opinion jusque-là bienveillante. 

Tout est alors réfléchi, préparé, calculé, on pèse le pour et le contre. Ici, l’enjeu est davantage le contre, que le pour. Contre la CGT en premier lieu : en faisant porter la responsabilité des violences commises le 14 juin à l’avant du cortège syndical sur la CGT et son service d’ordre, l’exécutif tente de gagner la bataille de l’opinion, au prix de la peur. 

L’enjeu principal est cerné depuis le début du mouvement social : le 20 mai, 65% des sondés trouvaient les grèves et les blocages « justifiés ». La semaine dernière, près de 60% des interrogés par l’Ifop exprimaient la même position. 

Hélas pour le gouvernement, l’opinion peine à se retourner – même si l’opération fait ressentir quelques effets. Le contraste reste saisissant : alors que la popularité de Manuel Valls et François Hollande chute, le soutien à la grève reste élevé. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier la menace. Celle-ci doit être facilement identifiable. 

Ce ne peut pas être le mouvement social ou la manifestation, pas plus que le "cadre unitaire" : elle doit être assimilable à un représentant ou à un archétype. En l’occurrence, ce sera celui de Philippe Martinez, secrétaire confédéral de la CGT, ou bien un syndiqué cégétiste. Si cela ne suffit pas, vous pouvez les assimiler aux "casseurs", leur faire porter la responsabilité des actes de violence commis lors des manifestations. Ou encore identifier quelques militants syndicaux qui se seraient eux mêmes livrés à des actes de violences. 

Le parti de la confusion 

Une fois la menace définie, il reste à isoler un élément marquant. Quoi de mieux qu’un hôpital, quand celui-ci, qui plus est, est destiné à accueillir des enfants malades ? Ensuite, les mots devant frapper au cœur, un champ lexical guerrier est tout indiqué. L’hôpital Necker a été « dévasté », dévasté au même titre qu’une ville en guerre. Les casseurs, eux, semblaient souhaiter « tuer » des policiers – sans armes létales pourtant, alors que les policiers disposent de tenues renforcées et ignifugées, sans parler des casques, gilets pare-balles et boucliers. 

Tout concourt à ce « climat » que seuls les hommes politiques et les éditorialistes semblent interpréter de cette manière. Les manifestants, eux, témoignent d’un niveau de violence policière inédit dans des manifestations syndicales. Le discours de Manuel Valls a aussi comme fonction de rendre invisibles les blessés lors des défilés. Les catégories, en théorie, sont là pour expliquer, comprendre, y voir plus clair. Mais elles peuvent également servir à trier, confondre et incriminer. 

Le « climat » que définit Le Monde du 17 juin relève de la confusion. Confondre, sous prétexte d’une même temporalité, la mobilisation contre la loi Travail, CGT en tête, les "casseurs" et le terrorisme revient à situer son discours dans un champ particulier. Le champ de tout ce qui s’oppose à la "majorité silencieuse", à une certaine conception de la République, à un corps politique qui ne fait plus tout à fait corps... 

Le langage de la droite 

La CGT parle d’un gouvernement aux abois ; c’est un peu plus que cela : le symptôme d’un pouvoir usé et affaibli qui instille la peur dans les consciences pour éluder ses propres faillites. Le caractère inédit de la situation réside bien dans le langage : la reprise par la gauche de gouvernement de la terminologie traditionnellement réservée à la droite, la volonté de jouer la division au sein des salariés sont autant de signes de la décomposition du Parti socialiste. La droite n’a désormais plus le monopole de la peur. 

Quelle marge de manœuvre reste-t-il au gouvernement ? S’il ne gagne pas la bataille de l’opinion, même en rompant les derniers liens de cette social-démocratie-là avec le peuple de gauche, alors il est condamné à courir derrière les thèmes identitaires de la droite. S’il ne gagne pas la bataille de la peur, fût-ce au prix de l’interdiction à trois centrales majeures de salariés de manifester, alors la loi travail n’aura jamais aucune légitimité. 

La ligne de crête est étroite : gagner cette bataille, c’est perdre la guerre et la base sociale historique d’un bloc de gauche qui, déjà usé par l’exercice du pouvoir, n’en gardera, s’il persévère dans la fabrique de la peur, que les oripeaux. C’est là la limite des stratégies de communication.

http://www.regards.fr/web/article/loi-travail-le-gouvernement-choisit-le-camp-de-la-peur

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