Pour deux paquets de pâtes et une petite boite de sauce tomate de 85 centimes, une caissière de 41 ans, mère de trois enfants, à Tourcoing a été licencié pour "faute grave" après 5 ans et demi d'ancienneté.
« Qui vole un œuf vote un bœuf », ont dit les représentants
de la famille des milliardaires Milliez qui dirigent Auchan. « On ne
peut pas lui faire confiance » !
Samedi 7 juin 2015, depuis le congrès de Poitiers, Manuel Valls avait
pris un Falcon pour aller la « Ligue des champions » à Berlin. Pris la
main dans le sac, il avait tenté de faire croire qu’il était allé, non
pas voir le match avec ses enfants mais assister à une réunion – annulée
– de l’UEFA, ce qui était d’autant plus invraisemblable que Platini
s’était rendu à l’Elysée le lendemain. Platini, accusé de corruption
depuis, avait pourtant tenté de couvrir le Premier ministre en disant
qu’il l’avait invité… mais les 17 000 euros du voyage étaient de
l’argent public. Combien ça fait de petites boites de sauce tomate et de
promotion sur les paquets de pâtes ? Valls s’en était tiré en
remboursant 2500 euros la présence de ses enfants dans le Falcon, et en
s’excusant, « si c’était à refaire je ne le ferais pas ».
Mais ce n’est pas visiblement pas la même chance donnée à la
caissière d’Auchan qui perd tout et est obligée d’aller aux prud’hommes
pour se défendre.
Les cas Jean Valjean sont plus fréquents qu’on ne croit de nos jours.
Dans le film « La loi du marché » avec Vincent Lindon, primé à Cannes
en 2015, la vendeuse a 50 ans, son salaire est si bas qu’elle a le
besoin de récupérer en douce des « bons » d’achat d’un euro destinés aux
clients, oubliés par eux et périmés : la direction du supermarché la
surveille, la coince, la convoque, l’humilie, et la vire sans indemnités
pour faute grave en dépit de ses 25 ans d’ancienneté. La vendeuse du
film a peu de chances de retrouver du boulot. Elle se suicide.
Comme un salarié de Lidl, récemment à Rousset, dans les Bouches-du-Rhône.
C’est plus courant qu’on ne croit :
Sarah, une ancienne caissière d’un supermarché de Lidl à Nancy, virée
le 11 septembre 2012 pour avoir prétendument mangé un pain au chocolat
d’une valeur de 0,39 euro vient de gagner, un an après, aux Prud’hommes
et obtenu 8800 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Il faut dire que le patron lui avait imposé 40 contrats en CDD avant de
lui concéder un légitime CDI.
Les exemples fourmillent, ainsi à Alès, Nicolas, un agent de sécurité
du supermarché Cora, après 6 ans d’exercice professionnel avait été mis
à pied, « pour faute grave » : il aurait consommé 2 croissants pour
0,70 euros. Le patron voulait diminuer le nombre d’agents de sécurité
sans frais…
La direction d’un autre supermarché dans le 4° arrondissement de
Paris s’était débarrassée de tous les salariés à « temps pleins » pour
les remplacer par des femmes à temps partiels, vulnérables et
corvéables. La déléguée syndicale qui résistait s’était vue accuser
d’avoir mangé un croissant de la veille, démarqué, et la direction
demande son licenciement pour vol : l’inspecteur du travail qui refuse,
se voit désavoué par le cabinet du ministre qui casse sa décision. Les
licenciements abusifs sont décidément trop faciles ! Elle va aux
prud’hommes qui lui donnent raison, en vérifiant que c’était un
« usage » pour les personnels de manger ces croissants périmés : le
patron fait appel, entre temps la loi Macron aura fait voter que gagner
au tribunal ne donne pas lieu à indemnité ni réintégration, Valls aura
baissé les plafonds des indemnités. Elle aussi, va se retrouver à 55 ans
sans boulot, pour un croissant. C’est la logique de la loi El Khomri.
Un haut responsable de la sécurité, au siège des Nouvelles Galeries,
était venu à la permanence de l’inspection du travail, parce qu’à son
tour, il était licencié :
« - Et pourtant j’en ai fait beaucoup pour eux…
- Quoi ?
- Beaucoup, beaucoup, j’oserais même pas vous dire…
- Mais dites !
- Bah je l’ai fait évidemment…
- Mais quoi ?
- J’ai placé des objets qu’on disait volés, dans les placards de délégués…
- Comment ?
- Bah j’avais les clefs pour accéder à tous les placards, il
suffisait de mettre des trucs dans leurs sacs et on les coinçait à la
sortie… »
C’est surtout dans la grande distribution que ces méthodes sont
terribles, voire « Carrefour de l’exploitation », (livre de Grégoire
Philonenko), chez Casino, Franprix… Chez Lidl c’est la schlague à tout
moment : « « Des contrôleurs piègent les caissières en glissant des
saumons sous des packs d’eau dans leurs chariots ; si elles ne soulèvent
pas tout pour vérifier, elles sont immédiatement convoquées par la
hiérarchie. »
Hé oui, les licenciements sont trop faciles ! Pour « faute grave » et
« faute lourde », ça permet des mises à pied immédiates et des
licenciements sans indemnités. Et l‘accusation de « vol » c’est toujours
une tache pour retrouver un travail. Et puis même si le patron perd aux
prud’hommes, le salarié est viré quand même, pour quelques euros
d’indemnités, c’est rien, et si ça fait quelqu’un de moins qui défend le
code du travail : le Medef est toujours là pour dire que c’est la
faute à la grosseur du Code, « ennemi n°1 des patrons », El Khomri fait
passer la loi TGV : « travailler plus, gagner moins, viré plus
facilement ». Et le Conseil constitutionnel la ratifie à la louche.
Et, sous Valls, ces grosses chaines de distribution qui licencient
pour 85 centimes, bénéficient du « Vive l’entreprise » et reçoivent des
dizaines de millions du CICE, font des milliards avec des exonérations
de cotisations sociales, tandis que l’inspection du travail est matée et
que les prud’hommes sont menacés.
Ca sert à indiquer aux 900 000 caissières de ce pays qu’il faut
qu’elles courbent l’échine, que leur « job » c’est la soumission, 85
centimes d’un côté, des milliards de dividendes de l’autre.
Gérard Filoche, 4 aout 2016
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