dimanche 21 août 2016

Pour un antiracisme de l'émancipation, par Jacques Fortin

Pour qu’il n’y ait aucune confusion ni mauvais procès quelques précisions. On a vite fait dans ce débat vite passionnel d’être taxé de l’infâmante « islamophobie » avant même d’avoir été lu, sans même être discuté, disqualifié sans appel pour crime de lèse solidarité antiraciste.

 A peu près toutes les lois et réglementations intervenues depuis dix ans concernant les musulmans et surtout les musulmanes ont été adoptées sous la pression d’un racisme anti musulman d’extrême droite, d’une xénophobie grandissante liée à la crise économique et sociale, dans un esprit de plus en plus autoritaire de restriction des libertés. Elles l’ont été dans le but de conférer une posture, donner un profil « avantageusement » sécuritaire et identitaire à ceux qui les ont prises en réalité dans des buts électoralo/politiciens des plus cyniques histoire de flatter une xénophobie galopante que la crise sociale, politique et morale du pourrissement libéral attise.


 La loi sur la burka était une absurdité, il suffisait grosso modo d’appliquer celle en vigueur sur le contrôle d’identité. La neutralité des personnels des services publics tranche déjà le débat sur le port du voile délimitant services publics et espace public. Quant à l’école les équipes éducatives peuvent conduire des négociations sans rien lâcher sur les programmes obligatoires, et refuser avec doigté la confessionnalisation de l’espace scolaire. Pour les repas il suffit d’offrir chaque jour comme cela se fait déjà par endroit un repas avec viande et un repas végétal. Que des mères voilées accompagnent des sorties scolaires n’a rien de choquant à moins de chasser les même mères des rencontres parents prof, de l’entrée des écoles etc. Par contre il ne fallait pas reculer sur les questions de genre sous la pression des intégrismes religieux coalisés…


Il fallait réaffirmer deux principes simples : la puissance publique n’a pas à s’immiscer dans la façon d’être des citoyens dans l’espace public (pas plus que privé) dès lors qu’il n’est pas contrevenu à la sécurité des biens et des personnes ni aux conventions élémentaires du vivre ensemble, l’espace public appartient à tous. Le reste relève du débat social, celui par lequel les mœurs et mentalités évoluent en se confrontant ; d’autre part la laïcité c’est la liberté de conscience donc de cultes et non la réglementation de ces derniers ni les entraves à leur expression tant qu’ils respectent la loi, comme c’est aussi la défense de la libre critique des dogmes ou coutumes aussi virulente soit-elle tant qu’elle n’invite pas aux violences physiques aux personnes ni à la discrimination. 

 Il va sans dire mais mieux en le disant que les dogmes et coutumes religieux peuvent légitimement être mis en cause, gaussés et critiqués par ceux qui, comme moi ainsi que me semble-t-il une bonne partie de la « gauche de la gauche », estiment qu’ils répandent préjugés, exclusion, obscurantisme et haînes, et qu’on ne saurait se taire à leur propos au motif que les  racistes et autres réactionnaires visent à stigmatiser, discriminer, brimer une partie de la population, évidemment en l’occurrence les musulmans en prétendant interdire ces dogmes et coutumes.

 C’est pourquoi d’ailleurs le vocable « islamophobie » m’a toujours  semblé malheureux et inapproprié ce que ne veulent pas voir ceux qui ont fait de ce combat le combat des combats antiracistes. Il veut désigner certes le rejet d’une population mais le fait sous la forme de celui d’une religion. Ainsi s’amalgame et dans l’esprit du public et dans la tactique de certaines forces religieuses la lutte contre le racisme à la défense d’une foi et de ses préceptes. Ce qui brouille considérablement le débat et est un handicap à la lutte raisonnée contre le racisme à l’égard des musulmans. 

  Comme chacun sait ( ?) les religions ne sont pas de simples « spiritualités » éthérées mais bel et bien des forces sociales actives pour ne pas dire carrément activistes (cf. la manif pour tous quasiment toutes obédiences confondues ou les pro vie) ayant pour but le contrôle des populations qui s’en réclament, l’imposition à tous de leurs tabous et la consolidation de leurs propres positions séculières. Ce contrôle est en particulier moral (les mœurs) et implique de défendre comme de répandre (cf l’éducation des enfants) non pas une vision de l’au de là mais bien une vision d’un ici bas sexiste, puritain, hiérarchique dont font les frais les femmes, infériorisées et traitées comme des ventres, la liberté sexuelle (dont les homosexuel/les), les nfants soigneusement encadrés, et… la liberté de conscience la plupart du temps stigmatisée !

 Dans le cas des foulards, hidjab et autre burkini c’est du contrôle sur les femmes, sur leurs corps, sur la sexualité qu’il s’agit, ainsi que d’un ordre hiérarchique patriarcal. On conviendra quand même qu’il n’est pas anecdotique que ces tenues se répandent et soient prônées dans le monde par les salafistes et les wahabites ou sous leur pression, courants fondamentalistes de l’Islam qui tiennent entre autres à l’infériorisation des femmes, à une sexualité machiste et à la criminalisation de l’homosexualité et font de la « pudeur » féminine un mantra.

 Lorsque nous nous insurgeons contre des lois ou des réglementations qui s’en prennent au droit de porter telle ou telle tenue (ce qu’il faut absolument faire) nous ne pouvons avoir la naïveté, pour ne pas dire l’irresponsabilité, de ne pas en même temps, déplorer le port de ces outils de répression sexiste et de domination machiste par lesquels les fanatiques et obscurantistes tentent de contrôler les musulman/es.

 Ne pas le faire c’est au nom, justifié, du refus de voir l’Etat s’immiscer dans les modes vestimentaires des musulmans (il ne prend aucun édit visant d’autres courants) laisser sans mot dire les populations étouffer sous les diktats et les pressions salafistes ou wahabites, et se faire in fine complice de cette oppression. D’autant que ces sectes savent fort bien s’abriter et prospérer derrière le paravent de notre indignation, de l’appel aux droits démocratiques et à la tolérance (envers eux). Ils n’hésitent pas à présenter ces diktats religieux comme une « liberté des femmes », un libre choix de musulmanes pieuses sur quoi d’ailleurs nombre de bonnes âmes leur emboîtent le pas sans y réfléchir à deux fois. Quand on sait ce qu’il en est dans les pays que ces religieux dirigent, et au quotidien dans les rapports sociaux de genre (la famille) ici même on devrait être plus prudent sur cette « liberté » ou relire un peu le discours sur la servitude volontaire... Ces courants fondamentalistes et foncièrement mysogynes utilisent en quelque sorte « leurs femmes », leur soi disant choix, comme bouclier humain dans cette controverse.

 C’est d’ailleurs devenu un argument répandu que de dire qu’il s’agit de défendre « leur choix » comme un droit de ces femmes. Comme si avec la propagande, les pressions, l’argent, la double pression du racisme et du fondamentalisme, la situation d’exclusion et souvent de misère dans lesquelles se trouvent ces femmes, ce qu’on appelle l’oppression, on pouvait honnêtement parler de « choix » ou de « liberté » quand en fait elles sont prises dans un faisceau de contraintes qui crèvent les yeux et une domination masculine avouée. 

 De plus « l’évidence » de ce « choix » devrait être sujette à caution quand l’immense majorité mondiale d’entre elles subit ce « choix » dans les états théocratiques et patriarcaux qu’on sait (comme dans des rapports sociaux de sexe où elles restent sans ou avec peu de droits). Il faut quand même oser alors (avec quelle légèreté européocentrée !) émettre l’idée de choix ou de liberté….

 Ce qu’il faut défendre ce ne sont pas ces « libertés » discutables qu’on érige alors en valeurs avec ce que les fondamentalistes vont fourguer derrière. Il faut défendre bec et ongle les limites de l’Etat de droit. Il faut refuser les incursions étatiques dans nos vies dont les leurs, qui n’ont pas à être régentées par décrets aux visées en fait discriminatoires, racistes, normatives. Il faut redire que la puissance publique n’a pas à interférer dans nos actions et conduites quand elles n’entraînent pas de dommages autres que ceux que nous pouvons nous infliger par les limitations, obligations, observances que nous nous donnons (cf la servitude volontaire). La puissance publique peut le cas échéant avertir sur ces nuisances, inciter à s’en défaire, faire contrefeu dans le débat, en aucun cas intervenir par la loi pour réprimer.

  Certes, et on ne manque pas de me l’opposer, l’adoption de ces signes religieux relève aussi d’une réaction tout à fait compréhensible au rejet, au racisme, à la stigmatisation. En quelque sorte le syndrome du stigmate chez les stigmatisé/es. On retourne le stigmate en fierté, on le charge de valeur positive et on s’en fait un étendard identitaire. Ce serait donc un motif positif de soutien de celles qui portent haut les voiles, hidjab, foulards, bandanas, robes, barbes etc. Pourquoi positif et en quoi ? 

Certes le renversement du stigmate est un classique de l’autodéfense des opprimé/es mais il n’est pas ipso facto, automatiquement progressiste ni même positif. En quoi disculperait-il ces signes de leur effet régressif et réactionnaire sur les femmes, et de la conception inégalitaire qu’on devrait en avoir ? Dans ce processus de retournement du stigmate hélas on assiste plutôt à l’inverse d’une réaction émancipatrice. Si dans un premier temps l’adoption d’un de ces signes est un pied de nez au racisme, une réappropriation identitaire, un acte de fierté, il n’en est pas moins dans la durée une « tenue » physique et morale au plein sens du terme de « tenue » avec tout ce que cela implique. (Et il est plus facile de se mettre à porter le foulard que de cesser de le porter ai-je lu). La « tenue » tient au corps et fait intérioriser sa portée symbolique une fois passée la révolte antiraciste.

 J’ai d’ailleurs été confronté à ce glissement avec la liste NPA comprenant une candidate portant foulard. Cela a commencé par une liste anticapitaliste avec une candidate anticapitaliste par ailleurs portant foulard ce qui me semble toujours légitime. Puis c’est devenu une candidate portant foulard sur une liste anticapitaliste qui en est venu à réclamer la tête de liste au nom de son foulard et non plus de son anticapitalisme passé au second rang. Pour finir d’ailleurs l’anticapitalisme a vécu et le plus investi des protagonistes a rejoint F. Belghoul, sa lutte contre la prétendue théorie du genre, les anti mariage pour tous et politiquement la droite de la droite.

 Ce n’est pas parce que le port de ces signes répond au racisme qu’il en est pour autant progressiste. Si la riposte au racisme se comprend, le vecteur qu’elle prend est un piège qui conduit en adoptant le signe comme étendard à en adopter chemin faisant les valeurs et les fins. Et les fondamentalistes se frottent les mains en coulisse, tandis que les femmes se trouvent soumises à la double peine et du racisme qui les a prises d’autant plus pour cible emblématique de ses fantasmes haineux, et de l’asservissement moral religieux qui a profité de la révolte pour s’imposer en fraude.

 Pour éviter d’avoir à porter une appréciation critique sur ces us ou coutumes religieuses, on nous dit aussi benoitement « qu’on ne sait pas la signification que chacune donne du port de tel ou tel vêtement ». Comme s’il était question de personnes juxtaposées, individu par individu et non d’un phénomène politico-social mondial développant une immense chape sexiste et bigote depuis quelques décennies sur les femmes et les hommes de culture musulmane (c’est un autre débat mais toutes les obédiences religieuses tentent, devant la sécularisation mondiale en marche, de défendre leur contrôle de leurs ouailles par une sorte de réarmement moral plus ou moins autoritaire… ou habile cf François, pas seulement l’Islam). Contre cette chape une partie de la jeunesse, en Iran, en Arabie saoudite, au Liban, en Egypte, en Tunisie, dans tout le Maghreb etc… mène une lutte héroïque dont nos indignés antiracistes ne parlent guère tout affairés à défendre le « droit des femmes musulmanes » à porter les signes de leur infériorisation…. 

 Lorsqu’on tente de nous vendre cette idée qu’on ne sait ce que chacun pense sous son foulard, c’est un peu comme si l’on nous disait que le port d’une soutane par le prêtre ou la robe-plissée-carré-Hermès de Mme à la sortie de la messe ne signifiait rien sur l’avortement, le mariage pour tous et l’homosexualité… Je conviens que ces derniers sont ouvertement des militants de ces tristes causes, ce qui n’est pas forcément le cas de bien des porteuses musulmanes de vêtements à caractère religieux, mais cela n’enlève rien au fait qu’à travers ce port ce sont bien des messages antiféministes, pudibonds, puritains (et homophobes dans la foulée) qui sont diffusés, et intériorisés par celles qui s’y adonnent et ceux qui les entourent entre autres les enfants.

 Le nier est ridicule ou de mauvaise foi. C’est même assez limite quand on pousse le raisonnement à comparer le burkini à une tenue de plongée ou le port du foulard à celui d’un string comme je l’ai souvent lu, histoire de les banaliser et de les « désensibiliser ». C’est non seulement stupide mais carrément insultant pour les croyantes (et pour nous dans le débat c’est nous prendre pour des imbéciles). Allez leur dire que leur hidjab vaut un string ! Cela revient à vider leur acte de sa substance, à effacer tout simplement le sens de leur port ! C’est une entourloupe, en même temps sans que celles et ceux qui s’y livrent une autre forme… d’invisibilisation. Rien moins. Singulier paradoxe de la part de ceux qui prétendent défendre leur dignité, leur liberté dans l’espace public et leur choix !!

  Sans se cantonner à ces arguments complaisants ou quasiment apologétiques, bien des courants aujourd’hui estiment inopportun d’opposer des critiques à l’emprise bigote sur les populations musulmanes, car « dans nos pays » la priorité serait à lutter contre le racisme. Cette question des priorités a toujours été très piégeuse. Que la lutte contre le racisme soit impérative est évident, mais on glisse vite à une sorte de « campisme » dès lors qu’on ne l’assortit d’aucune critique sur l’autre versant des questions soulevées (y compris par les racistes). Parler ainsi priorité voudrait dire que des combats qui sont les nôtres (féminisme, droit des LGBT, liberté sexuelle, critique de la religion etc) sortent du champ de nos objectifs certes momentannément, mais doivent être ainsi mis sous le boisseau, l’étouffoir de la priorité principale. Autrement dit il semblerait qu’il faille qu’on en vienne à sacrifier certaines causes et donc des personnes, des catégories entières (femmes, jeunes, LGBT) pour ne pas attiser le racisme et le combattre efficacement. 

 De fait cela signifie qu’on abandonne les femmes, les hommes, les jeunes, les LGBT que ce néo puritanisme affecte directement, à se faire broyer par lui. On laisse les femmes voilées au voile, les hommes à la domination masculine, la jeunesse de culture musulmane à un puritanisme ravageur, les LGBT au dilemme se renier ou (au mieux) être reniés. En même temps, comme c’est de fait le cas aujourd’hui, on délaisse le soutien à apporter à celles et ceux au sein de l’espace musulman qui dénoncent ce néo puritanisme et tentent d’y faire contrefeu, quand on ne les soupçonne pas d’agents de l’intérieur de « l’islamophobie ». Tout cela en arguant que la lutte contre le racisme prime.

 Non seulement cet argument me semble spécieux mais en plus tactiquement erroné. Il laisse aux adversaires racistes le bénéfice de ces critiques et leur permet de broder sur les droits des femmes, la sexualité, les homosexuels quand bien même par ailleurs ils s’en révèlent de sérieux adversaires ! Il me semble qu’au contraire allier à la lutte contre les discriminations et les brimades injustifiables, une critique sans concession de la vague bigote d’inspiration salafo- wahabite clarifierait les choses, aiderait à y voir dans le brouillard morbide que distille la vague raciste ici, au lieu de sacrifier certaines critiques de bon sens et donc certaines luttes d’émancipation, certaines valeurs. 

 Ce « sacrifice » est effectif quand on voit le peu de soutien voire les attaques, que reçoivent celles et ceux de culture musulmane qui tentent de construire une riposte émancipatrice à l’extension des bigoteries inspirées par le salafisme ou le wahabisme et que concentre le port du voile. Leur solitude est extrême, la moindre erreur de leur part déclenche des volées indignées de bois vert. Quel mouvement d’admiration et de relai d’opinion actif obtiennent ces femmes iraniennes ou saoudiennes qui sur Internet se dévoilent en acte de résistance ? Quelle mollesse à la solidarité envers les LGBT qui paient aujourd’hui un lourd tribut aux fanatismes musulmans tout près de chez nous en Tunisie par exemple, et même tout simplement à la preignance accrue d’une homophobie certes partagée par le catholicisme romain, les orthodoxies, les églises évangéliques, mais réactivée dans nos familles, nos quartiers par ce que porte comme signification le retour en force des symboles religieux, sexistes et normatifs comme le voile. 

 Il me semble quand même que si l’on veut s’adresser à l’opinion autrement que par un réflexe pavlovien antiraciste « blanc de gauche » comme diraient certains, qui est hyperminoritaire, c’est à sa raison qu’il faut inlassablement parler. Et la raison ce n’est pas dire que le burkini n’est qu’un vêtement comme les autres, ce que personne ne croit évidemment, même pas ceux qui l’assènent. C’est dire que oui voilà un moyen de contrôle bigot des musulmanes, une infériorisation des femmes etc etc mais qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de décréter qui doit croire quoi ni comment. Que la laïcité c’est la liberté de conscience et la liberté de critique, donc la liberté de culte, de vêtement, mais en même même temps la liberté de s’interpeller mutuellement dans nos erreurs, nos errances, nos préjugés. Que c’est aux musulmans et aux français en général dans le dialogue même vif de débattre du sens, de la pertinence de tel ou tel comportement religieux sans qu’il soit fait appel à des lois, des règlements, des restrictions de liberté qui, de plus, touchant les un/es aujourd’hui, seront utilisables contre d’autres sinon tous demain.

 Bref s’adresser à la raison et ne pas vouloir la jouer tactique en ravalant de justes critiques et de justes interpellation envers celles et ceux qui se laissent prendre au piège du duo infernal racisme/bigoterie sexiste. Jouer tactique c’est céder à la panique et estimer que la lutte contre « l’ennemi principal » justifie de ne pas tout dire ni tout revendiquer en même temps, de ne pas marcher sur ses deux jambes. 

 S’adresser à la raison c’est mettre tout sur la table du débat public, en ne laissant pas des valeurs essentielles être dénaturées par nos adversaires, après les avoir délaissées sous prétexte de ménager celles/ceux dont nous sommes solidaires, c’est pratiquer une solidarité lucide qui montre à tous son périmètre et fixe sans concession ses limites, en n’autorisant pas que l’appel à la liberté serve en douce des causes qui lui sont explicitement contraires. 

 Mettre tout sur la table du débat public en ne prenant personne pour un imbécile et en mettant tout le monde devant ses responsabilités : la tolérance envers l’exercice des religions et leur expression dans l’espace public, fut-il consternant, en même temps que le droit de critique sans concession de ce qu’elles portent et diffusent de contraire à ce qui nous semblent être les valeurs émancipatrices sur lesquelles nous appelons femmes et hommes à tenter de construire ensemble l’autre monde possible.

Il est illusoire de vouloir à tout prix et contre l’évidence voir dans la résistance identitaire religieuse au racisme (identitaire) autre chose qu’une réaction quasiment symétrique (même si la symétrie n’équivaut pas entre un racisme de dominants et une réaction de dominés stigmatisés). Le rapport de force social et politique ne paraît pas favorable aujourd’hui à ce qu’une gauche musulmane croyante de progrès se structure comme on a pu voir une théologie de la révolution chrétienne fut un temps, tant socialement l’ensemble du mouvement ouvrier est sur la défensive, et politiquement déstructuré voire travaillé par les démons de la xénophobie, mais tant aussi les forces réactionnaires pèsent sur le monde musulman jusqu’à y susciter un commencement de refus du religieux (Egypte, Liban, Tunisie) plutôt qu’une religiosité progressiste. 

 Il est du coup préoccupant de voir une partie de la génération militante actuelle, investie dans l’antiracisme risquer par souci tactique en un mauvais calcul biaisé par une forme de panique, de passer à côté de ce qui se cherche dans l’espace musulman en direction d’une séparation de la politique et de la religion, d’une égalité entre hommes et femmes et d’une libération sexuelle. Ces camarades cherchant à exonérer les signes religieux de leur portée réactionnaire, pourraient demain se trouver vite en porte à faux avec celles qui à Téhéran, Ryad, Tunis, Rabat et ailleurs arrachent le signe infamant de leur infériorisation sur internet et demain dans la rue, avec celles et ceux qui réclament de n’être plus « haram » voués à la lapidation, la strangulation ou la prison, avec ceux qui les applaudiront.

 C’est de ce côté là qu’il importe d’être, qu’il faut travailler à tirer celles et ceux qui se révoltent, qu’il urge d’ancrer un antiracisme de l’émancipation. Non ?

https://blogs.mediapart.fr/jacques-fortin/blog/200816/pour-un-antiracisme-de-lemancipation

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