Hier soir à la Vache Rit |
Cour administrative d’appel de Nantes, lundi 14 novembre, 14h10. Tous les recours sont rejetés. L’espoir, allumé par les trois heures et dix minutes d’argumentation du rapporteur public une semaine avant, s’est éteint en moins de deux minutes.
Des sept magistrats qui ont jugé, il n’en reste qu’un, le président, qui explique qu’une audience de lecture ne fera pas entendre l’énoncé oral de toutes les considérations. Seul le « sens des décisions retenues par la cour » aura sa place.
De fait, c’est extrêmement court, et lapidaire. Il fait l’inventaire des requêtes contre le déclaration d’utilité publique : « rejetées ». Les requêtes au titre de la loi sur l’eau : « rejetées ». Les requêtes concernant les espèces protégées : « rejetées ».
Stupéfaction dans la salle. Les opposants sont abasourdis, les sourires même retenus par prudence, sont remplacé par des yeux ronds. « Ça veut juste dire qu’on a tout perdu », lâche Françoise Verchère, une des opposantes historiques.
L’audience de lundi dernier et celle-ci, exposant le résultat, avaient adopté des formes extraordinaires. Jamais habituellement la date de délibéré n’est annoncée, et jamais elle n’est jamais aussi proche de l’audience. Ce qui fait dire à Me Erwan Lemoigne que « le jugement était peut-être déjà rédigé à l’avance ».
Surprise aussi, les trois sièges vides des avocats de l’État et de Vinci qui ne sont pas venus écouter le résultat. Comme s’ils savaient à l’avance.
Les partisans du projet, qui ne s’étaient pas montrés la semaine précédente, sont là, aux premiers rangs de la petite salle bondée. Ils ne parlent pas de droit de l’environnement, se contentant de réclamer l’évacuation de la Zad et le début des travaux. Air connu. « Les risques n’étaient pas établis compte tenu des mesures prises par les arrêtés préfectoraux »
Un résumé en quatre pages des attendus du jugement a été remis à la presse à l’issue de la lecture des arrêts de la Cour rejetant tous les recours. Concernant la loi sur l’eau, sur laquelle le rapporteur public a appuyé ses préconisations demandant d’annuler les arrêtes préfectoraux, « la cour a d’abord relevé que les projets en cause étaient susceptibles d’avoir des incidences sur les masses d’eau des bassins versants de l’Isac, du Gesvres et de l’Hocmard [trois cours d’eau au sein du périmètre de la Zad] ainsi que sur leurs affluents », mais quant aux déversements de produits de dégivrage des avions (glycol) et les produits jetés pour les pistes et les routes contre le verglas, la cour estime que « les risques n’étaient pas établis compte tenu des mesures prises par les arrêtés préfectoraux », à savoir une « aire réservée, isolée et entourée de caniveaux étanches en périphérie permettant de diriger les eaux de ruissellement soit vers des cuves de stockage soit vers un bassin de rétention ».
Tout aussi écartée par l’arrêt de la cour d’appel, la question de compatibilité du projet avec le Sdage, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne. Normalement, un porteur de projet doit veiller à « éviter de dégrader une zone humide » en « imposant de rechercher en priorité une autre implantation au projet », comme le rappellent les attendus.
Le rapporteur avait dit que l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique constituait une « alternative avérée ». La cour a estimé que, « compte tenu des travaux très importants devant être effectués en vue de faire face à l’augmentation du trafic et du nombre de passagers, de la localisation de l’aéroport de Nantes-Atlantique à proximité de zones très densément urbanisées, de l’importance de la question des nuisances sonores et des conséquences en matière d’urbanisme du réaménagement de cet aéroport, celui-ci ne constituait pas, à la date de ses arrêtes, une solution alternative présentant un caractère avéré qu’exige le Sdage ». L’exact contraire des conclusions du rapporteur public une semaine avant.
Idem pour le Sage, le schéma d’aménagement et de gestion des eaux du Bassin de la Vilaine, l’autre côté du bassin versant. La cour admet que « la réalisation de la plateforme aéroportuaire entraînait la modification de la morphologie de quatre cours d’eau » et que, dans trois d’entre eux, « l’absence d’apport en eau par les sources empêchait l’établissement d’un peuplement piscicole », mais que néanmoins, les arrêtés préfectoraux n’étaient pas incompatibles.
Quant aux espèces protégées, la cour d’appel note que, pour déroger aux systèmes de protection stricte, il faut répondre à « trois conditions distinctes et cumulatives » : une raison impérative d’intérêt public ; l’absence de solution alternative satisfaisante ; l’absence de nuisance au maintien des population des espèces concernées.
La notion d’intérêt public voit rejaillir des notions langue de bois, comme « le développement économique du Grand-Ouest », le fait d’« améliorer l’aménagement du territoire », et de « développer les liaisons aériennes nationales et internationales » tout « en réduisant les nuisances sonores subies par la population de l’agglomération nantaise ».
L’aéroport existant, une alternative crédible ? Pour le rapporteur public, oui, à l’évidence. Pour les juges de la cour d’appel, non.
Quant aux espèces affectées par les destructions liées aux travaux, la cour d’appel croit viables et crédibles les mesures prises qui « n’étaient pas de nature à nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle qui s’apprécie aux échelles locales et supralocales ». Les tritons n’ont qu’à déménager avec une échelle supralocale sur le dos.
« On est très déçu, évidemment. La cour n’a pas pris position sur les compensations environnementales ni sur le droit communautaire, qui normalement prime sur le droit français », note Me Thomas Dubreuil un des trois avocats des opposants au projet.
C’est une défaite sur tapis vert, diraient les sportifs. Reste le match sur le terrain, le rapport de force, mais aussi le dernier recours contre ces arrêtés, devant le Conseil d’État, à déposer dans un délai de deux mois.
Reste aussi la procédure d’infraction ouverte par l’Europe. Avec le handicap du droit à l’environnement, la faiblesse de son « effectivité », les éventuelles sanctions, minimes, tardives, souvent a posteriori, que dénoncent bien des juristes.
Pour les opposant, la bataille n'est pas finie
Dans un communiqué publié après l’annonce de la décision de la cour d’appel adminstrative, le Mouvement anti-aéroport écrit : « La décision de la cour administrative d’appel n’entame en rien la légitimité de notre combat. L’ensemble du mouvement antiaéroport réaffirme qu’il ne laissera place à aucun début de travaux ni d’expulsion sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. »
Comment en est-on arrivé là ?
Tout part d’un sol éponge et d’un bocage préservé, peuplé de raretés. Le site de Notre-Dame-des-Landes étant une tête de bassin versant, alimentant les affluents de la Loire au sud et de la Vilaine au nord-ouest, toute intervention sur place relève d’une protection par la loi sur l’eau.
La présence d’espèces protégées dans cet ensemble de bocage, de talus, haies, bosquets et prairies humides bénéficie aussi de protections légales. Envisager des travaux, c’est entrer en contradiction avec ces lois environnementales.
Pour surmonter cet obstacle, le préfet de Loire-Atlantique a pris le 20 décembre 2013 des arrêtés accordant une dérogation à ces lois. Pour nourrir le dossier scientifique permettant de ne pas respecter la loi en accordant une dérogation pour le projet d’aéroport, le concessionnaire Vinci (via sa société de projet AGO) et l’Etat (via la DREAL, Direction régionale de l’environnement et de l’aménagement du territoire) avaient demandé un état des lieux à un seul et même bureau d’étude, Biotope.
Pour les espèces protégées, les conclusions de ces experts qui ont passé peu de temps sur le terrain constituait un inventaire a minima. Ces rapports ont été remis en question par un ensemble de relevés effectués par un collectif, les Naturalistes en lutte, qui a mené des campagnes beaucoup plus exhaustives et plus longues.
Des mois durant, pour effectuer ces relevés, des centaines de militants en bottes ont scruté les mares, les arbres creux, les bords de chemin et les sous-bois. Ils ont dénombré les pontes de batraciens, compté les crottes de rongeurs entre les herbes, documenté leurs trouvailles.
Résultat : les études expéditives de Biotope ne supportent pas la comparaison avec celles des Naturalistes en lutte qui ont inventorié bien plus d’espèces protégées que le sous-traitant de Vinci et de l’Etat. Ces amoureux de la nature ont déniché des espèces protégées absentes des inventaires officiels , comme le crossope aquatique ou le triton de Blasius pour la faune, ou des plantes annuelles comme Pulicaria vulgaris, Exaculum pusillum ou Sibthorpia pour la flore.
Face à cette démonstration que Biotope avait "oublié" des espèces, le préfet a repris en septembre dernier deux arrêtés pour pouvoir détruire le campagnol amphibie. Cette contre-expertise militante mais néanmoins scientifique apporte la démonstration implacable que le dossier environnemental a été bâclé, et les inventaires de milieux et d’espèces, faune et flore, minorés, amputés de données.
Jusqu’à l’état des lieux de la micro géographie du milieu naturel qui pose problème, la version officielle ayant compté moins de mares que ce qu’ont constaté et répertorié les militants sur le terrain.
Les Naturalistes en lutte contestent aussi la méthode de compensation, son bien-fondé et son efficience qui n’est que présumée, puisqu’il n’y a pas en France de précédent d’une telle ampleur. Une critique qui a été confirmée par un organe consultatif d’Etat, le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité.
Des recours juridiques ont alors été déposés devant le tribunal administratif, soulevant les lacunes flagrantes des états des lieux, considérées comme des violations de la loi puisque des plusieurs espèces protégées seraient détruites sans même avoir été identifiées par les maîtres d’ouvrage.
Les recours ont aussi rappelé les avis défavorables des instances scientifiques chargées d’examiner ces dossiers. Ces recours se sont aussi appuyé sur le fait que les alternatives pour éviter ces destructions, notamment en aménageant et développant l’aéroport existant, n’ont pas été sérieusement envisagées. La critique des méthodes de compensation retenues par les arrêtés a aussi servi à étayer les demandes d’annulation des arrêtés.
En première instance, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le 17 juillet 2015 tous les arguments des opposants au projet. A ce stade, les recours avaient donc échoué. La veille, pourtant, un autre tribunal administratif, à Grenoble, avait tranché dans le sens inverse, jugeant le projet de Center Parc à Roybon incompatible avec la loi sur l’eau.
Le jugement du tribunal administratif de Nantes a été porté en appel. Et le 7 novembre dernier, les conclusions de la magistrate rapporteur public, dont le rôle est d’énoncer les références du droit administratif qui lui apparaissent applicables, a littéralement retourné la situation.
Reste à voir si les juges suivront son avis technique qui paraît solidement étayé. Il lui aura fallu près de 3 h 10 de lecture à voix haute, avec un débit dense et une foule d’arguties, pour exposer les arguments, les jauger, réfuter leur bien-fondé et en écarter beaucoup, mais en retenir suffisamment pour demander l’annulation des quatre fameux arrêtés.
L’usage veut que ce type d’avis du rapporteur public est très largement suivi. Mais pas mécaniquement ni à 100%. Les associations environnementales ont aussi en mémoire que c’est devant cette même juridiction administrative d’appel, dans cette même salle qu’elles avaient obtenu gain de cause en 2009 pour faire annuler le projet d’extension du port de Nantes-Saint-Nazaire, à l’est de la commune de Donges.
Il restera éventuellement un troisième niveau de recours de chacune des parties, AGO-Vinci, l’Etat et les opposants au projet d’aéroport : le Conseil d’Etat. Ajouter une bonne année avant une décision.
Source : Nicolas de La Casinière pour Reporterre
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