mercredi 9 novembre 2016

Notre-Dame-des-Landes : des éléments nouveaux invalident le choix technique retenu pour les pistes. Le CéDpa écrit à la Ministre de l'environnement

Madame la Ministre, 

Comme vous le savez, le CéDpa, collectif des élu-e-s doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, travaille depuis de nombreuses années sur le fond du dossier de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique. 

Nous avons financé plusieurs études sur le Plan d’Exposition au Bruit de Nantes ou sur l’étude coûts/bénéfices du projet, nous avons participé à toutes les instances mises en place, avons contre-expertisé les études de l’administration, notamment celles de la Direction Générale de l’Aviation civile et sommes désormais convaincus que le projet de NDDL est inutile, coûteux et destructeur. Il serait destructeur d’une vaste zone humide dont la préservation est essentielle comme l’a souligné aujourd’hui même Madame la rapporteur publique devant la cour d’appel de Nantes. 


Mais au delà de l’aspect « préservation » d’une zone aux fonctionnalités multiples, nous nous interrogeons depuis très longtemps sur la faisabilité même d’un aéroport sur des terres argileuses et humides. 

Nous avons regardé la méthode constructive inscrite au contrat de concession et avons noté que AGO prévoyait de traiter à la chaux les sols avant la réalisation des infrastructures, méthode usuelle pour construire des routes sur des sols meubles. Il est aussi indiqué dans ce contrat que la méthode précise de consolidation du sol serait déterminée à l'issue d'études complémentaires. 

Nous venons d’apprendre grâce à un chercheur du CNRS parti tout récemment en retraite, que des études scientifiques sur ce sujet ont effectivement eu lieu (5 thèses de doctorat soutenues en 2012) et que leurs conclusions remettent en cause la mise en œuvre de cette technique. 

En résumé, l’effet de la chaux n’est pas pérenne sur des sols constitués de micaschistes comme ceux de Notre-Dame . Ce qui signifie que très vite, le sol redeviendra ce qu’il est, gorgé d’eau et donc déformable. 

Imaginez ce que seront des pistes « gondolant » sous l’effet des remontées d’eau alors qu’elles doivent supporter les impacts d’avions à l’atterrissage et leur roulement... 

Les conséquences sont capitales : si cette technique de traitement à la chaux n’est pas possible, il faut alors modifier la méthode constructive : soit battre des pieux, soit procéder par déblais/remblais. Le coût des deux solutions n’a plus rien à voir avec la solution initiale, et les impacts environnementaux non plus, surtout pour la seconde solution qui impliquerait le déplacement de volumes énormes de matériaux. 

Il n’est pas possible que le concessionnaire AGO ne soit pas au courant à ce jour, et vraisemblablement la DGAC connaît elle aussi le problème. 

Madame la Ministre, c’est à vous que nous nous adressons car le Ministre des Transports n’a jamais répondu à nos courriers et nous n’avons aucune confiance dans la suite qui pourrait être donnée à cette information très importante. 

Au scandale de détruire une zone humide en dépit de la loi sur l’eau et des directives européennes, faut-il ajouter le ridicule de problèmes de construction ? Sans compter l’explosion des coûts à prévoir ( et pour qui?). 

Nous pensons comme vous qu’il est plus que temps de sortir de l’impasse de ce dossier en étudiant enfin une alternative qui concilie économie et environnement : l’optimisation de l’actuel aéroport. 

A l’heure de l’ouverture de la COP 22, nous espérons encore que nos dirigeants montrent lucidité et raison dans ce dossier et, dans cet espoir, vous assurons de nos salutations les plus respectueuses 


 LE CHOIX TECHNIQUE RETENU 

Avant de pouvoir construire des pistes à Notre Dame des Landes, il faut rendre son sol argileux et humide beaucoup plus dur et résistant. Pour ce faire, Vinci prévoit un prétraitement du sol similaire à ce qu’il réalise pour certaines autoroutes : introduire des liants hydrauliques ( chaux ou un mélange chaux - ciment ) sur 60 cm de profondeur ( la profondeur est de 40 cm pour les autoroutes) 1 . Cette méthode a été validée par le BET ( Bureau d’Etudes Techniques ) d’Angers en 2006.

Compte tenu des quantités de chaux qui devront être utilisées et de l’écoulement des eaux, les risques environnementaux liés à l’utilisation de cette méthode ont été soulevés à différentes reprises... Sans que des réponses satisfaisantes soient apportées. 

Aujourd’hui, la question soulevée est d’un autre ordre, plus fondamental : la consolidation du sol de NDL par la méthode prévue est - elle vraiment possible ? 

De récentes thèses de doctorat conduites dans le cadre de deux projet s multi partenariaux permettent sérieusement d’en douter. 

Le premier, TerDOUEST pour « Terrassement Durable des Ouvrages En Sols Traités », piloté par l’Agence Nationale de la Recherche , a regroupé 12 partenaires académiques, institutionnels et entreprises de 2008 à 2012. 

2 Le second, MICATT ( Micaschistes Traités en Terrassement) a regroupé de 2010 à 2012 l’IFSTTAR, l’Institut des Matériaux de Nantes et l’Ecole Centrale de Nantes. La Région Pays de la Loire a participé à son financement. 

LES ELEMENTS NOUVEAUX 

Entre 2010 et 2012,  cinq thèses de doctorat 3 avaient pour thématique de recherche l’efficacité des traitements par liants hydrauliques dans la consolidation des sols argileux. Elles ont mis en évidence que la présence de certains composants chimiques tels que sulfures/sulfates, les matières organiques, les nitrates et les phosphates, perturbaient la consolidation du sol. 

 La thèse de Kévin Lemaire d’octobre 2012 a montré en outre que des échantillons de sols prélevés à Vigneux de Bretagne (zone de Notre Dame des Landes) préalablement consolidés par des liants hydrauliques perdaient complètement les effets du traitement quand on mettait de l’eau dans la partie traitée ! 

Ces thèses ont mis en évidence différents types de sols argileux, selon que le limon est exempt de mica ou qu ’il en contient . 

Dans le premier cas, les traitements aux liants hydrauliques peuvent, sous certaines conditions , rester efficaces. Dans le deuxième, la présence dans le sol de «perturbateurs chimiques » peut avoir des effets délétères sur la consolidation et , en outre et en tout état de cause , la présence d’ eau dans le sol traité finira par annihiler tous les effets du traitement dans un délai rapide . 

LA SYNTHESE : à NDL, un sol inapte au traitement 

La zone retenue pour le projet de l'aéroport du grand ouest à NDL est majoritairement constituée d' altérite de composition minéralogique principale : micaschistes (46,4 - 48,0%), kaolinite (18.8 - 36.6 %) et quartz (29.9 - 12. 6 %) 4 . 

C’est un sol typique de limon avec forte présence de mica, pour lequel les récents travaux de recherche doctorale montrent l’inefficacité du traitement aux liants hydrauliques. On trouve dans ce sol de NDL des matières organiques, qui vont rendre plus difficile la consolidation du sol mais c’est surtout la présence d’eau dans ce sol qui pose un véritable problème étant donné qu’elle annihilera ensuite totalement les effets du traitement. 

Des blindages sont prévus sur les côtés des pistes avec des drains pour l’évacuation de l’eau. Il n’empêche que l’eau présente dans le sol sous les 60 cm d’épaisseur traités remontera par capillarité. 

Plus les éléments du sol sont fins (cas du sol de NDL), plus le phénomène de capillarité est important. Il en résulte que de l’eau atteindra la partie traitée et délitera petit à petit l’effet du liant. Cela signifie que des pistes pourraient à la rigueur être construites sur un tel sol (avec difficulté étant donné la présence majoritaire de micaschistes ) mais qu’ elles ne résisteront pas au temps. Elles se mettront à « gondoler » au bout de quelques années. Or les exigences de planéité des pistes sont rédhibitoires. 

Les organismes officiels supervisant les travaux de thèses ont d’ailleurs des conclusions peu encourageantes . Selon l’IFSTTAR, Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux, ces « micaschistes sériciteux » (c’est - à - dire contenant de la séricite, variété de mica blanc) des Pays de la Loire sont « classés généralement comme inaptes au traitement d’après les approches traditionnelles du géotechnicien » et aussi : « Il apparaît aujourd'hui clairement un lien ent re la microstructure de matériaux traités à la chaux et leur comportement macroscopique mécanique. Dans l'évaluation de la durabilité de sols traités, les résultats obtenus ont montré que le comportement physico - chimique des sols traités à la chaux exposés à une circulation d'eau résulte d'une compétition entre les processus de dissolution/décalcification des phases minérales et les processus de précipitation.[...] De plus, il s'est avéré que, quel que soit le dosage en chaux considéré, la microstructure et l a perméabilité des sols limoneux traités à la chaux évoluent de la même manière que celles des sols non traités, lorsque ceux - ci sont compactés à différentes teneurs en eau et énergies de compactage . » 5 

L’ IDDRIM (Institut des Routes des Rues et des Infra structures pour la Mobilité ), rattaché au ministère de l’environnement et du développement durable , a dressé fin 2015 le bilan des enseignements du projet TerDOUEST. Il conclut : « Certains minéraux particuliers, comme les micas, peuvent réduire l’effica cité du traitement voire l’annuler complètement. Ces minéraux sont présents par exemple dans certaines arènes granitiques, argiles sériciteuses ou argiles issues de l’altération de schistes sédimentaires (cas du sol de NDL, NDLR) . » 6 

CONCLUSION 

En l’état, le projet NDL est totalement à revoir : la technologie retenue pour consolider le sol destiné à recevoir les pistes (traitement par liants hydrauliques) n’est pas pertinente ; elle conduirait inexorablement à de fortes perturbations du profil des pistes .

Il va falloir utiliser une autre technologie de construction des pistes , ce qui entraînerait des conséquences économiques considérables : surcoût de construction, absence de valorisation des déblais, volume de matériaux réutilisables inférieur aux p révisions, volumes de purge supérieur aux prévisions , délais supplémentaires ... Sans oublier que les missionnaires du CGEDD ont montré que la solution retenue (aéroport bipiste) était surdimensionnée et non pertinente et que la solution alternative du main tien de l’aéroport actuel n’avait pas été étudiée correctement . 

 On arrête les frais ? 



- 1 Article Reporterre 1 er février 2014 https://reporterre.net/La-geologie-de-Notre-Dame-des 

2 http://www.agence-nationale-recherche.fr/?Projet=ANR-07-PGCU-0006 

3 Voir document annexe : liste des références. 
Les cinq thèses sont les suivantes : 

- TANGI LEBORGNE 2010 INSTITUT NATIONAL POLYTECNIQUE DE LORRAINE ( Evolution de la prise dans les sols) 

- NICOLAS MAUBEC 2010 IFFSTAR INSTITUT DES MATERIAUX ( Effets des traitements sur les sols argileux ) 

 - LAURE DELAVERGNE 2011 IFFSTAR INSTITUT DES MATERIAUX ( Sol d’altérite de Vigneux de Bretagne) 

- LUCILE SAUSSAYE 2012 UNIVERSITE DE CAEN CHIMIE DES MATERIAUX ( Evolution de la prise dans les sols) 

- KEVIN LEMAIRE 2012 IFFSTAR ECOLE CENTRALE DE NANTES ( Sol d’altérite de Vigneux de Bretagne sous présence d’eau )

4 Source : thèse de Laure Delavernhe (2011) , page 31 

5 Dossier de presse de l’IFSTTAR de janvier 2014 « 2014 une année de grands projets » p. 13 http://www.ifsttar.fr/ressources-en-ligne/la-communication/espace-presse/dossiers-de-presse/ 

6 Enseignements de TERDOUEST décembre 2015 http://www.idrrim.com/actualites-presse/2015-12-17,4052.htm

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