mercredi 9 novembre 2016

Election de Trump : ne pas jouer à se faire peur mais regarder la réalité en face, par Vincent Présumey

"Ni rire ni pleurer, comprendre." (Spinoza). Je serai tenté de préciser : rire, pleurer, et comprendre. Il ne faut ni jouer les étonnés, ni se jouer l'affolement ce matin. Trump, occupé à déposer des recours dans le Nevada, n'avait lui-même pas mesuré pleinement ce qui se passait !  

Quand, encore ce mercredi 9, the day after, à 8h 30 du matin, Le Monde nous dit que "contre toute attente" Trump "pourrait" gagner, il reproduit ce "déni de la part des élites" qui, justement, a nourri Trump. Bon, alors, première précision nécessaire : non le fascisme ne déferle pas, non Hitler ne domine pas le monde, oui un milliardaire taré a gagné la Maison Blanche, certes il y a des aspects hérités du fascisme dans sa rhétorique et, plus que jamais, la question de l'auto-défense et de l'auto-organisation des noirs aux Etats-Unis, et de l'action commune avec eux, est posée largement, non pas tant devant Trump lui-même que contre les forces qui vont se sentir libérées les prochains jours pour cogner encore plus. Mais il ne s'agit pas du fascisme. 


Le fascisme avait écrasé par la force de bandes de tarés les organisations ouvrières. 
Aujourd'hui, le vote d'une classe ouvrière, pas en tant que vote de classe mais en tant que vote de déclassés et de mécontents, a fait la victoire de Trump, sans violences de masse. 

Le fascisme était financé par le grand capital. Aujourd'hui, les bourses plongent à l'ouverture à cause de l'élection d'un capitaliste. 

La victoire du fascisme apportait au capital l'ordre dont il avait alors besoin, au niveau national, en préparant la guerre au niveau mondial. La victoire de Trump accentue sur tous les plans et à toutes les échelles tous les désordres aux Etats-Unis et donc dans le monde, tout en portant une orientation isolationniste en politique étrangère, bien que ce domaine soit celui des plus grandes incertitudes. La comparaison avec le Brexit - un Brexit mondial - est pertinente. 

Depuis trois décennies que les concepteurs des programmes de Géographie de l'enseignement secondaire, pseudo science pétrie d'idéologie, glosent sur la "mondialisation" impulsée par l'Amérique, voila l'Amérique qui tente un Brexit planétaire envers sa propre mondialisation ! La comparaison est pertinente aussi en ceci que ce qui est rejeté – Wall Street, la commission européenne ...- mérite de l'être, mais que ce qui advient reste dans la sphère du capital, mais partiellement hors contrôle. 

Défaite de la raison et expression de l'impasse sociale, la victoire d'un Trump n'est pas une victoire du "grand capital". Le chaos grandit, porteur de guerre et de destructions. 

Leçon n°1 : l'absence d'alternative démocratique, "à gauche", combinée à la crise politique de la classe dominante elle-même peut assez facilement porter au pouvoir les équivalents de Trump partout. Chacun a compris ce que cela veut dire en France par exemple -et non, cela ne veut pas dire le fascisme, étant entendu que les traits fascisants sont là. 

Leçon n°2 : l'ombre de ce qui n'est pas advenu plane sur ces élections, cette ombre s'appelle Sanders, et ce qu'il représente, et les forces qui se sont mises en mouvement sous son nom, dont il faut plus que jamais rappeler qu'elles étaient, dans l'hypothèse d'une candidature Sanders du parti démocrate, gagnantes. La carte de Trump par Etats, parfois même par comtés, ressemble souvent à un décalque de la carte des primaires démocrates (largement truquées ...), Trump gagnant là où Sanders gagnait, dans cette fameuse cambrousse américaine délaissée, brutale et chaleureuse. Cette seconde leçon essentielle doit être précisée sur deux points, car on ne peut pas se contenter de dire à la française que "seule une vraie candidature de gauche peut vaincre la bête immonde" – ce refrain conduit à la défaite assurée ! 

Le premier point, c'est qu'une candidature démocrate Sanders aurait probablement gagné, mais qu'elle était impossible, puisque le grand capital l'avait interdite – l'histoire ne nous dira jamais ce qu'aurait pu, ou non, une candidature Sanders indépentante, risque que l'intéressé avait écarté depuis le début. Une tierce candidature de gauche n'aurait pas plus percé que les autres fois. La question posée est celle d'un vrai parti démocratique américain, ce que n'est pas le parti démocrate. Seul un vrai parti démocratique, organisé par en bas, peut représenter les ouvriers, et tous les opprimés. Ceci paraît un acte de foi, mais pourtant, c'est ce parti qui était là, de fait, dans les meetings et manifestations de la campagne des primaires Sanders, notamment. 

Le second point, c'est que Sanders aurait pris des voix à Trump (de même qu'une partie des électeurs de Trump avait soutenu Sanders) parce que ceux-ci, petites gens, prolétaires méprisés, n'éprouvaient pas le sentiment qu'il les méprisait et appréciaient sa modestie, modestie d'un représentant écoutant les gens, et non d'un chef voulant les conduire. Surgi d'une gauche inconnue, Sanders n'avait pas ce handicap européen du mépris affiché souvent, ressenti toujours, envers le bas peuple "populiste", deplorable comme a dit le meilleur agent électoral de Trump, H. Clinton : jamais il n'avait, jamais il n'aurait, traité des mouvements de travailleurs aussi confus soient-ils, de mouvements d'esclaves et de nigauds, et il ne l'aurait pas pensé ni paru le penser. Jouer à se faire peur c'est préparer d'autres défaites (1). Ce qui est en marche, c'est le désordre. 

La classe dominante de la première puissance mondiale implose politiquement. La constitution, fondement de la nation américaine, est en crise. Dans ce désordre, il appartient aux hommes, avec la lanterne de la conscience, et la démocratie comme arme, d'avancer en ne doutant pas un seul instant que les opportunités d'espoir seront, elles aussi, au rendez-vous, mais qu'il faudra les saisir. VP, 09/11/16. (1) 

Pendant que j'écrivais ce billet Trump faisait son discours de vainqueur à Manhattan. Et les médias avaient amorcé le tournant de "jouons à nous faire peur" à 'jouons à nous rassurer" : Clinton lui a téléphoné, il l'a remerciée, appelé à l'union des américains, etc. Faut-il préciser que ce registre forcé est tout aussi erroné que le précédent ? 

https://blogs.mediapart.fr/vincent-presumey/blog/091116/ne-pas-jouer-se-faire-peur-mais-regarder-la-realite-en-face

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