mardi 15 novembre 2016

Le monde d'après Trump, par Noël Mamère

Ce n’est pas le fascisme qui nous guette, mais le vide abyssal. Parce que nous ne sommes rien sous l’administration des choses, et sous le gouvernement des multinationales. 

La victoire d’un milliardaire raciste, xénophobe, islamophobe, homophobe et sexiste, à la tête de la première puissance du monde est un évènement politique qui suscite des commentaires convenus, comme à chaque fois que les prédictions des sondages et des journalistes ne se réalisent pas. 

Une fois de plus, comme au lendemain du Brexit britannique ou des élections municipales, régionales et européennes en France, le cercle de la raison médiatique et politique a dénoncé, en vrac : la montée du populisme et des antisystèmes, le déclassement de millions de travailleurs pauvres ou de membres de la classe moyenne, perdus dans les rets de la mondialisation....


Tous ces arguments, même pertinents, ne parviennent pourtant pas à expliquer pourquoi et comment une majorité d’électeurs a décidé de faire un doigt d’honneur à l’Amérique de Barack Obama . 

Les raisons sociales, économiques, politiques, ethniques, de cette colère ne tiennent cependant pas compte d’un argument intrinsèquement politique : face à la marchandisation de la vie, la politique est devenue impuissante… Et se trouve elle-même marchandisée à un point tel que plus personne ne croit dans la parole de celles et de ceux qui se présentent au suffrage universel. Ils ont tellement galvaudé le « changement » que ce mot valise n’a plus de sens. 

Dès lors, pourquoi ne pas voter pour celui qui apparaît comme le plus en rupture avec ce qui est prévisible ? 

La politique est devenue un jeu comme un autre où le divertissement le plus fantasque, où celui qui nous fait rire dans un monde triste, dangereux, menaçant, agressif, discriminatoire, en un mot, sinistre, est plébiscité naturellement. 

Ce changement d’ère est d’abord advenu au pays de la Commedia del’Arte, avec Silvio Berlusconi, le milliardaire télévisuel qui fabriquait une Italie de télé-réalité, clefs en main, plastronnant en son palais de Sardaigne comme un Roi Soleil issu d’une série télévisée produite par son groupe multimédia. 

Puis, quand les paillettes se sont envolées, lui succéda un clown, Beppe Grillo, qui faisait rire tout en s’attaquant aux guignols qui s’agitaient dans les couloirs de la République. 

Donald Trump est la fusion des deux ; Il est milliardaire et il fait rire cette partie du peuple qui n’en a plus l’occasion, qui pleure quand arrivent les traites de fin de mois, les échéances des emprunts immobiliers ou de la dette étudiante ; qui va d’emplois précaires en petits boulots, du matin au soir, voire du soir au matin. Le clown est l’expression du désarroi de ceux qui ne se reconnaissent plus dans les modèles des séries et des fictions télévisuelles. 

Dans cette société fragmentée, émiettée, traumatisée, l’ennemi est devenu celui qui est différent, parce qu’il n’a pas la même couleur de peau, la même religion, la même culture. Alors les gens du commun se raccrochent à n’importe quoi, à n’importe qui, à celui qui crie le plus fort, à celui qui est diabolisé par les médias mainstream et prétend être leur défenseur. 

Trump n’est que l’image inversée des Clinton. Il fait des promesses absurdes, qu’il ne tiendra pas. Il ridiculise ceux qui ne sont plus que des gérants d’un monde qui s’effondre sur lui-même. 

Pour ceux qui viennent de voter pour lui, la loi de la jungle, celle de la guerre de tous contre tous, est déjà une réalité. Ils ont l’impression que leur monde leur a été volé. Et ils n’ont pas tort ; La crise des subprimes a emporté leurs maisons, les grandes entreprises ont délocalisé et effacé leur travail ; Le capitalisme a tout marchandisé, jusqu’à piller leur imaginaire et le remplacer par des valeurs standardisées. 

Ce sentiment de dépossession est partagé par ceux qui, dans le camp d’en-face, se sont abstenus. Les afro-américains sont fiers d’avoir eu un président noir à la Maison-Blanche mais qu’a-t-il fait concrètement pour eux ? La police continue, plus que jamais, de les prendre pour cibles et les adolescents noirs peuplent massivement les prisons. 

Les ouvriers démocrates, comme républicains, n’ont jamais été autant précarisés, leurs syndicats sont marginalisés et la réforme de l’Obama Care est devenue une machine à gaz aux mains des assurances privées, qui ont relevé massivement les cotisations fragilisant encore un peu plus ceux qui croyaient avoir accédé au Nirvana de la classe moyenne. Pourquoi tous ceux-là ne se seraient-ils pas abstenus face aux choix proposés ? 

Pourtant, ils n’avaient jamais eu droit à trois offres politiques -celles de Sanders, de Clinton et de Trump - aussi différentes. Sanders symbolisait ce qui reste d’espoir chez les ouvriers, les étudiants, les jeunes, les minorités, de construire un projet collectif par en bas, en faisant converger la demande de protection avec l’utopie cosmopolite. 

Clinton représentait le libéralisme libertaire, à la fois dans sa soumission au Big Business des GAFA (Google, Amazon, Face Book, Apple) et sa volonté d’adapter une société américaine conservatrice à une modernité des moeurs correspondant à l’air du temps. 

Quant à Trump, s’appuyant sur l’alliance entre le conservatisme moral du Tea-party des chrétiens américains et le sentiment d’abandon de l’Amérique des travailleurs pauvres et de la classe moyenne blanche, jetant les codes traditionnels de la politique aux orties, il a su capter la martingale de la colère blanche. 

De fait, s’installe une polarisation de plus en plus grande entre une radicalité sociale écologique et une droite extrême. Ceux qui prônent la troisième voie, celles des Schroëder, Blair, Macron, Hollande… et Clinton, sont broyés. 

 En effet, pourquoi voter pour ceux qui appliquent avec obstination des politiques de modernité destructrice ? Un seul exemple : le taux de chômage a baissé de 11 à 4 % sous Obama, mais ce fait empirique ne veut rien dire pour les gens qui perdent leur vie à multiplier les petits boulots mal payés, à ne plus pouvoir ne serait-ce qu’éduquer leurs enfants. 

 Alors oui pourquoi ne pas voter pour Mickey ou Donald, dans un monde où il est de plus en plus difficile de distinguer Disneyland et Washington ? Où le Parlement et l’Elysée ressemblent au Parc Astérix ? Comment ne pas comprendre l’insurrection électorale de la plèbe qui, retirée sur son Aventin, regarde les jeux du cirque électoral ? 

Les Etats-Unis et les Etats Européens sont réduits à leur fonction régalienne : la sécurité et la surveillance des citoyens. Ils ont sous- traité, ou sont en passe de le faire, toutes les autres fonctions à des compagnies privées. Même la sécurité est menacée par ce processus de marchandisation accélérée. 

Quelque part, la figure sardonique et caricaturale de Donald nous met devant nos responsabilités. L’illusion politique ( cf : le livre d’Ellul au titre éponyme) se termine dans la décomposition absolue. Ce n’est pas le fascisme qui nous guette, mais le vide abyssal. Parce que nous ne sommes rien sous l’administration des choses, et sous le gouvernement des multinationales. 

En France, nous aurons bientôt le même choix devant nous ; Les libéraux libertaires à la Macron ou à la Hollande, qui représentent la synthèse parfaite entre les tenants d’un statu quo teinté de modernité risquent d’en faire les frais, comme aux Etats-Unis. 

Ferons-nous le choix de l’insoumission positive au système ou celui de la clown, blonde et triste, qui joue sur nos peurs ? A nous de le décider. 

Noël Mamère Le 14/11/2016

https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/141116/le-monde-dapres-trump

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