"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
vendredi 11 février 2011
FSM Dakar : Leçons ou enseignements de la révolution tunisienne
Coïncidence du FSM en Afrique et de l’actualité brulante en Tunisie et en Egypte, ces pays ont occupé une large place dans le forum. Il est vrai que les changements en cours laissent entrevoir des perspectives émancipatrices dans l’ensemble du Maghreb et, bien au-delà, dans le monde arabe et en Afrique. De ce fait, l’atelier organisé par le CADTM a permis de mieux appréhender la situation en Tunisie, à travers l’expression d’acteurs-trices sociaux tunisien-ne-s engagé-e-s dans le processus. Tout d’abord, Fathi Chamki, membre d’ATTAC Tunis et du CADTM a rappelé le contexte de la dictature de Ben Ali et les difficultés de faire émerger l’idée « qu’une autre Tunisie était possible » pendant 10 ans. Il fallait affronter la répression et il était particulièrement difficile de se réunir. De leur coté, les syndicats pensaient que la grève était dépassée et que la mondialisation était inéluctable. Le concept de révolution arabe était tombé en désuétude. Il a insisté sur la fatalité ambiante et l’idée de chasser le gouvernement apparaissait impossible.
Or, cela a été possible et la révolution est en marche même si la contre-révolution reste active. En effet, il a rappelé que : « La bête est décapitée mais le monstre respire encore ». Il s’est félicité que la révolution arabe apparaisse désormais possible car des colères sociales s’expriment en Algérie, en Egypte (à l’heure où nous écrivons ces lignes nous ne savons pas encore si Housni Moubarak « dégagera », en Jordanie et au Yémen. La contagion pourrait même dépasser le monde arabe et toucher pourquoi pas l’Afrique.
Face à l’offensive capitaliste à l’œuvre depuis des décennies, la contre-offensive des peuples a déjà commencé. La chute du dictateur est déjà une « première pierre dans le jardin du capitalisme ». En Tunisie, des comités de quartier et de villes se sont constitués partout, ils ont même récusés les 24 préfets nommés par le nouveau gouvernement et aucun n’a pu prendre ses fonctions. Les acteurs sociaux et politiques exigent le départ du chef de gouvernement. Après une dictature qui a affaibli les forces sociales, le travail est cependant ardu et il est nécessaire d’armer le mouvement révolutionnaire. Le gouvernement actuel et ses alliés occidentaux jouent sur le chaos. Le pouvoir martèle un discours pour arrêter le mouvement en indiquant que le système économique est très bon. Il utilise notamment le tourisme comme moyen de chantage. Or, il s’agit d’un gouvernement technocratique, fantoche et absolument pas politique, il s’est même engagé à payer la moitié des 1120 millions de dinars au titre de la dette publique. C’est la Banque centrale qui exerce le contrôle et garantit les échéances financières. Le peuple tunisien va devoir payer la dette de Ben Ali. Le mouvement populaire doit imposer l’annulation de cette dette et le pays pourrait bel et bien, à l’image de l’Equateur, refuser de payer la dette.
Mais si l’indépendance de la justice et la liberté d’expression constituent des avancées démocratiques incontestables, il convient d’esquisser des perspectives de changement profond. Il est nécessaire de faire émerger une direction. Le front du « 14 janvier », constitué par dix partis (PCOT, nassériens et bassistes) exige le départ du gouvernement de transition (de nature bourgeoise) et propose un congrès populaire de défense révolutionnaire et l’élection d’une assemblée constituante. Mais « pour amplifier la rupture, il s’agit de gagner la confiance du peuple, tout en restant en phase avec ses aspirations ».
Un universitaire du Forum social tunisien s’est ensuite exprimé pour tenter de tirer des enseignements, plutôt que des leçons de l’expérience tunisienne. Chaque pays a sa dynamique, il ne peut y avoir de généralisation qui ne collerait pas à la réalité. Le terme de « révolution » lui semble exagéré. La surprise du départ de Ben Ali a été totale, il n’était absolument pas prévu. Un an et demi après la lutte du bassin minier, la lutte s’est étendue à l’échelle nationale et elle a été totalement spontanée. Néanmoins, contrairement à tous les rapports internationaux, la « braise couvait sous les cendres et le mécontentement était perceptible, le mouvement spontané a néanmoins surpris ».
Membre du front du « 14 juillet », il a rappelé la nature du nouveau gouvernement et s’est interrogé sur la possibilité de réaliser le programme du front qui apparaît très ambitieux. En effet, les représentant-e-s de Ben Ali et le RCD sont encore très présents et continuent d’occuper des postes à tous les niveaux, tout dépend donc de l’approfondissement du processus.
Ensuite, une militante de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) est intervenue pour indiquer qu’en Tunisie, tout avait vraiment commencé en 2008 avec la lutte menée dans le bassin minier par des syndicalistes de l’opposition interne à l’UGTT. Cette opposition avait été marginalisée par la direction de l’UGTT, pro Ben Ali, et qui soutient aujourd’hui le nouveau gouvernement, même s’il n’y participe pas directement. Depuis 2008, l’accumulation de forces a été importante et un front s’était même constitué dans la région. Elle a rappelé que le mouvement avait démarré à l’intérieur du pays.
En réponse à une question, elle a également précisé que le mouvement islamiste n’a joué aucun rôle , qu’il n’est apparu qu’après la chute du dictateur et qu’il est lui même divisé en trois secteurs. Lorsqu’il a cherché à manifester avec ses propres slogans, le peuple l’a repoussé.
En conclusion,Eric Toussaint (CADTM) a reconnu que le terme de « leçons » était sans doute inadéquate et qu’une révolution se développe avec des caractéristiques propres. Mais la « leçon » à retenir est qu’aucun pouvoir ne peut se maintenir à vitam eternam. Il ne s’agit pas bien sûr d’une révolution anticapitaliste, nous n’en sommes pas encore là. Mais le fait que le peuple parle de « révolution » est important. Ce mouvement a des répercussions dans d’autres pays. Des centaines de milliers d’africains peuvent se dire que c’est « possible ». Ce mouvement a des répercussions dans le Proche et Moyen-Orient et a un écho important pour la communauté arabe en Europe qui suit de très près les évolutions. Pour les européen-ne-s, il rappelle le mouvement révolutionnaire de 1989 même s’il a été suivi de désillusions.
L’enseignement à tirer du processus en Tunisie est qu’il faut oser affronter le pouvoir, ce que n’a pas fait par exemple le mouvement sur les retraites en France qui a refusé la confrontation avec le pouvoir. Pour envisager des changements, il est nécessaire de « faire tomber les gouvernements ». En ce sens, les tunisien-ne-s ont donné une vraie « leçon » aux européen-ne-s.
Richard Neuville
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