samedi 26 mai 2012

Hongrie : "Voilà, le panorama de mon pays. Une démocratie en défaite, démolie par un gouvernement autoritaire, une gauche dispersée et non-fiable, un mouvement d’extrême-droite, néo-nazi fort et agressif, Mais aussi un désir de démocratie et de république qui se présente sous la forme d’une multitude de groupes civiques !


Ce week-end des 26 et 27 mai, se tient sur la plateau des Glières le rassemblement des citoyens et citoyennes résistants. Une délégation hongroise représentative de plusieurs réseaux de résistance aux dérives ultra-droitières du gouvernement Urban y participe. Au nom de cette délégation, le sociologue et militant Mihaly Csako est intervenu. Son intervention, que nous vous invitons à lire ci-dessous, est très riche sur les formes actuelles du mouvement social en Hongrie.

Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui, Bonjour !

J’arrive d’un pays où nous apprenons résister. J’arrive de la Hongrie. Après 20 ans d’expérimentation avec la démocratie, mon pays est retombé dans l’autoritarisme qu’on a déjà connu entre les deux guerres et sous le régime dit le socialisme réel. L’autoritarisme actuel n’est pas rouge, mais tricolore. C’est pourquoi nous devons apprendre ou rapprendre résister.


Malheureusement, ce régime autoritaire de Viktor Orbán est issu des élections démocratiques de 2010, quand les hongrois ont en eu assez de la corruption et de l’incompétence du gouvernement socialiste.  Avec une majorité de 56 pour cent des voix  le parti de Viktor Orbán a gagné plus que 2/3 des sièges  et il s’en sert pour construire un régime autoritaire.

Il a introduit une langue nouvelle comme dans le roman d’Orwell. Son régime autoritaire s’appelle le Système de la Coopération Nationale. Il dit que son gouvernement a « sauvé » l’économie des familles accumulée dans les caisses d’assurances de retraite privées quant il l’a confisquée. Il a lancé une « guerre de libération » contre l’Union européenne en tant que président actif de l’UE. Il a «allégé» la charge de la population en supprimant l’impôt progressif et en introduisant le taux d’impôt unique de 16% - les grands capitalistes, les membres du gouvernement et l’administration y ont bien gagné, tandis que la population souffre de 21 sortes d’impôts nouveaux depuis 2010 ! Trois autres encore sont déjà votés, ils vont juste entrer en vigueur le 1er juin.


La majorité de 2/3 a gravement limité la liberté de la presse et les média. Le peu de sources indépendantes qui restaient, lutte pour leur survie financière. Le régime de Viktor Orbán a détruit le système des balances démocratiques, il s’est approprié le contrôle de la Cour constitutionnelle, du Conseil des média. L’Union européenne veille sur l’indépendance de la Banque centrale du gouvernement, mais M. Orbán veut nommer le président de la Banque nationale lui-même. Bien que sous la pression internationale il devra changer la loi qui lui le permet, il prendra en main la Banque nationale l’année prochaine quand le mandat du président actuel s’expirera.  Le droit de grève devient limité à presque zéro dans le Code du travail ré-écrit.  Le gouvernement a supprimé le système des débats publics des projets de loi qui était fondé sur la consultation des organisations intéressées comme les syndicats, les associations professionnelles, et l’a remplacé par une consultation ad hoc directe par internet dont personne ne connait le vrai fonctionnement. Le résultat est déplorable. La participation est faible, cela va de pair avec la méfiance, mais aussi avec le sous-développement informatique d’une grande partie de la population.


Voici un exemple : La consultation concernant le projet de loi sur le programme national de l’éducation vient de se terminer. Le ministère de l’éducation n’a reçu que 90 messages sur le plan de la littérature hongroise. On n’en trouve seulement que 5 – vous entendez bien: cinq ! – qui contiennent une proposition quelquonque. Mais une organisation professionnelle, l’Association des professeurs de littérature hongroise a fermement déclaré le projet de loi inadmissible et nuisible – opinion laissée sans réponse. Le ministere a publié le projet de loi qu’il met sur la table du gouvernement – et puis, pendant la nuit, en secret, a ajouté au programme obligatoire trois écrivains d’extrême droite des années trente revendiqués par les groupes néonazis!


Le Fidesz, le parti de Viktor Orbán possède déja une base de données très détaillée sur toute la population – c’est pourquoi il peut envoyer des lettres de consultation à toute la population: Et rassurez-vous, il note bien le retour des réponses.


Il y a environ 70 ans, un grand poète hongrois, Attila József, avait déja déploré le pouvoir omniprésent d’un autre régime autoritaire avec ces mots : « Je suis inscrit dans toutes sortes de livres, ils savent quand je téléphone et à qui, et je ne peux pas prévoir quand, ils voudront ouvrir le dossier qui heurterait mes droits ». Le monument de ce poète est actuellement à côté du parlement. Êtes-vous surpris si je dis que le gouvernement Orbán veut le délocaliser ? Ils se sont déjà débarrassés d’un autre monument – de l’autre côté du parlement – celui de Mihály Károlyi, président de la deuxième république hongroise en 1918.


Tout ce qui rappelle la république doit disparaître ! Le nom du pays est changé de la République Hongroise à Hongrie simplement. Voilà le vrai visage et le fonctionnement du nouveau régime hongrois!


Les écoles qui appartenaient aux autorités locales après le changement du régime, sont recentralisées ou encore « confessionalisées » ! Cette année, pendant 2–3 mois,  70 écoles ont été prises en main par les grandes églises dites historiques. Mais ne pensez pas que n’importe quelle dénomination peut survivre : seulement celles qui sont acceptables pour le régime d’Orbán. Ce sont les mêmes églises qui ont choisi le chemin de la collaboration avec le régime autoritaire communiste, mais aujourd’hui elles se posent comme les grandes résistantes.


Le gouvernement attaque aussi les droits des femmes – soutenu bien-sûr, par la plupart des églises. Le droit à l’avortement est déjà limité, et il y a quelques jours seulement une scène ridicule s’est déroulée concernant la nouvelle pilule d’avortement. La majorité parlementaire du Fidesz a voté la commercialisation hongroise de la pillule, et le lendemain le gouvernement a déclaré qu’il en interdisait la vente dans les pharmacies.


C’est à partir des années 90 que quelques éléments irresponsables ont relancé les idées racistes et voulu faire revenir au régime qui régnait entre les deux guerres. On en comprend bien les motifs : les sympathisants de ces idées développent les sentiments les plus noirs des hongrois : la haine des Roms, des Juifs, des Roumains et des Slovaques. Le nationalisme et le chauvinisme reste toujours une carte forte, un atout en Europe de l’est.


Je dois avouer : cette politique a du succes. Selon mes propres recherches sociologiques la majorité des adolescants ne voudrait pas s’assoir à côté d’un Rom, et un collègue sociologue a trouvé dans un sondage national que la majorité des hongrois n’accepterait pas même les piréses – un peuple imaginaire !


Ce n’est pas un développement spontané de l’extrême-droite, c’est un développement voulu, soutenu et aidé par le parti du premier ministre actuel. Orbán a besoin de groupes agressifs et combattants pour maintenir un haut niveau de la peur.  Encore mal organisée, une foule a attaqué et occupé la télévision publique en 2006. Entre 2006 et 2010 quatorze groupes racistes, néo-nazis, antisémites, extrémistes sont nés selon le catalogue établi par l’Institut Athéna, un centre d’information démocratique.


Un groupe raciste, déjà mieux organisé, a tué des Roms en série en 2008 et 2009. La bande a effectué 78 tirs et jeté 11 coctails Molotov sur des Roms. Dans une attaque par coctail Molotov ils ont tiré sur un jeune homme et son fils de 5 ans et les ont tués. Le procès des assassins n’était pas encore terminé en 2011. Comme Amnistie internationale le souligne : la police hongroise refuse de qualifier ce type de cas d’ « actes de haine contre un groupe ethnique », elle lance l’investigation contre un inconnu pour perturber l’ordre public. Le public était choqué par les défilés menaçants de la Garde hongroise paramilitaire à partir de 2007. L’Institut Athéna estime que cette organisation raciste extrémiste pouvait avoir maintenant 700 adhérents. Bien que la Garde hongroise se soit vue interdite en 2009, elle a continué son activité portant le même uniforme.  Ces groupes changent de noms souvent – par ex. la Garde hongroise s’est rebâptisée « Garde nouvelle hongroise » – pour éviter qu’un jugement puisse les toucher. Mais le racisme et antisémitisme sont déja présents dans l’administration aussi. Le conseil de la ville Eger (une ville touristique connue) a interdit de l’entrée en scène d’un acteur juif, expressément parce qu’il était juif. (Après avoir vu l’indignation du public, le conseil a changé de décision.) Honte pour le maire, honte pour le conseil, honte pour ceux qui les ont élus – et j’ai honte aussi d’être membre d’une société qui n’arrive pas à arrêter cette marée noire.


Il existe pourtant des organisations qui résistent au racisme, aux néo-nazis. Je viens de rappeler l’activité de l’Institut Athéna et d’Amnistie internationale.  Un autre institut – l’Institut Károly Eötvös – s’occupe surtout des bases juridiques de la démocratie et il garde la tradition républicaine.  Et la Société pour les libertés suit surtout les cas concrets. Une multitude de nouveaux mouvements et organisations démocratiques ont aussi émergé en utilisant les moyens informatiques, surtout Facebook.  Le premier était Milla, le mouvement « Un million pour la liberté de la presse ». La limitation de la liberté de la presse a beaucoup mobilisé les hongrois. Deux leaders syndicaux des travailleurs de média ont mené une grève de la faim pendant 3 semaines en décembre 2011, ils ont protesté contre la falsification des images par les éditeurs et revendiqué la liberté des média. La force de Milla est surtout présente dans l’organisation des manifestations de masse et l’orientation pour le long terme. Il n’appelle pas les gens à manifester chaque jour.  Le 23 octobre et le 15 mars, les deux fêtes nationales, ce sont des dates fixes des manifestations. Mais, Milla a organisé la plus grande manif le 2 janvier 2012, à cause de l’introduction de la nouvelle Constitution. Le 15 mars de cette année, le Mouvement Milla a appelé tout le monde à réfléchir sur les chemins du futur dans son propre milieu. Par là, il a réitéré l’appel d’un autre mouvement, plus jeune, le Mouvement hongrois Solidarité. Ce mouvement est né le 1er octobre 2011, émergeant d’un mouvement revendicatif de plusieurs syndicats et facebook EMD (Un Million pour la démocratie). Depuis lors, le Mouvement Solidarité connait une expansion nationale, il s’est enraciné dans la campagne aussi, et compte déja plus de 8 000 adhérants inscrits.


Il y a des groupes résistants qui se spécialisent à lutter pour les droits des pauvres, surtout les sans-abris. Leur présence dans les rues n’est pas tolérable pour le pouvoir! d’abord le maire d’un arrondissement de Budapest, puis le parlement – avec les voix du Fidesz et de l’extrême-droite – ont carrément interdit aux gens de vivre dans la rue et / ou de se nourrir de la fouille des poubelles. Cela constituait un délit !


Un jeune militant du groupe « Nouveau regard », un des organisateurs d’une petite manifestation symbolique contre ces mesures a été mis au tribunal et condamné l’année passée. Il y a quelques jours seulement un sans-abri, militant du mouvement « La Ville est à nous tous », a été condamné avec sursis pour avoir participé dans l’occupation du bureau de ce même maire – qui est d’ailleurs décoré en reconnaissance par le gouvernement: il est devenu le commissaire parlementaire des « affaires des sans-abris ». Parallèlement à ces jugements un néo-nazi s’est vu acquitté.


Un large mouvement d’enseignants, d’étudiants et de parents s’oppose à la réforme de l’éducation publique. Le gouvernement limite la liberté des enseignants et des étudiants à chaque niveau, et donne de beaux cadeaux aux églises concernant le curriculum. Selon les experts de ce domaine, les nouvelles lois remettent en cause l’Education hongroise d’une trentaine d’années !


Un Réseau pour la liberté de l’éducation s’est tout de suite formé via internet. Ses militants ont maintenu une campagne d’information pour le public devant le parlement pendant les semaines du débat parlementaire. Pour le 3 juin, le Jour des enseignants, une grande manifestation s’organise avec la participation de chaque syndicat des enseignants, le Réseau pour la liberté de l’éducation, le Réseau des enseignants des établissements supérieurs, du Réseau des étudiants, donc tout le monde, contre la loi sur l’éducation, sur l’enseignement supérieur et sur la formation professionnelle.


La gauche est pourtant très faible en Hongrie. Sa faiblesse résulte surtout du manque d’un effort unitaire : dans un pays où le niveau de confiance est si bas, il n’est pas surprenant que chaque groupe essaye garder son visage propre et se méfie d’être mentionné avec n’importe quel autre.  Et pourtant chaque groupe démocratique sait bien que le seul chemin vers le succès, c’est l’unité, la solidarité, la coopération.  Nous n’en sommes pas encore arrivés là : chacun espère encore voir son drapeau particulier flotter au-dessus d’un mouvement unitaire.Il y a pourtant de bonnes initiatives. Au premier moment de sa vie, le Mouvement Solidarité a lancé une série de discussions sur les conceptions de base d’un futur démocratique. Cette initiative s’appelle les « Tables rondes démocratiques » autour desquelles les groupes civiques intéressés peuvent se rencontrer.  Les Tables rondes recouvrent le domaine des affaires sociales, du travail, des libertés et autres.  Le Réseau des enseignants des écoles publiques soutenu par les enseignants du supérieur a organisé une discussion similaire sous le nom « Agora », qui ne se range pas parmi les Tables rondes lancées par le Mouvement Solidarité, mais qui s’est déclarée prête à coopérer. Il y a de grandes manifestations communes comme celle du 3 juin.


Le point le plus problématique c’est le rôle des partis politiques, surtout les partis de la gauche. Il n‘y en a qu’un seul d’ailleurs qui se veut de la gauche – le Parti socialiste – mais il a perdu la confiance du peuple.  Il est bon qu’aujourd’hui le nombre des électeurs du Parti gouvernant ait atteint son minimum, mais les électeurs ne vont pas au Parti socialiste (ou autre), ils quittent le terrain de la politique, ils s’abstiennent de voter.  (Dans une ville, aux élections intermittentes, le candidat du Fidesz est élu au conseil avec 40 pour cent des voix – mais le taux de participation n’était que 20 pour cent. Comptez un peu : 40% de 20% c’est seulement 8% ! – C’est la majorité aujourd’hui en Hongrie.)


En même temps, une confiance grandissante se manifeste envers les mouvements, groupes et réseaux civils, mais ces organisations ne peuvent intervenir directement dans la politique. Le Parti socialiste essaye de recupérer ceux qui se regroupent autour des mouvements nouveaux civiques et cette manœuvre ne renforce actuellement pas la gauche, non plus.


Mais l’ennemi le plus fort, c’est la peur. Dans un régime autoritaire le pouvoir essaye de prouver qu’il est omniprésent et peut faire tout ce qu’il veut.


Il y a pourtant des actes exemplaires qui montrent le contraire. Ainsi, un groupe de résistants a marché 200 km à pied en plein hiver (!) à partir d’une grande ville jusqu’à la capitale pour attirer l’attention sur la situation inacceptable des gens simples, en revendiquant « Travail et pain ! ».


Voilà, le panorama de mon pays. Une démocratie en défaite, démolie par un gouvernement autoritaire,  une gauche dispersée et non-fiable,  un mouvement d’extrême-droite, néo-nazi fort et agressif, Mais aussi un désir de démocratie et de république qui se présente sous la forme d’une multitude de groupes civiques ! Ces groupes comprennent déjà la nécessité de la solidarité et de l’unité, bien qu’ils n’aient pas encore assez de confiance l’un en l’autre.


Nous regardons le monde et nous voyons cette leçon de solidarité partout. Ces jours-ci, nous regardons surtout avec espoir les étudiants canadiens. Ils nous donnent l’exemple de la résistence, de la solidarité, de la persévérance. Ce n’est qu’en kilomètres que nous sommes loin. En esprit et en sentiment nous sommes très proches. Exprimons notre amitié, notre solidarité avec eux !


Les étudiants hongrois ne sont pas encore à ce niveau, mais ils sont attentifs, et leurs buts sont similaires et ils ont déjà mené des actions pour exprimer leur volonté.


Moi, personnellement, je suis actif dans plusieurs groupes pour les aider à mieux se comprendre entre eux. Mes expériences m’ont convaincu qu’ensemble nous sommes forts, et ce n’est pas une expérience limitée à un pays. Nous sentons votre solidarité et nous vous apportons la notre.  Merci pour l’invitation à ce rassemblement des résistants.



Vive la résistance ! Vive la république ! Vive la solidarité internationale !

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