"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 25 septembre 2012
Aéroport, Airbus et emplois : parlons-en, un article de Françoise Verchère*
Dans les arguments des porteurs de projet de Notre Dame des Landes, celui de la création d’emplois nous est resservi à l’envi. Même la crise, qui devrait inciter plutôt à la prudence est appelée en renfort pour justifier le transfert. Premier tour de passe-passe : on affirme qu’au Nord-Loire le nouvel aéroport va ipso facto enclencher un mouvement de création d’emplois alors qu’il s’agit d’abord de transfert d’emplois et on fait croire en même temps au sud-Loire que le départ de Nantes-Atlantique, en libérant de fabuleuses potentialités, permettra le développement de nouveaux emplois. Vous allez avoir un aéroport ? Formidable, votre développement est assuré ! Vous perdez votre aéroport ? Formidable, l’avenir est à vous ! Sauf à croire à la multiplication des pains, pardon des emplois, en ces temps difficiles, on tique un peu…Mais quand on creuse la question, on hurle !
De 1700 à 2000 emplois en moins au Sud-Loire
Commençons par regarder de près les conséquences qu’aurait sur le Sud-Loire le transfert de l’aéroport : une étude de 2011 dont on a fort peu parlé publiquement mérite une lecture attentive ; elle n’émane pas de dangereux opposants mais du CETE-Ouest, c’est-à-dire de l’État et s’intéresse « aux conséquences pour les entreprises et estimation des mouvements de relocalisation potentiels ». Que dit-elle ? Précisant les études précédentes, elle réaffirme que de 1850 à 2130 emplois directs générés aujourd’hui par l’aéroport sont potentiellement transférables. 2130 emplois, excusez du peu…cela pourrait peut-être faire peur aux élus et habitants du Sud-Loire dont on sait qu’il est déjà fortement déficitaire en emplois par rapport au Nord-Loire (le Pont de Cheviré le montre tous les matins et tous les soirs…) ? L’étude analyse les différents emplois de la zone (compagnies aériennes, 650 emplois ; services aéroportuaires, 400 ; emplois publics 410 ; entreprises du secteur du fret, 760 dont 580 dépendant de l’aéroport) puis essaie de préciser quels emplois seraient forcément transférés et quels emplois resteraient éventuellement sur place. Les rédacteurs sont d’une extrême prudence (« ce sera beaucoup moins, on ne sait pas vraiment, ça dépend de la stratégie de tel ou tel… ») et évitent d’ailleurs tout tableau récapitulatif qui montrerait clairement l’impact du transfert ! En faisant le calcul, on arrive en tout cas à ce premier constat : 1100 emplois sont sûrs de passer du Sud au Nord (compagnies aériennes, 420 ; emplois publics, 371 ; transport et fret 300). Ensuite viennent les incertitudes, qui parfois semblent bien théoriques… :
1.L’étude qui a chiffré à 400 les emplois dans les services aéroportuaires et les entreprises sous contrat avec l’exploitant actuel (restaurants, agence de voyage, gestion des bagages, sûreté, nettoyage) n’avance aucune hypothèse sur le nombre d’emplois transférés au motif qu’on ne connaît pas le projet du concessionnaire et que les entreprises actuelles ne seront pas forcément les entreprises choisies demain…mais il y aura forcément un impact. Avançons donc une hypothèse et prenons donc la moitié de ce chiffre : 200.
2.La société Régional (filiale d’Air France pour les vols intérieurs) compte aujourd’hui 400 emplois puisque c’est le siège qui est installé à Bouguenais. 200 sont directement liés à l’activité de Nantes-Atlantique et partiront. Qu’en sera-t-il des autres ? Régional gardera-t-elle son siège et ses 200 autres emplois sur place ? Rien n’est moins sûr…
3.Le service des douanes est un service d’état indispensable évidemment sur le nouvel aéroport ; l’étude a diagnostiqué que les nombreuses entreprises de fret de la zone aéroportuaire utilisent non pas l’aéroport lui-même, mais les services des douanes ; en effet, le fret avionné est très limité et passe pour l’essentiel dans les soutes des avions passagers. En revanche le fret camionné utilise les services douaniers présents sur la zone aéroportuaire. Les questions qui se posent sont donc les suivantes : peut-on imaginer que l’État garde deux services douaniers à trente kilomètres de distance ? Comme c’est peu probable financièrement parlant, il faut d’abord rajouter les 20 emplois de ce service au transfert et surtout imaginer les conséquences sur les entreprises de fret actuellement situées sur le D2A et leurs 760 emplois… L’étude avance une hypothèse de 300 emplois vraiment dépendants auxquels s’ajouteraient une partie des 280 emplois du secteur de la messagerie…prenons donc un chiffre moyen de 400.
4.Et passons sur les 22 postes de Météo-France dont personne ne dit s’ils resteraient à Bouguenais ou iraient à NDL…
Et les hommes dans tout ça ??
De 70 % à 80% de ceux qui occupent ces emplois aujourd’hui habitent au Sud-Loire ; l’étude reconnaît que « l’accompagnement des ces salariés dépendra des entreprises »…Croit-on que les entreprises (Air-France par exemple dont les comptes ne sont pas vraiment flamboyants) vont payer des bons d’essence à leurs salariés ou mieux un déménagement ? …En fait, on compte sur le départ progressif des salariés habitant le Sud-Loire (retraite, départs « volontaires », dégraissages ?) pour rééquilibrer tout ça et éviter l’asphyxie complète de Cheviré !
Au total, c’est donc très probablement entre 1700 et 2000 emplois qui partiraient en cas de transfert, avec tout ce que cela signifie pour ceux qui les occupent et pour le secteur. Une paille !!! Qu’en pensent les habitants et les élus du secteur ??
Airbus et l’arlésienne de la piste,
Et revoilà la piste d’Airbus sur laquelle le flou le plus total continue à régner ! Il y aurait de quoi devenir fou si l’on n’était malheureusement habitué aux déclarations successives et contradictoires des porteurs de projet. En 2003, au moment du débat public, le directeur de l’usine questionné notamment par la ville de Bouguenais a fini par dire du bout des lèvres avoir besoin de la piste (du bout des lèvres parce qu’il n’avait pas l’intention d’en payer l’entretien tout simplement !). Aussitôt, main sur le cœur, les politiques ont juré qu’on ferait tout pour garder cette piste, évidemment ! (comment, à quel coût ? On verrait plus tard…). En 2009, soudain, le maire de Nantes affirme qu’il ne restera rien à Bouguenais et qu’on trouvera une solution alternative pour Airbus (barge, route…). Patrick Mareschal, alors président du Conseil Général prétend lui lors d’un débat public à Bouguenais début 2010 avoir reçu une lettre d’Airbus disant qu’il n’y avait pas de problème à supprimer la piste. On va travailler plusieurs années, à grand renfort d’études sans doute, sur ces alternatives. Et cet automne la conclusion tombe : Il faut garder une piste pour Airbus ! Évidemment ! Il n’y a pas d’usine Airbus sans piste associée, on le sait depuis toujours…Mais où en est-on sur les conséquences du maintien de la piste ? Alors là, le flou total continue…quel coût ? quelle prise en charge financière ? par qui ?
Rappelons deux ou trois choses : la précédente concession de gestion de l’aéroport à la chambre de commerce incluait la piste de Bouguenais et celle de Saint-Nazaire utilisée par Airbus mais ouverte comme Nantes à l’aviation générale ; une manière d’offrir à l’entreprise sur les deux sites un bel avantage qui ne pouvait pas être attaqué (par Boeing par ex, devant l’OMC, le gendarme de la concurrence libre et non faussée.). Le nouveau contrat signé par AGO inclut bien toujours Saint-Nazaire, mais pas Bouguenais. Alors qui paiera ? Airbus a les moyens ? A voir…les collectivités ? Exsangues, non, les collectivités ? Mais l’actuel Président du Conseil Général vient d’affirmer qu’il était prêt à participer au tour de table financier. Quand on aime Vinci, on ne compte décidément pas ! Et que change le maintien de la piste sur les projets de réutilisation du site de Bouguenais ? L’État pensait bien payer sa quote-part financière pour le nouvel aéroport en vendant ses terrains actuels, quel sera son manque à gagner ? Où retrouvera t-il de l’argent en ces moments d’économies obligatoires ?
En guise de conclusion provisoire :
Est-il normal que le silence et l’improvisation règnent sur des questions aussi sensibles que l’emploi local et l’avenir d’Airbus alors qu’elles ont été posées depuis plus de quinze ans ? On comprend que les porteurs de projet ne veuillent pas en parler trop, cela risquerait de mettre à mal l’avenir radieux qu’ils promettent à tous avec NDL. Ils promettent en effet un bel enrichissement du sud de l’agglomération avec, notamment une valorisation d’espaces immobiliers. Dans quelle mesure ? Personne ne le sait, les chiffres et les projets les plus fantaisistes circulent, toujours flatteurs, parfois démagogiques. Raisonnant encore et toujours sur les logiciels des années fastes, beaucoup d’élus croient en ces promesses de richesses et de croissance. Ils oublient, ou refusent d’admettre qu’il y a derrière ce projet de nouvel aéroport des groupes et des hommes dont les intérêts financiers priment sur les intérêts sociaux et collectifs. Car, malheureusement, il est parfaitement possible, d’apporter une plus-value, de créer des richesses et certaines formes de développement en détruisant l’emploi. Mais ces fossoyeurs du travail en Sud Loire enroberont bien sûr leurs discours de promesses et, la main sur le cœur, exprimeront leur attachement à la défense de l’emploi, du bien-être, et de l’équilibre social.
Françoise Verchère, conseillère générale de Loire Atlantique, militante du Parti de Gauche, est co-présidente du CéDpa (collectif des élu-e-s doutant de la pertinence d'un aéroport à Notre Dame des Landes)
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