vendredi 24 avril 2015

François Hollande fait ses adieux à la gauche, par Clémentine Autain


Ce n’est pas un dérapage mais le symbole d’une stratégie politique. La comparaison de François Hollande entre le Parti communiste français (PCF) d’hier et le Front national (FN) d’aujourd’hui signe ses adieux à la gauche. En assimilant un tract communiste des années 1970 à la propagande d’extrême droite de notre époque, le président de la République joue du désordre idéologique actuel pour mieux asseoir son projet démocrate à l’américaine. Et tirer un trait sur les catégories populaires.

Je n’ai jamais été membre du PCF, mais je sais que cette attaque vise en réalité tous les tenants d’une gauche de transformation sociale, ici traités comme des paillassons. François Hollande n’ignore pas l’antagonisme des filiations politiques : d’un côté, celles et ceux qui ont résisté à l’Occupation et combattu le fascisme ; de l’autre, celles et ceux qui ont collaboré avec le régime de Vichy et soutenu Franco en Espagne.



Hollande sait bien que le PCF ne désigne pas l’étranger comme l’ennemi et qu’il combat aujourd’hui encore les méfaits de la colonisation quand le FN fête ce passé. Il devrait aussi savoir que l’assimilation des régimes totalitaires en un tout homogène, comme mettre dans le même panier « les extrêmes », est une escroquerie intellectuelle autant qu’un danger politique. Mais les leaders du Parti socialiste (PS) préfèrent visiblement jouer avec l’Histoire.

Mue libérale

Implorer un ralliement du PCF aux listes socialistes le temps d’une élection n’empêche pas un député PS d’écrire ensuite : « Les peuples asservis par le communisme soviétique attendent toujours les excuses publiques du PCF. » Christophe Caresche devrait logiquement demander aussi des comptes à la Rue de Solférino pour les massacres de la colonisation. Mais l’enjeu n’est pas de s’excuser, c’est de comprendre pourquoi ces événements se sont produits et d’en prendre ses distances, à partir d’un regard critique aiguisé. Dans cette affaire, l’Histoire se trouve instrumentalisée par les leaders du PS au service d’un dessein politique.

Défenseur d’un « There is no Alternative » (« Il n’y a pas d’alternative », slogan de Margaret Thatcher) à la française, Hollande pose depuis les années 1990 une à une les pierres pour que le PS opère une mue libérale. Elu président, Hollande a troqué l’intérêt du grand nombre pour celui de la finance. De la capitulation devant Angela Merkel aux 30 milliards d’euros donnés aux grandes entreprises sans contrepartie pour l’emploi, du choix comme premier ministre de l’homme qui avait obtenu 6 % à la primaire socialiste sur la ligne la plus droitière à la nomination d’un banquier au ministère de l’économie, capable d’achever la gauche en une phrase – « Il faut que des jeunes Français rêvent d’être milliardaires », François Hollande a de la suite dans les idées.

Il faut encore s’assurer que les forces qui subsistent et se battent à gauche soient rangées au rayon des vestiges du passé. Les ringardiser sur Canal+ fait partie de la stratégie. Le bilan calamiteux de trois ans de gouvernement n’entame ni son cap ni son dogmatisme. Il a maintenant trouvé une tactique pour espérer gagner en 2017 : être le garant de la préservation de l’ordre existant face à un FN menaçant.

Tactique minable

Aussi François Hollande a-t-il dans une même phrase banalisé le FN et ostracisé la gauche de rupture. En postulant que le peuple se tourne vers Marine Le Pen comme autrefois il se tournait vers le PCF, il appuie les efforts de triangulation d’un FN. Hollande contribue à rendre le vote des milieux populaires pour le FN acceptable, banal, voire normal, au lieu de chercher à le déjouer. Comme s’il s’agissait d’un fait acquis, d’une évidence.

Loin de combattre les raisons du vote FN, et notamment la désespérance de catégories populaires qui se savent abandonnées, méprisées par les gouvernants successifs, et donc de mener des politiques de lutte contre les inégalités sociales et territoriales, François Hollande s’invente une tactique minable.

Pendant ce temps, s’arrache en librairie le roman de Marc Dugain, Quinquennat, dans lequel le président Launay, un cynique dont on ne sait pas s’il est officiellement de droite ou de gauche, confie à l’un de ses proches : « L’avantage d’avoir l’extrême droite en face de soi au second tour, c’est qu’on n’a même pas besoin d’avoir un programme. Il suffit de démonter le leur. D’ailleurs, je n’ai pas de programme. » Le FN fonctionne comme un agent du système en place, comme un épouvantail qui pousse le régime à persévérer dans son être. Jusqu’à quand ?

Hollande tourne le dos au peuple

Avec pour carburant le ressentiment, le Front national divise le peuple. Le « bon Français » doit en vouloir à l’immigré. Le salarié au smic doit détester son voisin au RSA, cet « assisté », ce potentiel fraudeur. Au FN, il n’est pas question de lutte des classes mais de guerre des identités. L’extrême droite ne cherche pas l’émancipation humaine mais l’ordre ancien. Le FN n’est pas l’ennemi de la finance ni de la grande bourgeoisie, mais le défenseur d’une solution de repli autoritaire. Toute la gauche devrait être vent debout contre cette jonction en cours entre une partie du peuple et ce projet funeste.

Il n’y a pas de politique d’émancipation humaine sans appui du peuple. Or Hollande lui tourne le dos. C’est le plus grave dans cette provocation. Car la majorité des catégories populaires, écœurée par des alternances successives qui détériorent toujours plus ses conditions de vie, s’abstient quand une autre partie croit trouver une réponse dans le FN, qui a pour lui l’attrait de l’inédit.

La tâche centrale d’une gauche digne de ce nom, c’est de renouer avec la fierté populaire. C’est de travailler à la stratégie de transformation sociale et écologique du XXIe siècle. C’est de trouver la façon de faire vivre l’égalité, la justice sociale, la vie bonne dans des termes contemporains. En brouillant les grandes références historiques pour substituer à la partition gauche/droite une opposition démocrates/républicains, François Hollande a déserté ce terrain. Nous ferons sans lui.


Tribune publié dans Le Monde.

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