INTRODUCTION
Annoncé dès le début du quinquennat, le projet de
loi relatif au droit des étrangers en France présenté le 23 juillet 2014 au
Conseil des ministres a été inscrit tardivement à l’agenda parlementaire et
devrait être discuté à l'Assemblée nationale en mai 2015. Contrairement à la
réforme de l'asile, adoptée en décembre 2014 par l'Assemblée nationale, ce
projet n’est pas dicté par l'obligation de transposer des directives
européennes. S'il n'y avait aucune urgence à légiférer, une fois de plus, en
matière de droit des étrangers, on aurait pu s'attendre à ce que ce projet de
loi traduise au moins la volonté du gouvernement de prendre en compte les
orientations suggérées par le rapport Fekl[1]
de 2013 pour « sécuriser les parcours » des personnes étrangères en
France. Ce n'est pas le cas. Des trois priorités mises en avant dans ce rapport
- renforcer le droit à séjourner des personnes migrantes ayant vocation à vivre
en France, améliorer les conditions d’accueil en préfecture, rétablir des
modalités équitables de contrôle par le juge de la procédure de rétention
administrative - le projet de réforme n’en retient aucune.
Si
le rapport Fekl, en recommandant la mise en place d'un titre de séjour
pluriannuel, restait bien en deçà des préconisations de nos organisations
visant à rétablir la généralisation de la délivrance de la carte de résident de
dix ans[2]
(seul dispositif susceptible de garantir aux personnes durablement établies en
France le droit à y demeurer sans crainte de l’avenir), il indiquait cependant
des pistes pour faire reculer la précarisation qui caractérise le statut des
étrangères et des étrangers. Elles n'ont pas été suivies.
Les organisations signataires de cette analyse sont
unanimes : ce projet de réforme du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile (Ceseda) ne marque aucune volonté de rupture avec
les réformes précédentes.
Selon le ministère de l'Intérieur, il s'agirait d'un
texte « équilibré », visant à stabiliser le séjour des étrangers en
France en répondant à certains dysfonctionnements constatés, tout en prévoyant
de nouveaux dispositifs pour lutter contre l'immigration dite irrégulière. Mais
l'équilibre affiché n’est qu’une façade : l’immigration
« autorisée » est maintenue dans une situation administrative
précaire qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver leur place en
France. En conservant l'inversion de la logique d'intégration amorcée depuis
2003 et en créant une nouvelle « usine à gaz » pour la délivrance de
titres de séjour pluriannuels à géométrie variable, le projet de loi n’améliore
ni la situation des personnes concernées, ni les conditions de leur accueil
dans les préfectures. Pire, alors qu'il prétend « stabiliser » la
situation des étrangères et des étrangers, il ne prévoit aucune passerelle
entre le titre de séjour pluriannuel et le droit au séjour pérenne, permettant,
au contraire, à tout moment, la remise en cause et le retrait de ce titre.
De nombreuses dispositions du projet de loi sont
consacrées à l'éloignement. Si certaines constituent des réponses au droit de
l'Union européenne et à la jurisprudence, la plupart sont au service de
l'efficacité des mesures de départ forcé. En effet, la création de procédures
accélérées visant à empêcher des catégories ciblées d'exercer efficacement leur
droit au recours contre les OQTF, l'instauration d'une interdiction de
circulation sur le territoire français pour les ressortissants de l'Union
européenne, la mise en place d'un nouveau dispositif d'assignation à résidence
qui, sous couvert de faire diminuer le nombre de placements en rétention, vise surtout
à améliorer la « productivité » des procédures d'éloignement, le
régime spécial maintenu ou aggravé outremer, en dépit des normes européennes et
de la jurisprudence, en sont autant d'exemples, tous traités dans cette
analyse.
On notera enfin, parmi les innovations, que le
projet de loi veut mettre en place un dispositif de contrôle jamais imaginé
jusqu’alors en dehors du champ du droit des étrangers, qui permettra aux
préfectures de requérir auprès des administrations fiscales, des établissements
scolaires, des organismes de sécurité sociale ou encore des fournisseurs
d’énergie, de télécommunication et d’accès internet, des informations dans le
cadre de l’instruction des demandes de titre de séjour, et de consulter les
données détenues par ces organismes. Ce dispositif interroge le respect de la
vie privée et de la déontologie professionnelle des travailleurs sociaux.
En revanche, le projet de loi est muet sur une série
de questions pourtant cruciales : pas une ligne sur les travailleurs sans papiers, ni sur le retour à
une régularisation de plein droit pour les personnes ayant passé de nombreuses
années (10 ans) en France, ni sur les parents d’enfants malades, les personnes
victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ni sur les personnes
malades, enfermées ou assignées à résidence... Rien non plus sur les taxes
exorbitantes dont doivent s'acquitter les personnes étrangères au moment de la
délivrance et du renouvellement de leur titre...
Dans le dernier chapitre de cette analyse, intitulé :
« ce dont le projet de loi ne traite pas », nous avons néanmoins
choisi de relever les silences les plus graves en termes d'atteintes aux
droits. Le projet de loi ne modifie rien au dispositif d'entrée sur le
territoire et de maintien en zone d'attente, qui permet l'enfermement des
mineurs et ne prévoit pas de recours suspensif contre les mesures de
refoulement, laisse en l'état le mécanisme d'intervention du juge des libertés
et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative
(mis à mal par la dernière réforme en 2011 et dont le rapport Fekl estimait
qu'il posait de nombreux problèmes de principe et devait être réformé), et ne
prend pas suffisamment en considération la situation des personnes étrangères
malades ou atteintes d'une maladie professionnelle. Ce projet s'inscrit dès
lors dans la continuité d'une politique qui, depuis plus de trente ans, fait
prévaloir la suspicion et la répression sur le respect et l'effectivité des
droits.
La refonte du dispositif d'accueil : poursuite de l'inversion de la logique d'intégration
Le
projet de loi prévoit
une refonte du dispositif
relatif au « contrat
d'accueil et d'intégration »
(CAI) imposé aux étrangers
et aux étrangères
ayant vocation à s'établir
durablement en France.
L'idée
d'accompagner les nouveaux
arrivants pour faciliter
leur insertion en France
n'est pas forcément
mauvaise ; elle le
devient quand elle
prend la forme « d'une
contractualisation » des rapports
entre ces personnes
et l’État. Ces
dernières doivent respecter
les obligations du
contrat (assiduité
aux formations mises en
place…), sous peine
d'être maintenues dans une
situation précaire au
regard de leur droit
au séjour. Dit autrement,
elles sont tenues de
montrer des gages
d'intégration – prenant
par ailleurs des formes
et des modalités
d'évaluation contestables
– pour espérer transformer
leur séjour précaire en
droit au séjour stable
par la délivrance
d'une carte de résident.
Ce dispositif, issu
des lois du 26
novembre 2003 et
du 24 juillet 2006[3],
provoque une « inversion
de la logique d'intégration » :
pour le législateur
de 1984[4],
c'est d'abord la garantie
de stabilité du séjour
qui était de nature
à faciliter l'insertion.
Pourtant
critiquée par la
gauche parlementaire lors
des votes des projets
de loi Sarkozy de
2003 et 2006, la
mise en place du
CAI – puis des dispositifs
préparatoires au CAI
dans le pays de
départ avec la loi
Hortefeux[5]
– n'est aucunement
remise en cause dans
le projet de loi.
Bien au contraire,
ce texte renforce l'articulation
entre le suivi et
le respect du contrat
d'une part, et le
droit de séjourner
de façon stable d'autre
part. L'accompagnement proposé
devrait être facultatif,
et ne saurait être
lié à la délivrance
d'une carte pérenne.
La
carte de séjour pluriannuelle : loin de mettre fin à la précarité
L'exposé
des motifs du projet
de loi présente comme
une avancée un mécanisme
de progressivité des
titres de séjour qui
serait de nature à
mettre un terme à
la précarisation du
droit au séjour. Le
point d'orgue de ce
mécanisme serait la
création du titre
pluriannuel (en fait
sa généralisation, ce
titre étant déjà prévu
dans le cadre du
statut « étudiant »).
Une
durée variable selon les catégories de titulaires potentiels
La
carte dite pluriannuelle a une durée
modulable selon la
catégorie juridique
en cause. Sa durée est de quatre ans, mais
de deux ans seulement pour les conjoint-e-s de
Français-e-s, les parents
d’enfant français et les personnes ayant
des liens personnels et familiaux en France. Pour les étudiants, la carte délivrée
est de la durée des études. Pour les étranger-ère-s
malades, elle est « de la durée prévisible des soins »…
Pour changer de statut il faudra demander une carte d'un an et ce n'est qu'à
l'expiration de cette carte qu'il sera possible de prétendre à un titre
pluriannuel.
Par
ailleurs, la préfecture pourra contrôler le droit au séjour et retirer le titre
pluriannuel à tout moment.
Une nouvelle usine à gaz
Du
fait de cette multiplicité de situations, le dispositif s'avère extrêmement
complexe et va même à l'encontre d'un des objectifs affichés par le
gouvernement qui prétend, avec la généralisation du titre pluriannuel,
rationaliser les démarches administratives et diminuer le nombre de passages en
préfecture.
Pas de
passage automatique à une carte de résident
Contrairement
à ce que laisse penser la communication du ministre de l'Intérieur selon
laquelle « à l'issue de cette carte [pluriannuelle] l'étranger aura accès
à une carte de résident »[6], il n'est
prévu, pour aucune catégorie, de passage automatique à la carte
de résident : les conditions de délivrance de
celle-ci ne sont pas modifiées par la loi. Autrement dit
le titre pluriannuel
ne règle pas le
problème de la
précarisation du séjour.
À cet égard, le projet
se montre beaucoup moins
ambitieux que le
« rapport Fekl »[7]
(même si ce dernier
ne promeut pas la
carte de résident).
Plutôt
que de créer un nouveau titre, il eut été plus pertinent de revenir à la
délivrance « de plein droit » de la carte de résident pour les
catégories de migrants et de migrantes ayant vocation à vivre en France (et
ayant ainsi déjà acquis le droit d'y séjourner). Seule la possession de cette
carte est en mesure d'apporter à son titulaire la sécurité du séjour propice àà
une intégration réussie.
L'immigration choisie,
toujours prônée
Pour
les étudiants, des apports bien minimes
S’agissant
des étudiants, le projet
n’est guère plus
novateur. Il n'est prévu qu'une seule réforme,
bien mince : celle de l'institution du titre de séjour pluriannuel. Mais, outre que cette délivrance n'est possible que pour
les étrangers-ères ayant déjà séjourné pour une durée d'un an en France, la
durée de validité du titre sera « égale au cycle d'études dans lequel est
inscrit l'étudiant ». De ce fait, et à l'exception éventuelle des
doctorant-e-s, un titre pluriannuel délivré à un-e étudiant-e étranger-ère ne
pourra jamais dépasser une durée de deux ans.
Par ailleurs, le titre pluriannuel
n’empêchera pas l’organisation
de contrôles réguliers,
pour vérifier assiduité
et réussite aux examens
durant l'année scolaire.
Le
« passeport talent », censé attirer « les meilleur-e-s
Exit
la carte « compétences
et talents », le
projet de loi propose
« le passeport talent » :
il s'agit une fois
de plus de partir
d'un constat, la France
n'attire plus, pour
proposer un nouveau
dispositif censé attirer
les meilleur-e-s. Le
texte innove peu et
se situe dans la
continuité de ce
qui est en place
depuis une quinzaine
d'années[8].
Ces titres de séjour
seront délivrés au compte-goutte
et relèvent d’une
approche de l’immigration
(« l’utilitarisme
migratoire ») qui a
été vivement discutée à
l’occasion de la
loi Sarkozy II de
juillet 2006[9].
Les cartes liées à une activité professionnelle : une régression
importante dans la délivrance des cartes « salarié »
Le
projet de loi opère la fusion de plusieurs titres de séjour pour les activités
non salariées sous un seul titre « entrepreneur/profession
libérale » ; il faudra être attentif aux conditions concrètes de
délivrance de ce titre.
S'agissant
des cartes mention « salarié », le projet de loi limite leur
délivrance aux titulaires d'un CDI ; c'est une régression qui précarise
considérablement le titulaire d'un CDD égal ou supérieur à un an.
L'éloignement :
un contentieux encore plus complexe, un affaiblissement des garanties
De nouvelles catégories d'obligation de quitter le
territoire (OQTF)
Le projet de loi crée une nouvelle obligation de quitter le territoire, spécifique aux demandeurs d’asile déboutés. La logique qui sous-tend le projet est d'accélérer le
traitement de la situation des déboutés de l'asile, afin d'éviter qu'ils ne
restent en France, mais les demandeurs d'asile déboutés se retrouvent ainsi
privés de fait de l'examen de leur situation personnelle pouvant éventuellement
leur ouvrir un droit au séjour.
Le texte met également en place une procédure spécifique (délais de recours, délais pour statuer) pour quatre catégories d’obligations de quitter le territoire (OQTF) : les personnes s’étant vu refuser l’asile ou la protection subsidiaire par l’Office
français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), et celles n’ayant pas sollicité la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour n'ont plus que sept jours pour contester la mesure d’éloignement qui les frappe et leur recours sera examiné dans un délai d’un mois, par une formation à juge unique, sans conclusions d’un rapporteur public. Ce nouveau délai dérogatoire au droit commun a pour seul but d’accélérer le traitement des mesures d’éloignement au mépris du droit à un recours effectif. Ces mesures, qui risquent de concerner beaucoup d'étrangers, complexifient encore le contentieux de l'éloignement et font de l'accès au droit, de l'accès au juge une chimère pour les étrangers.
Possibilité de refus de délai de départ
volontaire, et automaticité de l'interdiction de retour
Est aussi instaurée une interdiction de retour automatique pour toute personne faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire ou n’ayant pas respecté le délai préalablement octroyé. Si la directive « retour » impose l’automaticité de l’interdiction de retour dans ces hypothèses, elle formule par ailleurs une liste d’éléments dont l’administration doit tenir compte pour priver l'étranger d'un délai de départ
« volontaire » (préservation de l'unité familiale, besoin de soins
médicaux, droit à l'éducation des mineurs, cas particuliers des personnes
vulnérables...). Le projet de loi n'en fait aucune mention. À cet égard, la notion de « risque de fuite », qui peut
justifier l'absence de délai accordé pour partir, ne correspond pas aux critères définis par la directive
« retour ».
Enfin, aucune exception n’est prévue lorsque la personne ne respecte pas le délai de départ volontaire, ce qui revient à sanctionner tout étranger sous le coup d’une obligation de quitter le territoire avec délai de départ qui souhaiterait contester cette décision devant le tribunal administratif.
L'éloignement des ressortissants de l'Union européenne : l'interdiction de circuler sur le territoire français
Le
projet de loi propose
d'insérer dans le
Ceseda une nouvelle disposition,
qui prévoit la possibilité
d'assortir l'obligation
de quitter le territoire
français frappant un-e
ressortissant-e de l'Union européenne « d'une
interdiction de
circulation sur
le territoire
français d'une
durée maximale
de trois
ans ». Elle serait
prononcée soit quand
la personne a abusé
de son droit de
circuler, soit quand
elle constitue une menace
« réelle, actuelle
et suffisamment
grave pour
un intérêt
fondamental de
la société
française ».
Cette
mesure n'aurait pas été
pensée « pour les
Roms », selon le
ministère de l’Intérieur.
Si la France devait
adopter une telle
mesure d’interdiction
de circuler, elle serait
à « l’avant-garde »
de l’Union européenne,
aucun autre État membre
ne l’ayant pour
l’heure prévue. Il
s'agirait ainsi de
l'atteinte maximale portée
à l'exercice d'un droit
qualifié tant par
la Cour de justice
de l'Union européenne que par le
Parlement européen de
« liberté fondamentale »,
ne pouvant être limitée
que de manière restrictive.
Le
gouvernement français se
place ainsi dans la
continuité des politiques
restrictives appliquées
aux droits des citoyens
de l'Union. Après la
loi du 16 juin
2011[10]
et l'introduction, dans
le droit interne, de
la notion de « l'abus
de droit », des
citoyen-ne-s de l'Union
pourront, si le
projet de loi est
adopté, être éloigné-e-s
et interdit-e-s de
circulation sur le
territoire français s'ils
ou elles ont été
considéré-e-s comme ayant
abusé de leur droit
de circulation ou
comme une menace pour
l'ordre public, menace
qui doit être « réelle,
actuelle et
suffisamment grave
portant atteinte
à un
intérêt fondamental
de la
société ».
L'assignation à résidence :
une fausse « alternative à la rétention »
L'objectif
affiché
par
le
gouvernement
consisterait
à
mettre
la législation
française en
conformité
avec
la
directive
« retour »[11], qui prévoit que la
rétention ne devrait être utilisée qu'en dernier recours, en faisant
de
l'assignation
à
résidence
(AAR)
le
principe
et
de
la
rétention
l'exception.
Cette
présentation
vertueuse
pourrait
faire
croire
qu'il
s'agit
d'augmenter
le
nombre
d'AAR
pour
faire
diminuer
d'autant
le
nombre
de
rétentions,
et
de
privilégier
ainsi
une
voie
moins
coercitive.
L'examen
attentif
des
dispositions
du
projet
de
loi
et
de
l'étude
d'impact[12]
montre
que
la
démarche
est
tout
autre[13].
Tout
démontre en réalité
que l'objectif est bien celui
d'une amélioration de
la « productivité » des
procédures d'éloignement
et ce, quelles que
soient les mesures de
contrainte – rétention
ou AAR – mises en
œuvre pour y parvenir.
Pour éloigner « plus
et mieux », c'est
à dire en diminuant
« les charges vaines
résultant du pourcentage
des procédures engagées et
non exécutées » selon
les termes de l'étude
d'impact, le projet
de loi agit dans
deux directions.
Il
s'agit tout d'abord d'offrir
aux préfectures le
maximum de souplesse
dans l'utilisation des
différentes mesures de
contrainte qui sont
à leur disposition,
en facilitant le choix
de l'une ou de
l'autre en fonction
de la situation
et des contraintes
de chaque préfecture,
mais également en élargissant
le champ de l'AAR et en facilitant le passage de l'AAR à la rétention et vice versa.
Il s'agit
ensuite
de
préciser
et
renforcer
le
régime
de
l'AAR,
non
pas
pour
accroître
les
garanties
accordées
aux
personnes
qui
en
font
l'objet,
mais
pour
l'enrichir
de
dispositions
qui
permettent
à
l'administration
d'user
d'un
niveau
de
contrainte
similaire
à
celui
qu'offre
la
rétention.
L'étude
d'impact
consacre
en
effet
de
longs
développements
à
la
description
d'une
administration
désarmée
face
à
l'inertie
et
au
manque
de
coopération
des
personnes
assignées
à
résidence :
le
développement
de
cette
mesure
n'est
en
conséquence
envisagé
que
si
elle
est
assortie
des
moyens
nécessaires
pour
contrôler
à
tout
moment
– voire contraindre
– la
personne
assignée.
Une
seconde
série
de
dispositions
tend
ainsi
à
renforcer
le
contrôle
des
personnes
faisant
l'objet
d'une
AAR
de
telle
sorte
que
la
mobilisation
de
cette
mesure
aboutisse
à
un
taux
de
reconduite
équivalent
à
celui
que
permet
la
rétention.
Les policiers auront le pouvoir d’organiser des rendez-vous dans les consulats
pour obtenir les documents nécessaires aux expulsions, et d’y escorter de force
les personnes qui ne souhaiteraient pas s’y rendre. Le non respect des
conditions de l’assignation sera passible de trois ans d’emprisonnement. Pour
sauver
les
apparences,
la
mesure
la
plus
coercitive
– l’interpellation
de
la
personne
assignée
à
son
domicile
– devra
être
autorisée
par
le
juge des libertés et de la détention (JLD), mais dans des conditions qui feront de lui un simple alibi et qui ne permettront aucune contestation.
Les
différentes
mesures
de contraintes pourront
s’enchaîner
durant
des
mois,
voire
des
années,
en
entretenant
la
plus
grande
des
précarités,
sans
aucun
droit
au
travail
et
avec
le
stress
incessant
du
risque
d’être
expulsé.
Une
personne
pourra
ainsi
être
assignée
d’abord
90
jours,
puis
placée
en
rétention
45
jours,
puis
assignée
durant
un
an
voire
davantage,
pour
retourner
ensuite
en
rétention.
Aucune
limite
n’est
fixée
à
l’enchaînement
de
ces
mesures.
Les dispositions sur l'outre-mer : un infra-droit malgré les normes européennes et la jurisprudence
Toutes
les lois relatives
au droit des étrangers
en France ont successivement
fait perdurer ou étendu
le champ d’un
régime d’exception
en outre-mer, qui prévoit
une protection juridique
au rabais comparée à
celle applicable en métropole[14].
Ainsi,
alors que le Ceseda
s’applique dans les
départements d'outre-mer
(DOM), des dérogations
sont prévues dans ces
territoires afin de
limiter les possibilités
d’accès au juge
des étrangers-ères sous
le coup d’une
mesure d’éloignement,
de doter les forces
de l’ordre de
moyens spéciaux pour les
interpeller et dissuader
celles et ceux qui
les aident. Ces dérogations
existantes expliquent
à Mayotte, en Guyane
et en Guadeloupe,
des scores exceptionnels
en nombre de « retours
contraints » hors de
l'Union européenne[15].
Le
projet de loi reprend,
voire étend le champ
de ces exceptions,
d’une part, et
introduit quelques garanties
qui ne peuvent satisfaire,
d'autre part.
Mayotte : une ordonnance honteuse qui ne peut être ratifiée
L’ordonnance
n° 2014-464
du
7 mai
2014
portant
extension
et
adaptation
à
Mayotte
du
Ceseda
prévoit
des
exceptions
majeures
susceptibles
de
porter
atteinte
à
de
nombreux
droits
fondamentaux.
Elle
ne
doit
donc
pas
être
ratifiée
sans
un
examen
approfondi
par
les
parlementaires.
Recours contre les mesures d'éloignement : face au droit européen, l'esquive française
Dans
cinq
territoires
ultramarins,
l'éloignement
peut
être
mis
en
œuvre
avant
tout
accès
au
juge[16]. Déjà
condamnée
une
fois
par
la
cour
européenne
des
droits
de
l'Homme[17] ;
la
France
risque
de
l'être
à
nouveau.
Pour
parer
à
ce
risque,
le
projet
de
loi
prévoit
qu'un
référé-liberté
pourrait
suspendre
l'exécution
de
l'éloignement
jusqu'à
ce
que
le
juge
ait
rendu
sa
décision.
Mais
dans
ce
cas
rien
ne
garantirait
l'accès
à
un
un
recours
effectif
pour
celles
et
ceux
qui,
notamment
à
Mayotte,
sont
éloignés
si
vite
qu'il
est
presque
impossible
de
déposer
un
référé
à
temps ;
ou
qui,
en
Guyane,
déposent
un
référé-suspension
et
sont
éloignés
avant
la
décision
du
juge..
Par
ailleurs,
ce
recours
n’est
approprié
qu’aux
seules
situations
de
violations
des
droits
les
plus
extrêmes
tels
que
les
risques
pour
la
vie
en
cas
d’éloignement.
Une
avancée
en
trompe
l’œil
qui
ne
tromperait
sans
doute
pas
la
cour
européenne.
Harmonisation des contrôles policiers : à la Martinique comme dans les autres DOM d'Amérique
La police
est
déjà
dotée
de
pouvoirs
dérogatoires
dans
la
majeure
partie
de
ces
cinq
territoires
puisqu’elle
peut procéder
à
un
contrôle
d'identité
sans
réquisition
du
procureur
de
la
République
mais
aussi
effectuer
une
visite
sommaire
de
véhicules
collectifs
pour
vérifier
la
situation
administrative
des
étrangers-ères
avec
l'accord
du
conducteur
ou,
à
défaut,
sur
instruction
du
procureur.
Au lieu
de
supprimer
ces
procédures
dérogatoires,
une
extension
à
la
Martinique
est
prévue,
dans
une
zone
qui
couvre
la
très
grande
majorité
de
cette
île
et
alors
même
que
ce
département
français
est
peu
concerné
par
l’immigration.
Neutralisation ou destruction de moyens de transport de migrants
Le procureur
de
la
République
peut
ordonner
la
destruction
de
bateaux
sur
les
fleuves
guyanais
et
au
large
de
Mayotte
ou
l'immobilisation
de
véhicules
terrestres
ou
d'aéronefs
en
Guadeloupe
et
en
Guyane,
lorsque
ces
moyens
de
transport
ont
contribué
à
l'entrée
ou
au
séjour
irrégulier
de
migrants.
L'actuel
dispositif
encourt
une
censure
par
le
Conseil
constitutionnel
à
défaut
de
voies
de
recours
accessibles
au
pilote
ou
au
propriétaire
du
véhicule.
Pour
y
remédier,
le
projet
de
loi
prévoit
que
ces
personnes
disposent
de
48
heures
pour
contester
la
destruction,
le
recours
étant
alors
suspensif.
On
voit
mal
comment
ce
dispositif
serait
effectif,
notamment
à
Mayotte
où
de
nombreux
« kwassas »
interceptés
en
mer
sont
systématiquement
détruits.
Des
échanges d’informations généralisés entre administrations et des possibilités de
requêtes même auprès d'entreprises privées
L'article
25 du projet de loi prévoit pour
les personnes étrangères l'échange
généralisé d'informations
détenues par des
administrations ou entreprises
publiques et privées
sur la base d’une
liste limitative (mais longue…).
Les
préfectures
pourront,
dans le cadre de l’instruction des demandes de titre de séjour, requérir
des informations auprès des
administrations
fiscales,
des
établissements
scolaires,
des
organismes
de
sécurité
sociale
ou
encore
des
fournisseurs
d’énergie,
de
télécommunication
et
d’accès
internet.
Elles
pourront
aussi
consulter
les
données
détenues
par
ces
mêmes
organismes.
Le projet
de
loi
met
ainsi en
place
un
dispositif
de
contrôle
jamais
imaginé
jusqu’alors
en
dehors
du
droit
des
étrangers,
interrogeant
le
respect
de
la
vie
privée
et
de
la
déontologie
professionnelle
des
travailleurs
sociaux, des
établissements
de
soins,
des
enseignants,
des
personnels
des
Impôts,
ou
encore
des
agents
de
Pôle
Emploi.
Le texte parle
des
documents
et
informations
« strictement
nécessaires
au
contrôle
de
la
sincérité
et
de
l'exactitude
des
déclarations
souscrites
ou
de
l'authenticité
des
pièces
produites
en
vue
de
l'attribution
d'un
droit
au
séjour
ou
de
sa
vérification ». Contrairement
à
ce
qui
est
prétendu,
la
formule
peut
donner
lieu
à
des
investigations
poussées
dont
le
bornage
est
bien
difficile
à
tracer.
Si elle
devait
être
adoptée,
cette mesure ne
manquerait
pas
d’entraîner,
en plus d'un
alourdissement
des
procédures
(et
son
lot
de
tracasseries
administratives),
des
retraits
de
titre
ou
des
refus
de
délivrance,
sans
oublier
le
risque
que
les
personnes
se
détournent
de
certains
services.
L'article
25 se révèle, pour
toutes ces raisons, redoutable.
Ce dont le projet de loi ne traite pas...
Pas
une seule ligne dans
le projet de loi
sur les travailleurs
sans papiers, malgré les
importantes mobilisations
de ces dernières
années qui semblent ne
pas mériter mieux que
des critères complexes
listés dans une circulaire
et appliqués à la
totale discrétion du préfet.
Pas
une ligne non plus
sur le retour à
une régularisation de
plein droit pour les
personnes ayant passé
de nombreuses années (10
ans) en France, y
ayant construit leur vie
privée, travaillé
et consommé.
Rien
non plus sur les
taxes exorbitantes dont
doivent s’affranchir
les personnes étrangères
au moment de la
délivrance et du
renouvellement de leur
titre
Parmi
les silences les plus préoccupants du projet de loi, on retiendra :
L’entrée sur le territoire : un dispositif passé sous silence
-
Les zones d’attente « sac à dos » : un dispositif
inchangé
- Les mineurs étrangers toujours enfermés aux frontières françaises
- L’absence de recours suspensif et effectif garanti à l’ensemble des personnes maintenues
- L’absence de permanence d'avocats gratuite en zone d’attente
- Un contrôle du Juge des Libertés et de la Détention (JLD) loin d’être systématique
- La nécessité de demander explicitement à bénéficier du « jour franc »
- Le projet de délocalisation des audiences toujours d'actualité
Les
personnes étrangères
malades constituent
une population vulnérable,
au statut particulièrement
précaire du fait
de pratiques restrictives
et de législations
insuffisamment protectrices.
Notamment : - En contradiction
avec l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article 3-1 de la Convention internationale des
droits
de
l’Enfant,
les
enfants
étrangers
malades
et
leurs
parents
souffrent
de
l’extrême
précarité
du
titre
de
séjour
remis
à
un
seul
des
deux
parents,
sous
forme
d’autorisation
provisoire
de
séjour
sans
autorisation
de
travail.
- Les
travailleurs victimes d’un accident
du
travail
ou
d’une
maladie
professionnelle
sont
condamnés
à
vivre
en
séjour
irrégulier
pendant
les
longs
mois
de
la
procédure
de
reconnaissance
de
leur
taux
d’incapacité.
- Aucune
disposition législative
ni réglementaire n’organise
le
dispositif
de
protection
contre
l’éloignement
des
personnes
malades
enfermées
ou
assignées
à
résidence,
ce
qui
engendre
des
violations
importantes
des
droits
de
ces
personnes.
Articulation inchangée entre les interventions du juge administratif et du JLD
La loi
« Besson » du
16
juin
2011
a
porté
de
48
heures
à
cinq
jours
le
délai
imparti
au
préfet
pour
saisir
le
juge
des
libertés
et
de
la
détention
(JLD)
qui
autorisera
le
maintien
de
l'étranger-ère
dans
le
centre
de
rétention
administrative dans
lequel
il
ou elle a
été
placé-e
dans
l'attente
de
son
éloignement.
Cette extension du délai de saisine du JLD
avait, à l'époque, suscité de vives critiques de l'opposition parlementaire. De
son côté, le rapport Fekl[19], qui se donnait pour objectif de « réaffirmer les exigences de l’État de droit » dans la mise en œuvre des procédures d'éloignement, estimait que « la réforme de 2011 pose de nombreux problèmes de principe qui interdisent le maintien en l’état du droit positif. »
L'auteur du rapport constatait que, du fait du report à cinq jours du délai pour saisir le JLD, « la part des ressortissants étrangers éloignés sans que leur situation ait été examinée par un juge, de quelque ordre que ce soit, apparaît ainsi bien trop élevée ». Il en concluait que « la remise en place d’un contrôle par le juge des conditions de privation de liberté des ressortissants étrangers en situation irrégulière est nécessaire tant pour des raisons de principe qu’afin de supprimer le risque existant aujourd’hui de condamnation de la France par les juridictions européennes. »
Il formulait donc ainsi sa proposition n°18 : « Remettre en place un contrôle juridictionnel effectif des conditions de privation de la liberté individuelle dans un délai très bref après le début de la rétention. »
Pourtant, aucune disposition de cette nature n'apparaît dans le projet de loi. Au contraire, il a été expurgé d'une disposition qui figurait dans l'avant projet,
attribuant exclusivement compétence au juge administratif – lequel peut être saisi dans les 48 heures suivant le placement en rétention – pour apprécier la régularité de l'interpellation, de la retenue ou de la garde à vue de l'étranger-ère « lorsque ces mesures ont immédiatement précédé la décision de placement en rétention ».
Ainsi,
la
décision
de
réunir
la
quasi-totalité
du
contentieux
de
la
rétention
dans
les
mains
d'un
juge
qui
peut
être
saisi
dans
les
48
heures
a
fait
long
feu.
Sans
doute
la
constitutionnalité
de
cette
disposition
– très
différente
de
celles
que
préconisait
le
rapport
Fekl
– n'allait-elle
pas
de
soi
et
sa
pertinence
pouvait-elle
paraître
discutable.
Toujours
est-il
qu'en
supprimant
purement
et
simplement
cette
nouvelle
disposition
dans
le
projet
de
loi
– et
en
laissant
inchangé
le
délai
de
cinq
jours
imparti
à
l'administration
pour
saisir
le
JLD
– le
gouvernement
a
renoncé
à
accélérer
le
contrôle
juridictionnel
des
rétentions.
Il
fait
donc
le
choix
de
voir
perdurer
la
multiplication
des
reconduites
à
la
frontière
qui
se
déroulent
hors
la
vue
du
juge
institué
gardien
de
la
liberté
et,
ce
faisant,
il
passe
par
pertes
et
profits
les
« exigences
de
l’État
de
droit ».
[1] « Sécuriser
les parcours des ressortissants
étrangers en France
», rapport du député
Mathias Fekl, en
mission auprès du
ministre de l'Intérieur,
mars 2013.
[4] Loi du
17 juillet 1984, créant
un titre unique de
séjour et de travail
pour les étrangers
– lire « 1984 : une réforme improbable »
sur le site du
Gisti.
[6] Dossier de presse du ministère de
l'Intérieur, juillet 2014, http://www.gisti.org/IMG/pdf/pjl_dossier-presse-interieur_2014-7.pdf
[7] « Sécuriser les
parcours des ressortissants
étrangers en France »,
Rapport au Premier
ministre, 14 mai
2013, Matthias Fekl. http://www.gisti.org/IMG/pdf/rapport_2013_fekl.pdf
[11] Directive 2008/115/CE
du parlement européen et
du Conseil du 16 décembre
2008 relative aux normes
et procédures communes applicables
dans les États membres
au retour des ressortissants
de pays tiers en
séjour irrégulier.
[12] Voir le dossier législatif à :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000029287359&type=general&typeLoi=proj&legislature=14
[13] L'objectif global ainsi décrit et mis en perspective est crûment confirmé par la lecture de l'étude d'impact (p. 60 à 66) et notamment des développements consacrés aux impacts juridiques et contentieux (p. 84 et 85) et, surtout, à l'impact budgétaire de la réforme (p. 86).
Cet
objectif
« productiviste »
– qui
n'a
rien
à
voir
avec
les
considérations
humanitaires
avancées
pour
présenter
le
développement
de
l'AAR
– se
déduit
également
de
l'examen
de
chacune
des
dispositions
du
projet
de
loi
relatives
à
cette
mesure
de
contrainte
plutôt
complémentaire
qu’alternative
à
la
rétention.
[14] Voir : Gisti,
La Cimade, Mom, Régimes
d'exception pour
les personnes
étrangères en
outre-mer, coll. Cahiers
juridiques du Gisti,
2012 (http://www.gisti.org/publication_pres.php?id_article=2744).
[15]
Ainsi,
en
2013 :
Métropole
-
4 676
/
Guadeloupe
Saint-Martin
– 529
/
Guyane
-
6 824
/
Mayotte
-
11 821
/
Martinique
– 344
/
Réunion
– 74.Statistiques
du ministère de l'intérieur,
chiffres métropolitains
excluant les retours
aidés et les départs
forcés vers l'UE. Document
DLPAJ/SDCJC/n°17/GL/n°2014-663 du 16
juillet 2014 pour
l'outre-mer.
[16] En
violation
flagrante
du
droit
à
un
recours
effectif
garanti
par
la
convention
européenne
des
droits
de
l'Homme.
[18] Sur ce
sujet, cf Observatoire
du droit à la
santé des étrangers
(ODSE),
« Les personnes
étrangères
malades et leurs proches
ont le droit de
vivre dignement en France », janvier
2015.
[19] « Sécuriser
les parcours des ressortissants
étrangers en France
», rapport du député
Mathias Fekl, en
mission auprès du
ministre de l'Intérieur,
mars 2013
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000283/0000.pdf.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire