lundi 13 avril 2015

Le 9 avril ou… : la possibilité des luttes, par Jean-Claude Mamet



La grève et la manifestation interprofessionnelles existent-elles encore ? Si l’on lit le quotidien Le Monde relatant la journée nationale du 9 avril, sans doute pas ! La veille, Le Monde avait fait un article « marronnier » (la routine face à des évènements annoncés) en bas de page et le lendemain du 9, il y consacre quatorze petites lignes... Circulez ! Mais rendons justice au Monde de publier de grands articles sur Radio-France en lutte, même si le regard porté est discutable. France inter (en grève !) a consacré au 9 avril au soir une émission de grande écoute (le Téléphone sonne) à la journée.  Libération a fait un peu plus que Le Monde : quelques paroles prises sur le vif dans le cortège parisien, mais aucune analyse. Seule l’Humanité y consacre plusieurs pages. 
 
Un manifestant nous a demandé jeudi : « Où est BFM ? ». Lui répondant que je n’avais vu aucune télé, il poursuit : « Eh oui ! Mais si c’était des curés de la Manif pour tous, ils seraient là ». La remarque parait anecdotique, mais elle est quand même signifiante au sens où, malgré les débats parfois houleux qui ont précédé la « montée sur Paris » voulue par la CGT, cette journée a bien donné à voir et à entendre les « sans voix », sur le pavé parisien, comme le disait 7 jours, le bulletin hebdomadaire de la Fédération des industries graphiques et du livre (FILPAC) CGT.



La CGT annonce 120 000 manifestants à Paris. Le chiffre, qui dépasse l’objectif fixé, est peut-être un peu forcé, mais le résultat est quand même une manifestation impressionnante, que l’on n’avait pas vue depuis longtemps. Le cortège des manifestants CGT venus des régions a durée à lui seul plus de deux heures, dans une ambiance où la classe ouvrière affichait visiblement sa joie et sa fierté d’être là et en nombre. Oui ! Il était là le peuple ouvrier, le peuple des salarié-es, arborant les calicots des luttes en cours ou récentes, celles dont presque personne ne parle, mais qui semblent se réveiller. Même si nous sommes encore loin d’une généralisation ou d’une simple offensive massive, comme nous l’avions connu en 2009 dans les grandes journées contre la crise capitaliste, en janvier et mars. 


« Pas nés pour subir »


Le choix avait été fait d’ouvrir le cortège par une centaine de « jeunes CGT » avec leur pancarte « Pas nés pour subir ».  Suivent plusieurs centaines de salarié-es derrière la banderole de l’intersyndicale Radio-France, avec un cortège compact, combatif et scandant : « Vive la radio publique ». Croirait-on que ces jeunes en bluejean avec leur pancarte font partie de l’orchestre philharmonique de Radio-France ? 


La manifestation passe devant des hôpitaux comme Cochin où sont placardés des « en grève » en grosse lettres. Les délégations hospitalières sont d’ailleurs nombreuses, venant d’un peu partout, signe d’une situation explosive avec les budgets contraints. Une délégation de femmes de l’hôpital Sud-Francilien (« célèbre » pour avoir été construit en partenariat public-privé : un gouffre financier qui a fait scandale, puis a été abandonné) arborent joyeusement un poème graphé à la main sur un drap blanc : « Hôpital public en lutte ! Capital colérique en chute ». 


« Nous sommes des travailleurs de France » : c’est le message que veulent délivrer sur leur calicot les coiffeuses et manucures (africain-es, asiatiques…) qui dénoncent le travail dissimulé et qui viennent d’obtenir (vendredi 3 avril) leur régularisation au 57 boulevard de Strasbourg à Paris. Un an de lutte acharnée et la victoire, après une bataille syndicale interprofessionnelle (CGT Paris, FSU, Solidaires, syndicat de la magistrature), associative (Fasti, LDH…), artistique (cinéastes) politique  (Front de gauche, socialistes, EELV…): une lutte de tout un quartier pour soutenir les « guerrières ». 


Beaucoup de pancartes d’usines, avec une dominante métallurgie. Notons-le : Philippe Martinez vient de Renault et il était secrétaire de la Fédération de la métallurgie CGT, avant d’être à la tête de la CGT. Alors les syndiqués ont répondu présents. Saint-Gobain, Renault Truck, la SBFM (sous-traitant Renault qui a failli mourir, mais a été repris dans Renault après une longue lutte), des Peugeot de Poissy, des fonderies de Charleville (Ardennes). A Citroen Rennes, ils ont débrayé à 150 ; il y a PSA Poissy aussi, mais sur délégation. Pour Renault Le Mans, un car d’actifs et un autre de retraités.  Plusieurs centaines de salariés de la Moselle, de la Meuse, avec des musiques…contrastées. Par exemple l’air suivant fait un tabac : « On ne baisse pas le pantalon devant des petits chefs, devant une bande de cons », aussitôt suivi par  l’historique « Appel du grand Lénine »… On scande aussi sur les 32 heures, puisque la CGT les remet au goût du jour ! 


Venue du Nord, une énorme délégation, avec toutes les unions locales (Maubeuge, Tourcoing, Dunkerque, Halluin, Seclin, Douai…) avec un gros défilé des métallos, turbulents et pas très pro-condédéraux dans la région, avec la présence de Thyssen Krupp Electrical Steel, venus d’Isbergues (Pas de Calais).. On crie : « A bas la loi Macron ! ». Il y a aussi l’arsenal de Cherbourg et de Bretagne, car tout est un peu mélangé : les régions, les métiers, les villes. Il y a Sambre et Meuse de Maubeuge, entreprise de matériel ferroviaire dont les 260 salariés occupent leur usine jour et nuit depuis trois semaines, pour lutter contre la fermeture. L’usine était devenue propriétaire d’un groupe russe (et la Russie le plus gros client), qui laisse tomber (L’Humanité du 9 avril) avec un nombre énorme de questions économico-diplomatiques franco-russes, non résolues et…opaques. Mais les salariés restent sur le carreau. 


Sont également en visibilité des salariés menacés de Lanester (Bretagne) : « Chômage, précarité : bienvenue en enfer », mais aussi ceux du Cognac Hennesy ! Et il y ceux, et surtout celles,  du commerce et des services. On arbore un fanion : « Carrefour précarité » en arrivant de Bourgogne.  Les Carrefour Market expliquent qu’elles sont en action « coup de poing » depuis le 6 février, avec des « week-end de la colère » dans chaque région, où on dénonce une feuille de paie (image agrandie) avec 1170 euros nets : « Ta demi-baguette on n’en veut pas ». Il y a la chocolaterie dijonnaise qui se bat pour rester debout, alors qu’elle a redémarré le 13 février avec 110 salariés sur 295 (suite à redressement judiciaire). 


Il y a aussi des petites pancartes individuelles : « On n’a pas voté pour cela, il y a tromperie » Et juste à côté un gros coup de gueule d’un isolé : « P comme pourri, S comme Salaud, A bas le Parti socialiste », avec des dessins de Siné.


FO a mis le paquet


Derrière le cortège des régions CGT à Paris, une heure de défilé de Force ouvrière, du jamais vu à Paris depuis…1995. L’appel de la CGT à venir à Paris a dynamisé FO, puisque FO avait lancé l’idée de la journée à son congrès de février. 


Et puis vient la FSU derrière laquelle suivent des assemblées d’établissements scolaires en lutte, notamment des collèges en Seine Saint-Denis avec aussi des banderoles Sud Education (Sevran, collège Jean Jaurès, Romain Rolland). Les collèges en lutte sont également très présents dans la manifestation de Montpellier  (collèges Aignerelles, Las Cazis) avec des parents portant le cercueil de l’éducation, en prévision d’une rentrée 2015 très difficile (classes surchargées, dotations en baisse).

L’union syndicale Solidaires met en avant  le chômage et le slogan : « Travailler moins pour travailler tous et toutes ».  Le cortège CGT Ile de France piétine d’impatience en fermant la manifestation parisienne.



80 manifestations régionales



Nos correspondants le disent : malgré les efforts pour aller à Paris, les manifestations locales sont très significatives.  A Rennes, 4000 personnes, dont les grévistes des crèches emmenées par Solidaires. Et les salariés de Mory Global transports, qui vivent leur deuxième plan de licenciements en un an. Lyon : 8000 ; Caen : 2000 ; Montpellier 3000. Toulouse compte 8000 manifestants, avec un cortège FO significatif, mais qui refuse d’aller jusque sur la place du Capitole, sous les fenêtres du nouveau maire… de droite (lequel menace la Bourse du travail !). 


A Nantes, 5000 manifestants (et 900 sont montés à Paris), avec certes la CGT mais aussi une équivalence entre FO et Solidaires. A la Poste, la CFDT appelait à un rassemblement avec l’intersyndicale avant la manifestation. Les inspecteurs du travail manifestaient derrière une banderole unitaire. Ouest France reproduit la déclaration de Jean Brunacci de Solidaires, soulignant que cette journée est « un point d’appui pour continuer l’action ». 


A Saint-Usage (Bourgogne), selon notre correspondant à Dijon, 90% des salariés du site Bonna Sabla-Consolis (éléments préfabriqués en béton) étaient en grève le 9 avril. Ils dénoncent la lean production qui intensifie le travail et accumule des risques psychosociaux. L’an dernier, ils auraient touché 3 centimes de plus par heure en récompense ! 14 salariés sur 28 seraient en « détresse médicale » selon le délégué CGT. Et c’est pour cela qu’ils se sont mis en grève, et pas pour leurs salaires de misère. Ce qui en dit long sur la réalité du travail aujourd’hui…

En Haute Loire, on note beaucoup de débrayages d’une heure dans le privé. 400 manifestants au Puy, 120 à Paris.  


Et maintenant ?


Les taux de grèves nationaux dans les grands services publics sont plutôt faibles : 25% dans le secteur primaire (Education nationale) et 25% aussi dans les Finances publiques, alors que ces secteurs comptent parfois des taux de grève jusqu’à 60% ou plus. Pas de préavis national à la SNCF, mais c’est la tradition en cas de manifestation nationale.


Une intersyndicale nationale Fonction publique (CGT, FO, FSU, Solidaires, FAFP) appelle à agir pour débloquer le point d’indice des salaires, sans donner de date d’action. Même l’OCDE calcule que le pouvoir d’achat des salaires d’enseignants en France a chuté de 13%  depuis 2000. 


Les organisations syndicales nationales organisatrices du 9 avril  se sont consultées dès vendredi 10 avril sur les suites. La journée du 1er mai, dont la CES veut faire un rendez-vous européen, pourrait voir s’élargir l’intersyndicale. CGT, FO, CFDT, FSU, Solidaires : bientôt ensemble ? Possible mais pour quel objectif ? Ce serait une nouveauté, qui reste hypothétique.  La journée du 9 avril est néanmoins un succès, dans le sens d’un coup de projecteur sur la réalité actuelle du monde du travail et des luttes parfois étonnantes qui se développent dans les  entreprises (voir après le tract CGT-CFDT de l’entreprise Ecocert, certification écologique en agriculture, en grève dans le Gers depuis une semaine). 


Elle reste modeste en rapport avec l’étendue des dégâts causés par l’Europe, le patronat et ce gouvernement honni. Il est difficile d’imaginer qu’elle puisse servir de détonateur national. Mais accompagner l’envie de lutter en peu partout, oui. 


Jean-Claude Mamet (Ensemble!) le 12 avril 2015.

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