mardi 14 avril 2015

Loi renseignement : "une menace pour les libertés" - conférence de presse tenue à Nantes lundi 13 avril



Les débats sur le projet de loi dite sur le renseignement débutent ce lundi 13 avril 2015 à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a fait le choix de confisquer le débat démocratique en soumettant ce texte à la procédure accélérée et en entretenant la confusion sur l’objet de ce texte, présenté à tort comme une loi antiterroriste. L’urgence camoufle le véritable sujet : les pouvoirs de surveillance des citoyens par l’État.



Bien sûr que pour nous il faut affronter le terrorisme mais il faut le faire en respectant les libertés publiques.


La fin ne justifie pas tous les moyens. 



Nous n’adhérons pas à cette logique qui voudrait que toute personne ou collectivité soit accusée de défaillance ou de laxisme en matière de sécurité si elle n’adhère pas au discours répressif et de surveillance généralisée.

Ou à cette idée selon laquelle toute personne ou collectivité critiquant les mesures sécuritaires n’est pas véritablement du côté des victimes.





Ce que dit le projet de loi « sur le renseignement » après passage à la commission des lois (1) :



Le projet de loi rappelle l’importance du respect de la vie privée en affirmant haut et fort deux de ses composantes, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances. Mais un amendement demandant « le respect des données personnelles » (2) a été refusé.



La politique publique de renseignement relève de la compétence exclusive de l’Etat. Mais cela ne garantit en rien que les modalités pratiques (vu leur complexité) ne soient pas sous-traitées à des sociétés privées.



En commission des lois, une série d’amendements a le plus souvent étendu la portée des finalités du renseignement qui sont désormais :



  1. L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale
  2. Les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère
  3. Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France
  4. La prévention du terrorisme
  5. La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212 1
  6. La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées
  7. La prévention de la prolifération des armes de destruction massive



Donc des définitions très extensibles. De plus, la commission des lois cible « le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts publics ».


Sont concernés les services de renseignement « relevant des ministres de la Défense et de l’Intérieur ainsi que des ministres chargés de l’Economie, du Budget, des Douanes ou de la Justice » avec extension possible par décret.



C’est le Premier ministre qui décide. Donc rôle prépondérant de l’exécutif. Les services concernés effectuent une demande au Premier ministre en précisant motifs, techniques mises en œuvre, personne (ou groupe) faisant l’objet de la surveillance identifiée de façon large (n° de téléphone ou plaque d’immatriculation par exemple).



L’avis du président de la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) est sollicité : réponse dans les 24 h (avis du seul président) ou 72 h (avis de la commission), l’absence d’avis valant accord. Le Premier ministre peut passer outre l’avis.



La CNCTR est composée de 9 membres

1.     Deux députés

  1. Deux sénateurs
  2. Deux membres du Conseil d’État (actuels ou retraités)
  3. Deux magistrats (actuels ou retraités) de la Cour de cassation
  4. Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques (nommée sur proposition du président de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes - ARCEP)



En présence d’ « une menace imminente » ou d’un risque « très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération [de renseignement] ultérieurement », l’urgence prime sur l’encadrement : on passe à l’action ! Cette procédure d’urgence est interdite pour la mise en place d’écoute dans des lieux privés d’habitation ou quand la technique de renseignement cible une entreprise de presse, un parlementaire ou un avocat.



Les données collectées pourront toutes être conservées 12 mois, voire 5 ans pour les données de connexion (qui vous a appelé, qui avez-vous appelé, qui a communiqué avec ceux avec qui vous avez communiqué etc., quels sites internet avez-vous consultés ou sur lesquels vous avez contribué,…), voire sans limite de temps par dérogation.



Les recours pour une personne qui suspecte d’être à tort surveillée passe par la CNCTR. Elle devra démontrer un « intérêt direct et personnel ». Mais comment démontrer son intérêt à agir sur des opérations couvertes par le secret ? Ce n’est qu’après avoir saisi la CNCTR qu’un particulier pourra porter le recours devant une juridiction spécialisée du Conseil d’État.



Accès aux données de connexion


Pour une personne identifiée, l’accès administratif aux données de connexion concerne tout le contexte d’un échange : le contrat d’abonnement, l’adresse IP, l’adresse postale, le lieu, la date, les numéros de téléphone etc. Les services disposeront d’un accès « en temps réel sur les réseaux des opérateurs ». 



Les données de connexion en cas de possible menace terroriste (expression particulièrement floue) pourront être récupérées via des « boîtes noires » placées sur les équipements des acteurs de l’internet et qui scanneront le Web indistinctement. Ces boîtes noires disposeront de logiciels prédictifs. On parle de pêche au chalut…


Opacité des moyens d’exploitation de ces données…



Autres techniques :

- Mise en place d’un mouchard permettant de localiser en temps réel une personne, un véhicule ou un objet.

- Installation d’un appareil ou dispositif technique de proximité (IMSI Catcher), en fait une fausse antenne relais.

- Les interceptions de sécurité : écoutes (voix, écrits, vidéo, texte) sont celles « susceptibles de révéler des renseignements » relatifs à l’une des finalités. Cela élargit les possibles !




- Sonorisation des lieux et véhicules et mouchards informatiques si au regard des sept finalités, les renseignements espérés ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé.


- Les prestataires de cryptologie doivent transmettre « sans délai » les clefs de déchiffrement aux services du renseignement.



Une menace pour les libertés



« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »

C’est la raison pour laquelle, il faut pouvoir contrôler les contrôleurs.



Cinq raisons de fond pour demander aux parlementaires de ne pas voter cette loi, d’en demander le retrait et sa réécriture.


1. Tous les citoyens sont concernés : non seulement parce que les méthodes relèvent de la surveillance de masse, mais aussi parce que le texte étend dangereusement le champ d’action des services spécialisés. La surveillance pourra s’abattre sur les mouvements sociaux et politiques, au titre de la « prévention des violences collectives » et sur tout citoyen ou mobilisation qui, dénonçant des pratiques industrielles néfastes, porterait atteinte aux « intérêts économiques ou industriels essentiels de la France ». Ce projet est une menace pour les libertés politiques et les mobilisations à venir. Cette surveillance massive de l'ensemble de la population est inadmissible : c'est une pratique dangereuse pour la démocratie et les libertés d'expression, de réunion, de pensée, d'action.

Le projet de loi était prévu pour être une « loi d'encadrement du Renseignement ». La communication gouvernementale ne doit pas nous tromper : en fait d’encadrement, ce projet entérine les pratiques illégales des services - voir l’article du Monde de ce week-end - et légalise, dans de vastes domaines de la vie sociale, des méthodes de surveillance lourdement intrusives. Nous ne pouvons accepter sans contrôle une légalisation massive des pratiques des services de renseignement.

Le texte ajoute des moyens de surveillance généralisée comparables à ceux de la NSA dénoncés par Edward Snowden, sans garantie pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée.

La liberté et la sûreté, droits naturels et imprescriptibles reconnus par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen sont en péril.

Citoyens et parlementaires doivent refuser ce simulacre de débat et exiger une discussion démocratique protégeant chacun contre les dérives d’une société de surveillance et assurant un contrôle strict et indépendant de l’activité des services de renseignement. Notre démocratie doit garantir des contre-pouvoirs pour protéger les citoyens !



2. L’idée selon laquelle la technologie et la science, avec une surveillance généralisée, pourrait donner la possibilité du risque zéro est une fausse bonne idée. Cette illusion conduit à accepter des restrictions aux libertés et des atteintes à la vie privée sur lesquelles il sera impossible de revenir.

On justifie ainsi une société du contrôle et de la surveillance généralisée avec pour grave corollaire une menace sur la démocratie.



3. On entend « Pourquoi craindre cette surveillance quand on a rien à se reprocher ? »



Le recueil d’éléments sur une personne est une atteinte à sa vie privée.



Toute personne est considérée comme innocente jusqu’au jour où elle franchit les limites de la loi commune auquel cas elle est sanctionnée. Avec une surveillance généralisée, c’est de fait l’inverse : toutes les personnes surveillées sont indistinctement considérées comme potentiellement fautives et suspectes.

Sur le  fond, il s’agit d’une inversion de la conception de notre droit qui n’est pas acceptable.



4. Bien sûr nous sommes en démocratie. Mais, la majorité qui tient les rênes de l’Etat peut toujours évoluer... Raison supplémentaire pour laquelle il faut s’opposer à des systèmes mis en œuvre par les services de renseignements sans contrôle strict et indépendant de leurs activités par l’autorité judiciaire.



5. Les mesures sont mises en place avant toute analyse indépendante, sans aucune évaluation de la proportionnalité entre les exigences de sécurité (réelles, supposées, suscitées) et la protection des données personnelles et de la vie privée.



Plus largement, ce projet fait suite à une série de fichiers et de lois :

36 fichiers en 2006, plus de 80 aujourd’hui ; plus de 42 lois sécuritaires en 10 ans…



S’opposer de manière argumentée à une société de la surveillance généralisée, c’est avoir un langage de raison.





Ce que nous demandons :



- Pas de surveillance de masse des citoyens

- Audit sur le rapport entre nécessité et proportionnalité des mesures au regard des atteintes aux libertés   

- Constitutionnalisation du principe de protection des données personnelles

- Principe de spécialité des bases de données face aux dangers de l’interconnexion des fichiers

- Principe de la transparence et d’accessibilité des résultats de la surveillance aux personnes surveillées


- Principe d’effacement automatique par purge des données personnelles, au bout d’un an par exemple, en l’absence de poursuites judiciaires


- Principe d’interdiction de la cession à des organismes privés des données recueillies par un organisme public   


- L’autorité judiciaire étant considérée par la Constitution comme « gardienne des libertés individuelles », les activités des services du renseignement doivent être mises sous le contrôle du juge judiciaire en lien avec une autorité réellement « indépendante » par sa composition, dont les décisions doivent être portées à la connaissance des citoyens et qui doit disposer de pouvoirs juridiques réels et de moyens à la hauteur de ses tâches. Contrôle a priori des demandes des services.

Pouvoir donné au juge judiciaire d’ordonner la communication de données soit aux intéressés, soit dans des cas tels que le « secret défense » à des personnes habilitées indépendantes de l’administration



- Consultation des citoyens qui doivent être pleinement informés, éclairés et valablement consultés pour tout projet les concernant de création de fichiers ou de mise en œuvre de technologies de surveillance


- Contrôles parlementaires y compris sur l’activité des services secrets de surveillance


- Extension de la logique de protection des libertés par la création d’une Autorité indépendante dotée de pouvoirs et de moyens conséquents à l’échelle de l’Union et à l’échelle planétaire sous l’égide de l’ONU.






(2)   Traitement de données à caractère personnel : un dispositif manuel ou informatisé comportant des données permettant d’identifier directement ou indirectement une personne physique

 Cette conférence de presse regroupait la Ligue des droits de l'Homme, ATTAC, le SAF, le Syndicat de la Magistrature, Amnesty international

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