Les débats
sur le projet de loi dite sur le renseignement débutent ce lundi 13 avril 2015
à l’Assemblée nationale. Le
gouvernement a fait le choix de confisquer le débat démocratique en soumettant
ce texte à la procédure accélérée et en entretenant la confusion sur l’objet de
ce texte, présenté à tort comme une loi antiterroriste. L’urgence camoufle le
véritable sujet : les pouvoirs de surveillance des citoyens par l’État.
Bien sûr que pour nous il faut affronter le terrorisme mais il faut le
faire en respectant les libertés publiques.
La fin ne justifie pas tous les moyens.
Nous
n’adhérons pas à cette logique qui voudrait que toute personne ou collectivité
soit accusée de défaillance ou de laxisme en matière de sécurité si elle
n’adhère pas au discours répressif et de surveillance généralisée.
Ou
à cette idée selon laquelle toute personne ou collectivité critiquant les
mesures sécuritaires n’est pas véritablement du côté des victimes.
Ce que dit le projet de
loi « sur le renseignement » après passage à la commission des lois (1) :
Le
projet de loi rappelle l’importance du respect de la vie privée en affirmant
haut et fort deux de ses composantes, l’inviolabilité du domicile et le secret
des correspondances. Mais un amendement demandant « le respect des données
personnelles » (2) a été refusé.
La
politique publique de renseignement relève de la compétence exclusive de
l’Etat. Mais cela ne garantit en rien que les modalités pratiques (vu leur
complexité) ne soient pas sous-traitées à des sociétés privées.
En
commission des lois, une série d’amendements a le plus souvent étendu la portée
des finalités du renseignement qui sont désormais :
- L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère
- Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France
- La prévention du terrorisme
- La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212 1
- La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées
- La prévention de la prolifération des armes de destruction massive
Donc des
définitions très extensibles. De plus, la commission des lois cible « le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion
des intérêts publics
».
Sont
concernés les services de renseignement « relevant des ministres de la Défense et de l’Intérieur ainsi que des
ministres chargés de l’Economie, du Budget, des Douanes ou de la Justice » avec extension possible par décret.
C’est le Premier
ministre qui décide. Donc rôle
prépondérant de l’exécutif. Les
services concernés effectuent une demande au Premier ministre en précisant
motifs, techniques mises en œuvre, personne (ou groupe) faisant l’objet de la
surveillance identifiée de façon large (n° de téléphone ou plaque
d’immatriculation par exemple).
L’avis du
président de la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de
Renseignement (CNCTR) est sollicité : réponse dans les 24 h (avis du seul
président) ou 72 h (avis de la commission), l’absence d’avis valant accord. Le Premier
ministre peut passer outre l’avis.
La CNCTR est
composée de 9 membres
1.
Deux
députés
- Deux sénateurs
- Deux membres du Conseil d’État (actuels ou retraités)
- Deux magistrats (actuels ou retraités) de la Cour de cassation
- Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques (nommée sur proposition du président de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes - ARCEP)
En présence
d’ «
une menace imminente » ou d’un risque « très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération [de renseignement]
ultérieurement », l’urgence prime sur l’encadrement : on
passe à l’action ! Cette procédure d’urgence est interdite pour la mise en
place d’écoute dans des lieux privés d’habitation ou quand la technique de
renseignement cible une entreprise de presse, un parlementaire ou un avocat.
Les données
collectées pourront toutes être conservées 12 mois, voire 5 ans pour les
données de connexion (qui vous a appelé, qui avez-vous appelé, qui a communiqué
avec ceux avec qui vous avez communiqué etc., quels sites internet avez-vous
consultés ou sur lesquels vous avez contribué,…), voire sans limite de temps par
dérogation.
Les recours
pour une personne qui suspecte d’être à tort surveillée passe par la CNCTR.
Elle devra démontrer un « intérêt direct et personnel ». Mais comment démontrer son intérêt à agir sur des opérations
couvertes par le secret ? Ce n’est qu’après avoir saisi la CNCTR qu’un
particulier pourra porter le recours devant une juridiction spécialisée du
Conseil d’État.
Accès aux données de connexion
Pour une
personne identifiée, l’accès administratif aux données de connexion concerne
tout le contexte d’un échange : le contrat d’abonnement, l’adresse IP,
l’adresse postale, le lieu, la date, les numéros de téléphone etc. Les services
disposeront d’un accès « en temps réel sur les réseaux des opérateurs ».
Les données
de connexion en cas de possible menace terroriste (expression particulièrement floue) pourront être récupérées via des
« boîtes noires » placées sur les équipements des acteurs de
l’internet et qui scanneront le Web indistinctement. Ces boîtes noires
disposeront de logiciels prédictifs. On parle de pêche au chalut…
Opacité des
moyens d’exploitation de ces données…
Autres techniques :
- Mise en
place d’un mouchard permettant de localiser en temps réel une personne, un
véhicule ou un objet.
- Installation
d’un appareil ou dispositif technique de proximité (IMSI Catcher), en fait une
fausse antenne relais.
- Les interceptions de sécurité : écoutes (voix, écrits, vidéo, texte) sont celles « susceptibles de révéler des renseignements » relatifs à l’une des finalités. Cela élargit les possibles !
- Sonorisation des lieux et véhicules et mouchards informatiques si au regard des sept finalités, les renseignements espérés ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé.
- Les
prestataires de cryptologie doivent transmettre « sans délai » les clefs de déchiffrement aux services du renseignement.
Une menace pour les libertés
« Tout
homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »
C’est la
raison pour laquelle, il faut pouvoir contrôler les contrôleurs.
Cinq raisons
de fond pour demander aux parlementaires de ne pas voter cette loi, d’en
demander le retrait et sa réécriture.
1. Tous les citoyens sont concernés : non seulement
parce que les méthodes relèvent de la
surveillance de masse, mais aussi parce que le texte étend dangereusement le
champ d’action des services spécialisés. La surveillance pourra s’abattre
sur les mouvements sociaux et politiques, au titre de la « prévention des
violences collectives » et sur tout citoyen ou mobilisation qui, dénonçant
des pratiques industrielles néfastes, porterait atteinte aux « intérêts
économiques ou industriels essentiels de la France ». Ce projet est une
menace pour les libertés politiques et les mobilisations à venir. Cette
surveillance massive de l'ensemble de la population est inadmissible : c'est
une pratique dangereuse pour la démocratie et les libertés d'expression, de
réunion, de pensée, d'action.
Le projet de
loi était prévu pour être une « loi d'encadrement du Renseignement ». La
communication gouvernementale ne doit pas nous tromper : en fait
d’encadrement, ce projet entérine les pratiques illégales des services - voir
l’article du Monde de ce week-end - et légalise, dans de vastes domaines de la
vie sociale, des méthodes de surveillance lourdement intrusives. Nous ne pouvons accepter sans contrôle
une légalisation massive des pratiques des services de renseignement.
Le texte
ajoute des moyens de surveillance généralisée comparables à ceux de la NSA
dénoncés par Edward Snowden, sans garantie pour les libertés individuelles et
le respect de la vie privée.
La liberté et
la sûreté, droits naturels et imprescriptibles reconnus par la Déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen sont en péril.
Citoyens et
parlementaires doivent refuser ce simulacre de débat et exiger une discussion
démocratique protégeant chacun contre les dérives d’une société de surveillance
et assurant un contrôle strict et indépendant de l’activité des services de
renseignement. Notre démocratie doit garantir des
contre-pouvoirs pour protéger les citoyens !
2. L’idée selon laquelle
la technologie et la science, avec une surveillance généralisée, pourrait
donner la possibilité du risque zéro est une fausse bonne idée. Cette illusion conduit à accepter
des restrictions aux libertés et des atteintes à la vie privée sur lesquelles
il sera impossible de revenir.
On justifie
ainsi une société du contrôle et de la surveillance généralisée avec pour grave
corollaire une menace sur la démocratie.
3. On entend « Pourquoi craindre cette surveillance
quand on a rien à se reprocher ? »
Le recueil
d’éléments sur une personne est une atteinte à sa vie privée.
Toute
personne est considérée comme innocente jusqu’au jour où elle franchit les
limites de la loi commune auquel cas elle est sanctionnée. Avec une
surveillance généralisée, c’est de fait l’inverse : toutes les personnes surveillées sont indistinctement considérées comme
potentiellement fautives et suspectes.
Sur le fond, il s’agit d’une inversion de la
conception de notre droit qui n’est pas acceptable.
4. Bien sûr
nous sommes en démocratie. Mais, la majorité qui tient les rênes de l’Etat peut
toujours évoluer... Raison supplémentaire pour laquelle il faut s’opposer à des
systèmes mis en œuvre par les services de renseignements sans contrôle strict
et indépendant de leurs activités par l’autorité judiciaire.
5. Les mesures sont mises en place avant toute
analyse indépendante, sans aucune évaluation de la proportionnalité entre
les exigences de sécurité (réelles, supposées, suscitées) et la protection des
données personnelles et de la vie privée.
Plus
largement, ce projet fait suite à une série de fichiers et de lois :
36 fichiers
en 2006, plus de 80 aujourd’hui ; plus de 42 lois sécuritaires en 10 ans…
S’opposer de
manière argumentée à une société de la surveillance généralisée, c’est avoir un
langage de raison.
Ce que nous demandons :
- Pas de
surveillance de masse des citoyens
- Audit sur
le rapport entre nécessité et proportionnalité des mesures au regard des atteintes
aux libertés
- Constitutionnalisation
du principe de protection des données personnelles
- Principe de
spécialité des bases de données face aux dangers de l’interconnexion des
fichiers
- Principe de
la transparence et d’accessibilité des résultats de la surveillance aux
personnes surveillées
- Principe
d’effacement automatique par purge des données personnelles, au bout d’un an
par exemple, en l’absence de poursuites judiciaires
- Principe d’interdiction
de la cession à des organismes privés des données recueillies par un organisme
public
- L’autorité
judiciaire étant considérée par la Constitution comme « gardienne des
libertés individuelles », les activités des services du renseignement doivent
être mises sous le contrôle du juge judiciaire en lien avec une autorité
réellement « indépendante » par sa composition, dont les décisions
doivent être portées à la connaissance des citoyens et qui doit disposer de
pouvoirs juridiques réels et de moyens à la hauteur de ses tâches. Contrôle a
priori des demandes des services.
Pouvoir donné
au juge judiciaire d’ordonner la communication de données soit aux intéressés,
soit dans des cas tels que le « secret défense » à des personnes
habilitées indépendantes de l’administration
- Consultation
des citoyens qui doivent être pleinement informés, éclairés et valablement
consultés pour tout projet les concernant de création de fichiers ou de mise en
œuvre de technologies de surveillance
- Contrôles parlementaires
y compris sur l’activité des services secrets de surveillance
- Extension
de la logique de protection des libertés par la création d’une Autorité indépendante
dotée de pouvoirs et de moyens conséquents à l’échelle de l’Union et à
l’échelle planétaire sous l’égide de l’ONU.
(2)
Traitement
de données à caractère personnel : un dispositif manuel ou informatisé
comportant des données permettant d’identifier directement ou indirectement une
personne physique
Cette conférence de presse regroupait la Ligue des droits de l'Homme, ATTAC, le SAF, le Syndicat de la Magistrature, Amnesty international
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire