mercredi 25 novembre 2015

Face au djihadisme, que serait une réponse de gauche ?, par Clémentine Autain


 
Les attentats ont plongé le pays dans une émotion légitime et suscité le besoin d’affirmer notre unité. Mais chacun sait que les réponses, multiples, pour lutter contre le djihadisme sont de nature politique. Et qu’elles doivent préserver la démocratie.


Force est de constater que les thèses du FN ont le vent en poupe. À gauche, ne pas céder aux sirènes d’une voie guerrière, autoritaire et sécuritaire est une exigence intellectuelle et politique. Nous avons la responsabilité de ne pas faire sombrer la perspective d’une vie meilleure et d’un monde de paix dans les décombres des attentats.


Ne pas se laisser engloutir dans le typhon de la droite extrême, c’est faire émerger une réponse de gauche aux défis posés par la menace djihadiste. Je sais combien le mot "gauche" a perdu en contenu et sens ces dernières années. Les jeunes générations, en particulier, ont bien du mal à investir ce terme. Pourtant, les valeurs historiques de gauche constituent des points d’appui essentiels pour penser une réponse efficace, tournée vers la justice et la paix.

Face au discours dominant qui tire à droite, c’est une autre cohérence qu’il faut porter avec énergie et détermination. Cette cohérence consiste à opposer à la barbarie plus de démocratie, de liberté, d’égalité et d’humanité. Elle vise à sortir de la logique guerrière pour construire une intervention internationale unissant les forces démocratiques à même d’anéantir Daesh.

Faire face, mais aussi renforcer la cohésion sociale

Protéger la population : telle est l’urgence que nous ressentons toutes et tous, intimement. Sécuriser nos vies, c’est prendre les mesures efficaces pour empêcher de nouveaux actes terroristes. Oui, il faut renforcer les moyens des services de renseignement et du pôle antiterroriste. D’ailleurs, qui a supprimé les Renseignements généraux et 12.000 postes de policiers ces dernières années ? Les gouvernements successifs. Sortir de la logique de réduction des dépenses publiques pour déployer ces services d’intervention ciblée et permettre aux personnels hospitaliers comme aux forces de police de faire face dans de bonnes conditions aux menaces terroristes : voilà l’urgence.

Cela ne signifie pas, comme l’a dit le premier ministre, que le Pacte de sécurité doit être supérieur au Pacte de responsabilité. Cela doit signifier que pour sécuriser nos vies, il faut sortir du dogme de la règle d’or et se souvenir que la cohésion de notre société passe par un investissement public. Avec les quarante milliards du CICE donnés aux grandes entreprises sans contrepartie en matière d’emploi, nous aurions pu disposer d’une belle manne pour agir aujourd’hui.

L’obscurantisme prospère à la mesure du délitement social et de la faillite des grands idéaux politiques qui permettent de se projeter dans l’avenir. Ce dont nous avons besoin, c’est de moyens inédits pour renforcer la cohésion sociale par un investissement massif dans l’humain, c’est-à-dire dans les services publics, le monde éducatif et culturel, le tissu associatif. Il nous faut endiguer tous les phénomènes de relégation, les amalgames et les discriminations, et réinvestir un imaginaire émancipateur. Ce crédo sera assumé à gauche ou ne sera pas.

L’erreur sécuritaire

Inspirée par la droite et le FN, la réponse dominante aujourd’hui se situe sur le seul terrain sécuritaire, comme si surveiller tout le monde et stigmatiser une partie de la population allait permettre de faire reculer la menace terroriste. Les djihadistes ne se repèrent pas à la faveur d’un simple contrôle d’identité. Faut-il rappeler que l’un des tueurs du vendredi 13 novembre, qui venait de Belgique, a subi quatre contrôles de papiers juste avant les faits ?

Instaurer la déchéance de nationalité permettrait-il de lutter contre le terrorisme ? Des personnes capables de mourir au nom de Daesh ne vont pas renoncer à tuer parce qu’ils sont déchus de la nationalité française ! Dans un climat de peur, des solutions aussi absurdes que dangereuses pour les droits humains s’imposent dans le paysage. Elles renforcent l’original et non la copie. À gauche, nous avons tout à y perdre.

Les manifestations sont aujourd’hui interdites, mais on peut continuer à faire ses courses dans une grande surface… C’est une victoire pour ceux qui veulent nous terroriser et atteindre notre vie démocratique. Si l’on prend et défend la liberté de boire un verre en terrasse et de se rendre à des concerts, pourquoi ne pourrions-nous pas descendre dans la rue pour le climat ou les sans-papiers ? 

La menace terroriste va durer. Il n’est pas question d’inviter à l’imprudence, d’exposer des militants et citoyens au risque terroriste, mais nous devons être vigilants afin de ne pas transformer notre démocratie en un grand espace de contrôle social et laisser l’État profiter de cette situation pour casser les reins des mobilisations sociales.

Le flicage généralisé n’est pas une bonne réponse parce que ces terroristes passent à travers les mailles de ce genre de filets. Le parti pris sécuritaire n’est pas une bonne réponse parce qu’il porte en germe le recul des libertés. Notre État de droit n’est pas dépourvu de moyens légaux pour remonter les filières djihadistes. Contrairement à ce qui a abondamment été dit, l’opération de Saint-Denis aurait pu être menée sans l’état d’urgence. Ce sont les moyens concrets, humains qui font le plus cruellement défaut par ces temps de disette budgétaire.

Une bataille longue et complexe

Seule une stratégie au long court peut faire concrètement reculer Daesh. Si l’on veut sérieusement sauver des vies, c’est à cette tâche qu’il faut s’atteler. Cessons déjà de légitimer et de financer des États qui alimentent Daesh ! L’Organisation de l’État islamique vit notamment grâce à la manne pétrolière ou au trafic de matières premières, telles que le coton. Nous devons leur couper les vivres. 

Au lieu de frapper à l’aveugle des civils syriens, aidons matériellement les forces qui, sur le terrain, combattent Daesh. Je pense notamment aux Kurdes qui se battent courageusement pour faire reculer l’OIE et pour leurs libertés. L’Union européenne, pour ne pas froisser la Turquie d’Erdogan, préfère qualifier le PKK d’organisation terroriste. Est-ce sérieux ? Où est la fermeté de Manuel Valls ?
Une stratégie au long court, c’est enfin et surtout construire avec détermination le cadre d’une intervention internationale sous l’égide de l’ONU, qui doit être refondée. L’union des forces démocratiques du monde entier est nécessaire pour faire face au danger de Daesh, qui est planétaire.

Rappelons que Daesh n’est pas un État avec lequel on pourrait faire la guerre en espérant la gagner et signer un accord de paix. Ce que nous recherchons, c’est la fin de Daesh, la disparition de ce djihadisme et du terrorisme. Les voies de la bataille sont plus complexes car Daesh n’a pas de frontière, ses adeptes sont prêts à tuer n’importe qui, n’importe comment, et eux avec. Nous devons agir sur ce qui nourrit l’engagement de jeunes dans ce mouvement de nature totalitaire et sanguinaire.

La globalisation libérale contre la paix

La paix au Proche et Moyen-Orient est aujourd’hui une condition de la paix dans le monde. Or, cette paix ne peut advenir sans la réussite des forces qui se battent dans les différents États de cette région pour la démocratie et la liberté. Nous devons les soutenir. La paix dans cette région suppose de trouver enfin une solution au conflit israélo-palestinien. Alors que c’est une condition de la paix dans la région et dans le monde, comment est-il possible que la pression internationale ne s’exerce pas en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec le partage de Jérusalem ?

Enfin, à gauche, nous savons combien la misère et les inégalités sont des terreaux fertiles pour la guerre. Nous avons le devoir d’introduire dans le débat public français et international cette préoccupation : la globalisation, avec sa loi de l’argent et sa concurrence généralisée, entrave la quête d’un monde de paix. La justice sociale et climatique doit être à l’agenda urgent des instances internationales.

Nous sommes au pied de l’Himalaya. Je pense chaque matin depuis ce terrible vendredi 13 aux États-Unis. Après les attentats des tours jumelles, les interventions militaires en chaîne ont eu la peau de Ben Laden. Le Patriot Act a laminé les libertés. Pendant ce temps, l’Organisation de l’État islamique a prospéré. Nous avons le devoir de penser. Autrement. À gauche.

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