Ils ne sont
que six députés, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Gérard Sebaoun, Isabelle Atard,
Sergio Coronado et Noel Mamere à avoir refusé de voter la prolongation de l’état
d’urgence.
Ils ne sont que six sur 558 à avoir refusé un état d’exception aussi
inutile pour protéger du terrorisme qu’attentatoire aux libertés
démocratiques.
Nous vous invitons à lire ci-dessous les explications de vote de
Pouria Amirshahi et de Sergio Coronado.
Pourquoi je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence
Par Pouria Amirshahi
Énième sursaut ? Régressions démocratiques ? Réveil des
consciences ?
Comment empêcher d’autres
morts, d’autres destins brisés par des esprits aussi manipulés que résolus à
tuer ? Ce qui se joue depuis janvier 2014 et novembre 2015, c’est-à-dire
l’avenir de notre société, se dessine en ce moment. Sur le front extérieur
comme intérieur, le président de la République a déclaré la France « en
guerre ».
La source de cette « guerre » prend racine
d’abord dans la géopolitique : la faillite des Etats, les corruptions et
les bouleversements qui font le terreau de croissance des monstres tels
Daech. Interroger cette géopolitique,
c’est nous interroger nous-mêmes, Français, sur les désordres
du monde.
C’est à cette échelle qu’il convient d’assécher immédiatement les sources de
financement du groupe « Etat Islamique ». C’est à ce niveau que
nous devrons réviser nos
alliances – y compris de commerce d’armes - avec des Etats pour le moins
ambigus si ce n’est directement impliqués dans les troubles actuels.
C’est enfin à cette échelle que doit se conduire effectivement
une autre politique de
reconstruction et de développement. En gros, traduire en
actes une nouvelle doctrine qui pourrait se résumer ainsi :
« leur développement, c’est notre sécurité ».
Il y a ensuite les fragilités françaises qui voient des jeunes
Français manipulés et endoctrinés sur fond de désamour avec la
République, devenir assassins
et haineux de leur propre pays. Encore ultra-minoritaires, ils croissent et se
radicalisent. Il faudra bien très vite sortir des
discours de tribune parlant de nos banlieues pourmettre,
dès maintenant, autant de créations de postes nouveaux pour les politiques
publiques de la ville, de l’action sociale, de l’éducation que nous en mettons
dans la police et
l’armée –
sans regarder jamais
à la dépense, comme si c’était plus important.
Mais pour l’heure, il convient pour le Parlement de se prononcer ce
jeudi 19 novembre, sur la prolongation pour 3 mois de l’état d’urgence,
c’est-à-dire d’une « loi d’exception », dont le premier
ministre avait pourtant dit le 13 janvier 2014 qu’elle n’était pas
compatible avec l’esprit de notre République. Le projet du
gouvernement - déposé avant même le terme des 12 jours légalement prévus et
entamés le 13 novembre - entend renforcer les
capacités coercitives de l’administration et des pouvoirs de police et durcir les
conditions de détention des personnes suspectées prévues depuis 1955. C’est
dans la précipitation que les législateurs vont délibérerd’une
restriction sévère de nos libertés publiques, de nos loisirs et
sorties, de nos manifestations de solidarité, de notre droit à nous réunir.
Conformément à la loi de 1955, ces restrictions pourront intervenir à tout moment, à titre permanent
le cas échéant, sur décision du préfet.
Celles et ceux qui assument que les libertés puissent (ou
doivent) passer au
second plan d’une sécurité première ont le mérite de la cohérence. Vieux débat
qui traverse la France depuis 1789. Mais pour celles et ceux qui, nombreux dans
les paroles, ont affirmé avec force que la démocratie ne gagnera qu’en étant
elle-même, en ne rognant pas un pouce de droit ni de liberté, il y a une grave
contradiction à défendre aujourd’hui
l’inverse dans la Loi : est-ce assumer notre
démocratie que d’interdire potentiellement des manifestations citoyennes ?
Est-ce faire preuve
d’audace que d’interdire des réunions publiques au moment où les Français ont
besoin de parler,
de se parler, pour comprendre ? Plus que jamais nous avons besoin que la
société mobilisée se mette en mouvement : pour faire vivre la
démocratie bien sûr, mais aussi pour entraîner les
citoyens contre les dérèglements du monde et les fanatismes monstrueux qu’ils
engendrent. On n’assigne pas une société à résidence.
Bien entendu la République doit être en
capacité de se défendre. Contrairement à ce qui est affirmé par les tenants
d’un virage néoconservateur, nous disposons d’un arsenal judiciaire et
répressif très dense, révisé plus de 11 fois en 10 ans. Sait-on par exemple que
les investigations qui ont conduit aux opérations de police mercredi à Saint-Denis ont
été menées indépendamment de l’état d’urgence, dans un strict cadre judiciaire
et d’enquête pénale ? « Oui,
mais demain, après-demain… Comment faire ? » entend-on parfois du
côté de ceux que l’uniforme rassure, même s’ils sont lucides sur l’effet peu
persuasif des dispositions de sécurité de rue sur des terroristes déterminés,
jusqu’à se faire sauter.
En premier lieu, il convient d’appliquer le code de procédure
pénale qui autorise déjà, dans le cadre de la lutte antiterroriste, le recours
à des perquisitions de nuit, mais également l’utilisation de techniques
d’enquêtes spéciales que ne permet pas l’état d’urgence (écoutes, micros,
surveillances etc.). La chancellerie a d’ailleurs déjà ordonné que les affaires
de terrorisme soient prioritaires.
Ensuite, il est temps de changer de
stratégie de sécurité, par exemple en déployant quelques milliers de policiers
et gendarmes aujourd’hui affectés au peu efficace plan Vigipirate, qui de
l’avis de tous les spécialistes vise d’abord à rassurer le
quidam, vers des investigations, des enquêtes, des filatures… Ce
qu’apprécieront juges et policiers, renforcera notre efficacité, et donnera des
preuves aux citoyens.
Les actions de justice et
de police ont montré que le besoin prioritaire de moyens et de coordination
entre services était plus important sans doute que les dispositifs exorbitants
de droit commun accordés aux services de sécurité que constituent par exemple
la dernière loi renseignement ou une durée anormalement longue d’un état
d’urgence.
Il est enfin un obstacle majeur à mon approbation d’une
prolongation pour trois mois (durée d’ailleurs aussi arbitraire qu’inexpliquée
par le gouvernement) : l’empressement d’une modification
constitutionnelle, de notre Loi fondamentale, alors même que le chef des armées vient de nous déclarer « en
guerre » et que la France sera en état d’urgence.
Pas une démocratie moderne ne modifie ses règles les plus
précieuses en période où prime la possibilité de dérogation à ces mêmes règles.
Sans même entrer dans
le contenu des modifications envisagées, dont certaines sont la reprise des
vieilles revendications du bloc réactionnaire (déchéance de nationalité,
présomption de légitime défense -
c’est-à-dire permis de tuer -
des policiers), on ne saurait, en pleine conscience républicaine, accepter de procéder à
ces modifications substantielles de droit fondamental en pleine application
d’une loi d’exception. Cette dernière exigence de séparation des temps de notre
démocratie ayant été refusée par le premier ministre je voterai contre la
prolongation à 3 mois d’un état d’urgence qui va au-delà des pouvoirs
administratifs exceptionnels et s’appliquera sans contrôle démocratique
véritable.
Pouria Amirshahi est député socialiste des Français établis hors
de France
Sergio Coronado
Pourquoi j'ai voté contre la prorogation de l'état d'urgence !Les jihadistes ont frappé Paris au cœur : aux environs du stade de France, dans les X et XI arrondissements, où je vivais il y a quelques mois, au Bataclan, où je suis allé souvent faire la fête. Ils avaient pour cible la jeunesse, notre façon de vivre, nos libertés. Ce vendredi 13 fut effroyable. Tant de victimes, tant de morts.
Les forces de l'ordre et de sécurité qui ont risqué leur vie pour protéger notre sécurité, et les professionnels de santé à l'œuvre ont suscité une admiration unanime, bien au-delà de nos frontières. Les messages de solidarité et d'amitié venus du monde entier nous sont parvenus comme des baisers de réconfort.
L'objectif des assassins est clair ; créer les conditions d'une guerre civile au cœur même du pays, en y introduisant la haine, en s'attaquant aux libertés qui font la vie de chaque jour : la liberté de circuler, de se réunir, de manifester...
Ces jihadistes qui tuent au nom de Daech n'ont pas frontières, se meuvent dans un espace transnational et dans le cyberespace. Ils recrutent dans toute l'Europe, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient. Ils sont en partie le fruit des interventions occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, dont nous n'avons jamais tiré le bilan. Sans doute parce que nous n'avons jamais eu à nous prononcer sur le bien-fondé de ces interventions.
L'état d'urgence a été instauré par la loi du 3 avril 1955 durant la guerre d'Algérie. Il n'a d'ailleurs guère servi, à l'époque, à décourager les attentats sur le territoire français. En revanche, il a ouvert la voie au vote des pouvoirs spéciaux en mars 1956.
Aujourd'hui, la menace est diffuse, sporadique, pouvant resurgir à tout moment. Elle est à la fois extérieure et interne. Ce sont en effet des jeunes français, des européens qui tuent et massacrent là où ils ont grandi, là où ils ont vécu. Dès lors l'hypothèse d'un état d'urgence qui dure plus longtemps que ce qui est prévu existe. Or l’état d’urgence est un état d’exception donc nécessairement temporaire, alors que la menace s’inscrit dans la durée, permanente selon les termes du Premier ministre.
Dans ce contexte, la prorogation de l'état d'urgence est-elle une nécessité ?
Est-ce à dire que l'état de droit est un état de faiblesse ?
Je crois à l'instar de Robert Badinter que l'état de droit n'est pas un état de faiblesse.
Des moyens importants ont été déployés depuis un an, et des moyens supplémentaires seront octroyés à la justice, à la police, au renseignement. Ces moyens ne dépendent pas de l'état d'urgence.
Depuis 1986, notre Parlement n'a eu de cesse de renforcer l'arsenal judiciaire contre le terrorisme. Plusieurs mesures rognant les libertés publiques et annoncées au moment de leur adoption comme temporaires ont ensuite été pérennisées.
De nombreuses modalités de poursuite, d'instruction et de jugement existent déjà dans le droit pour lutter contre le terrorisme. Pour dire les choses clairement, elles sont déjà exorbitantes du droit commun : c'est ainsi de la garde à vue, des perquisitions de nuit, des visites domiciliaires et saisies, des contrôles d’identité et fouilles des véhicules, des moyens de preuve allégés, du jugement des accusés et des délais de prescription. La procédure pénale en matière terroriste est déjà une procédure d'exception.
L’état d’urgence n’est pas en lui-même, malheureusement, de nature à écarter le danger. Il sert surtout à montrer que l’on agit, sans que son efficacité supérieure n’ait été démontrée. Les garanties de l'état de droit ne sont pas un obstacle à la lutte contre le terrorisme. La mise à l'écart de l'institution judiciaire est un risque pour notre démocratie. Alors qu'environ 2500 personnes travaillent au renseignement, à peine 150 personnes le font du côté judiciaire. Ce déséquilibre signifie que les juges n'ont pas les moyens de traiter les renseignements qui leur sont transmis.
Parce que mon intime conviction est que l'état d'urgence n'offre aucune supériorité opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme, qu'il représente tout au contraire une suspension de notre état de droit, et donc des risques pour nos libertés, j'ai décidé de voter contre le projet de loi qui proroge l'état d'urgence.
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