"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 24 novembre 2015
« Soyons des va-t-en-paix ! », par Clémentine Autain
Nous sommes sur une terrasse à Paris, en concert au Bataclan, au Stade de France à Saint-Denis. Face à la barbarie qui a frappé aveuglément, la compassion, la tristesse, l’amour de la vie nous relie. Fidèle à son sens étymologique, l’émotion nous met en mouvement. Mais dans quelle direction ? Quels choix politiques nous permettront d’anéantir Daech ?
L’heure est venue de tirer les leçons de quinze ans d’inefficacité politique à combattre l’intégrisme islamique et le terrorisme. Designer notre horizon est le seul moyen de déployer une stratégie efficace.
Ce que nous voulons, c’est la paix et la démocratie. Vouloir la paix ne signifie pas ne jamais faire la guerre mais toujours savoir au nom de quoi, dans quel cadre, avec qui et dans quels buts elle se conduit. Vouloir la paix, c’est avoir conscience que la violence appelle la violence, que les inégalités et les injustices nourrissent les guerres.
Après l’attentat des tours jumelles aux Etats-Unis, si la logique guerrière a débouché sur la mort de Ben Laden, le départ des Talibans du pouvoir à Kaboul, elle n’a absolument pas empêché le djihadisme de se développer, de gagner en influence. Les théories sur le « choc des civilisations », la multiplication des interventions militaires extérieures et des lois sécuritaires intérieures ont exacerbé les ressentiments, clivé les populations et miné les libertés. Ces choix ont accompagné l’expansion de Daesh. Un fiasco.
La riposte doit être internationale
Oui, un changement s’impose. La France doit cesser de se fourvoyer dans l’OTAN pour porter la voix d’une refonte de l’ONU, cadre à partir duquel une stratégie d’intervention internationale doit être élaborée. Daech agit aveuglément partout dans le monde.
La riposte doit être internationale, en s’appuyant sur les forces démocratiques. Les frappes en Syrie ne suffiront pas à faire reculer Daech. Combattre sérieusement l’Organisation de l’Etat Islamique suppose de leur couper les vivres, de sabrer la légitimité des Etats qui la soutiennent.
Comment peut-on faire des discours de « fermeté » à l’égard de Daech et le jour même tendre la main au Qatar, vendre des armes à l’Arabie Saoudite ? Comment prétendre faire la guerre à Daech et désigner comme organisation terroriste le PKK, dont les militants kurdes affrontent sur le terrain ces fanatiques ?
Il faut soutenir les peuples qui se battent dans la région contre le djihadisme et pour leurs libertés. La France doit aider dans tous les domaines, diplomatiques et militaires, ces forces démocratiques. Al-Qaïda et Daech ne constituent pas des armées classiques liées à des Etats, circonscrites territorialement. Ce ne sont pas des interlocuteurs avec lesquels on pourrait in fine négocier la paix. Ce sont des fanatiques qui portent à l’échelle internationale un projet politique de nature totalitaire, se nourrissant de la logique de guerre de civilisations. Ils sont prêts pour cela à mourir en même temps qu’ils donnent la mort.
En rabattre sur nos libertés démocratiques serait leur victoire. Est-il utile de leur faire ce cadeau ? Je ne le crois pas. Depuis 2001, l’arsenal législatif s’est étoffé avec une inflation de lois — plus de dix en dix ans — limitant les libertés publiques. Les lois RSI et autres plans Vigipirate ont-ils empêché les drames de cette année ? Non.
Qu’il faille donner davantage de moyens aux douaniers, aux services de renseignements qui traquent les filières djihadistes, aux forces de police pour mener à bien leurs missions de protection dans ce contexte de menace terroriste, c’est l’évidence. Mais cela doit se faire avec la justice au cœur, sans surveillance généralisée de toutes et tous. Notre force, ce sont nos valeurs fondamentales.
Ne laissons pas l’Etat d’exception s’installer. Nous attendons également du gouvernement des mesures en matière de cohésion sociale, d’éducation, de culture, de démocratie. Là se situe un terreau fondamental pour faire reculer les obscurantismes.
Aujourd’hui, la sacro-sainte réduction des dépenses publiques et la technocratie qui gouverne nous empêchent de sortir de ce cercle infernal qui nourrit la récession économique, les inégalités, le mal vivre, la désespérance. Nous devrions sortir de cette logique pour développer les services publics et démocratiser l’accès à la culture, faire reculer les phénomènes de relégation et offrir une perspective d’avenir plus heureux pour le grand nombre.
Battons en brèche l’escalade de la haine. Rassemblons-nous autour de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Donnons-leur davantage de chair et de réalité. Soyons des bâtisseurs de justice, des partisans acharnés de la vie. Soyons des va-t-en-paix !
Clémentine Autain est directrice du journal Regards et porte-parole d’Ensemble-Front de Gauche
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