La
CGT, depuis son congrès de 2003, affirme : « Nous voulons gagner des
droits nouveaux, passer d’une vision réparatrice de l’indemnisation du
chômage et du droit sur les licenciements à un droit de l’individu tout
au long de sa vie qui le libère de sa dépendance au devenir et à la
gestion de telle ou telle entreprise. Une protection pour chaque
salarié, de la fin de la scolarité obligatoire jusqu’à la mort. » Cette
proposition a son équivalent du côté de l’Union syndicale Solidaires et
des textes portant les mêmes choix ont été adoptés par la FSU.
Cette continuité des droits sociaux y compris de la
protection sociale serait la reconnaissance d’un statut professionnel
permanent. Notons ici que cette discussion a été mise en lumière par des
travaux animés par Alain Supiot depuis des années. La nécessité de
nouvelle règle générale correspond à la situation réelle des salarié-e-s
du secteur privé : trois sur quatre sont dans des entreprises de moins
de 200 employés, où la présence syndicale est rare et fragile.
Un avant-projet de loi, préparé par les députés du Front de gauche, donne des éléments qui soulignent les choix.
Article I : « Chaque personne libérée de l’obligation
scolaire peut solliciter son affiliation auprès du service public de
l’emploi. Cette affiliation ouvre droit à tous les services assurés par
les organismes composant le service public de l’emploi. » Avec cette
précision, dans son article VIII qui fixe le salaire à la sortie de
l’enseignement obligatoire ; par exemple : au niveau V ou dans un emploi
exigeant ce niveau (…), un salaire égal ou supérieur à 1,2 fois le
smic ; au niveau IV, un salaire de 1,4 fois le smic, etc., avec pour le
niveau I, un salaire de 2 fois le smic.
« Où trouver l’argent pour financer ce salaire à vie ? »
Cet argument trop facile, entendu mille fois, en fait ne tient pas.
Certes, si les petites entreprises ne peuvent déjà pas payer leurs
charges, c’est-à-dire les cotisations sociales (retraites
et assurance
maladie), comment participeraient-elles à une nouvelle mutualisation des
fonds ?
Un premier élément de réponse s’impose car le souci de la
mobilité des effectifs, en fonction du marché, est très grand dans les
PME. Ces patrons affirment avoir une double contrainte, ne pas perdre
les salarié-e-s connaissant les postes de production ou de
commercialisation, mais ne pas les avoir en surnombre quand ils n’en ont
pas besoin. D’où la flexisécurité. Celle-ci produirait, avec la casse
du Code du travail, l’alternance de chômage et de nouvelles embauches ;
ou bien un statut de CDI intermittent, dont le calcul des horaires
pourrait se traduire par une moyenne calculée sur trois ans… Est-ce
raisonnable si les salarié-e-s n’ont pas la sécurité d’un salaire
garanti à vie ?
D’où une deuxième appréciation : les prix serrés, subis
par les PME de la part des donneurs d’ordre ou des structures de marchés
semi-publics, les rendent incapables, sous peine de faillite, disent
leurs patrons, de payer plus pour des droits sociaux. Et tout cela est
en grande partie vrai : les conditions actuelles des relations entre
divers types de patronats capitalistes amènent une accumulation de la
plus-value dans certains nœuds de pouvoir et de propriété, et cela
délimite les relations différenciées entre le patronat et les
salarié-e-s. Autrement dit, le travail fait dans les PME rapporte des
profits à la chaîne d’emplois et de contrats dans laquelle le rapport au
patron dans la PME n’est qu’un élément. Et quand l’État, pour sa part,
réduit les cotisations sociales pour les salarié-e-s autour du smic,
cette aide aux PME profite en réalité à l’accumulation de la plus-value
pour les groupes dominants. Comment faire payer non seulement les
cotisations sociales actuelles, mais aussi celles liées à une future
sécurité sociale professionnelle ?
La première chose est de faire payer les structures et
groupes de propriété qui contrôlent les séries ou les cascades de
sous-traitance. Cela relève d’un contrôle des comptes et des contrats,
dont devraient légalement être munis des comités d’entreprise (CE) comme
les administrations des impôts. Et cela devrait entraîner la
requalification immédiate des garanties de branche pour des entreprises
qui sont plus ou moins des ateliers externalisés et utilisés par un ou
deux donneurs d’ordre dominants. Que ce soit sous forme d’organisation
des impôts ou sous forme de transparence élémentaire sur les relations
de production, une partie de la plus-value devrait bien être prise là où
elle se concentre. Voilà pourquoi la réponse syndicale est parfaitement
pertinente : mutualisation des ressources des entreprises par branche
et par bassin d’emploi. Pour que chacun et chacune ait des droits égaux à
réaliser son existence, il faut prendre les moyens. Ceux-ci existent.
Soyons donc aussi réalistes que les organisations syndicales.
Dès ses premières réflexions sur cette revendication,
entre 1999 et 2006, la CGT distinguait plusieurs sources de financement,
faisant toucher du doigt les possibilités de réaliser cette exigence.
La solidarité financière doit avant tout venir de l’entreprise, prélevée
sur la part des richesses créées, nous sommes dans ce cadre-là pour la
mise en place d’un fonds mutualisé des entreprises de branche ou de
bassin d’emploi. Pour alimenter la sécurité sociale professionnelle,
nous proposons l’utilisation de la part du salaire socialisé, notamment
celle dédiée aux revenus de remplacement et fonds de garantie des
salaires (Assedic et ASS). L’autre grande approche financière est la
réorientation des fonds publics qui sont soi-disant alloués à l’emploi
et dont nous pouvons aujourd’hui mesurer le peu d’efficacité ! Certes,
tout cela devrait se compléter d’une décision de réduction massive du
temps de travail avec salaire maintenu et des embauches… Une tout autre
politique !
Prenons une seule illustration immédiate, tirée de la politique de Hollande.
Quand il est « accordé aux entreprises » 30 milliards
d’euros par le gouvernement, il s’agit d’une part de la plus-value
privatisée, au lieu de rester un instrument socialisé de gestion…
Hollande a annoncé que cela a permis le maintien ou la création, en
tout, de 100 000 emplois. Un autre calcul a été fait : en conservant une
fonction d’utilité sociale vérifiable, un million d’emplois publics
(secteur non marchand, associations, collectivités territoriales…),
payés au salaire moyen, coûteraient 16,4 milliards d’euros. Avec 30
milliards, 2 millions d’emplois utiles ?
Des données couramment admises font compter 200 milliards
d’euros de perte budgétaire (170 milliards par an de niches et de fraude
fiscale des entreprises), auxquelles il faut ajouter le coût du CICE
(crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, soit 20 milliards).
Nous avons ainsi sous les yeux comment financer les salaires de plus de
six millions de personnes, qui seraient ainsi libérées du chômage et qui
pourraient en toute sécurité se former et chercher des emplois.
Mais, dans la logique d’un nouveau statut du travail
salarié, il reste à réaliser la levée du secret sur les flux financiers,
qui serait un acte démocratique élémentaire.
Pierre Cours-Salies sociologue, membre d’Ensemble !
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