Devant un parterre de chefs d’entreprise, Nicolas Sarkozy a nié l’origine humaine du réchauffement climatique, considérant qu’il fallait «être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui changions le climat». Un virage climato-sceptique confirmé sur France 2 jeudi soir dans «l’Emission politique».
Point d’arrogance ici. Tout ceci, on le sait. L’accumulation des études, des rapports et des données permet juste d’affiner l’analyse, d’en préciser les effets. Et d’accentuer le message d’urgence, tant les conséquences des dérèglements climatiques se font, chaque année passant, plus durement sentir : notre printemps exceptionnellement pluvieux, notre été exceptionnellement chaud, et le flot des réfugiés climatiques jetés sur la route par ces dérèglements globaux ne nous le rappellent-ils pas au quotidien ?
C’est donc au mépris de la communauté scientifique et de savoirs accumulés depuis des dizaines d’années que Nicolas Sarkozy fait naufrage sur les rives dangereuses, mais vouées à disparaître sous la montée des eaux, des «marchands de doute» (1).
Les forces politiques, économiques et médiatiques qui nient le réchauffement climatique, ou son caractère anthropique, ont d’ailleurs récemment perdu beaucoup du terrain. Jusqu’à la déclaration de Nicolas Sarkozy, elles avaient quasiment disparu en Europe. Elles semblaient également en perte de vitesse aux États-Unis où l’accumulation de catastrophes climatiques a conduit de nombreux Américains à abandonner leur position climato-sceptique. Tony Abbott (Australie) et Stephen Harper (Canada), climato-sceptiques notoires, ont été écartés du pouvoir.
Avec ses déclarations, Sarkozy rejoint donc Donald Trump dans un cercle de plus en plus réduit de chefs d’Etat ou candidats au poste suprême qui nient l’évidence scientifique et s’accrochent à leur idéologie.
«Je préférerais qu’on parle d’un sujet plus important» dit Nicolas Sarkozy, à propos de ce qu’il appelle «le choc démographique», choc dont «l’homme» serait «directement responsable». Un «choc démographique» mis en avant pour écarter «l’urgence climatique» des priorités. Rien de mieux que la croissance démographique des pauvres pour disculper les riches de leurs propres responsabilités : ne sont-ce pas les pays asiatiques et africains les plus peuplés, aujourd’hui, et demain plus encore ? N’est-il pas plus aisé d’imaginer introduire un contrôle de la natalité dans les pays pauvres plutôt que chercher à réduire nos propres émissions de gaz à effet de serre ?
Un tel raisonnement, aussi éculé que fallacieux, fait mouche chez celles et ceux qui refusent de voir les données en face : faut-il rappeler que l’Afrique émet à peine 3,3% des émissions mondiales – moins que le Japon pour une population 10 fois plus importante – et qu’un habitant du Nigéria émet en moyenne 10 fois moins qu’un habitant de la France, et 34 fois moins qu’un habitant des Etats-Unis ?
Soyons précis : rien n’empêche d’agir pour que les émissions de gaz à effet de serre – et plus largement l’empreinte écologique - des pays du Sud n’explosent pas. Mais le plus sûr moyen d’y parvenir n’est pas de stériliser les pauvres, mais bien de s’assurer que le mode de vie occidental, insoutenable, ne soit pas étendu aux quatre coins du globe.
Pour se distinguer au cours d’une primaire de droite qui semble autoriser tous les mensonges, Nicolas Sarkozy mobilise deux figures argumentatives classiques de la rhétorique réactionnaire mise en évidence par Hirschman (2) : l’inanité (futility) du caractère anthropique du réchauffement climatique et la mise en péril (jeopardy) à travers le «choc démographique» qui serait ignoré. Il ne manque que l’effet pervers (perversity) pour réunir toutes les figures simplistes et viciées d’une rhétorique qui vise à disqualifier, ici, une communauté scientifique dans son ensemble.
Une telle stratégie n’est guère surprenante tant le phénomène du réchauffement climatique percute nos certitudes, les valeurs occidentales et notre système économique. Nicolas Sarkozy cherche à insinuer le doute pour refuser de prendre à bras-le-corps les conséquences politiques, économiques et matérielles de l’entrée dans l’anthropocène, cette nouvelle ère géologique où l’histoire courte des sociétés humaines se trouve inextricablement liée à l’histoire longue de la planète Terre. Une stratégie bien commode donc pour qui ne veut pas modifier en profondeur ses comportements et les soubassements matériels de notre (mal)développement qui conduisent à ce qu’à peine 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources, générant l’essentiel du réchauffement climatique mondial.
De ce constat, découle l’objectif que nous devons poursuivre : partager équitablement le gâteau de notre budget carbone planétaire. C’est à dire poursuivre un patient et (trop) lent travail visant à réduire les inégalités et décarboner l’économie mondiale. Pour que l’ensemble de la population mondiale ait accès à une vie digne tout en respectant les limites planétaires et climatiques, la seule voie qui permettrait de respecter l’article 2 de l’Accord de Paris qui enjoint les Etats à tout faire pour contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, et idéalement en deçà de 1,5°C.
Au lendemain de la COP21, les propos tenus par Nicolas Sarkozy devraient le disqualifier irrémédiablement aux yeux de l’opinion et des commentateurs de la vie politique, lui qui vient de saper des dizaines d’années de pédagogie et d’information menées par les scientifiques et les ONG. Plutôt qu’insinuer le doute pour esquiver le débat sur les transformations nécessaires, les candidats à la présidentielle seraient bien avisés de s’assurer que l’ensemble de leurs propositions en matière économique, urbanistique, agricole, etc. tiennent compte de l’impératif climatique. Les turpitudes politiques passées, couplées à l’irresponsabilité des multinationales du secteur des combustibles fossiles, nous on fait perdre plus d’une génération d’action publique ambitieuse sur le climat.
Nous n’avons plus de temps à perdre. Il en va de notre avenir. Et d’une campagne présidentielle qui ne vire pas à la caricature mais qui s’occupe des grands défis du XXIe siècle.
(1) Conway Erik et Oreskes Naomi, Les marchands de doute, éd Le Pommier, coll. « Essais et documents », 2012.
(2) Hirschman, A.O., 1991. Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard.
Signataires :
Stefan Aykut, politiste et sociologue des sciences, co-auteur de Gouverner le climat ?, (Presses de Sciences Po),
Geneviève Azam, économiste, co-auteur de Crime Climatique Stop ! L’appel de la société civile (Seuil),
Christophe Bonneuil, historien des sciences, co-auteur de L’évènement anthropocène, (Seuil),
Valérie Cabannes, auteur de Un nouveau Droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide, (Seuil),
Maxime Combes, Economiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, (Seuil),
François Gemenne, politiste, co-auteur de l’Atlas des migrations environnementales, (Presses de Sciences Po),
Nicolas Haeringer Auteur de Zéro fossile, Désinvestir du charbon, du gaz et du pétrole pour sauver le climat, (Les Petits Matins),
Jean Jouzel, ancien Vice Président du groupe scientifique du GIEC.
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