L’élection
présidentielle est une élection redoutable et le sondage d’intentions
de vote une institution discutable. Comment lire (prudemment) les
sondages actuels, quelles perspectives esquissent-ils pour la gauche de
gauche en 2017 ?
Les logiques d’une élection à part
L’élection présidentielle fonctionne doublement, à la polarité et à la majorité. Il fut un temps où l’usage démocratique poussait à raisonner selon un modèle simple : au premier tour on choisit, au second tour on élimine. La Cinquième République et la réforme de l’élection présidentielle de 1962 ont rompu cette logique. Puisque deux candidats seulement sont présents au second tour, on ne choisit pas au premier selon ses préférences, mais selon un calcul de probabilités : quel est le candidat, à gauche ou à droite, le mieux à même de l’emporter au second tour ?
En même temps, cette logique binaire, qui éradique la diversité des palettes à l’intérieur de chaque grand regroupement, n’a pas complètement écarté une autre question propre au système politique. Dans chacun des deux grands pôles, quel est le sous-ensemble qui est le mieux capable de dynamiser la "grande famille" de la gauche et de la droite ? À droite, il ne manque pas de sous-familles, très à droite, à droite ou au centre. Depuis quelques années, la dynamique est du côté de la droite extrême, par le biais des thématiques de l’identité.
À gauche, on sait que la polarité la plus structurante en longue durée est construite autour du rapport de chaque force au système social tout entier. L’histoire française, sur plus de deux siècles, a opposé la droite et la gauche sur la question de l’égalité. Mais à gauche, les oppositions les plus fortes et les plus durables distinguent ceux qui pensent qu’on peut avancer sur le terrain de l’égalité en s’adaptant au système et ceux qui considèrent qu’il n’est pas d’avancée égalitaire conséquente sans rupture avec la logique sociale dominante. Pendant plus de trois décennies, de 1945 à la fin des années 1970, c’est l’esprit de rupture qui a donné le ton. Depuis, c’est au contraire l’esprit d’accommodement.
Dans cet ordre d’idées, deux questions méritent d’être au cœur des débats publics de ces prochains mois. L’égalité doit-elle rester le cœur des controverses publiques, ou faut-il lui préférer la justice (discours de François Hollande) ou l’identité, heureuse ou rigoureuse, comme le veut la droite ? Et si l’on choisit le premier terme – l’égalité – doit-on poursuivre "l’adaptation" entreprise à gauche depuis 1982-1983 ou faut-il tourner le dos à cette adaptation et choisir les chemins d’une alternative à la concurrence et à la gouvernance ?
Dans les années 1960-1970, la participation électorale tendait à augmenter, dans le cadre d’un clivage droite-gauche prononcé. Sur cette base, chaque camp gagnait des voix, la victoire allant à celui qui mobilisait le plus. Depuis plus de trente ans, la participation électorale recule, l’érosion touche à la fois la droite et la gauche et le "camp" qui gagne est celui qui "démobilise" moins son électorat que l’autre. D’une façon ou d’une autre, les stratégies centristes reposent sur l’idée que la conquête du centre est la meilleure façon de détourner une fraction de la droite ou de la gauche vers l’autre camp. L’hypothèse est évidemment d’autant plus légitime formellement que l’idée la plus répandue est que le clivage droite-gauche n’a plus de sens.
Or, depuis une bonne quinzaine d’années, la droite fait plutôt une expérience inverse. En 2007, elle s’est redynamisée sur la base d’une radicalisation : celle du "libéral-populisme" de Nicolas Sarkozy en 2007, celle de Marine Le Pen depuis cette date. Quant à la gauche, elle démobilise les siens, au fur et à mesure qu’elle se "recentre". L’enjeu majeur à gauche est de savoir désormais si la remobilisation électorale suppose de pousser plus loin le recentrage (modèle Macron) ou retrouver le lien entre couches populaires et radicalité transformatrice. Éviter le pire du pire ou retrouver le principe espérance ?
Le meilleur candidat ?
À la mi-septembre, deux instituts de sondage, Odoxa et IFOP, ont testé à peu près toutes les hypothèses aujourd’hui envisagées à droite comme à gauche. L’institut Odoxa a par ailleurs cherché à mesurer les images de plusieurs personnalités à gauche, auprès de l’ensemble de l’électorat et parmi les électeurs qui se situent eux-mêmes à gauche. Les chiffres ne seront utilisés ici que pour la tendance globale qu’ils désignent : une intention de vote doit être pondérée par la marge d’erreur statistique (très forte) et par le fait que, si loin du vote réel, elle est l’indice d’une proximité politique plus que d’une prédiction de vote réel. Mais ces prudences étant acceptées, le sondage peut donner des indications utiles.
L’été a été surtout marqué par l’évolution à l’intérieur du PS, avec l’annonce des candidatures de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg, puis avec le départ du gouvernement d’Emmanuel Macron. Avant l’irruption du ministre de l’Économie, la donne semblait à peu près claire : François Hollande était fragilisé et l’on pouvait se demander si la France ne pouvait pas connaître un phénomène analogue à celui enregistré au Royaume-Uni avec la victoire de Jeremy Corbyn.
Que dit le sondage sur l’image ? Si l’on demande à l’ensemble des sondés quel est le meilleur candidat pour la gauche en 2017, ils répondent E. Macron (28%) et, en second lieu, dans un mouchoir de poche, J.-L. Mélenchon (18%) et Manuel Valls (17%), François Hollande se situant en queue de peloton avec 8%. Mais si l’on se concentre sur les enquêtés de gauche, la disposition se modifie sensiblement : J.-L. Mélenchon se trouve propulsé en tête (24%) devançant nettement F. Hollande (18%), M. Valls (16%), E. Macron et (15%), A. Montebourg étant à la traîne avec 10 %.
Que suggèrent de leur côté les intentions de vote ? Tout d’abord que la gauche est très minoritaire, entre un quart et un tiers des intentions exprimées. Elle ne va au-delà que dans l’hypothèse d’une candidature Macron, qui va distraire vers la gauche une petite part de l’électorat centriste et même d’une part de l’électorat de droite rebuté par le tropisme des Républicains vers la droite extrême. Et même dans le cas d’une candidature Macron, la gauche n’est jamais assurée, pour l’instant, de franchir le cap du premier tour. Le moins que l’on puisse dire est que la stratégie à gauche du "moins disant" n’est pas porteuse d’un grand souffle…
Le deuxième enseignement est que le socialisme frondeur ne semble pas avoir convaincu. Sa personnalité la plus visible, Arnaud Montebourg, ne touche qu’une faible part de l’électorat qui se situe à gauche. Quant aux estimations de vote, elles le placent dans une fourchette de 3,5% à 9% (hypothèse où il est candidat socialiste à la place de F. Hollande !). Le PS se trouve ainsi dans une situation étrange. Contrairement aux attentes, tout se passe aujourd’hui comme si le discrédit d’un Hollande "social-libéral" risquait de profiter, non pas à un socialisme réorienté vers sa gauche, mais plutôt… à une accentuation de la pente libérale. Curieusement, voilà Hollande à deux doigts de se retrouver en position centrale, entre une "droite" et une "gauche" à l’intérieur du PS. Ajoutez à cela un zeste de soutien de Martine Aubry (pas encore acté, mais bien dans les tuyaux) et la possible caution morale d’une Christiane Taubira, et voilà comment on fait d’un président à la dérive un éventuel héraut de la gauche "rassemblée" ! Pas très excitant tout cela…
À gauche toute…
Hollande, Montebourg, Macron… Dans tous les cas, voilà la gauche dans de sales draps. Chaque fois, en effet, on table sur l’effet d’image et sur les malheurs possibles d’une droite toujours durablement perturbée par la pression du FN. Le problème est que la stratégie qui consiste à tabler sur l’érosion de l’adversaire est dangereuse. Elle peut faire le jeu d’une Marine Le Pen qui compte bien jouer sur les déboires du clivage droite-gauche ; elle contourne l’enjeu essentiel de la remobilisation à gauche, et notamment dans les catégories populaires.
Et ailleurs ? Dans toutes les hypothèses, le total des votes en faveur de Mélenchon se situe entre 11% et 14,5%, c’est-à-dire au-dessus du score obtenu par lui en 2012. Si l’on y ajoute, les scores de l’extrême gauche, on trouve une fourchette de 13 à 17%. Et si l’on inclut les 2 à 3,5% que les enquêtes attribuent à Cécile Duflot, on jouxte même les 20 %. Évidemment, nous sommes loin des temps où le vote en faveur du PCF tirait massivement toute la gauche vers sa gauche. Mais, en cette fin d’été 2016, force est de constater que l’effet positif de 2012 n’est pas oublié.
Cette année-là, la gauche de gauche ne réalisait pas un score exceptionnel dans la totalité de ses composantes. Mais, pour la première fois depuis longtemps, le vote Front de gauche avait permis de passer de l’extrême dispersion des deux consultations précédentes (2002 et 2007) à un processus inverse de concentration.
Si l’on s’appuie sur l’outil fragile des sondages, on serait tenté de dire qu’ils font apparaître trois enjeux entremêlés.
Le premier consistera à dire si la gauche de gauche poursuit dans la voie de concentration de son expression ou si elle retourne à sa dispersion passée. Mais, à la différence de 2007, voire de l’année qui précéda le scrutin de 2011, il y a en 2016 une donnée de fait : la dynamique du Front de gauche a installé la candidature de Jean-Luc Mélenchon dans le paysage électoral de la gauche. À ce jour, il est le seul et on peut penser qu’il le restera dans la courte période qui nous sépare du vote présidentiel.
Le second enjeu concerne l’équilibre interne à la gauche. Pour l’instant, toutes les données suggèrent un coude-à-coude Hollande-Mélenchon, plutôt à l’avantage du second. Seule l’hypothèse d’une candidature Macron donne un léger avantage à l’ex-ministre, sur une base qui, à l’arrivée, fragilise la gauche plus qu’elle ne la dynamise vraiment. Il n’est donc pas absurde de se dire qu’il est possible, pour la première fois depuis trente ans, que se renverse l’équilibre que François Mitterrand et la dynamique de Programme commun avaient installé au bénéfice du socialisme français. Si cela se produit, il serait vain de penser que les votes Mélenchon se porteront tous sur un programme ou sur une stratégie de long terme. Ils seront avant tout l’indice d’une exigence (à gauche toute !) et d’une espérance (retrouver les couleurs de la "Sociale").
Le troisième enjeu en découle : celui des catégories populaires. De ce point de vue, tout reste à faire. Mais si l’on observe le détail des ventilations des intentions de vote, on constate que les professions intermédiaires et les catégories d’employés et d’ouvriers (le cœur du peuple sociologique contemporain) semblent être celles où la propension au vote Mélenchon sont aujourd’hui les plus fortes (cela peut aller jusqu’à 17-23%).
Telles sont les remarques que suggère l’analyse des données existantes. N’y voyons aucune prédiction. Le mouvement favorable à une gauche de gauche amorcé en 2012 s’approfondira-t-il ? Le réflexe "vote utile", invoqué par exemple par Christiane Taubira, fonctionnera-t-il à nouveau ou sera-t-il emporté par le discrédit du pouvoir en place ? La gauche de gauche donnera-t-elle enfin le ton à gauche ? Pourra-t-elle sur cette base remobiliser des catégories populaires de plus en plus désorientées ? Cassera-t-elle le mouvement à ce jour continu qui voue le "peuple" à s’abstenir ou à voter FN ? En bref, ce peuple redeviendra-t-il souverain et la gauche retrouvera-t-elle toutes ses couleurs ? Rien, dans les chiffres, ne dit bien sûr comment tous ces dilemmes seront tranchés.
L’incertitude, il est vrai, est le privilège de la liberté… Il reste à en user à bon escient.
Roger Martelli. Publié sur le site de Regards.
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/preside...
Les logiques d’une élection à part
L’élection présidentielle fonctionne doublement, à la polarité et à la majorité. Il fut un temps où l’usage démocratique poussait à raisonner selon un modèle simple : au premier tour on choisit, au second tour on élimine. La Cinquième République et la réforme de l’élection présidentielle de 1962 ont rompu cette logique. Puisque deux candidats seulement sont présents au second tour, on ne choisit pas au premier selon ses préférences, mais selon un calcul de probabilités : quel est le candidat, à gauche ou à droite, le mieux à même de l’emporter au second tour ?
En même temps, cette logique binaire, qui éradique la diversité des palettes à l’intérieur de chaque grand regroupement, n’a pas complètement écarté une autre question propre au système politique. Dans chacun des deux grands pôles, quel est le sous-ensemble qui est le mieux capable de dynamiser la "grande famille" de la gauche et de la droite ? À droite, il ne manque pas de sous-familles, très à droite, à droite ou au centre. Depuis quelques années, la dynamique est du côté de la droite extrême, par le biais des thématiques de l’identité.
À gauche, on sait que la polarité la plus structurante en longue durée est construite autour du rapport de chaque force au système social tout entier. L’histoire française, sur plus de deux siècles, a opposé la droite et la gauche sur la question de l’égalité. Mais à gauche, les oppositions les plus fortes et les plus durables distinguent ceux qui pensent qu’on peut avancer sur le terrain de l’égalité en s’adaptant au système et ceux qui considèrent qu’il n’est pas d’avancée égalitaire conséquente sans rupture avec la logique sociale dominante. Pendant plus de trois décennies, de 1945 à la fin des années 1970, c’est l’esprit de rupture qui a donné le ton. Depuis, c’est au contraire l’esprit d’accommodement.
Dans cet ordre d’idées, deux questions méritent d’être au cœur des débats publics de ces prochains mois. L’égalité doit-elle rester le cœur des controverses publiques, ou faut-il lui préférer la justice (discours de François Hollande) ou l’identité, heureuse ou rigoureuse, comme le veut la droite ? Et si l’on choisit le premier terme – l’égalité – doit-on poursuivre "l’adaptation" entreprise à gauche depuis 1982-1983 ou faut-il tourner le dos à cette adaptation et choisir les chemins d’une alternative à la concurrence et à la gouvernance ?
Dans les années 1960-1970, la participation électorale tendait à augmenter, dans le cadre d’un clivage droite-gauche prononcé. Sur cette base, chaque camp gagnait des voix, la victoire allant à celui qui mobilisait le plus. Depuis plus de trente ans, la participation électorale recule, l’érosion touche à la fois la droite et la gauche et le "camp" qui gagne est celui qui "démobilise" moins son électorat que l’autre. D’une façon ou d’une autre, les stratégies centristes reposent sur l’idée que la conquête du centre est la meilleure façon de détourner une fraction de la droite ou de la gauche vers l’autre camp. L’hypothèse est évidemment d’autant plus légitime formellement que l’idée la plus répandue est que le clivage droite-gauche n’a plus de sens.
Or, depuis une bonne quinzaine d’années, la droite fait plutôt une expérience inverse. En 2007, elle s’est redynamisée sur la base d’une radicalisation : celle du "libéral-populisme" de Nicolas Sarkozy en 2007, celle de Marine Le Pen depuis cette date. Quant à la gauche, elle démobilise les siens, au fur et à mesure qu’elle se "recentre". L’enjeu majeur à gauche est de savoir désormais si la remobilisation électorale suppose de pousser plus loin le recentrage (modèle Macron) ou retrouver le lien entre couches populaires et radicalité transformatrice. Éviter le pire du pire ou retrouver le principe espérance ?
Le meilleur candidat ?
À la mi-septembre, deux instituts de sondage, Odoxa et IFOP, ont testé à peu près toutes les hypothèses aujourd’hui envisagées à droite comme à gauche. L’institut Odoxa a par ailleurs cherché à mesurer les images de plusieurs personnalités à gauche, auprès de l’ensemble de l’électorat et parmi les électeurs qui se situent eux-mêmes à gauche. Les chiffres ne seront utilisés ici que pour la tendance globale qu’ils désignent : une intention de vote doit être pondérée par la marge d’erreur statistique (très forte) et par le fait que, si loin du vote réel, elle est l’indice d’une proximité politique plus que d’une prédiction de vote réel. Mais ces prudences étant acceptées, le sondage peut donner des indications utiles.
L’été a été surtout marqué par l’évolution à l’intérieur du PS, avec l’annonce des candidatures de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg, puis avec le départ du gouvernement d’Emmanuel Macron. Avant l’irruption du ministre de l’Économie, la donne semblait à peu près claire : François Hollande était fragilisé et l’on pouvait se demander si la France ne pouvait pas connaître un phénomène analogue à celui enregistré au Royaume-Uni avec la victoire de Jeremy Corbyn.
Que dit le sondage sur l’image ? Si l’on demande à l’ensemble des sondés quel est le meilleur candidat pour la gauche en 2017, ils répondent E. Macron (28%) et, en second lieu, dans un mouchoir de poche, J.-L. Mélenchon (18%) et Manuel Valls (17%), François Hollande se situant en queue de peloton avec 8%. Mais si l’on se concentre sur les enquêtés de gauche, la disposition se modifie sensiblement : J.-L. Mélenchon se trouve propulsé en tête (24%) devançant nettement F. Hollande (18%), M. Valls (16%), E. Macron et (15%), A. Montebourg étant à la traîne avec 10 %.
Que suggèrent de leur côté les intentions de vote ? Tout d’abord que la gauche est très minoritaire, entre un quart et un tiers des intentions exprimées. Elle ne va au-delà que dans l’hypothèse d’une candidature Macron, qui va distraire vers la gauche une petite part de l’électorat centriste et même d’une part de l’électorat de droite rebuté par le tropisme des Républicains vers la droite extrême. Et même dans le cas d’une candidature Macron, la gauche n’est jamais assurée, pour l’instant, de franchir le cap du premier tour. Le moins que l’on puisse dire est que la stratégie à gauche du "moins disant" n’est pas porteuse d’un grand souffle…
Le deuxième enseignement est que le socialisme frondeur ne semble pas avoir convaincu. Sa personnalité la plus visible, Arnaud Montebourg, ne touche qu’une faible part de l’électorat qui se situe à gauche. Quant aux estimations de vote, elles le placent dans une fourchette de 3,5% à 9% (hypothèse où il est candidat socialiste à la place de F. Hollande !). Le PS se trouve ainsi dans une situation étrange. Contrairement aux attentes, tout se passe aujourd’hui comme si le discrédit d’un Hollande "social-libéral" risquait de profiter, non pas à un socialisme réorienté vers sa gauche, mais plutôt… à une accentuation de la pente libérale. Curieusement, voilà Hollande à deux doigts de se retrouver en position centrale, entre une "droite" et une "gauche" à l’intérieur du PS. Ajoutez à cela un zeste de soutien de Martine Aubry (pas encore acté, mais bien dans les tuyaux) et la possible caution morale d’une Christiane Taubira, et voilà comment on fait d’un président à la dérive un éventuel héraut de la gauche "rassemblée" ! Pas très excitant tout cela…
À gauche toute…
Hollande, Montebourg, Macron… Dans tous les cas, voilà la gauche dans de sales draps. Chaque fois, en effet, on table sur l’effet d’image et sur les malheurs possibles d’une droite toujours durablement perturbée par la pression du FN. Le problème est que la stratégie qui consiste à tabler sur l’érosion de l’adversaire est dangereuse. Elle peut faire le jeu d’une Marine Le Pen qui compte bien jouer sur les déboires du clivage droite-gauche ; elle contourne l’enjeu essentiel de la remobilisation à gauche, et notamment dans les catégories populaires.
Et ailleurs ? Dans toutes les hypothèses, le total des votes en faveur de Mélenchon se situe entre 11% et 14,5%, c’est-à-dire au-dessus du score obtenu par lui en 2012. Si l’on y ajoute, les scores de l’extrême gauche, on trouve une fourchette de 13 à 17%. Et si l’on inclut les 2 à 3,5% que les enquêtes attribuent à Cécile Duflot, on jouxte même les 20 %. Évidemment, nous sommes loin des temps où le vote en faveur du PCF tirait massivement toute la gauche vers sa gauche. Mais, en cette fin d’été 2016, force est de constater que l’effet positif de 2012 n’est pas oublié.
Cette année-là, la gauche de gauche ne réalisait pas un score exceptionnel dans la totalité de ses composantes. Mais, pour la première fois depuis longtemps, le vote Front de gauche avait permis de passer de l’extrême dispersion des deux consultations précédentes (2002 et 2007) à un processus inverse de concentration.
Si l’on s’appuie sur l’outil fragile des sondages, on serait tenté de dire qu’ils font apparaître trois enjeux entremêlés.
Le premier consistera à dire si la gauche de gauche poursuit dans la voie de concentration de son expression ou si elle retourne à sa dispersion passée. Mais, à la différence de 2007, voire de l’année qui précéda le scrutin de 2011, il y a en 2016 une donnée de fait : la dynamique du Front de gauche a installé la candidature de Jean-Luc Mélenchon dans le paysage électoral de la gauche. À ce jour, il est le seul et on peut penser qu’il le restera dans la courte période qui nous sépare du vote présidentiel.
Le second enjeu concerne l’équilibre interne à la gauche. Pour l’instant, toutes les données suggèrent un coude-à-coude Hollande-Mélenchon, plutôt à l’avantage du second. Seule l’hypothèse d’une candidature Macron donne un léger avantage à l’ex-ministre, sur une base qui, à l’arrivée, fragilise la gauche plus qu’elle ne la dynamise vraiment. Il n’est donc pas absurde de se dire qu’il est possible, pour la première fois depuis trente ans, que se renverse l’équilibre que François Mitterrand et la dynamique de Programme commun avaient installé au bénéfice du socialisme français. Si cela se produit, il serait vain de penser que les votes Mélenchon se porteront tous sur un programme ou sur une stratégie de long terme. Ils seront avant tout l’indice d’une exigence (à gauche toute !) et d’une espérance (retrouver les couleurs de la "Sociale").
Le troisième enjeu en découle : celui des catégories populaires. De ce point de vue, tout reste à faire. Mais si l’on observe le détail des ventilations des intentions de vote, on constate que les professions intermédiaires et les catégories d’employés et d’ouvriers (le cœur du peuple sociologique contemporain) semblent être celles où la propension au vote Mélenchon sont aujourd’hui les plus fortes (cela peut aller jusqu’à 17-23%).
Telles sont les remarques que suggère l’analyse des données existantes. N’y voyons aucune prédiction. Le mouvement favorable à une gauche de gauche amorcé en 2012 s’approfondira-t-il ? Le réflexe "vote utile", invoqué par exemple par Christiane Taubira, fonctionnera-t-il à nouveau ou sera-t-il emporté par le discrédit du pouvoir en place ? La gauche de gauche donnera-t-elle enfin le ton à gauche ? Pourra-t-elle sur cette base remobiliser des catégories populaires de plus en plus désorientées ? Cassera-t-elle le mouvement à ce jour continu qui voue le "peuple" à s’abstenir ou à voter FN ? En bref, ce peuple redeviendra-t-il souverain et la gauche retrouvera-t-elle toutes ses couleurs ? Rien, dans les chiffres, ne dit bien sûr comment tous ces dilemmes seront tranchés.
L’incertitude, il est vrai, est le privilège de la liberté… Il reste à en user à bon escient.
Roger Martelli. Publié sur le site de Regards.
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/preside...
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