La décision de fermer le site Alstom Belfort est un modèle de
brutalité dans la gestion néolibérale des entreprises. Peu importe ce
qui est fabriqué, peu importe les métiers et les filières industrielles,
peu importe l’utilité sociale : ce qui compte est de savoir si le site
est encore valorisable dans une stratégie mondialiste de « création de
valeur ». Le PDG Alstom répond non.
Alstom Belfort est le berceau historique de l’entreprise, dans un
bassin d’emplois qui comprend l’usine de Peugeot Sochaux à 15
kilomètres. Fermer Belfort, c’est comme si PSA fermait Sochaux : une
insulte au travail et aux salarié-es. Dans la mémoire ouvrière locale,
mais aussi dans certaines images nationales, Alstom est un modèle de
savoir-faire professionnel (trains, turbines, énergie, navires
lorsqu’ils étaient encore dans le groupe Chantiers de l’Atlantique).
Fermer Belfort est donc une angoisse pour l’emploi (qui partirait en
Alsace dans l’usine de Reichshoffen, comme initialement annoncé ?) et un
mépris insupportable pour le travail accumulé.
Dividendes, bonus, magouilles
Alstom se porte bien. Son chiffre d’affaires est de près de 7
milliards d’euros (2015), son carnet de commandes de 30 milliards, son
résultat net de 3 milliards a été dopé en 2015 par la vente du
département « énergie » à General Electric (GE).
En 2014 en effet, Alstom avait vendu à GE (USA) 70% du groupe.
L’affaire avait traîné plusieurs mois car le gouvernement Hollande avait
fait semblant de résister à l’emprise d’un géant extra-européen. Le
bruit court que le choix d’accepter la transaction est dû à des menaces
de révélations de corruptions d’Alstom dans des affaires indonésiennes.
Quand l’industrie mute en pure finance, les magouilles ne sont jamais
loin. L’ancien PDG Patrick Kron avait défrayé la chronique lorsqu’il
avait été révélé que le choix de General Electric (plutôt que Siemens,
également sur les rangs) s’était accompagné de formidables bonus pour
l’équipe dirigeante (30 millions, dont 4 pour P. Kron).
Alstom est donc passé de 92 000 salariés (jusqu’en 2014) à 31 000 en
devenant Alstom Transport, dont 9000 en France. Sur les 105 sites du
groupe, il n’y en a que 12 en France. La stratégie repose donc avant
tout sur le retour des dividendes d’investissements sur le marché
mondial, et donc en ce moment aux Etats-Unis (2 milliards de dollars
pour le TGV Boston Washington), les pays émergents et les
délocalisations intra-européennes (Pologne), ou Kazakhstan or de l’UE.
Que pèse dans ces calculs la petite usine belfortaine (480 salariés
contre plus de 5000 autrefois) ? Mais il y a encore sur le site des
salariés devenus Général Electric…
L’usine de Belfort était donc devenue un maillon faible coincé entre
deux mâchoires. D’une part, les commandes publiques en moyens de
transport se tarissent en France. Elles seraient en baisse de 30% d’ici
2018 (date envisagée du TGV du « futur »). Comme si le besoin en
transports publics à la fois pour le fret et les voyageurs n’était pas
une exigence dont il faudrait planifier la mise en œuvre !
Et d’autre part, les règles des marchés publics sont elles-mêmes
devenues hyper concurrentielles, en France et en Europe. Au moment où
Alstom annonçait la fin de Belfort, on apprenait que Akiem, entreprise
détenue conjointement par la SNCF et Deutsche Bank, ne retient pas
Alstom pour fabriquer 44 locomotives mais le constructeur allemand
Vossloh qui a des usines toutes proches en Alsace !
Rebellion
Il se pourrait que la petite usine se rebelle contre les géants
mondiaux. Samedi 24 septembre est une journée ville morte à Belfort. Les
syndicats avaient prévenu les pouvoirs publics depuis longtemps des
menaces qui pesaient sur Belfort. Inutile de faire semblant de découvrir
ce qui se tramait, comme semble le faire un gouvernement ou des anciens
ministres effarouchés (Macron, Montebourg).
Le gouvernement aux abois s’agite en période pré-présidentielle. Le
ministre Alain Vidalies s’est dépêché de saupoudrer de nouvelles
commandes, mais elles n’assurent en rien un avenir solide. Elles ne font
que gagner un peu de temps. Une vraie solution structurelle
impliquerait une planification industrielle et écologique de commandes
publiques. Cela nécessite une rupture avec les règles de passation des
marchés européens, donc un certain affrontement politique. C’est
l’horreur pour ce gouvernement, qui semble apprécier une nouvelle
« solution », plus économe politiquement : les salariés Alstom Belfort
seraient réembauchés sur le site par l’entité Général Electric issue de
la cession de 2014. Cela tombe bien : GE avait promis 1000 emplois créés
en France (zéro pour le moment), donc il reprendrait le savoir-faire
qu’il connait bien, même si les métiers sont différents. Sordide.
Pour un pôle public et écologique du transport
Avec les syndicats qui se mobilisent à Belfort, dans la métallurgie,
dans les transports, avec les forces politiques opposées au
démantèlement de l’usine, avec la population belfortaine, il est
possible de promouvoir un pôle public associant la SNCF, la RATP, les
régions, Alstom. Avec des commandes publiques pour des transports
écologiques : priorité au ferroutage sur le tout camion irresponsable,
relances de dessertes SNCF menacées, remplacement de matériel vieilli
(les syndicats de cheminots le demandent depuis longtemps), rames de
métro (Grand Paris), tramway.
Les cars Macron sont à l’opposé de tels choix. Ils sont une insulte
contre les voyageurs et une aberration écologique. Cars Macron ou
transports publics : il faut choisir !
Les cahiers des charges des marchés doivent comprendre des clauses
écologiques, des clauses sociales et de maintien des savoir-faire
professionnels. Une telle politique pourrait déboucher sur une exigence
de services publics européens, et de politique industrielle européenne,
ce qui nécessitera une confrontation avec les règles libérales de
l’Union.
Elle impliquera aussi d’oser nationaliser le groupe Alstom (l’Etat
est déjà le premier actionnaire !), avec un pouvoir de gestion des
salarié-es et un droit d’intervention d’autres entreprises publiques et
des usagers. Car il est normal que les entreprises appartiennent en
propriété d’usage à celles et ceux qui les font tourner, et pas aux
financiers. La société tout entière s’en porterait mieux.
Jean-Claude Mamet
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