Sommes-nous entrés dans la troisième guerre mondiale ? Cela fait des
dizaines d’années que les commentateurs utilisent cette expression, sans
qu’aucune réalité ne confirme cette assertion répétée. Ce qui est
certain, par contre, c’est que depuis la fin du « camp socialiste » en
1989, il n’y a jamais eu autant de guerres, de basse ou de haute
intensité.
De l’ex-Yougoslavie à l’Ukraine, du Moyen Orient à l’Afrique, les
guerres sont devenues une des données permanentes de la mondialisation. A
la peur de la guerre de masse de 14 - 18, puis de la destruction
mutuelle, engendrée par l’arme nucléaire, a succédé la guerre sans fin
et sans limites, dont nous sommes tous acteurs et spectateurs, à notre
insu. C’est une guerre privatisée, avec des mercenaires employés par des
armées nationales, des groupes terroristes ou des grandes compagnies
qui remplacent petit à petit les armées classiques. La guerre n’étant
plus domestiquée par les Etats, elle devient une guerre civile mondiale
larvée.
La violence, fondée jusqu’à maintenant sur un ordre international,
l’est aujourd’hui sur la base de la guerre asymétrique, visible en
direct sur nos smartphones et nos tablettes. La mondialisation et ceux
qui en bénéficient, se nourrissent de la guerre. Contrairement aux
nostalgiques de la guerre froide, qui voient la main des Etats-Unis
derrière chaque conflit, les entreprises pétrolières derrière chaque
dictateur ou général, nous savons que les causes des guerres sont
devenues multiples : extraction et contrôle des ressources naturelles,
conflits ethniques et religieux, terrorisme, luttes pour le pouvoir,
guerre de civilisation…
Mais une logique apparaît derrière l’ensemble de
ces conflits ininterrompus : l’exacerbation des identités. En voulant
uniformiser le monde par le marché et en organisant l’affaiblissement
des Etats-nations, la mondialisation voulue par les hérauts de la
révolution néoconservatrice des années 80, a engendré la démocratisation
du mal. Là est la vraie source de la guerre permanente qui s’installe
sous nos yeux. Le chaos entraine un « zonage » du monde et un apartheid
planétaire, qui ne divise plus le monde en deux camps, avec un
tiers-monde au milieu, mais le transforme en une jungle où la lutte de
tous contre tous est devenue la norme.
Ces zones grises ne sont plus des territoires colonisés, mais
désorganisés, où des bandes armées sous contrôle de puissances
régionales, quand ce n’est pas avec des interventions de coalitions
internationales, se partagent le terrain et font régner la terreur.
C’est ce qui se passe depuis 2003 en Irak, depuis 2011 en Syrie et en
Lybie, depuis 2012 en Afrique de l’Ouest, depuis depuis 2014 au Yémen.
C’est aussi ce qui se passe à l’intérieur des Etats, où les
régionalismes explosent, comme en Ethiopie ces derniers jours, à
l’instar de la Somalie voisine ou du Congo. Et dans cette jungle,
personne n’est épargné. Lorsque François Hollande ou Nicolas Sarkozy
font la guerre en Lybie, en Afrique, ou au Moyen Orient, qui peut croire
que notre territoire sera épargné ?
Depuis deux décennies maintenant, des forces destructrices se
construisent, au-delà des Etats et des institutions internationales, qui
forment un ensemble s’attaquant aux Etats, poussant à libérer les
échanges sans régulation, qui accaparent les terres, qui pillent les
ressources, qui exacerbent les frustrations et la colère des populations
spoliées, qui encouragent le désespoir et le terrorisme, qui engendrent
des flux migratoires d’une importance inégalée depuis longtemps...
Comme la mondialisation a ouvert de nouveaux marchés, les conflits liés à
l’environnement se sont développés eux aussi. Telles les guerres et
résistances pour le pétrole, l’eau, les richesses minières, mais aussi
pour la sauvegarde des terres contre la dégradation de l’environnement
et du climat. C’est cette accumulation qui fait que la guerre tend à
devenir de moins en moins la continuation de la politique par d’autres
moyens. Elle est même devenu son contraire : la politique est la
continuation de la guerre par d’autres méthode.
De ce point de vue,
Poutine peut être considéré comme un maitre de guerre : Il impose sa
politique, en la faisant reposer uniquement sur le terrain de la guerre
totale. La guerre est devenue une des conditions d’évaluation des
politiques de croissance des Etats : Plus la France vend des armes de
destruction massive à l’Arabie Saoudite, qui les utilise au Yémen ou
ailleurs, plus elle en vend à l’Egypte contre son propre peuple et à
tous les dictateurs que compte la planète, plus ses dirigeants
socialistes s’en vantent et brandissent les résultats de Dassault comme
autant de trophées prouvant leur bonne gestion.
Les ventes
d’armes sont devenues la preuve incontestable de la « réussite » de la
politique socialiste. Jaurès, qui dénonçait le capitalisme qui « porte
en lui les guerres, comme la nuée porte l’orage », doit se retourner
dans sa tombe ! … Et les mêmes qui veulent faire « la guerre au
salafisme », déroulent le tapis rouge et protègent les plages privées
des princes saoudiens ou Qatari.
Pourtant, le XXème siècle nous l’a appris, la guerre ne mène qu’à la
destruction et à des impasses renouvelées. Les écologistes ont toujours
mis en avant la non violence, la politique de paix, la prévention des
conflits. Ils ont toujours soutenu la construction d’un ordre
international, fondé sur le respect des Nations, des Etats et des
peuples, sur la coopération mutuelle. Pour cela, ils ont été taxés de
pacifistes impénitents, d’angéliques et d’utopistes. Ils ont pourtant
toujours défendu la même orientation : concilier le dégoût de la guerre
et la lutte pour un ordre mondial juste, pour la démocratie, l’Etat de
droit et la défense des droits de l’Homme et de la planète.
Serait-il devenu ringard de lutter pour la paix ? Lorsqu’on
voit Guernica se reproduire à Alep, faut-il se taire ou descendre dans
la rue ? Se révolter contre les forces de destruction ou tendre l’autre
joue ?
A force d’avoir nourri des conflits, de s’impliquer sans le dire, de
faire ami-ami avec tous les prédateurs que compte la planète, nous
sommes victimes de notre renoncement et de notre impuissance. Que l’on
reçoive ou non Poutine dans les prochains jours, à Paris, ne changera
rien à l’affaire. Ce ne sera qu’une humiliation de plus pour les
rebelles qui s’étaient levés au nom des idéaux inscrits sur les frontons
de nos mairies. Nous laisserons Alep et Sanaa mourir sous les
bombardements, en comptant les morts et en refusant d’accueillir les
réfugiés. Sale temps pour les vaincus.
https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/101016/dalep-sanaa-la-guerre-permanente
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