Pourquoi le mouvement du printemps n’a-t-il pas réussi à faire plier le
gouvernement ? En quoi a-t-il cependant fait bouger les lignes, et
interrogé l’action syndicale ? Interview d’Éric Beynel, porte-parole du
syndicat Solidaires.
Éric Beynel est porte-parole de l’Union syndicale Solidaires qui regroupe, par exemple, les fédérations Sud-PTT, Sud-Rail, Sud éducation, Sud Santé Sociaux, ou encore Solidaires étudiant.e.s. En compagnie de six autres organisations, Solidaires a fait partie de l’intersyndicale contre le loi travail durant toute la durée du mouvement social.
Regards. Depuis la manifestation du 15 septembre, nous n’avons plus de nouvelles de l’intersyndicale. Y a-t-il encore des perspectives de mobilisation commune ?
Éric Beynel. Nous restons en contact. FO avait laissé entendre qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre au-delà de la manifestation, ce qu’ils ont confirmé ensuite. Leur absence rend plus difficile un appel à de nouvelles journées d’action. Solidaires portait la date du 7 octobre, à la fois journée de mobilisation contre la loi Peeters en Belgique, et journée mondiale du travail décent. Mais nationalement, cela n’a pas été possible. Malgré tout, il n’y a pas de rupture entre nous, juste des divergences de stratégie. Ils veulent agir sur le terrain juridique et dans les entreprises. Nous, nous pensons que les deux leviers sont complémentaires. On ne fera pas bouger les lignes sans construire un rapport de forces.
La CGT semblait pourtant vouloir continuer le mouvement, maintenir le travail sur le devant de la scène. Surtout à l’amorce d’une période qui s’annonce compliquée...
Avec la présidentielle, c’est vrai, la question sociale risque de passer au second, si ce n’est au troisième plan. La CGT en est consciente. Ils sont engagés sur la question des libertés syndicales, autour des procès Goodyear et Air France, par exemple. C’est important mais, chez Solidaires, nous voulons continuer à mobiliser sur des thématiques plus larges, et sans rester dans le seul cadre syndical. Nous allons sans doute bientôt proposer une date pour une rencontre des différents acteurs du mouvement contre la loi travail afin, justement, de discuter de ce que nous pouvons faire à partir de maintenant.
Selon vous qu’a-t-il manqué, au printemps, pour pousser le gouvernement à retirer la loi El-Khomri ?
Sans doute un blocage franc et net de l’économie, notamment dans les secteurs les plus stratégiques. Cela aurait permis de monter d’un cran supplémentaire dans le rapport de forces. En face, le pouvoir a tout simplement attendu. De leur point de vue, le calendrier était bien choisi. Il semble que, très tôt, le gouvernement avait choisi d’utiliser l’article 49-3 pour faire passer la loi, en programmant un dernier passage devant les députés en plein mois de juillet. Ensuite, il n’y avait plus qu’à attendre les vacances pour que tout le monde rentre à la maison. Les étudiants étaient déjà bien moins nombreux depuis le mois de mai, à cause du calendrier des examens.
Pourquoi, début juin, ce cran supplémentaire n’a-t-il pas été franchi ? Est-ce lié à des difficultés à mobiliser les salariés, ou à des blocages de nature plus stratégique ?
Certains secteurs sont entrés en grève reconductible : on se souvient des routiers, des raffineries, ou des cheminots. Mais cela ne s’est pas fait de manière coordonnée. Les cheminots sont entrés en grève tardivement, presque deux semaines après le début du mouvement dans les raffineries. Sans compter qu’ils avaient déjà dix jours de grève dans les jambes depuis le début de l’année 2016. En tant qu’intersyndicale, nous en sommes sans doute collectivement responsables. Nous n’avons pas réussi à intégrer ce mot d’ordre du blocage dans nos appels, à fixer un calendrier cohérent. Toutes les organisations n’avaient pas la même vision des choses, malheureusement.
Inversement, que faut-il porter au crédit du mouvement ?
D’abord, on a réussi à avoir un débat avec les salariés sur l’usage de la grève reconductible et du blocage économique, alors que cela n’était plus possible ces dernières années, notamment à cause des défaites de 2003 et de 2010. Ces outils sont redevenus pensables et mobilisables, et c’est l’un des acquis du mouvement. Ensuite, depuis 2010 toujours, nous n’arrivions plus à mobiliser à partir d’un spectre syndical qui s’était rétréci, à cause des divisions et d’orientations divergentes. Mais cette fois, nous avons réussi à construire un mouvement puissant et durable malgré l’absence d’unité syndicale. Nous savons maintenant que c’est quelque chose de possible.
Éric Beynel est porte-parole de l’Union syndicale Solidaires qui regroupe, par exemple, les fédérations Sud-PTT, Sud-Rail, Sud éducation, Sud Santé Sociaux, ou encore Solidaires étudiant.e.s. En compagnie de six autres organisations, Solidaires a fait partie de l’intersyndicale contre le loi travail durant toute la durée du mouvement social.
Regards. Depuis la manifestation du 15 septembre, nous n’avons plus de nouvelles de l’intersyndicale. Y a-t-il encore des perspectives de mobilisation commune ?
Éric Beynel. Nous restons en contact. FO avait laissé entendre qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre au-delà de la manifestation, ce qu’ils ont confirmé ensuite. Leur absence rend plus difficile un appel à de nouvelles journées d’action. Solidaires portait la date du 7 octobre, à la fois journée de mobilisation contre la loi Peeters en Belgique, et journée mondiale du travail décent. Mais nationalement, cela n’a pas été possible. Malgré tout, il n’y a pas de rupture entre nous, juste des divergences de stratégie. Ils veulent agir sur le terrain juridique et dans les entreprises. Nous, nous pensons que les deux leviers sont complémentaires. On ne fera pas bouger les lignes sans construire un rapport de forces.
La CGT semblait pourtant vouloir continuer le mouvement, maintenir le travail sur le devant de la scène. Surtout à l’amorce d’une période qui s’annonce compliquée...
Avec la présidentielle, c’est vrai, la question sociale risque de passer au second, si ce n’est au troisième plan. La CGT en est consciente. Ils sont engagés sur la question des libertés syndicales, autour des procès Goodyear et Air France, par exemple. C’est important mais, chez Solidaires, nous voulons continuer à mobiliser sur des thématiques plus larges, et sans rester dans le seul cadre syndical. Nous allons sans doute bientôt proposer une date pour une rencontre des différents acteurs du mouvement contre la loi travail afin, justement, de discuter de ce que nous pouvons faire à partir de maintenant.
Selon vous qu’a-t-il manqué, au printemps, pour pousser le gouvernement à retirer la loi El-Khomri ?
Sans doute un blocage franc et net de l’économie, notamment dans les secteurs les plus stratégiques. Cela aurait permis de monter d’un cran supplémentaire dans le rapport de forces. En face, le pouvoir a tout simplement attendu. De leur point de vue, le calendrier était bien choisi. Il semble que, très tôt, le gouvernement avait choisi d’utiliser l’article 49-3 pour faire passer la loi, en programmant un dernier passage devant les députés en plein mois de juillet. Ensuite, il n’y avait plus qu’à attendre les vacances pour que tout le monde rentre à la maison. Les étudiants étaient déjà bien moins nombreux depuis le mois de mai, à cause du calendrier des examens.
Pourquoi, début juin, ce cran supplémentaire n’a-t-il pas été franchi ? Est-ce lié à des difficultés à mobiliser les salariés, ou à des blocages de nature plus stratégique ?
Certains secteurs sont entrés en grève reconductible : on se souvient des routiers, des raffineries, ou des cheminots. Mais cela ne s’est pas fait de manière coordonnée. Les cheminots sont entrés en grève tardivement, presque deux semaines après le début du mouvement dans les raffineries. Sans compter qu’ils avaient déjà dix jours de grève dans les jambes depuis le début de l’année 2016. En tant qu’intersyndicale, nous en sommes sans doute collectivement responsables. Nous n’avons pas réussi à intégrer ce mot d’ordre du blocage dans nos appels, à fixer un calendrier cohérent. Toutes les organisations n’avaient pas la même vision des choses, malheureusement.
Inversement, que faut-il porter au crédit du mouvement ?
D’abord, on a réussi à avoir un débat avec les salariés sur l’usage de la grève reconductible et du blocage économique, alors que cela n’était plus possible ces dernières années, notamment à cause des défaites de 2003 et de 2010. Ces outils sont redevenus pensables et mobilisables, et c’est l’un des acquis du mouvement. Ensuite, depuis 2010 toujours, nous n’arrivions plus à mobiliser à partir d’un spectre syndical qui s’était rétréci, à cause des divisions et d’orientations divergentes. Mais cette fois, nous avons réussi à construire un mouvement puissant et durable malgré l’absence d’unité syndicale. Nous savons maintenant que c’est quelque chose de possible.
Si la mobilisation a pris une telle ampleur, c’est peut-être aussi, justement, parce qu’elle a puisé ses forces au-delà du seul cadre syndical ?
C’est exact. Il a eu par exemple la pétition "Loi travail non merci", l’appel "On vaut mieux que ça" sur Youtube, puis l’appel à manifester sur une première date, le 9 mars, qui n’émane pas des syndicats, mais sur laquelle ces derniers se sont greffés ensuite. Et puis bien sûr Nuit debout, qui a par exemple permis de faire la jonction à des périodes où les journées d’action interprofessionnelles étaient très espacées. C’est la mobilisation de l’ensemble de ces composantes qui a permis un effet d’accumulation et, in fine, la constitution d’un mouvement large. Pour nous, c’est la diversité de ce mouvement social qui a fait sa force.
À certains endroits, on a vu apparaître des assemblées interprofessionnelles locales, ou des collectifs de lutte constitués sur une base territoriale. C’est aussi une singularité du mouvement ?
On avait déjà remarqué ce phénomène durant le mouvement contre la réforme des retraites, en 2010. De ce point de vue, il y a une forme de continuité, voire de progression. Un travail de coordination s’est parfois mis en place directement au niveau local, comme au Havre – qui en est le symbole, avec des journées de blocage complet de l’économie locale – mais aussi à Tours, à Rennes, à Nantes ou encore à Bordeaux, et dans d’autres villes. On y a vu des mouvements qui avaient tendance à s’ancrer localement, à être soutenus par la population. On pourrait dire que c’est une sorte de retour à l’esprit de la Commune de Paris !
Au fil des manifestations, on a vu de plus en plus de gens passer devant le carré syndical, jusqu’à former un bloc important, baptisé ’’cortège de tête’’. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Chez Solidaires, nous n’avons jamais contesté ces cortèges de tête, pas plus que nous n’avons contesté Nuit debout. Au contraire, nous avons cherché à faire le lien entre ces différentes composantes. Mais l’existence des cortèges de tête est significative d’une méfiance qui s’est installée vis-à-vis des syndicats. Ce n’est pas nouveau : il y a une crise de la représentation, qui s’est cristallisée autour des partis politiques, pour ensuite toucher les associations, et qui concerne aujourd’hui les syndicats. Répondre à cette crise est devenu un enjeu important pour les organisations syndicales.
Que faudrait-il faire, selon vous, pour retisser des liens entre salariés et syndicats ?
Chez Solidaires, nous avons toujours cherché un mode de fonctionnement le plus horizontal possible, qui soit construit et nourri par la base. Nous pensons qu’il faut continuer à travailler dans cette direction, pour construire le syndicalisme de demain. Avec la précarité, le développement de la sous-traitance, le chômage de masse, il y a beaucoup de salariés qui ne connaissent pas les syndicats.
Le salariat a changé, et face à cela les modes d’organisation classiques, par branche d’activité, ne sont plus toujours adaptés. Dans certaines régions, nous sommes en train de créer, par exemple, des syndicats pour les chômeurs et précaires, ce qui correspond à une demande de nombreux militants.
Invité à faire le bilan de Nuit debout, l’économiste Frédéric Lordon regrettait récemment « qu’il n’y ait plus de syndicalisme révolutionnaire » en France, du moins au sein des directions syndicales qui s’interdiraient, en substance, de franchir le Rubicon du ’’social’’ pour entrer sur le terrain de la lutte politique . Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que l’intersyndicale n’est pas une instance révolutionnaire : c’est un espace de compromis. Mais sur le syndicalisme en général, je ne partage pas cette analyse. D’abord, chez Solidaires, nous récusons le terme de ’’direction syndicale’’. Notre syndicalisme n’est pas fondé sur une organisation verticale. Nous le définissons comme un ’’syndicalisme de transformation sociale’’, ce qui est une autre manière de nous inscrire dans cette tradition, même si les termes sont différents. Ensuite il n’y a, chez nous, jamais eu la moindre frilosité à appeler à faire tomber le gouvernement lorsque celui-ci a utilisé l’article 49-3. Depuis des années, il y a une continuité dans les politiques qui sont menées. Il devient urgent d’y mettre un terme. Pour cela, le mouvement social n’a pas, il est vrai, à se caler sur l’agenda politique. Mais il n’est pas question non plus de rester l’arme au pied. Le mouvement a montré qu’il y a une radicalité et une disponibilité de forces importante ; à nous, par les luttes, de construire et de prendre en charge l’agenda social.
http://www.regards.fr/web/article/eric-beynel-il-faut-construire-le-syndicalisme-de-demain
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