Comme
l’indique l’appel « Front Commun » que j’ai signé[i],
la candidature de Jean Luc Mélenchon est désormais bien installée pour
représenter une gauche de combat en 2017. Et les débats qui traversent cette
gauche (au-delà de la masse bien plus grande des points qui la réunit
d’évidence) en deviennent d’autant plus importants. Le député européen est
toujours demandeur de ces débats de fond. En voici deux qui me paraissent
importants à clarifier.
Dans
nombre de ses écrits, JL Mélenchon affirme désormais sa proximité avec les
courants « populistes de gauche ». Lesquels ne relèvent nullement de
ce qu’une pensée hâtive regroupe en général sous le vocable
« populiste », mais d’un courant philosophico-politique représenté
entre autres par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, inspirateurs principal par
exemple de Pablo Iglesias, leader de Podemos. Autrement dit des contributeurs
éminents de la gauche radicale, pas des alliés cachés du FN ! Mais le fond
de cette pensée, pleine de nouvelles issues théoriques et politiques, reste
éminemment à discuter[ii]
Et il en ressort au moins deux questions plus précises que j’aborde ici.
Et
le capitalisme ?
Dans
« L’ère du peuple »[iii],
Mélenchon dit ceci : « Ma thèse : la multitude informelle devient
le peuple en cherchant à assurer sa souveraineté sur l'espace qu'il occupe
(...) Ce raisonnement conduit à donner une place essentielle aux processus
constituants dans les révolutions de notre temps…Le règne de la finance n'accepte
aucune régulation extérieure à lui. Le pouvoir politique produit des lois et
règlements. Il est la source de toutes les régulations. L'oligarchie ne peut le
supporter ». Tout revient alors en ceci d’un contrôle et d’une
maîtrise purement politique (évidemment réellement démocratique) d’un système
dont les bases économico-sociales seraient laissées inchangées. Or la
financiarisation est la conséquence non juste de profiteurs invétérés (pourtant
incontestablement présents), mais d’un système.
Le capitalisme, qui n’est pas
seulement un concentrateur de richesses, mais un mode social de production.
Dont proviennent ces mécanismes inévitables de marchandisation accélérée de
toutes choses : la nature, les humains, l’éducation, la culture. Comme de
l’empêchement de la pleine démocratie et de l’aliénation généralisée. Le
contrôle et les limites qui lui ont été imposées à l’époque fordiste furent le
produit des rapports de force issus de la guerre contre le nazisme. Mais on
voit bien que la pression profonde recommence dès que possible sous des formes
toujours renouvelées. Y répondre politiquement (par la superstructure) n’est
nullement négligeable. Mais ça s’apparente à des digues fragiles, des sacs de
sable dressés contre des tsunamis répétés.
Et, pour reprendre la formule de
Marx, toujours alors « la vielle gadoue » revient. A moins que la
Constituante à venir ne mette en discussion la socialisation autogérée des
principaux moyens de production et d’échanges ou c’est hors de son objet ?
Quel lien exactement lui Mélenchon (comme Mouffe ou Iglesias d’ailleurs) tisse
t-il entre cet indispensable combat anti oligarchique et la remise en cause des
fondements qui recréent en permanence l’oligarchie ? Ou dit encore plus
simplement quels liens maintient-il avec le socialisme ?
De
l’unité et de la diversité
Dans
la phrase citée ci-dessus Mélenchon dit bien que le peuple n’est pas une
donnée, mais une construction (contrairement à ce dont on lui fait souvent
procès à tort), et on en sera d’accord évidemment. L’opposition des 99% aux 1%,
voilà qui donne la possibilité de cette construction. Mais au passage les
classes sociales ont disparu, sinon de la réalité du moins de la réflexion
générale[iv].
Comment avec cela rendre compte des mobilisations contre la Loi Travail
(entièrement centrées sur le rapport salarial) est un peu délicat. On retrouve
là la discussion précédente.
Mais, de plus, ceci ouvre sur une autre question
sensiblement différente. Le « peuple » même construit par ses combats
dans la recherche de sa souveraineté (et toute l’expérience historique montre
bien que ça ne se laisse effectivement pas ramené aux seuls combats des classes
sociales), ce peuple reste divers. Fondamentalement divers. Et on sent bien
qu’avec le futur candidat à la Présidentielle, dont le score comptera pour
l’avenir de la gauche, il y a là un sujet à discuter.
Dans le même livre il
dit : « La communauté humaine (...) se définit d'abord comme sa
capacité à exercer une souveraineté sur les individus qui la composent et sur
le lieu où elle vit ». La proximité est forte ici avec ce qu’en dit
Rousseau dans le Contrat Social, que Mélenchon n’ignore sûrement pas, et qui
résume le problème. « …le pacte social … renferme tacitement cet
engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera
d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne
signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre. ». « On
le forcera d’être libre » est-ce bien ce que l’on peut déduire de
ce peuple « un et indivisible » ? Ou toute politique
émancipatrice n’oblige t-elle pas à combiner le « un » (la
construction du peuple, en laissant donc ici de côté les rapports de classe en
son sein) et le « divisible » ?
Unir, par delà les divisions en
genres, en religions et en absence de religion, en inclinations sexuelles, en
générations, en histoire des origines et des migrations, en couleur de peau,
etc… peut-il s’envisager par les négations de ces divisions ? Lesquelles
sont, toujours, autant de germes potentiels d’oppression et de
discriminations ? Et alors la construction du peuple ne nécessite t-elle
pas d’évidence la mise à jour de celles-ci, l’expression des luttes propres à
chacune des catégories opprimées ? Ceci non pour un déchirement général,
mais pour un équilibre constamment reconstruit ? Compliquée cette
dialectique du « un » et du « divisible » ?
Certainement. Mais indispensable.
Comme on le voit à la lecture de la citation
de Rousseau, le « récit national », même légitimement ramené sur le
principe à 1793, passe au dessus de cette nécessité désormais incontournable.
Il vaut mieux, beaucoup mieux, s’appuyer pour cela sur une autre source. Certes
opposée en son temps… à Robespierre. Mais sur ce coup, et lui seulement,
beaucoup plus convaincante, si on y remplace pour l’objet de ce débat,
l’instruction de la « constitution » par celle du « récit
national ».
Condorcet, qui affirme : « On a dit que
l'enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de
l'instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d'un
fait ; si on se contente de l'expliquer et de la développer … Mais si on entend
qu'il faut l'enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison
universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les
citoyens incapables de la juger ; … alors c'est une espèce de religion
politique que l'on veut créer ; c'est une chaîne que l'on prépare aux esprits,
et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte
d'apprendre à la chérir. … Il ne s'agit pas de soumettre chaque génération aux
opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de
plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner
par sa propre raison ».
Certes
ce débat n’est pas seulement avec Jean Luc Mélenchon. Il est bien plus vaste
dans l’histoire de la gauche. La Commune de Paris défendait l’idée non de la
République en tant que telle, mais d’une République sociale (là ça
réfère à la discussion sur les classes et le socialisme). Mais, pour La Commune
elle aussi, une République « une et indivisible ». Pourtant sans le
droit des votes des femmes… Dans le même mouvement pourtant qu’elle appelait à
une très décentralisée fédération des Communes. Vieux problèmes, vieilles
questions. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne demeurent pas décisives.
[i] www.frontcommun.fr ; https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/070916/en-2017-faisons-front-commun
[ii] Se référer par
exemple au débat entre Chantal Mouffe et Roger Martelli dont ce dernier rend
compte ici, http://www.regards.fr/web/article/penser-le-populisme
[iii] Fayard, 2014
[iv] Contrairement à ce
qu’on pense souvent, ce n’est nullement le sentiment spontané en France, je
renvoie à http://www.dynegal.org/sites/default/files/focus_de_dynegal1_0.pdf.
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