Jean-Luc Mélenchon est amateur de formules brèves et percutantes,
qui sont sources d’ambiguïtés diverses. La dernière en date concernait
les travailleurs détachés, à propos desquels il a expliqué que s’il
était président, « plus un travailleur détaché n’entrera dans notre
pays ». On peut légitimement s’émouvoir du choix de la formule, dans le
contexte idéologique que nous connaissons. Il s’agit là de l’expression
d’une stratégie politique que nous ne partageons pas. Et il faut bien le
dire, cette recherche fréquente d’une « oreille » populaire dans ce
qu’elle a de potentiellement chauvine, ne nous convient pas.
Aucune ambiguïté en revanche concernant notre rejet du système des
travailleurs détachés, tel qu’il est utilisé depuis quelques années par
l’Union européenne élargie, et que Jean-Luc Mélenchon dénonce à juste
titre, s’attaquant à la directive qui réglemente, en l’espèce, la
déréglementation du droit du travail. Un système qui n’a rien à voir
avec « la libre circulation des travaileurs » qui concerne les
travailleurs immigrés par exemple ou les réfugié-es demandeurs d’asile
de tous pays.
Dumping social
Le système des travailleurs détachés, système prévu à l’origine pour
qu’une entreprise d’un pays X détache temporairement des travailleurs
hautement qualifiés ou très spécialisés dans l’entreprise d’un pays Y
qui en fait la demande, a été totalement perverti, non dans ses règles,
mais dans certaines de ses applications.
C’est le système qui régit beaucoup d’expatrié-es des grandes
entreprises et, dans ce cas, il est très avantageux pour le/la
salarié-e. Mais, il a été détourné dans les secteurs où l’on ne peut pas
délocaliser géographiquement dans les pays low cost, parce qu’on a
besoin de la main d’oeuvre sur place (transports routiers, expositions
temporaires, bâtiments, agriculture des travaux saisonniers), dans
l’unique objectif de pouvoir faire du dumping social.
Ainsi, les travailleurs détachés restent salariés de l’entreprise X
« offrante », dépendent donc du système de protection sociale du pays où
l’entreprise X est installée. Les seules « contraintes » de
l’entreprise Y (« prenante ») sont de faire respecter ses propres règles
en terme de salaire et de durée du travail, et d’assurer le logement.
C’est un prêt de travailleurs en quelque sorte. Et bien opportunément,
des entreprises « X » ont fleuri un peu partout dans les pays où la
protection sociale est minimale, qui « embauchaient » des travailleurs
dans l’unique objet de les détacher, certains donneurs d’ordre ou
grosses entreprises « Y » étant spécialisées dans les filières de ce
qu’il faut bien appeler une entreprise d’esclavagisme, aux conditions
sociales catastrophiques.
Le statut de travailleur détaché fait que les salarié-es restent en
lien de subordination avec l’entreprise « X ». Ils/elles ne peuvent pas
se syndiquer dans l’entreprise « Y », les CHSCT ne peuvent pas contrôler
leurs conditions de travail, ils/elles sont si peu couverts par les
accidents du travail qu’en cas de problème de ce type, ils/elles sont
rapatrié-es sans qu’on ait eu le temps de faire quoi que ce soit. On
entre là dans une situation très régressive avec des conditions de
travail épouvantables, des conditions de logement défiant l’entendement
(certain-es détaché-es dans le transport routier dorment dans les
camions, au mépris de tout règlement sur le temps de travail, et servent
de gardiens de nuit par la même occasion).
Combat syndical
La dénonciation du système des travailleurs détachés (TD) est un
positionnement syndical fort, notamment de la CGT qui a beaucoup fait
sur le chantier de l’EPR de Flamanville pour faire cesser l’utilisation
de TD. Elle a mené un combat de titans, réussissant à démontre la
collusion entre les entreprises « X » et « Y » dans l’utilisation de
travailleurs détachés polonais, qui n’étaient pas couverts en réalité
par la sécurité sociale polonaise, faisant la démonstration d’un travail
dissimulé et faisant condamner l’entreprise Atlanto sans réussir
cependant à « toucher » les grands donneurs d’ordre qui protègent ce
système très lucratif.
« Le conseil des prud’hommes de Cherbourg a condamné la société
d’intérim Atlanco pour non-respect du droit concernant la couverture
sociale des travailleurs détachés en Europe, non-respect de la
réglementation européenne et travail dissimulé, sur le chantier de l’EPR
de Flamanville. Etablie en Irlande, cette société possède de multiples
bureaux en Europe. Les travailleurs polonais du chantier de dépendaient
d’un bureau domicilié à Chypre. Ces mécanos complexes visent à assurer
une rentabilité maximale sur le dos des travailleurs. »1
La revendication de la CGT est, de fait, de supprimer ce statut en
obligeant l’entreprise « Y » à payer les cotisations sociales du
salarié-e, ce qui conduira à en faire un travailleurs migrant
« ordinaire », et donc à supprimer cette forme de « dumping social ». Et
c’est bien comme cela que le débat se pose. On peut (et on doit !) se
battre pour faire régulariser les travailleurs immigrés embauchés
clandestinement, on peut exiger des requalifications, augmentations de
salaires, meilleures conditions de travail pour les salariés immigrés
(même patron, même combat), ce n’est pas possible pour les TD qui sont
globalement détachés d’entreprise à entreprise (dans l’agriculture c’est
même des contrats « travailleurs compris » que des boites spécialisées
proposent aux agriculteurs qui n’ont plus à s’occuper de RIEN).
Les combats syndicaux, comme celui de la CGT à EPR, permettent de
débusquer dans ce système, les entreprises qui, en plus, exagèrent
tellement qu’elles sortent des clous (pourtant très favorables déjà) en
« montant » un meccano d’entreprises bidons, écran de fumée de pratiques
d’embauche massives de TD.
Beaucoup de spécialistes ont longuement démontré que c’était pour
éviter d’embaucher des demandeurs d’emploi locaux, ce qu’ils auraient
été obligés de faire (donc au tarif normal) que les donneurs d’ordre ont
privilégié l’utilisation abusive du système du travail détaché. Les
grands chantiers sont devenus des spécialistes de ces pratiques
moyennâgeuses. Comme ce sont des lieux à fort risque d’accident du
travail, c’est d’autant plus insupportable pour le respect des droits
des travailleurs.
Un débat à l’échelle de l’UE
L’enjeu dans l’UE est simple : vous avez un avis contre le système du
travailleurs détaché, vous arrivez au gouvernement et vous voulez
convaincre l’UE de renoncer à ce système ou, si vous êtes plus
« réformistes », mettre des conditions telles au travail détaché qu’il
devient moins intéressant pour le patronat des deux entreprises
concernées. Par exemple, pas plus de 6 mois de détachement, un
travailleur qui est régulièrement embauché dans son entreprise d’origine
« X » depuis un certain temps pour justifier l’utilisation du système
du détachement temporaire pour ses qualifications spécifiques, pas de TD
s’il n’est pas d’abord prouvé par l’entreprise détachante « X » que
le/la salarié-e est bien couvert-e par elle par un système de protection
sociale complet, etc...
Rien de tout cela n’est possible. Votre point de vue ne sera jamais
adopté, les pays « détachant » en particulier s’y opposeront, c’est leur
droit et vous n’y pouvez rien juridiquement parlant. Vous ne pouvez
donc pas faire appliquer votre positionnement, vous ne pouvez pas
l’imposer à l’UE, les TD continuent de venir massivement dans certains
secteurs aux conditions fixées par l’UE qui a débouté tous les pays qui
ont tenté de passer outre les règles libérales fixées. Les
jurisprudences sont toutes défavorables en l’espèce.
C’est donc un enjeu majeur, qui permet de poser plus généralement la question des politiques menées par l’UE. 2
Jean-Luc Mélenchon s’est donné la peine à plusieurs reprises, en tant que député européen, d’expliquer de quoi il s’agissait.3
Nous avons tout intérêt à bien spécifier ce qui relève de cette
directive européenne, à l’instar du combat que nous avons mené en son
temps, contre la directive Bokelstein, sans nous laisser intimider. Les
libéraux aiment aussi entonner l’air de la liberté de circulation et du
rejet des formes de chauvinisme des travailleurs locaux, pour justifer
ces directives qui cassent le droit du travail. Notre positionnement
critique à l’égard des formules employées par Mélenchon n’en sera que
plus efficace.
Hélène Viken.
1 http://www.cgt-gironde.org/conquetes-sociales-libertes-syndicales/126-de...
2 http://construction.cgt.fr/wordpress/wp-content/uploads/alternativesecon...
3 http://melenchon.fr/2016/03/22/lutte-contre-directive-travailleurs-detac...
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