lundi 17 octobre 2016

Sur les travailleurs détachés, par Hélène Viken (Ensemble!)

Jean-Luc Mélenchon est amateur de formules brèves et percutantes, qui sont sources d’ambiguïtés diverses. La dernière en date concernait les travailleurs détachés, à propos desquels il a expliqué que s’il était président, « plus un travailleur détaché n’entrera dans notre pays ». On peut légitimement s’émouvoir du choix de la formule, dans le contexte idéologique que nous connaissons. Il s’agit là de l’expression d’une stratégie politique que nous ne partageons pas. Et il faut bien le dire, cette recherche fréquente d’une « oreille » populaire dans ce qu’elle a de potentiellement chauvine, ne nous convient pas.


Aucune ambiguïté en revanche concernant notre rejet du système des travailleurs détachés, tel qu’il est utilisé depuis quelques années par l’Union européenne élargie, et que Jean-Luc Mélenchon dénonce à juste titre, s’attaquant à la directive qui réglemente, en l’espèce, la déréglementation du droit du travail. Un système qui n’a rien à voir avec « la libre circulation des travaileurs » qui concerne les travailleurs immigrés par exemple ou les réfugié-es demandeurs d’asile de tous pays.

Dumping social

Le système des travailleurs détachés, système prévu à l’origine pour qu’une entreprise d’un pays X détache temporairement des travailleurs hautement qualifiés ou très spécialisés dans l’entreprise d’un pays Y qui en fait la demande, a été totalement perverti, non dans ses règles, mais dans certaines de ses applications.

C’est le système qui régit beaucoup d’expatrié-es des grandes entreprises et, dans ce cas, il est très avantageux pour le/la salarié-e. Mais, il a été détourné dans les secteurs où l’on ne peut pas délocaliser géographiquement dans les pays low cost, parce qu’on a besoin de la main d’oeuvre sur place (transports routiers, expositions temporaires, bâtiments, agriculture des travaux saisonniers), dans l’unique objectif de pouvoir faire du dumping social.

Ainsi, les travailleurs détachés restent salariés de l’entreprise X « offrante », dépendent donc du système de protection sociale du pays où l’entreprise X est installée. Les seules « contraintes » de l’entreprise Y (« prenante ») sont de faire respecter ses propres règles en terme de salaire et de durée du travail, et d’assurer le logement. C’est un prêt de travailleurs en quelque sorte. Et bien opportunément, des entreprises « X » ont fleuri un peu partout dans les pays où la protection sociale est minimale, qui « embauchaient » des travailleurs dans l’unique objet de les détacher, certains donneurs d’ordre ou grosses entreprises « Y » étant spécialisées dans les filières de ce qu’il faut bien appeler une entreprise d’esclavagisme, aux conditions sociales catastrophiques.

Le statut de travailleur détaché fait que les salarié-es restent en lien de subordination avec l’entreprise « X ». Ils/elles ne peuvent pas se syndiquer dans l’entreprise « Y », les CHSCT ne peuvent pas contrôler leurs conditions de travail, ils/elles sont si peu couverts par les accidents du travail qu’en cas de problème de ce type, ils/elles sont rapatrié-es sans qu’on ait eu le temps de faire quoi que ce soit. On entre là dans une situation très régressive avec des conditions de travail épouvantables, des conditions de logement défiant l’entendement (certain-es détaché-es dans le transport routier dorment dans les camions, au mépris de tout règlement sur le temps de travail, et servent de gardiens de nuit par la même occasion).

Combat syndical

La dénonciation du système des travailleurs détachés (TD) est un positionnement syndical fort, notamment de la CGT qui a beaucoup fait sur le chantier de l’EPR de Flamanville pour faire cesser l’utilisation de TD. Elle a mené un combat de titans, réussissant à démontre la collusion entre les entreprises « X » et « Y » dans l’utilisation de travailleurs détachés polonais, qui n’étaient pas couverts en réalité par la sécurité sociale polonaise, faisant la démonstration d’un travail dissimulé et faisant condamner l’entreprise Atlanto sans réussir cependant à « toucher » les grands donneurs d’ordre qui protègent ce système très lucratif.

« Le conseil des prud’hommes de Cherbourg a condamné la société d’intérim Atlanco pour non-respect du droit concernant la couverture sociale des travailleurs détachés en Europe, non-respect de la réglementation européenne et travail dissimulé, sur le chantier de l’EPR de Flamanville. Etablie en Irlande, cette société possède de multiples bureaux en Europe. Les travailleurs polonais du chantier de dépendaient d’un bureau domicilié à Chypre. Ces mécanos complexes visent à assurer une rentabilité maximale sur le dos des travailleurs. »1

La revendication de la CGT est, de fait, de supprimer ce statut en obligeant l’entreprise « Y » à payer les cotisations sociales du salarié-e, ce qui conduira à en faire un travailleurs migrant « ordinaire », et donc à supprimer cette forme de « dumping social ». Et c’est bien comme cela que le débat se pose. On peut (et on doit !) se battre pour faire régulariser les travailleurs immigrés embauchés clandestinement, on peut exiger des requalifications, augmentations de salaires, meilleures conditions de travail pour les salariés immigrés (même patron, même combat), ce n’est pas possible pour les TD qui sont globalement détachés d’entreprise à entreprise (dans l’agriculture c’est même des contrats « travailleurs compris » que des boites spécialisées proposent aux agriculteurs qui n’ont plus à s’occuper de RIEN).

Les combats syndicaux, comme celui de la CGT à EPR, permettent de débusquer dans ce système, les entreprises qui, en plus, exagèrent tellement qu’elles sortent des clous (pourtant très favorables déjà) en « montant » un meccano d’entreprises bidons, écran de fumée de pratiques d’embauche massives de TD.

Beaucoup de spécialistes ont longuement démontré que c’était pour éviter d’embaucher des demandeurs d’emploi locaux, ce qu’ils auraient été obligés de faire (donc au tarif normal) que les donneurs d’ordre ont privilégié l’utilisation abusive du système du travail détaché. Les grands chantiers sont devenus des spécialistes de ces pratiques moyennâgeuses. Comme ce sont des lieux à fort risque d’accident du travail, c’est d’autant plus insupportable pour le respect des droits des travailleurs.

Un débat à l’échelle de l’UE

L’enjeu dans l’UE est simple : vous avez un avis contre le système du travailleurs détaché, vous arrivez au gouvernement et vous voulez convaincre l’UE de renoncer à ce système ou, si vous êtes plus « réformistes », mettre des conditions telles au travail détaché qu’il devient moins intéressant pour le patronat des deux entreprises concernées. Par exemple, pas plus de 6 mois de détachement, un travailleur qui est régulièrement embauché dans son entreprise d’origine « X » depuis un certain temps pour justifier l’utilisation du système du détachement temporaire pour ses qualifications spécifiques, pas de TD s’il n’est pas d’abord prouvé par l’entreprise détachante « X » que le/la salarié-e est bien couvert-e par elle par un système de protection sociale complet, etc...
Rien de tout cela n’est possible. Votre point de vue ne sera jamais adopté, les pays « détachant » en particulier s’y opposeront, c’est leur droit et vous n’y pouvez rien juridiquement parlant. Vous ne pouvez donc pas faire appliquer votre positionnement, vous ne pouvez pas l’imposer à l’UE, les TD continuent de venir massivement dans certains secteurs aux conditions fixées par l’UE qui a débouté tous les pays qui ont tenté de passer outre les règles libérales fixées. Les jurisprudences sont toutes défavorables en l’espèce.

C’est donc un enjeu majeur, qui permet de poser plus généralement la question des politiques menées par l’UE. 2

Jean-Luc Mélenchon s’est donné la peine à plusieurs reprises, en tant que député européen, d’expliquer de quoi il s’agissait.3

Nous avons tout intérêt à bien spécifier ce qui relève de cette directive européenne, à l’instar du combat que nous avons mené en son temps, contre la directive Bokelstein, sans nous laisser intimider. Les libéraux aiment aussi entonner l’air de la liberté de circulation et du rejet des formes de chauvinisme des travailleurs locaux, pour justifer ces directives qui cassent le droit du travail. Notre positionnement critique à l’égard des formules employées par Mélenchon n’en sera que plus efficace.

Hélène Viken.

1 http://www.cgt-gironde.org/conquetes-sociales-libertes-syndicales/126-de...
2 http://construction.cgt.fr/wordpress/wp-content/uploads/alternativesecon...
3 http://melenchon.fr/2016/03/22/lutte-contre-directive-travailleurs-detac...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire