vendredi 28 octobre 2016

De retour de l’ONU, par Jean-Luc Mélenchon

Où donner du clavier ? Pourtant ces jours-ci je suis intervenu dans trois vidéos, une conférence et un discours à l’ONU à Genève. On peut me trouver trop prolixe. D’ailleurs je dispose dorénavant d’un nouveau canal d’expression rapide avec ma chaîne YouTube. Je cours au plus enthousiasmant. 

Grâce à la Wallonie, un évènement aussi ample par ses conséquences que le Brexit vient de se produire. Le rejet de l’accord de libre-échange avec le Canada.  J’en dis un mot ici avant de revenir sur la convention de « la France insoumise » et ensuite sur une mesure en particulier pour commencer une série dans ce registre : le droit de vote à seize ans. Je dis aussi quelques mots d’un livre: « le Monde libre ». Un reportage au cœur du principal égout de la « gôche » : sa presse. Un document à couper le souffle !


Sinon question horoscope, ma cote est bonne. Les courbes se sont stablement croisées entre le PS et moi dans les « enquêtes d’opinion ». Je crois à la valeur d’injonction de telles publications. Dès lors il est remarquable de voir comment la « gôche » et ses commensaux n’en sont que plus alarmés. Leur mot d’ordre : « n’importe qui sauf Mélenchon ». On voit ce qui reste de l’honnêteté de l’argument du « vote utile », du rassemblement autour du « mieux placé » et blabla ! C’est seulement à leur profit que tout cela est évoqué : CQFD. 

Quoi qu’il en soit, leur quête de la candidature providentielle va vite trouver sa limite dans le marécage des égos. Et on va vite voir que ça ne suffira pas pour en finir avec ce dont je suis pour l’instant le nom : le dégoût général pour la bande d’imposteurs qui occupe le pouvoir et ses allées depuis cinq ans. Il monte de tous les secteurs du peuple et des élites décentes. L’inversion de cette courbe du mépris n’est pas pour demain.


Le rejet du traité de libre commerce avec le Canada (CETA) par la majorité de l’assemblée wallonne est un évènement fondateur. Il fait franchir un seuil à l’histoire de l’Union européenne après le Brexit. Il illustre si bien ce qui travaille en profondeur l’opinion progressiste européenne. Ce rejet et le refus de céder des Wallons face aux pressions est aussi considérable que l’avait été en son temps les « non » français et néerlandais au traité constitutionnel de 2005.

Dans son effet immédiat, on voit clair : c’est le rejet du traité. Dans sa portée : à cette occasion, le vote est celui du cœur de la social-démocratie européenne la plus traditionnelle. Le PS belge n’est pas le Parti de gauche. C’est donc un signal qui aura des suites. En Belgique, le suicide eurolâtre de la gauche traditionnelle semble au point d’arrêt. Autre conséquence inévitable : une nouvelle fois, la volonté du peuple va être bafouée. Car les eurocrates veulent le traité. Ils le veulent absolument. Ils vont donc user des moyens de violences, tromperies, arguties et chantages qui leurs sont devenus dorénavant coutumiers. Ultimatums grossiers, litanies de récitations bien pensantes, tout y passe. Des menaces, ils passeront aux actes. Le chef du groupe des libéraux au Parlement européen, Guy Verhofstadt, un vociférant belge réactionnaire, a été prompt et clair : retirer aux nations le pouvoir de décision et le réserver au seul niveau européen. Paul Magnette, le Belge socialiste a répondu avec humour en tweet : « dommage que les pressions sur ceux qui empêchent des mesures contre la fraude fiscales ne soient pas aussi intenses ».

On peut donc penser qu’avec le spectacle de ces méthodes de brutes, notre travail va être facilité en France. De plus, une nouvelle fois, le PS français est du mauvais côté alors qu’un nombre croissant de ses membres et de ses électeurs a déjà fait leur deuil du discours euro-béat traditionnel. Car les gesticulations du PS contre le TAFTA ne s’étendaient pas au cas du CETA. Au contraire, le PS le trouvait très convenable. Les frondeurs étaient d’une discrétion amandine (« non, écoute on ne peut pas tout critiquer ! On est déjà contre le Tafta »). Que le coup d’arrêt vienne de leurs aimables homologues belges ne fait que mieux voir la lâcheté ordinaire de tout ce petit monde et de l’équipe gouvernementale de Hollande en particulier. Il montre par contraste tout ce que le PS aurait pu faire jusqu’à ce jour si ses élus avaient été fidèles à leur mandat !


De même, le silence du gouvernement Tsipras montre ce que vaut la stratégie de soutien aveuglé du PGE (le parti de gauche européenne présidé par Pierre Laurent). On peut donc penser aussi que le mauvais coup que préparent les eurocrates sera totalement visible pour le grand nombre des Français et augmentera en proportion le dégoût et le rejet pour ce système. Le nombre de ceux qui vont encore comprendre ce qu’est devenu « le rêve européen », « l’Europe qui nous protège » «les pères fondateurs » et autres sornettes misérables des euro-bêlants. Dès lors, le terrain sera plus meuble pour nos semailles.

J’ajoute que dans le contexte, nous ne devons pas nous limiter à critiquer la mécanique de la violence de l’eurocratie et de sa dictature de fait. Il s’agit d’aller sans cesse sur le fond du problème posé : les conséquences de la financiarisation du monde sur l’ordre politique, écologique et social. Et le faire positivement : on peut agir et gouverner autrement. Le procès de notre époque dominée par le libre-échange et la transnationalisation du capitalisme doit s’ouvrir sur des perspectives concrètes. Tous les points d’appui nous sont utiles non seulement pour faire comprendre le désastre annoncé mais davantage encore pour faire avancer vers les points d’appui pour agir autrement. C’est dans cet esprit que je me suis emparé du soutien au mandat de l’ONU pour un traité qui oblige les multinationales et transnationales à respecter « et protéger » les droits humains.

Ainsi, lundi 24 octobre je me trouvais à Genève pour participer à la deuxième session du groupe de travail de l’ONU qui prépare ce traité. Dans le jargon de la diplomatie on dit « un cadre juridique contraignant » pour « traité contraignant». J’userai donc aussi de ce terme et je prie qu’on excuse d’avance les restes dans ma manière de dire qui témoigneront d’une longue journée d’immersion dans le bain de l’ONU.

J’ai déjà évoqué ce traité dans plusieurs de mes discours, textes et vidéos. Mais je sais que l’attention n’est pas accrochée. J’ai l’habitude. J’ai commencé tout seul la bataille contre le TAFTA en 1997, juste un an après que le premier vote sur le sujet soit intervenu au Parlement  européen. J’étais encore seul du « Front de gauche » de l’époque à l’inscrire dans mon programme pour les élections  européennes de 2009. S’il en est ainsi, c’est que les questions de politiques internationales sont longues à pénétrer l’espace politique en France. Elles doivent franchir le double barrage de la servilité et de l’ignorance médiatique. Sur la scène officielle en effet, toute l’attention est polarisée par les romans médiatiques des guerres des méchants contre les gentils, ici et là dans le monde, selon l’endroit où campe l’armée nord-américaine, « la coalition », « les alliés », « la communauté internationale » et autres litotes serviles du vocabulaire des services politiques des médias officiels.

Dans le cas de ce traité, « les alliés » ont été vent debout. Les États-Unis ont été pris de court alors qu’ils étaient parvenus à rendre inopérante, pendant quarante ans, toute tentative de parvenir à un quelconque accord concernant les multinationales. Comme beaucoup d’autres ils pensaient que l’initiative prise par l’Équateur (pays méchant) et l’Afrique du Sud (pays suspect) serait immédiatement ensablée. Patatras : une majorité a été réunie. L’Union européenne (gentils) a pourtant voté contre le mandat donné au groupe de travail. La France (zélée ex-suspecte) s’est donc trouvée impliquée dans le vote négatif. Puis les États-Unis et l’Union européenne ont essayé de faire élire un Portugais à la tête du groupe de travail contre la candidature de Maria Fernanda Espinoza proposée par l’Afrique du Sud et l’Équateur. Ensuite, dès la première réunion à Genève, les USA ont mis en cause la présidente et quitté la salle, suivis par l’Union européenne. La France (zélée mais suspecte) est restée comme « observatrice ». Depuis, l’Union européenne est revenue à la table et la France jappe avec joie autour des jambes des faces de pierre de la Commission revenues pour saboter de l’intérieur le processus. On va voir comment.

Les Européens et les Français à leur suite militent pour étendre le traité aux « autres entreprises ». Bref un débordement par la gauche du processus. En fait : un véritable sabotage. Car aucun traité mondial obligeant toutes les entreprises du monde de toutes tailles ne peut naturellement être conclu. Tout le monde le comprend. Mais le représentant de l’Union, fort contrarié de me voir là, a pourtant qualifié de « tromperie » l’horizon fixé par le mandat si la discussion tentait d’y aboutir. Il est particulièrement cynique de voir l’Union européenne, qui s’interdit a elle-même toute harmonisation sociale, la prôner pour le monde entier. Et il l’est tout autant de voir la diplomatie d’un gouvernement qui a fait la loi El Khomri marcher à sa suite.
J’en reste là. Il y avait deux insoumis à la tribune ce jour-là dans le panel des « conférenciers » dans lequel je me trouvais : Susan Georges et moi… On peut écouter son propos sur le site de l’ONU. Mon argumentation a été filmée. Elle est disponible sur ma chaîne YouTube. Vous avez déjà été nombreux à m’accompagner à cette occasion. Il faut retenir ici qu’une tentative est en cours. Elle vaut la peine d’être soutenue activement car elle est un point d’appui pour un discours positif sur l’alternative au libre échange sur le mode anti écologique et social de la concurrence libre et non faussée.

La Convention des Insoumis à Lille a été un défi relevé de haute main. Vu de l’extérieur on ne se représente pas facilement ce qu’est un évènement de cette nature. Il y avait les difficultés habituelles de toute réunion en nombre : salle, transports hébergements, organisation et tenue d’un déroulé des travaux. Il s’y ajoutaient ici toutes les exigences particulières de la vie d’un mouvement politique naissant. Et surtout d’un mouvement qui n’est pas un parti et ne veut pas l’être. Sachez que rien dans ce qui fut fait ne le fut hors du cadre de la théorie de la révolution citoyenne telle que j’en ai résumé les grands traits dans « l’ère du peuple ». « Le peuple en réseau » était préfiguré par le travail collectif du Mouvement ce jour-là, comme dans l’ancien temps le « parti de classe » était censé préfigurer « la classe » en action.

Les onze heures de télévision en direct sur internet (sans un seul pro de la télé pour nous aider) montrant d’un bout à l’autre les lieux, les personnes et les travaux, la présence simultanée des tweets et sms pendant les interventions visibles dans la salle, les votes en ligne avec leurs pics et leur creux, les sept mille personnes présentes en ligne aux moments cruciaux, tout correspondait à cette idée d’un mouvement « sans bord ». Nous le découvrions en même temps que nous l’animions.

Volontairement retranché pendant toute la durée du samedi pour ne pas fausser le sens de ce qui était donné à voir, j’ai suivi sur un écran comme plusieurs milliers de personnes le déroulement des prises de paroles et témoignages. J’y voyais la concrétisation de ce « parti sans murs »  que je voyais déjà dans les assemblées contre la constitution européenne. Je le dis avec l’espoir que ces questions de fond, théoriques d’abord puis tout de suite très pratiques, parviennent à percer le blindage de l’indifférence parfois sarcastique de tant de personnes qui ne se rendent souvent plus compte qu’elles sont restées coincées dans un glacis mental pétrifié au siècle précédent.

Dans la dispute sur ma candidature je suis frappé de voir que les causes du succès de notre campagne actuelle ne sont jamais analysés. Jamais il n’est supposé que nous soyons en train de mettre en œuvre un mode d’action précis en relation avec une pensée théorique. Jamais il n’est observé comment nous nous y prenons. Ni pourquoi et comment les réseaux sociaux sont davantage pour nous qu’un truc de communication. Je regrette les débats dont je suis ainsi privé. Mais je ne me lamente pas. On ne peut contrer ce qu’on ne comprend pas. Je ricane en pensant à tous les gargarismes de ceux qui prononçaient naguère en un seul mot « podemossyriza » et s’émerveillaient de la queue de cheval de Pablo Iglesias comme emblème d’une décontraction qui ne serait jamais la mienne. Ceux-là se lancèrent ensuite au débotté dans toutes sortes d’improvisations numériques comme si l’outil pouvait remplacer la pensée, la ligne et la volonté ! Leur noyade successive dans un basisme morbide et une suite de déroutes drôlatiques ont conclu l’égarement et la supercherie qui s’y trouvait incrustée.

Je me faisais encore la remarque ce soir-là, à la maison de l’Amérique latine à l’ouverture du dialogue organisé par « mémoire des luttes » entre Chantal Mouffe et moi sur le thème du « populisme de gauche ». Salle comble. Huit cent inscrits en deux heures, six cent refus à opposer ! 

Mais où était la fine fleur de ceux qui me flétrissent sur ce thème à longueur d’années, éditocrates et grands innovateurs de tous acabits ? Et les admirateurs de « podemossyriza » qui aurait pu voir de leurs yeux et entendre de leurs oreilles Chantal Mouffe, la figure de proue avec laquelle Inigo Erejon, le penseur de la transversalité populiste dans Podemos, a fait un  livre !

Quelle époque ! Ces gens ne s’intéressent à rien dès qu’il faut faire un effort. Je peux dormir tranquille. Tout leur sera toujours une surprise. Pour l’instant ils cherchent une candidature providentielle pour sauver…, sauver quoi déjà ? Peu importe qui, peu importe quand,  du moment que ce n’est pas Mélenchon. Surtout que Mélenchon c’est devenu un programme en plus de sa détestable personne ! Il faudrait réfléchir, discuter que sais-je encore au lieu de se répartir les circonscriptions et faire des phrases avec « la dynamique du rassemblement sur un socle minimum ». L’horreur, quoi ! Alors que l’essentiel, comme l’aurait dit un immense chef du PS c’est de « pouvoir raconter une belle histoire », si l’on en croit le journal « les InRock ». La belle histoire nous l’écrivons mètre par mètre, par la contagion de l’insoumission sur le terrain.

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Le cœur de la Convention de la France insoumise, c’était le programme. Les conventionnels ont donc officiellement proposé dans une adresse « au peuple français » le programme L’Avenir en commun. C’est le fruit d’un long travail d’élaboration collective. C’est aussi une étape car le chemin se poursuit pour préciser et illustrer dans nombre de domaines particuliers. La rédaction d’une quarantaine de livrets sur des thèmes différents est programmée. En conclusions des travaux, il fut proposé aux insoumis de sélectionner des mesures significatives pour susciter l’envie d’en savoir plus sur notre projet. Il ne faut pas croire que ce soit le plus simple ni le plus consensuel de procéder à ce genre de recollement. Un parti y aurait vu naître au moins trois tendances sur le sujet. 12 000 votants se sont mobilisés au cours des vingt heures où le vote fut ouvert. 


Le résultat de ce vote confirme surtout une grande communauté de perception de la part des votants. C’est un bon signe si l’on tient compte que l’homogénéisation politique du mouvement est pour lui un processus au long cours.

Avant la réunion, le programme l’Avenir en commun a été soumis au vote et approuvé, chapitre par chapitre, lors d’un vote numérique avant la Convention de Lille. 77 038 insoumis ont participé à ce vote sur le site jlm2017.fr. Chacun des sept chapitres a été validé par 90 à 95% des votes. Après sept mois de préparation collective, c’est une belle preuve que l’accord entre nous vient de loin et qu’il est très large sur ce qu’il convient de faire. Je n’en suis pas surpris. J’ai toujours pensé que nous savions interpréter le fond politique commun de la résistance intérieure de notre pays telle qu’elle s’est dégagée à partir de l’action des altermondialistes puis du référendum de 2005 et dont notre score à la présidentielle de 2012 a été la première expression politique électorale. 

Mais le vote a été aussi une belle récompense, humaine et politique, pour le travail sérieux et patient de l’équipe chargée de l’élaboration du programme sous la responsabilité de la juriste Charlotte Girard  et de l’économiste Jacques Généreux. Ce travail qu’oublient toujours tant de donneurs de leçons qui font des phrases sur « le programme d’abord » et ne font strictement rien d’autre que de le répéter avant de se réserver le droit de critiquer tout ce qui a été produit. Nous sommes tellement bien, désormais, loin de ces aigres pratiques bavardes et destructrices. Notre signe distinctif : ils parlent de collectif, nous le faisons.

Nous sommes repartis de L’Humain d’abord, le programme de 2012. Certes, il avait été rédigé par dix personnes en un mois et demi et surtout deux à la fin. Mais il fut vendu à 500 000 exemplaires et manié par des millions de gens. Il recueillit quatre millions de suffrages. Pour celui-ci, que de chemin parcouru, que de rédactions successives, depuis le 10 février ! Songez aux 3000 contributions des insoumis et insoumises. Toutes ont été lues et travaillées par des militants et des experts et non par un institut de sondage.

 Deux synthèses ont été rendues disponibles en ligne. De nombreuses propositions y ont été piochées. Pensez aux 18 auditions programmatiques organisées avec des universitaires, des syndicalistes, des lanceurs d’alertes. Elles sont visibles sur internet pour la plupart. Si quelques-unes ont été réalisées à huis clos, c’est à la demande des personnes auditionnées. Pensez aux quatorze personnes référentes par chapitre qui ont rédigé au fil du temps. Pensez aux camarades qui ont passé des heures à filmer puis à monter les vidéos qui vous permettent à cette heure de profiter de ces moments d’éducation populaire ! Prenez en compte aussi les auditions des groupes politiques qui appuient ma candidature. Ce sont des heures de lectures, de discussions, de réflexion pour aboutir à ce résultat.

Finalement, le document a été approuvé par les insoumis, et ratifié par la Convention de Lille sous la forme d’une adresse. Ce programme sera publié sous la forme d’un petit livre. Le prix sera de 3 euros et la parution est prévue au début du mois de décembre. Vous pouvez déjà prévoir d’en offrir quelques-uns à la fin de l’année ! Pour dire vrai, la date de parution et le prix sont d’ailleurs prévus pour ça.

Mais le travail programmatique de la France insoumise ne s’arrête pas. Il va se poursuivre d’au moins deux façons. Il y aura des « livrets thématiques » chargés de détailler un programme complet dans un secteur. Il y aura aussi des « ateliers législatifs » pour rédiger les propositions de loi que nous ferons voter. Le but de ces deux chantiers est de nous préparer à gouverner et de dresser le plan de travail d’un futur gouvernement « insoumis ». Il est aussi de former une base populaire vigilante, instruite et motivée dans chaque secteur dans lequel la nouvelle politique se déploiera. Une quinzaine de ces livrets thématiques est déjà mise en chantier. Le premier a été publié en ligne à l’occasion de la Convention. Il présente notre plan détaillé pour construire « une agriculture écologique et paysanne pour une alimentation de qualité ».

L’ensemble de la production de ces livrets est coordonnée par Danielle Obono et Laurent Levard. Une très rude tâche ! Pour chacun des quinze premiers livrets, le binôme d’animateur du travail est connu et une adresse email de contact a été créée pour proposer son aide ou envoyer des idées et compléments au programme l’Avenir en commun. Les thèmes et les contacts sont accessibles sur une page dédiée sur le site jlm2017.fr.


Comme vous le savez, donc, le programme L’Avenir en Commun a été adopté par la Convention de « la France insoumise » à Lille. Il contient 350 mesures à cette étape. Elles forment la trame cohérente d’une transition de modèle de société que les livrets vont détailler.

Pour autant, dès maintenant, plusieurs propositions mériteront des mises en perspectives pour être bien comprises et expliquées autour de nous. Il me parait important de faire le clair sur chaque point, même si je sais bien que l’appui à ma candidature ne vaut pas approbation à 100 % de tout ce que contient le programme. Pour autant, je voudrais que soient bien compris, dans leur lien à la cohérence générale du programme, les points qui à première vue peuvent être considéré comme accessoires ou sans impact global.

Ainsi quand le programme propose l’ouverture du droit de vote à partir de 16 ans et non plus 18 ans comme aujourd’hui. Je voudrais placer cette proposition dans son intention au sens large. En effet, notre programme vise l’élargissement général de la citoyenneté. Il le fait avec des mesures multiples, par des entrées très diverses. Par exemple avec le référendum révocatoire mais aussi avec la création de nouveaux droits pour les salariés dans l’entreprise ou pour la défense de l’écosystème. Mais le droit de vote à 16 ans est un enjeu politique particulier. Il vise à reformater le champ politique. Il s’agit de modifier le poids politique de la jeunesse dans la société. Il est relégué aujourd’hui. Déjà, dans les faits.

D’un point de vue démographique, le nombre de personnes âgées augmente de façon continue. Et donc aussi dans le corps électoral. Parmi les électeurs inscrits, seulement un sur six avait plus de 60 ans en 1960. C’était encore à peine plus d’un sur cinq en 2007. Et en 2012 ? C’était plus d’un électeur inscrit sur trois ! À cette surreprésentation, il faut ajouter un facteur politique. Toutes les études montrent que les personnes âgées participent plus que les autres aux élections. C’était par exemple le cas en 2012 avec une participation de 87% chez les plus de 60 ans selon l’institut de sondage IPSOS au deuxième tour de la présidentielle, contre 80% en moyenne tous âges confondus. 

Et le même phénomène se produit aussi aux élections locales : plus 76% de participations chez les « seniors » aux municipales de 2014 contre 61% tous âges confondus. En 2017, on estime qu’un votant sur deux à la présidentielle aura plus de 60 ans ! Cette réalité a des causes mal étudiées. On y trouve sans doute un mélange d’attachement historique à la démocratie conçue comme un enjeu fragile pour les plus anciens. Mais aussi un effet de la stabilité matérielle et personnelle qui limiterait la mal-inscription sur les listes électorales. Sans oublier les leviers du clientélisme qui fonctionnent très fortement dans certains établissements réservés aux personnes âgées.

Quoi qu’il en soit, ce double phénomène, démographique et politique, expulse la jeunesse des enjeux de l’élection. Et ce n’est pas sans conséquence très directe. Voyez les candidats à la primaire de droite : ils sont tous à la conquête des retraités car ils formeront la majorité des électeurs de la primaire de la droite si on en croit les sondages. Il n’est donc pas étonnant que le report de l’âge de la retraite soit promis par tous. Il s’agit de promettre de garantir le bon paiement des pensions en parlant à une majorité de gens qui bénéficieront de la punition des autres ! Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que tant de candidats et dirigeants politiques ignorent tout simplement la jeunesse en se limitant à quelques formules incantatoires très générales. La jeunesse ne pèse pas grand-chose électoralement.

L’abaissement du droit de vote à 16 ans vise donc à rétablir un équilibre rompu entre le gout du futur et le goût du présent. Le but n’est pas seulement de provoquer un débat. Il est de rajeunir le corps électoral et de donner une importance politique à la jeunesse. Abaisser le droit de vote à 16 ans, c’est ajouter environ 1,5 millions d’électeurs supplémentaires potentiels. Couplé au vote obligatoire que je propose également, c’est faire entrer des millions de bulletins de vote de jeunes gens dans les élections !

Le droit de vote à 16 ans n’est pas une idée originale si originale qu’il peut y paraître. Il est déjà à l’œuvre dans plusieurs pays. Par exemple au Brésil, en Équateur ou en Argentine. Mais aussi, plus près de nous géographiquement, en Écosse où il a été appliqué pour le référendum d’indépendance de 2014. Il existe aussi en Allemagne, dans plusieurs Länder soit pour les élections locales soit pour les élections locales et régionales. 

De plus, le droit de vote à 16 ans ne crée pas un nouveau seuil d’âge soudain et inconnu dans notre droit. Car à 16 ans, on a déjà beaucoup de droits et de devoirs. A 16 ans, on peut ainsi être émancipé de la tutelle de ses parents. On peut d’ailleurs exercer soi-même l’autorité parentale si on a un enfant. C’est donc que la loi estime qu’on est assez âgé pour décider ce qui est bon pour soi et pour son enfant, non ? Alors pourquoi pas pour ce qui est bon pour tous ?
 
Ce n’est pas tout. À 16 ans, on peut déjà travailler. C’est le cas de nombreux jeunes, notamment parmi les milieux populaires. Ils payent donc des cotisations et des impôts. Pourquoi n’auraient-ils pas le droit de participer à la décision sur l’usage qui est fait de cet argent ? D’autant que lorsqu’on travaille, on peut aussi voter pour les élections professionnelles dans son entreprise, même à 16 ans. J’en profite pour pointer du doigt la volonté commune du MEDEF, de Mme Le Pen et de Nicolas Sarkozy. Ils veulent autoriser l’apprentissage dès 14 ans : les jeunes envoyés au turbin plus tôt mais sans droits citoyens. L’Avenir en commun veut qu’ils soient reconnus comme des citoyens plus jeunes.

Comme elles ont été évoquées par des amis sincères, je veux écarter des craintes infondées. L’âge du droit de vote n’entraine pas nécessairement de modification de l’âge d’autres droits et devoirs. Abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans ne signifie donc pas qu’on soit d’accord pour juger une personne de 15 ans comme on jugerait quelqu’un de 18 ans. C’est Nicolas Sarkozy qui a permis que des mineurs soient jugés comme des majeurs, et j’étais contre.

Mais à notre tour de poser la question : pourquoi ne pourrait-on pas faire l’inverse en donnant le droit de vote à 16 ans et en rétablissant le droit d’être jugé différemment jusqu’à 18 ans ? D’ores et déjà personne n’est jugé sans prise en considération du contexte et de l’état mental en général et au moment des faits incriminés. C’est alors un parcours individualisé de la responsabilité qui serait défini pour les majeurs en lien avec l’âge. La loi peut ce qu’elle veut dans le cadre de principe du respect des droits de l’homme, non ?

Il en va de même pour l’éducation. Abaisser le droit de vote à 16 ans ne signifie pas non plus que qu’on renonce à élargir la scolarisation obligatoire jusqu’à 18 ans. Cette mesure figure aussi dans le programme L’Avenir en commun. Et déjà aujourd’hui, il est fréquent de trouver aux lycées des jeunes gens ayant le droit de vote, soit qu’ils aient redoublé au cours de leur scolarité, soit simplement qu’ils soient nés en début d’année.

Ces différences sont tout à fait possibles. D’ailleurs, le droit électoral actuel admet même une différence en matière de citoyenneté. À 18 ans, vous pouvez aujourd’hui voter à toutes les élections. Mais vous ne pouvez pas être candidat aux élections sénatoriales puisqu’il faut être âgé de 24 ans. Pourquoi cette exigence d’âge serait-elle valable aujourd’hui pour exclure les jeunes d’un droit, et pas demain pour instaurer un accès progressif à la pleine majorité civile et pénale commençant par le droit de vote à 16 ans et se poursuivant ensuite jusqu’à 18 ans ? J’admets évidemment que tout cela se discute. J’y suis préparé. Grâce à mon âge, j’ai toutes fraîches en mémoire les mêmes objections et réponses que l’on faisait quand on demandait la majorité a 18 ans plutôt qu’à 21 comme elle se trouvait. Et à l’époque les garçons étaient mobilisables à 18 ans pour aller à l’armée…


J’ai commencé à lire le livre d’Aude Lancelin, « Le Monde libre » et je ne l’ai plus lâché. Cette ancienne rédactrice en chef adjointe au journal « L’Observateur » a fait l’objet d’un règlement de compte entre confrères, soupçonnée d’avoir des sympathies de gauche alors qu’elle travaillait pour un journal de « gôche ». Son récit permet d’approcher de près ce petit monde étroit, borné, et mesquin qui voudrait être le surmoi « réaliste » et bien sûr « moderne » de tout ce qui voudrait sortir du cadre de la mondialisation heureuse. Le récit des méthodes et le portrait en action des personnages qui unissent « Libération », « L’Observateur », « le Point », « Marianne », l’Élysée, le monde des affaires et celui de la « gôche » est à couper le souffle. On rit beaucoup aussi.

Le marigot des vieillards cacochymes fortunés et des marquis de circonstances est en fait une cour des miracles de la fatuité. Et ce récit nous libère aussi d’un poids. Celui que notre conscience pouvait animer dans nos scrupules quand nous attaquions si frontalement ce petit monde pour ses photos pourries, ses titres à vomir, ses complicités odieuses, son instrumentalisation de Le Pen et ainsi de suite. La vérité éclate dans ce livre : ils sont pires que nos accusations le disaient. Ou pour mieux dire, cela fait le même effet que les révélations sur Hollande : on voyait bien mais on n’arrive pas à croire que ce soit aussi lamentablement vrai.

Comment pouvais-je deviner quand je me moquais de lui en disant qu’il était homme à arracher les ailes des mouches, qu’en réalité il ordonnait des assassinats en mordillant son stylo ? Comment imaginer que Laurent Joffrin faisait des réunions de tribunal inquisitorial avec les chefs de services pour instruire le procès idéologique d’un journaliste qui ne respectait pas ses fatwas ? Comment deviner quand nous moquions l’influence de BHL sur cette toute petite « gôche» qu’elle fonctionnait en fait comme une véritable monarchie avec ses ordres, ses récompenses et ses punitions directement et frontalement exprimés !

Lisez ce livre et vous en sortirez aussi secoués que je l’ai été. C’était donc plus vrai que vrai ! Ces gens-là ne sont pas les fossoyeurs de la gauche par erreur d’analyse, par préjugé inconscient ou juste à cause de leur âge canonique pour certains. Ils ne sont pas ces donneurs de leçon, coupeurs de tête, maîtres des arrosages au canon à merde et des ostracisations systématiques par égarement. Non. Ils le sont consciemment, délibérément, méthodiquement, organiquement. Liés entre eux par l’argent, les dominations croisées, les mœurs, les allégeances multiples assumées et une médiocrité désirée et assumée comme une vertu.

Ce livre, « le Monde libre », n’est donc pas seulement écrit dans une belle langue française inconnue désormais dans ces médias où règnent les trois cent mots de la novlangue. Il n’est pas seulement un incroyable reportage souvent hilarant comme lorsqu’il raconte les conséquences dans le petit marigot de la supercherie de BHL recopiant contre Kant un auteur qui n’existe pas autrement que pour faire une farce. Il est une fenêtre ouverte sur un spectacle méphitique et gluant comme un égout : « la gôche » médiatique.

 http://melenchon.fr/2016/10/27/de-retour-de-lonu/

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