Retrouver de la joie à manifester, des éclats de rire dans la
rue avec plein de jeunes et de salarié-es de tous âges, il y avait longtemps
que nous n’avions pas vécu cela ! C’est l’ambiance dominante des comptes-rendus
de la journée du 9 mars venant de nos correspondants régionaux : une première
grande mobilisation réussie ! A Paris, dans le métro qui amenait les
manifestants rassemblés devant le siège
du MEDEF jusqu’à la place de la République pour rejoindre les cortèges
étudiants et lycéens, on chantait l’Internationale et la Jeune Garde à
tue-tête, émus de retrouver des codes culturels que l’on croyait enterrés ces
dernières années.
En 2013, c’était le peuple réactionnaire de droite qui
manifestait très massivement contre Taubira et le gouvernement. Le peuple de gauche est resté pétrifié très
longtemps, avec les coups reçus venant de « son » propre camp. Une
séquence nouvelle semble ouverte. Elle est multiforme, mélangée, encore mal
assurée, mais elle est à la fois sociale ET politique, ce qui n’est pas
toujours le cas immédiatement dans les luttes sociales. Elle peut donc faire boule de neige et faire
vaciller un pouvoir politique en le mettant en échec et qu’il retire sa loi.
Ambiance CPE ou 2010
Entre 30% ou la moitié des cortèges, selon les villes,
étaient constitués de jeunes étudiants ou lycéens. L’unité syndicale des
salarié-es a donc mobilisé très fortement.
Il y a encore du chemin à parcourir. 500 000 dans la rue, ce n’est
pas encore le plein du potentiel, si on compare ce chiffre avec les plus de 1,2
millions de signataires de la pétition LoiTravailNonMerci. Mais en 2006, avec
le CPE, les choses ont démarré bien en-dessous de ces chiffres dans la jeunesse.
Robi Morder, président du Groupe d’études
et de recherches sur les mouvements étudiants (GERME : www.germe-informe.fr) décrivait en 2006
une mobilisation qui se propageait « en
tache d’huile ». Cette fois, les premières taches sont bien plus larges
et les jonctions inter-facs et inter-lycées pourraient se propager bien plus
vite.
A Paris, la préparation a duré à peine deux jours et déjà
plusieurs lycées ont été bloqués, et des facs très mobilisées. Visiblement, les
jeunes ont lu et compris les articles et les tracts sur le contenu de la loi,
contrairement à une propagande étatique qui tente de les prendre pour des nuls,
ou voudrait leur faire croire que la meilleure manière d’accéder à un CDI
contre la précarité, c’est de précariser tous les CDI en facilitant les
licenciements.
Côté « adultes », les manifestations rappellent en
ampleur celles du printemps 2010 contre un projet de loi Sarkozy sur les
retraites, donc avant l’explosion de l’automne : « Pas vu cela depuis 2010 » nous dit
notre correspondant de l’Allier (mais faible mobilisation lycéenne). Même
comparaison à Nice, à Aubenas (Ardèche). A Paris cependant, nous sommes encore
loin des énormes cortèges de 2006 et de 2010. Au Havre, on a retrouvé la bonne
tradition de 2010 avec le « blocage
de la ville » par la CGT pendant trois heures. En Bretagne, notre correspondant note grande
« diversité des secteurs présents » avec
« des débrayages importants dans des
boites de la métallurgie dont certaines connaissent les dérégulations et les heures supplémentaires (chantiers
navals). Une boite de la navale a débrayé à 95% ». Au Puy en Velay
(Haute Loire) aussi : « beaucoup
de boites du privé ». A Paris, cortèges dynamiques d’Air France, de
Carrefour Market, et des délégations PSA Poissy, Renault Flins.
Côté syndical, quelques secteurs de la CFDT, voire de la CGC
et CFTC étaient présents en plus des organisations CGT, FO, FSU, Solidaires.
Par exemple en Haute Loire, les métaux CFDT Ile de France, des UL CFDT à Lille,
ailleurs des sections CFDT de la chimie, du textile, du verre, de la céramique.
Comme le dit un syndicaliste : « Aucun
syndicaliste ne peut accepter l’inversion des normes », car il en
connait trop les effets régressifs.
La CGT retrouve ses capacités de mobilisations dans les
mouvements unitaires, après plusieurs échecs ces dernières années lorsqu’elle
agit en solitaire. Elle a aussi besoin, à la veille de son congrès, de montrer
qu’elle est partout à l’initiative ou en appui. Elle salue (dans une conférence
de presse tenue le 9 mars) l’évolution de la direction CFDT, passée selon elle
d’une critique limitée de la loi à une fermeté plus grande. FO a bien mobilisé
sur Paris, de même que l’Union syndicale Solidaires, le troisième cortège en
importance. La FSU mobilise de manière plus modeste, mais cherche nationalement
à établir des ponts pour une nouvelle intersyndicale complète le 18 mars, après
les tentatives de diversion du gouvernement.
Une succession de nouvelles dates d’action
Les organisations de jeunesse appellent d’ores et déjà à une
nouvelle journée le jeudi 17 mars. De quoi donner du temps pour démontrer
encore plus ce qu’il y a de néfaste dans l’avant-projet de loi. La CGT avait laissé entendre qu’elle
soutiendrait des initiatives d’action intermédiaires avant le grand rendez-vous
interprofessionnel du 31 mars.
Le Collectif Le Code Qu’il Faut Défendre (CQFD) organise un
meeting unitaire d’explication et de dénonciation le mercredi 23 mars à
Montreuil. Il appelle à multiplier partout ce genre d’initiatives (premières
réunions dans le Val de Marne, à Montreuil, à Grenoble…), unissant
syndicalisme, associations, forces politiques.
Bien entendu, le gouvernement continue à chercher la division
ou semer le trouble, mais l’ampleur des concessions envisagées est assez faible
pour le moment (hausser les barèmes de dédommagement en cas de licenciements
abusifs, ou taxer plus les contrats CDD, proposition adressée à la négociation
UNEDIC qui a tenu sa deuxième séance le 8 mars). Hollande a cependant compris
qu’il fallait enfin recevoir les syndicats de la jeunesse.
Au-delà, il y a la journée de grève très unitaire du 22 mars
dans les trois secteurs fonction
publique (Etat, collectivités territoriales, Hôpitaux), et certains syndicats
font directement le lien solidaire entre cette lutte contre les salaires
bloqués depuis 6 ans et la journée interprofessionnelle du 31 mars pour les
droits du travail. Le management fonction publique s’apparente de plus en plus
au secteur privé (avec la théorie en vogue du new public management dans la technocratie d’Etat). Des idées de jonction grèviste entre les
différentes dates commencent à circuler…
L’unité du monde du travail et de la jeunesse est donc en
construction.
Et la gauche ?
Reste une question en effet : le gouvernement est totalement
isolé, mais la vraie gauche politique est totalement émiettée, bien plus que le
syndicalisme. Le gouvernement pourrait trébucher, il faut tout faire pour
pousser dans ce sens, mais l’alternative de gauche piétine, voire recule.
Le Front de gauche ne montrait que trop sa dispersion dans
les rues de Paris le 9 mars (et semble-t-il ailleurs aussi) : pas de
rendez-vous commun, pas de tract, des porte-parole qui ne se concertent plus.
Des militants ou des élus PS (Christian Paul à Paris) ont participé au défilé.
Certains élus frondeurs avaient même déjà déclaré qu’ils envisageraient la
motion de censure en cas de 49-3. Mais d’ici là ? Pourquoi tant
d’éclatement alors que le mouvement social s’unifie ? On connait les tentatives multiples pour
chercher une solution politique pour 2017. Mais si on commençait par s’appuyer aujourd’hui
sur les luttes sociales porteuses de sens politique, comme cela a commencé le 9
mars, cela accélèrerait les perspectives sur des bases solides.
Jean-Claude Mamet. Ensemble!
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