"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 8 mars 2016
Le Front de gauche est mort ce week-end, par Roger Martelli
Ce que l’on pouvait redouter est advenu. Ces derniers jours ont marqué la fin de la dynamique enclenchée en 2009. A priori, le Front de gauche s’écrit désormais au passé, mettant fin à une espérance qu’il n’a pas su concrétiser.
Jean-Luc Mélenchon a annoncé que des procédures citoyennes, autour de sa candidature et de son site, gèreraient en même temps la campagne de la présidentielle et les législatives de 2017. Le Conseil national du PCF, de son côté, en a appelé à de larges assemblées pour définir un socle programmatique commun et pour désigner des candidatures aux élections législatives, porteuses d’options communes à la gauche tout entière.
Mélenchon considère qu’il n’a plus besoin de la médiation d’un Front de gauche moribond. Pierre Laurent déclare formellement que le Front continue, mais n’y fait plus référence quand il s’agit de définir les cadres politiques de la présidentielle ou des législatives.
On ne fera pas ici un éloge sans nuance d’une expérience de quelques années seulement. Le Front de gauche n’a pas manqué de défauts, parfois consubstantiels. On pouvait – on peut ? – chercher à surmonter les défauts ; manifestement, les deux initiateurs de 2008-2009 préfèrent tourner la page. Au risque d’oublier que le FdG ne fut pas qu’une structure et qu’il fut le support d’une espérance. À étouffer l’une, on risque fort d’essouffler la seconde, déjà bien secouée depuis 2012.
La rupture plutôt que l’inflexion
Il est toujours possible de se consoler en se disant que l’acteur essentiel – le peuple – est en train de se mobiliser et qu’il va peut-être s’imposer dans la rue. Or l’expérience historique suggère plutôt que la rue peut accompagner de façon décisive une évolution politique (les grèves du printemps 1936). En général, elle ne la crée pas de toutes pièces. Ni 1968 ni 1995 n’ont débouché sur une structuration politique originale et durable. Et pourtant, ce n’étaient ni le besoin ni l’envie qui manquaient pour le faire…
Qu’on le veuille ou non, tout dépend de l’analyse que l’on fait de la situation actuelle. On peut ainsi avancer que le mal vient exclusivement des choix opérés après 2012 par le tandem majeur de l’exécutif, François Hollande et Manuel Valls. Auquel cas, pour remettre la gauche en ordre de marche, il suffit de revenir au moment qui précède l’élection de 2012, à l’esprit du premier discours de campagne du candidat Hollande, au Bourget. Au fond, il suffirait d’une simple inflexion à gauche : c’est, en gros, le modèle proposé par Martine Aubry ou Benoît Hamon.
Mais on peut aussi considérer que la source des maux actuels tient à la conjonction d’une mondialisation capitaliste et financière assumée et d’une réorientation socialiste fondamentale entreprise autour de 1982-1984. Auquel cas, ce qu’il convient d’amorcer est une rupture plus globale avec une logique d’adaptation aux supposées "contraintes" d’un système et avec un modèle même de développement social.
C’est cette rupture que vise, depuis plus de vingt ans, ce que l’on a appelé le mouvement "social", "critique", "antilibéral" ou "alternatif".
Faiblesse persistante de la gauche "radicale"
On peut tourner et retourner la question dans tous les sens, toujours finit par revenir le même constat : ce mouvement de contestation n’a pas acquis l’épaisseur d’autonomie nécessaire pour peser dans l’espace sociopolitique.
La réponse à l’attente de 1968 fut la logique keynésienne radicale du programme commun : elle déboucha sur l’hégémonie socialiste et s’enlisa dans les premiers recentrages des années 1980.
La réponse à l’espérance de 1995 fut la victoire de la "gauche plurielle" en 1997 : elle se termina comme on le sait en 2002. La victoire du "non" au traité constitutionnel européen de 2005 finit – difficilement – par trouver une réponse dans l’essor du Front de gauche.
Mais la faiblesse persistante et globale de la gauche "radicale" ne put que contribuer à la victoire d’un "social-libéral" qui ne s’assumait pas alors comme tel.
Le plus décisif aujourd’hui reste donc l’articulation d’un mouvement social contestataire et d’une gauche politique d’alternative, autour d’un projet en rupture avec plus de trente ans de concurrence et de gouvernance entremêlées. Sans cette affirmation, la gauche perd son ancrage populaire, émousse sa dynamique, peine à gagner et, plus encore, est incapable de réussir si par chance elle passe à son avantage le test des urnes.
Que le socialisme s’enferme dans un social-libéralisme de moins en moins social et de plus en plus libéral, ou qu’il en revienne à une social-démocratie plus tempérée n’est pas sans importance. Mais cela ne règle pas la question des questions : comment donner force agissante, dans la société et dans les urnes, à un mouvement critique conscient et à une gauche solidement ancrée à gauche ?
Le PCF et ses errements, Mélenchon et sa méthode
En 1936 et à la Libération, la dynamique était du côté du PCF. Il avait ses travers (les effets du stalinisme). Mais il avait sa qualité populaire et sa capacité à incarner de façon plus moderne la vieille tradition plébéienne, démocratique et révolutionnaire française. Dès lors, tout le système politique français et toutes les forces devaient en tenir compte, à gauche comme à droite.
En 2017, le même enjeu devrait être au cœur du débat public. Le Front de gauche était un atout pour le faire. Or, le PCF préfère une démarche qui, qu’il le veuille ou non, le ramène à un dialogue entre communisme et socialisme, dans un moment d’affaiblissement structurel continu du PCF.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, il choisit une méthode qui l’écarte de toute tractation avec le PS, mais qui pousse à un dialogue direct entre le "peuple" et "son" candidat.
La première méthode conduit à des errements dont le PCF a fini par payer le prix (les alliances PC-PS aux élections régionales) et qui tournent le dos à toute une histoire électorale de la gauche française (jamais ne s’est imposée une formule de rassemblement à gauche au premier tour d’une législative).
La seconde fait reposer sur l’arbitrage d’un seul la synthèse politique et le mouvement à construire : ce n’est pas dans la continuité de toute une tradition démocratique et populaire française ; cela peut limiter la capacité à intégrer toute la complexité de l’esprit critique contemporain.
Faire vivre une gauche bien à gauche, qui rende possible la rupture avec plus de trente années de petits reculs et de grands abandons…
D’une manière ou d’une autre, il faudra trouver la meilleure réponse possible à cette exigence en 2017. D’ores et déjà, soyons sûrs qu’elle ne pourra se penser et s’imposer que dans la clarté la plus grande sur ce qui, depuis si longtemps, produit la désaffection populaire, nourrit la spirale financière et désespère la gauche.
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/le-front-de-gauche-est-mort-ce
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