Vu la République, la fraternité en ses fondements, l’hospitalité à l’horizon.
Vu
les bouleversements des temps présents, la perspective de mouvements
migratoires extraordinaires à venir, la démultiplication annoncée de
« jungles » dans les plis et replis de nos métropoles.
Considérant
que la « jungle » de Calais est habitée par 5 000 exilés, non pas
errants mais héros, rescapés de l’inimaginable, armés d’un espoir
infini.
Considérant
qu’ici-même vivent effectivement, et non survivent à peine, des rêveurs
colossaux, des marcheurs obstinés que nos dispositifs de contrôle,
procédures carcérales, containers invivables s’acharnent à casser afin
que n’en résulte qu’une humanité-rebut à gérer, placer, déplacer.
Considérant
que Mohammed, Ahmid, Zimako, Youssef, et tant d’autres s’avèrent non de
pauvres démunis, mais d’invétérés bâtisseurs qui, en dépit de la boue,
de tout ce qui bruyamment terrorise ou discrètement infantilise, ont
construit en moins d’un an deux églises, deux mosquées, trois écoles, un
théâtre, trois bibliothèques, une salle informatique, deux infirmeries,
vingt-huit restaurants, quarante quatre épiceries, un hammam, deux
salons de coiffure, des histoires d’humanité reléguées au statut
d’anecdotes dans l’histoire officielle de la « crise des migrants ».
Considérant
qu’ici-même l’on habite, cuisine, danse, fait l’amour, fait de la
politique, parle une vingtaine de langues, chante l’espoir et la peine,
pleure et rit, contredit ô combien les récits dont indignés comme
exaspérés s’enivrent, assoiffés des images du désastre, bourrés de
plaintes, écoeurés par ce qui s’invente, s’affirme et déborde.
Considérant
que chacun des habitats ici dressé, tendu, planté, porte l’empreinte
d’une main soigneuse, d’un geste attentif, d’une parole liturgique
peut-être, de l’espoir d’un jour meilleur sans doute, et s’avère une
écriture bien trop savante pour tant de témoins dont les yeux
n’enregistrent que fatras et cloaques, dont la bouche ne régurgite que
les mots « honte » et « indignité ».
Considérant
que quotidiennement depuis début septembre 2015 des centaines de
britanniques, belges, hollandais, allemands, italiens, français,
construisent dans la « jungle », distribuent vivres et vêtements,
organisent concerts et pièces de théâtre, créent radios et journaux,
dispensent conseils juridiques et soins médicaux, et le soir venu
occupent les lits des campings alentours et de l’Auberge de Jeunesse de
Calais, haut-lieu d’une solidarité active extraordinaire, centre de
l’Europe s’il en est.
Considérant
que jamais les associations calaisiennes n’ont enregistré autant de
propositions de dons et de bénévolat, et que ne cesse pourtant d’être
narré le récit d’une unanime exaspération collective, d’une violence et
d’un racisme prétendument généralisés, d’une pourriture surexposée
salissant une ville autant que les kilomètres de barbelés la défigurent.
Considérant
que Calais est, de facto, une ville-monde, avant-garde d’une urbanité
du 21e siècle dont le déni, à la force de politiques publiques brutales,
témoigne d’un aveuglement criminel à l’endroit de ce qui vient, d’un
mépris mortifère de ce qui s’affirme.
Considérant
que la « jungle » ne disparaîtra pas, ni à la force d’une violence
légale déployée comme si s’organisait là une bande de criminels, ni par
la grâce des « solutions » abstraites de « l’hébergement pour tous »,
dont les containers du « Centre d’Accueil Provisoire » à 20 millions
d’euros exposent, sidérante, l’absurdité.
Considérant
que la faillite des acteurs publics et l’incurie de leurs solutions
sont si vastes, que dans une semaine, un mois, un an, la « jungle » de
Calais apparaîtra au centuple, et que demeurera comme seul trésor public
le fruit de ce que calaisiens et exilés auront cultivé malgré tout, à
savoir ce qui nous rapproche.
Déclare :
–
1 : Que la destruction annoncée par la Préfète du Pas-de-Calais de la
partie sud de la « jungle » de Calais, comprenant notamment une école
resplendissante, s’avère une infamie, un acte de guerre irresponsable
conduit non seulement contre des constructions, mais aussi contre des
hommes, des femmes, des enfants, des rêves, des solidarités, des
amitiés, des histoires, une opération militaire écervelée conduite non
seulement contre le bidonville, mais contre ce qui fait ville à Calais.
–
2 : Que résister nécessite de riposter enfin au déni de réalité
généralisé, de contredire les professionnels de la plainte comme les
promoteurs de l’exaspération, de rendre célèbre ce qui s’affirme
aujourd’hui à Calais, de faire retentir le souffle européen qui s’y
manifeste, de s’avérer autrement attentifs aux promesses d’avenir qui
s’y dessinent, à la beauté des bâtisseurs, à la vie qui toujours
invente.
–
3 : Que penser et agir de nouveau à Calais, au devant d’une
situation-monde nous concernant tous, c’est s’inspirer des gestes de
celles et ceux qui construisent inlassablement en dépit de la haine qui
porte le nom de « politique publique », c’est poursuivre l’édification
d’une cité-oasis du 21 siècle où trouver abris de droits, de culture, de
joie et de fraternité, c’est risquer d’autres formes d’écritures
politiques de l’hospitalité, de ce que nous avons en commun, de notre
République.
PEROU
Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines
Le texte est « complété » par des
images issues d’un travail conduit par le PEROU à Calais associant,
outre des photographes, huit équipes de chercheurs et étudiants
d’universités et d’écoles d’enseignement supérieur. Intitulé « New
Jungle Delire » (voir sur le site du PEROU : http://www.perou-paris.org),
ce travail est présenté chemin faisant au Pavillon de l’Arsenal (21
boulevard Morland, 75004 Paris) dans le cadre d’Ateliers Publics
bi-mensuels. Le troisième Atelier Public du PEROU aura lieu le mardi 23
février à 18h30.
En complément possible :
Collectif : Considérant qu’il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir, note de lecture : il-y-a-un-hors-texte-contre-la-ville-tout-contre-il-suffit-daller-voir/
Considérant qu’il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir, considerant-quil-est-plausible-que-de-tels-evenements-puissent-a-nouveau-survenir/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire